Un barbare en Chine nouvelle
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Un barbare en Chine nouvelle

Alexandre Trudeau, Daniel Poliquin

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Un barbare en Chine nouvelle

Alexandre Trudeau, Daniel Poliquin

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Depuis l'enfance, Alexandre Trudeau est fascinĂ© par la Chine. Il retrace ici pour nous ses pĂ©rĂ©grinations dans ce pays qui est synonyme de dĂ©mesure et brosse un portrait saisissant de la Chine contemporaine.Au cours des derniĂšres annĂ©es, l'auteur a fait de nombreux voyages dans l'Empire du Milieu. Il y a rencontrĂ© des artistes et des travailleurs migrants, des citadins et des agriculteurs. Souvent accompagnĂ© par Vivien, une jeune journaliste chinoise, il a explorĂ© la rĂ©alitĂ© d'existences prises au piĂšge entre la Chine de nos souvenirs et celle que bouleverse la poussĂ©e du progrĂšs. La Chine qu'il cherche se rĂ©vĂšle par bribes. Chacun des ĂȘtres qu'il croise dĂ©voile une parcelle du secret, et chaque rĂ©vĂ©lation nous dĂ©sarçonne, vient nous arracher Ă  nos idĂ©es prĂ©conçues, nous oblige Ă  remettre en question nos certitudes les mieux Ă©tablies.C'est avec une grande finesse et une grande perspicacitĂ© qu'Alexandre Trudeau dĂ©crit les changements que vit aujourd'hui la Chine, en mĂȘme temps qu'il jette un regard rĂ©trospectif sur l'histoire de cette sociĂ©tĂ© encore soumise Ă  des codes rigides et profondĂ©ment ancrĂ©s. En partageant le quotidien d'hommes et de femmes qui incarnent la Chine nouvelle, il apporte un Ă©clairage neuf sur toute une sociĂ©tĂ©, comme seul un voyageur doublĂ© d'un conteur hors pair peut le faire.«Alexandre Trudeau est voyageur, cinĂ©aste et journaliste. Il a Ă©tĂ© un prĂ©cieux tĂ©moin de la vie Ă  Bagdad au moment oĂč les bombes s'abattaient sur la ville. Il a explorĂ© la rĂ©alitĂ© quotidienne des deux cĂŽtĂ©s du mur qui sĂ©pare IsraĂ«l de la Palestine. Il s'est Ă©levĂ© contre le sort fait aux personnes suspectĂ©es de terrorisme et emprisonnĂ©es au mĂ©pris de leurs droits. Il a suivi les mouvements de la jeunesse des Balkans dans leur lutte pour obtenir plus de dĂ©mocratie, il nous a aidĂ©s Ă  mieux comprendre les causes de l'instabilitĂ© au Darfour, au Liberia et en HaĂŻti. Il vit Ă  MontrĂ©al.»

