La solitude de l'écrivain de fond
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La solitude de l'écrivain de fond

Daniel Grenier

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La solitude de l'écrivain de fond

Daniel Grenier

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«J'ai découvert l'écrivain américain Wright Morris dans une librairie d'occasion de Burlington au Vermont, à l'été 2011. Mon regard avait été attiré par un gros volume intitulé The Loneliness of the Long Distance Writer. Le nom de l'auteur ne me disait rien. Voyant la liste de ses œuvres, j'ai constaté que j'avais affaire à un romancier prolifique dont personne ne m'avait jamais parlé.»Qu'est-ce que la reconnaissance, en littérature? Qu'est-ce que la gloire? À quel moment le lecteur fervent se fait-il écrivain à son tour? Qui est Wright Morris et où peut-il bien être passé? Cet essai où fusionnent un auteur et un admirateur pose ces questions et bien d'autres encore. Des déboires ayant précédé la publication de Malgré tout on rit à Saint-Henri jusqu'aux déambulations parisiennes au moment de la sortie en France de L'année la plus longue, Daniel Grenier nous emmène sur les chemins sinueux de l'écriture et de la lecture, en explorant les écueils de l'ambition romanesque et les caprices du destin – les étoiles filantes passent souvent quand on a les yeux baissés.

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Information

Publisher
Le Quartanier
Year
2017
ISBN
9782896983049
II
La vaste saison
Je suis devenu de plus en plus grave – ma voix littéraire, mes phrases et leur construction […], et mes thèmes, tout cela de plus en plus sombre. Pour la plupart de mes personnages, la vie était une affaire sacrément ennuyeuse et sans doute embrouillée, à travers laquelle on avançait en pataugeant. Pareille attitude risque évidemment d’aboutir à un cynisme terrible, d’autant que je savais que la vie ne ressemblait pas à cela – mais qu’elle était beaucoup plus intéressante.
RICHARD FORD
Un week-end dans le Michigan
Je suis à la recherche d’un livre à lire. C’est un livre très spécial. Je l’imagine comme un visage sans traits. Je n’en connais ni le titre ni l’auteur. Qui sait, parfois je me dis que je suis à la recherche d’un livre que j’aurais moi-même écrit. Je ne sais pas. Mais je me raconte tant d’histoires à propos de ce livre inconnu, que j’aime déjà si profondément. Une de ces histoires se lit comme suit : je serais en train de lire et, soudain, au détour d’une phrase, les larmes aux yeux, je m’exclamerais d’extase, de douleur et de libération : « Mais, mon Dieu, c’est que je ne savais pas que tout est possible! »
CLARICE LISPECTOR
A descoberta do mundo
1
Les quatre derniers sont arrivés par la poste récemment, d’aussi loin qu’Atlanta en Géorgie ou Elon en Caroline du Nord : One Day; The Man Who Was There; War Games; Will’s Boy. Wright Morris est maintenant l’auteur dont je possède le plus de livres, au-delà de vingt volumes. Surtout des romans. Quelques essais et les deux premiers tomes de son autobiographie. Il a dépassé en nombre Vladimir Nabokov, mon grand amour de jeunesse.
Je me souviens d’avoir découvert Nabokov chez mon ami Laurent. La salle de lecture de ses parents était extraordinaire. Il y avait de tout là-dedans : du James A. Michener aussi bien que du Virginia Woolf, du Marguerite Yourcenar et du Yukio Mishima. Les parents de Laurent me restent en mémoire pour deux raisons principales, qui ont à voir avec l’amour des livres. D’abord, je me souviens qu’un soir, sur le chemin de retour de la bibliothèque où ils étaient venus nous chercher en voiture, son père s’était retourné vers moi : « Lovecraft? Ouache! C’est mauvais. C’est tellement mauvais que ça ne vaut même pas la peine de l’épeler correctement : mauvais, M-O-V-E-T. » Et il venait de m’apprendre quelque chose de déterminant : si des millions de livres extraordinairement bons attendaient que je les lise, certains d’entre eux étaient assez mauvais pour engendrer une telle réaction viscérale. Le père de Laurent haïssait H. P. Lovecraft. Ça en disait long sur son amour de la littérature, ça m’en disait long sur ce qui allait devenir la passion de mon existence.
Ensuite, et il s’agit là d’un épisode plus ou moins glorieux dont je pourrais à jamais taire la résurgence dans mon esprit, mais que je chéris, je me souviens d’un matin où, comme d’habitude, j’étais parti de chez moi pour me rendre à pied chez Laurent, qui habitait à quelques rues. En arrivant sur le pas de la porte, j’avais sonné, et la mère de Laurent était venue m’ouvrir, tout sourire, et m’avait dit : « Viens, j’ai une surprise pour toi », avant de me guider vers la toilette du rez-de-chaussée, minuscule pièce dissimulée entre la salle de lavage et la porte qui menait au sous-sol. Elle a appuyé sur l’interrupteur et la lumière s’est allumée, révélant les toutes nouvelles tablettes installées sur le mur surplombant la cuvette, remplies de livres, remplies à craquer de dos de livres, de titres à la verticale, certains qui se lisaient de haut en bas, d’autres de bas en haut. La mère de Laurent observait ma réaction, heureuse de me voir heureux, parce qu’elle me connaissait bien : cette nouvelle salle de lecture qu’ils venaient de créer, elle était, jusqu’à un certain point, pour moi. « Tu as vu ça? On a mis des livres dans la salle de bain. On a pensé à toi. On a mis des livres pour quand tu vas aux toilettes. » Ils avaient pensé à moi, effectivement. Ils s’étaient demandé quoi faire avec le surplus de livres, ils manquaient de place, ils avaient pensé à des concepts comme retraite, sanctuaire, solitude, recueillement, et ils avaient pris la bonne décision.
