1. APRÈS LE GRIS
Et puis on dégrise
on s’agrippe au matin
c’est une vie plus facile que d’autres
une vie sans surprises ou presque
la seule sorte de cancer qu’on me trouvera
j’étais mouche folle dans la foule moche
j’ai deux bouches désormais et toi aussi
on va fondre comme du bon beurre
dans le cœur ranci de juillet et juste avant
on va se dire ce qu’on ne dit jamais.
2. L’ODEUR SUCRÉE
DU PLASTIQUE QUI BRÛLE
Tout est toxique
sauf peut-être les très jeunes enfants
tout travaille à te tuer
ce que tu manges ce que tu vois l’air te brûle
quand ils parlent les gens te dévorent
tu es toxique toi aussi ça va de soi
tu n’es pas de ceux qui mangent la lumière comme des chips
tout est toxique
sauf peut-être les très jeunes enfants
en photo derrière une plaque de verre.
3. MARCHES DE L’EMPIRE
Là c’est moi au salon mortuaire
la troisième fois cette année
je ne sais plus quoi dire
là c’est moi au salon mortuaire
c’est commencé les montages photo
les sourires les joues mouillées
là c’est moi et c’est de pire en pire.
4. MERCURE
Tu devrais être heureux voici le printemps
on annonce six degrés tu pourrais aérer
tu pourrais sortir l’air sera meilleur
que les vapeurs de mercure
voici le vieil asphalte
tu marches parmi les joggeuses contrariées
les petits chiens trotteurs les Hummer
les chars de police pressés de descendre à la manif
les graffitis sont à jour et gentils
tu étais gentil là tu as moins le temps
tout te glisse des mains ton moi s’effrite
le trottoir est sale les lunettes sont sales
tu regardes les visages qui regardent ailleurs
tu n’es pas cette caissière qui s’ennuie
ni cet homme dont la main tremble
ou ce petit garçon ivre de rage
mais tu as tous tes numéros tes cartes ton baptistaire au presbytère
Trois-Pistoles tu y retournes parfois
les enseignes bleutées les rues étroites
l’église le jubé où tu passais l’heure à regarder le plafond
les boiseries le chemin de croix les globes lumineux
aux couleurs pâles incertaines l’horloge en bois
le temps boiteux tu te rappelles le Jésus doré du clocher sa chute un matin d’été
la tête dans la terre du parc
puis l’école la crème molle le chemin de fer
tu mettais des sous noirs sur les rails
tu disais le train va les aplatir
mais on ne les retrouvait jamais
tu descendais au fleuve en bicycle
des après-midi blancs à regarder le ciel les vagues
et les vieux qui allaient virer au bout du quai
en char ils allaient voir la mer
comme pour contempler leur proche dissolution
Trois-Pistoles tu habitais là au vingtième siècle
tu étais jeune tu as vécu là tu as un drôle d’âge
là tu es malade dans un hôtel de Dublin
les mouettes se crient après tu revois Le parrain
un homme prêche à côté de la statue de Joyce qui avait raison Dieu c’est un cri dans la rue
tu es seul tu n’as pas de religion tu te rappelles que
tu n’as pas voulu fêter l’an deux mille
pas voulu donner du sens à ça quel dérisoire veau d’or un chiffre rond
quand le sens frise de partout
tu rejoins des gens qui parlent pendant des heures
on pose des questions pour faire la conversation
tu veux-tu des enfants je sais pas
pour qui tu vas voter qu’est-ce tu vas faire
tu es sur le boulevard Rosemont chez toi chez toi
tu sais que tu aimes l’espace entre les...