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Information

Year
2016
ISBN
9782764644454
chapitre 8
Le sud
Le bon voyageur n’a pas d’itinĂ©raire et n’a pas l’intention d’arriver.
Lao-tseu, ve siĂšcle av. J.-C.
La porte se dresse devant nous dans la pĂ©nombre. Sue, jeune journaliste de terrain cantonaise, a fait ce que je lui ai demandĂ©. Elle nous a conduits dans le labyrinthe du ventre de la ville jusqu’à l’entrĂ©e d’un bordel.
Un escalier lugubre nous attend. Le bĂątiment est un bloc de bĂ©ton de quatre Ă©tages. Sa façade est plus Ă©troite que celle des autres Ă©difices. Son enseigne se compose de quelques caractĂšres en noir sur un panneau Ă©clairĂ© de rouge. Les lumiĂšres rouges sont chose commune en Chine et ne sont pas nĂ©cessairement signe de dĂ©bauche. C’est la seule enseigne dans cette ruelle, et il y est indiquĂ© ceci : Massage.
Les salons de massage et les bordels abondent en Chine : omniprĂ©sents mais discrets. Le pays a Ă©tĂ© le thĂ©Ăątre de mouvements migratoires massifs et les gens disposent depuis peu de revenus qu’ils peuvent dĂ©penser comme bon leur semble. EntassĂ©s les uns sur les autres et dotĂ©s d’un grand sens pratique, ils n’entendent pas rester sur leur appĂ©tit. Comme il y a des lieux oĂč manger, boire et rigoler, il y a aussi des lieux pour aimer. Ou prendre du plaisir, si on prĂ©fĂšre. Avec tous ces gens Ă©loignĂ©s de leurs foyers, les relations sexuelles et le contact humain – ainsi que l’assouvissement des passions – acquiĂšrent une valeur marchande.
Nous sommes Ă  Guangzhou, au cƓur du quartier le plus densĂ©ment peuplĂ© que j’aie vu de ma vie. Un labyrinthe massif et tentaculaire tout en immeubles de bĂ©ton. Pas tout Ă  fait des gratte-ciel, six ou sept Ă©tages maximum, mais ils sont si rapprochĂ©s qu’il ne subsiste entre eux que des passages trĂšs exigus.
Les grandes casbahs du vieux Maroc sont denses, percĂ©es de passages Ă©quivoques, et on peut y dĂ©couvrir des choses merveilleuses. La vieille JĂ©rusalem est un fouillis inextricable. Les bidonvilles de l’Inde, d’Afrique et d’AmĂ©rique du Sud sont Ă  couper le souffle. Il y a mĂȘme des quartiers emmurĂ©s en Europe qui donnent l’impression de la densitĂ© humaine, mais sans la saletĂ© des jours anciens. La densitĂ© urbaine est diffĂ©rente dans des secteurs comme celui-ci, qui ont poussĂ© Ă  la verticale sur trĂšs peu de terrain. L’acier et le bĂ©ton compartimentent la vie humaine comme rien d’autre. Les services publics – les aqueducs, les Ă©gouts, l’électricitĂ© –, si rudimentaires soient-ils, confĂšrent une certaine harmonie Ă  la vie dans la colonie. Il y a nĂ©cessairement des gens qui veillent au grain ici. Ils profitent de l’activitĂ© ambiante. Mais ils seront les premiers blĂąmĂ©s si la catastrophe frappe et si les gens se retrouvent plongĂ©s dans les dĂ©jections ou la maladie.
On se croirait tout de mĂȘme dans un bidonville qui aurait Ă©tĂ© peuplĂ© soudainement par des hordes de gens contraintes Ă  la promiscuitĂ© Ă  cause de la raretĂ© de la terre. Il bout ici une Ă©nergie indiscutable, comme si le meilleur et le pire pouvaient se produire Ă  tout moment. Chinatown, baby.
Guangzhou, qu’on appelait autrefois Canton, est situĂ© sur les rives de la riviĂšre des Perles. Pendant des siĂšcles, la cĂŽte mĂ©ridionale de la Chine a Ă©tĂ© tĂ©moin de vastes migrations humaines. Avec ses Ăźles, ses baies et ses estuaires protĂ©gĂ©s qui ouvrent sur les courants accueillants des mers chaudes, la cĂŽte a Ă©tĂ© longtemps un goulet au travers duquel les gens et les marchandises entraient en Chine et en sortaient. À la fin du xviiie siĂšcle, Canton Ă©tait devenu l’épicentre d’un vaste rĂ©seau commercial reliĂ© Ă  l’Asie du Sud-Est et au-delĂ . GrĂące Ă  ces rĂ©seaux, la langue de Canton, sa culture