Nos grands-pères les fantômes

Pasha Malla

• Publisher: Le Quartanier
• Year: 2015
• eBook ISBN: 9782896980994
• Topic: Literature
• Subtopic: Poetry
• Index: Literature

C'est par les yeux d'une poignée de narrateurs déroutés qu'on découvre dans ces poèmes la faune des banlieues nord-américaines et les charmes de la complaisance. Une chose est sûre, nos aïeux ont presque entièrement disparu de ces vignettes où règnent l'agitation et le déni. Crise de nerfs d'un parvenu floué, voyages organisés à vocation thérapeutique, dérives d'une pseudo-poète lauréate ou réinvention du téléjournal en reportage choc généralisé, le portrait qui se dessine est celui de l'individu ordinaire captif du spectacle de ses mauvais penchants. Et que faire devant les vexations de toutes sortes, sinon s'en remettre à l'humour et aux drogues douces, histoire d'arracher à l'absurde un peu de sa beauté?

III

Nos grands-pères
les fantômes

Natalie Portman, écoute

I

Natalie Portman,

écoute.

On dit que la plume

est plus puissante que l’épée,

mais j’ai tendance à croire que

si je débarquais dans ton manoir

et te mettais un sabre de deux pieds de long

sous la gorge

et te disais : « Épouse-moi »,

ça donnerait plus de résultats

que ces quelques mots dérisoires.

Mais nous partons du mauvais pied,

et je ne possède même pas d’épée.

Natalie,

je veux t’embrasser avec la langue.

Je veux t’embrasser

partout sur le corps,

mais surtout

entre les jambes

là où se trouve le vagin.

Ou même pas.

Je serais juste heureux de t’embrasser la bouche,

vite ou lentement, ou moyen,

ça dépend comment est-ce

que tu aimes te faire embrasser

– je le ferais tellement.

Quoique

je ne dirais pas non à du sexe

s’il s’avérait que c’était offert aussi.

Ça ne me dérange même pas

que le seul bon film

dans lequel tu as joué soit

Le professionnel, tu devais avoir treize ans

et tu n’étais même pas encore sexy

– du moins pas légalement.

Tous les autres étaient à chier.

Tu vois comme mon amour est fort? Je suis prêt

à fermer les yeux sur tout ce que tu es

sauf ta beauté.

Je voudrais que quelqu’un fasse un film sur toi

comme à l’époque

où la caméra chosifiait

les belles femmes sans s’excuser

– mais avec vénération.

Je crois que même Eve Sedgwick

baisserait les poings un instant

juste pour regarder.

Il y aurait vraiment plein de gros plans

artistiquement flous de ton visage,

le regard hors

champ avec ta bouche

légèrement entrouverte et tes paupières

à demi closes, et le monde

soupirerait un peu à chaque plan.

II

Il faut que j’avoue quelque chose :

au seul mariage juif auquel je suis jamais allé,

je suis arrivé en retard.

Il ne restait plus de kippas.

C’était dans un hôtel.

Je n’étais pas accompagné; on ne me l’avait pas

permis. Je ne suis pas très grand, et ils m’avaient

assis à côté d’une femme qui paraissait

au moins deux fois ma taille.

Alors quand est venu le temps de danser,

je n’ai pas dansé.

Ce que j’essaie de dire,

c’est que ton corps est une synagogue,

Natalie,

et j’achèterais une kippa et la porterais

si tu décidais de me laisser entrer.

J’arriverais à l’heure.

Je ferais une danse sémitique osée.

Je réciterais la Torah

– tous tes passages favoris –

au cas où ça aiderait.

Ou aucun passage si c’était préférable.

Merde, Natalie,

qu’est-ce que tu veux de moi?

J’en ai assez de jouer aux devinettes.

Ce n’est pas une relation,

ce que nous avons.

Une relation

repose sur la communication

et j’ai l’impression de beugler

dans une boîte de conserve

attachée par une corde

à une étoile de David faite d’injonctions de la cour.

III

Natalie Portman,

tout ce que j’espère,

c’est que ce poème te fera venir chez moi.

Je n’aurais même pas

besoin d’être là....

Table of contents

• I. On portait nos cocardes à la maison
• II. Une remise en causedes idées reçues sur la médiocrité
• III. Nos grands-pèresles fantômes