C’est le père de Laurent qui m’a mis La méprise de Vladimir Nabokov dans les mains, en me disant quelque chose comme : « On n’en revient pas, de celui-là. » En effet, je n’en suis jamais vraiment revenu. Comment revenir de ça :
Si je n’étais parfaitement sûr de mon talent d’écrivain et de ma merveilleuse habileté à exprimer les idées avec une grâce et une vivacité suprêmes… Ainsi, plus ou moins, avais-je pensé commencer mon récit. Plus loin, j’aurais attiré l’attention du lecteur sur le fait que, si je n’avais pas eu en moi ce talent, cette habileté, etc. non seulement je me serais abstenu de décrire certains événements récents, mais encore il n’y aurait rien eu à décrire car, gentil lecteur, rien du tout ne serait arrivé 1.
Il n’y avait pas de livre de Wright Morris dans la salle de lecture des parents de Laurent. Même pas dans les toilettes.
2
À la cent soixante-quatrième page de Solo: An American Dreamer in Europe, 19331934, Morris écrit :
Dans le jardin du Luxembourg je me suis affaissé sur un banc qui faisait face à l’étang et aux cris des enfants. J’étais à Paris. Le crépuscule mauve semblait m’envelopper comme une musique. Avant de me remettre sur mes pieds, je n’avais pas remarqué les trous dans mes bas et deux ampoules crevées.
Dans un hôtel près de la Sorbonne on a fait une exception pour le client qui ne resterait qu’une seule nuit. Deux jeunes Américaines qui jouaient au ping-pong dans le vestibule m’ont réveillé. Afin de m’éloigner de celle que j’entendais hululer, je suis parti loin de la Sorbonne et de la foule des étudiants et j’ai trouvé une chambre derrière le cimetière du Montparnasse près de l’intersection de la rue de la Gaîté et de l’avenue du Maine. Ma chambre donnait sur un des paliers de l’escalier, où la plupart des locataires s’arrêtaient pour craquer leur allumette. J’avais une fenêtre du côté de la rue, une chaise sur laquelle déposer mes vêtements, un matelas qui avait environ dix centimètres de moins que moi. […] Ce n’était pas l’idée que je me faisais de la vie bohème, mais les enfants jouaient dans la rue sous ma fenêtre et, juste en face, un bel homme noir et très grand vivait avec une petite femme blanche et rondelette. Je les entendais se crier dessus, mais je perdais l’essentiel de leur propos, puisqu’ils le faisaient en français 2.
Au moment des faits racontés, Wright Morris a vingt-trois ans et il vient de revenir en France après un séjour de plusieurs mois en Autriche et en Italie, où il a connu des aventures dignes du journal d’Ernest Hemingway et dont il a tiré des leçons dignes d’un opus de Horatio Alger. Le ton est, comme c’est le cas dans tout son travail autobiographique, celui de la douce ironie du sage regardant se démener son double immature qui, aux prises avec une image un peu figée de la vie bohème, est conscient au fond de lui que c’est exactement de ça qu’il s’agit : des murs sales, un lit trop petit, un couple mixte qui s’engueule en face.
Et moi, à trente-cinq ans, sans le savoir, j’étais logé à quelques minutes de marche de la chambre qu’il occupait durant la Dépression. À cette époque, Morris était pauvre comme Job, il avait sur le dos le seul complet qu’il possédait, il ne fumait pas vraiment et il ne couchait pas avec des prostituées parce qu’il avait une amoureuse, là-bas, across the pond, qui l’attendait.
C’est dans une bordélique librairie d’occasion, à proximité du Théâtre de l’Odéon, que j’ai trouvé mon exemplaire de ce récit autobiographique publié en 1983. Je me baladais dans la capitale française en plein mois de juin. Ce n’était pas un pèlerinage, mais pourquoi ne le verrais-je pas ainsi plusieurs mois plus tard, par la lorgnette de mon expérience accumulée, ajoutant à mon voyage de jeune écrivain une dimension sacrale, celle du bon vieux cliché d’avoir marché dans les pas d’un autre? Quand on est un lecteur, on est toujours en pèlerinage. Quand on est écrivain, on n’est jamais bien loin du cliché.
Dans ce coin-là, le sixième arrondissement, se trouvent les bureaux de la maison d’édition Flammarion, qui a acheté les droits francophones hors Amériques de mon roman L’année la plus longue. J’étais à Paris pour la promotion du livre, qui ne paraîtrait que deux mois plus tard, mais qu’il fallait d’ores et déjà présenter aux libraires en vue de la rentrée littéraire, sorte de folie des grandeurs du milieu du livre français qui a lieu chaque mois de septembre. On m’avait logé dans un petit hôtel rue Monsieur-le-Prince, à deux pas des jardins du Luxembourg, où je me suis promené quelques heures, chaussé de bas propres et de souliers confortables. Les enfants criaient et pleuraient toujours autant, je les voyais faire leu...

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