et sa cuisine en sont venues Ă  façonner l’idĂ©e que le monde se faisait de la Chine. Canton Ă©tait aussi devenu le grand rĂ©servoir de main-d’Ɠuvre chinoise. Des masses humaines venaient s’entasser ici en prĂ©paration d’un long voyage en mer vers des contrĂ©es lointaines oĂč, ouvriers, ils poseraient les rails des chemins de fer ou construiraient les monuments. De ce commerce humain sont nĂ©s les Chinatowns du monde, les quartiers chinois. Aujourd’hui davantage archĂ©types que rĂ©alitĂ©, ces quartiers dĂ©gagent une effervescence exotique, des parfums Ă©tranges, et suscitent des impressions d’émerveillement et de malaise.
Je suis de retour ce soir Ă  Chinatown. L’archĂ©type reprend vie dĂšs que nous nous aventurons dans ce labyrinthe pour trouver ce bordel. Trafic humain, chose bien rĂ©elle.
Sue m’explique que le quartier est relativement neuf. Mais sous les pas incessants des campagnards qui dĂ©barquent en ville, les rues sont tellement usĂ©es que l’impression du neuf a complĂštement disparu. Les murs de bĂ©ton des bĂątiments sont crasseux mais le quartier est bien tenu tout de mĂȘme. Les ordures ont Ă©tĂ© enlevĂ©es, les devantures des magasins nettoyĂ©es, les rues balayĂ©es. Mais que Dieu nous garde d’un tremblement de terre ! Ici, l’activitĂ© humaine est comprimĂ©e et ininterrompue. C’est dĂ©jĂ  la nuit et les artĂšres du quartier ne sont que bruit et lumiĂšre. L’air est chaud et odorant.
De temps Ă  autre, les passants se surprennent de voir un homme blanc accompagnĂ© de deux jeunes femmes dans ce quartier, et cela se comprend. Les Ă©trangers pĂ©nĂštrent parfois dans le quartier durant le jour, et il n’est pas inimaginable qu’un Blanc y soit vu le soir. Mais n’est-il pas normalement guidĂ© par quelqu’un du coin ? N’est-il pas lĂ  justement pour quelque raison un peu louche ?
Mais je suis ici avec Viv, qui est du nord, et Sue. Celle-ci est petite et a le teint foncĂ© ; elle a les cheveux coupĂ©s court et hĂ©rissĂ©s comme ceux d’un garçon. Ses vĂȘtements sont modernes et amples. Elle a un visage lunaire et laisse deviner une humeur Ă©gale et joyeuse. Ses gestes sont rapides, dĂ©cidĂ©s, et il y a dans son pas une confiance et une volontĂ© qui disent : « Je suis d’ici, moi. » Viv m’a signalĂ© plus tĂŽt que Sue est originaire d’un coin sur la cĂŽte cĂ©lĂšbre pour ses gangsters. Elle n’est donc pas du quartier, mais on l’y sent comme chez elle.
Sue fraie le chemin dans le quartier et nous permet de nous y retrouver un peu, mais juste un peu. Avec ses maniĂšres dĂ©licates, Viv n’est manifestement pas d’ici. À part moi, n’est-il pas Ă©vident que nous sommes ici en observateurs et non pour faire la fĂȘte ? Il faut se mĂ©fier de ces Ă©trangers qui regardent sans participer ou de ceux qui ne font que passer sans rien laisser, rien sacrifier. Je nous presse d’accĂ©lĂ©rer le pas, comme si nous avions un rendez-vous, comme si nous Ă©tions ici pour agir et acheter.
Nous comptons monter l’escalier et entrer dans l’établissement, et Sue ira parler au patron ; avec un peu de chance, ce sera une patronne. Nous avons de l’argent et nous voulons rencontrer une masseuse. Une fois entre nous, nous lui poserons des questions.
Le Chinatown est une histoire de chair : il est nĂ© de l’usine Ă  corps humains que la Chine a Ă©tĂ© pendant des siĂšcles. Les hausses soudaines de la dĂ©mographie ont provoquĂ© des surpopulations sporadiques et des migrations massives. Ces mouvements font partie de la l’histoire de la Chine, et de cette rĂ©gion en particulier, depuis plus de deux millĂ©naires. Mais il a fallu l’époque des dĂ©couvertes et du commerce maritime, ainsi que l’apparition de ports opulents le long de la cĂŽte mĂ©ridionale, pour faire de la migration chinoise un phĂ©nomĂšne mondial.
La main-d’Ɠuvre chinoise fut un Ă©lĂ©ment primordial dans l’expansion du commerce maritime. Pour les nouvelles Ă©conomies industrialisĂ©es, la main-d’Ɠuvre asservie ou conscrite se faisait de plus en plus rare au xixe siĂšcle. Les bĂątisseurs d’empires avaient besoin de nouveaux bras. On pouvait rapidement, et Ă  bon prix, mobiliser des effectifs chinois pour des chantiers gĂ©ants comme la construction des chemins de fer ou le creusement des canaux. Contrairement aux esclaves, on pouvait acquĂ©rir des coolies chinois sans trop user de violence, et l’obligation de les nourrir et de les loger Ă©tait Ă©phĂ©mĂšre. Les bĂątisseurs pouvaient acheter la main-d’Ɠuvre en gros pour les besoins d’un contrat prĂ©cis. En plus, cette main-d’Ɠuvre dĂ©barquait le plus souvent avec sa propre structure de soutien, faite de contremaĂźtres, de payeurs et de cuisiniers, une vĂ©ritable solution clĂ© en main pour les entrepreneurs occidentaux.
Tout comme il fallait nourrir et entretenir cette main-d’Ɠuvre, il importait aussi Ă  l’occasion de voir aux autres besoins de tous ces humains dĂ©placĂ©s. Ainsi, autour du cadre de cuisiniers et de blanchisseurs Ă©mergĂšrent d’autres spĂ©cialistes nouveau genre, notamment les agents portuaires et les fournisseurs de produits mĂ©dicinaux et de gratification sexuelle. Ces Ă©lĂ©ments se sont combinĂ©s pour former tous les Chinatowns du monde, des quartiers Ă©tendus de San Francisco et de Vancouver jusqu’aux ruelles des bourgades frontaliĂšres.
J’imagine que, de toutes les choses qui faisaient qu’un Chinatown pouvait prendre un aspect Ă©trange et diffĂ©rent aux yeux d’un Ă©tranger, l’écart entre le puritanisme croissant des Occidentaux et la fonctionnalitĂ© chinoise Ă©tait une des plus frappantes. Chez les riches et les puissants, la polygamie Ă©tait chose courante, voire admirĂ©e, dans la Chine du xixe siĂšcle. Le corps de la femme Ă©tait en rĂšgle gĂ©nĂ©rale un bien marchandable. Il Ă©tait normal d’accorder ses faveurs sexuelles pour de l’argent ou une certaine protection. Si un tel commerce procurait Ă  sa praticienne et Ă  sa famille un avantage Ă  long terme, il devenait mĂȘme honorable. Les pĂšres vendaient ainsi leurs filles : ce n’était pas de la prostitution au sens strict du terme, mais il Ă©tait entendu que le corps de la fille devait servir au plaisir et Ă  la procrĂ©ation et que l’usage de ce corps serait rĂ©tribuĂ©.
PlantĂ© comme je le suis devant l’escalier, mon propre sens moral me paralyse tout Ă  coup. Je suis soudainement mal Ă  l’aise de songer Ă  toute cette sexualitĂ© ou du moins attristĂ© Ă  la perspective de discuter intimement avec une jeune femme de sa vie sexuelle. Je frissonne Ă  l’idĂ©e que cette Ăąme assiĂ©gĂ©e sera soumise Ă  un interrogatoire dans son lieu de travail, et j’en conclus que nous faisons totalement fausse route.
J’imagine cette jeune femme timide ayant Ă  s’expliquer, assise sur un lit, comme si elle avouait son comportement discutable Ă  ses parents. C’est trop froid, c’est trop dur. Je ne peux pas croire que ce sont des Ă©vĂ©nements heureux qui l’ont conduite lĂ  oĂč elle est.
Un bordel n’a rien de trĂšs intime non plus. Ses jeunes collĂšgues arpentent les couloirs et ses employeurs sont Ă  l’avant comme Ă  l’arriĂšre, tous sĂ»rement au courant de ses confessions. Sans parler de la clientĂšle. Ces filles doivent savoir bien des choses qui ne se rĂ©pĂštent pas. Nous avons eu tort de demander Ă  interviewer une prostituĂ©e sur son lieu de travail. J’ai honte maintenant, et je veux m’en aller.
Je dis Ă  mes compagnes :
— On annule tout.
— Quoi ? me demande Viv en se grattant la tĂȘte. On n’entre plus ?
— Notre idĂ©e ne vaut rien.
— Eh bien, montons au moins, et voyon...

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