Label Ventriloquie

Samuel Rochery

• Publisher: Le Quartanier
• Year: 2018
• eBook ISBN: 9782896983247
• Topic: Literature
• Subtopic: Poetry
• Index: Literature

Nom? Ventriloquie. Prénom? Label. L'identité du personnage général de ce livre fait aussi des fictions parlantes la marque de fabrique d'une poésie où, en un sens strictement labial cette fois, les paroles ne se lisent pas sur la bouche ni le visage du poète. Le poète est peu transparent, et son expression reste toujours à inventer. Une ventriloquie consiste à faire passer de la poésie nécessairement «difficile» en contrebande, tout en vous mettant la puce à l'oreille sur l'intérieur des marionnettes. Si Label Ventriloquie mise sur une curiosité essentielle de la lecture, c'est qu'on n'y boude pas le plaisir de partager une histoire de langage comme on devrait douter de «la littérature» de tout son cœur: petites formes essayistes, souvent verticales, que des enfants peuvent recouper, conférences-express imaginaires sur quelques ronrons poétiques contemporains, une incursion critique dans un art martial, fausses chroniques littéraires télévisées, cartes postales au sujet des contenances, et vers-vumètres à colorier.

Comment il fait,
raisonnement sur le singe
et la taupe

1. Pause clope, direct

Tauperie et singerie (poetry and philosophy) 2

est le nom d’une rencontre textuelle. Pour qu’il y ait rencontre textuelle entre les deux,

encore faut-il ne pas commencer par prendre

la tauperie de la taupe (mole)

pour « un genre (oublié) de la singerie »,

et la singerie du singe (monkey)

pour « un genre (oublié) de la tauperie ».

(Oubli = usine à mystère inutile.)

Confusion sidérante, qu’on règle,

quand tout va bien, lors de nos premiers cours

de singerie au lycée.

Ben ouais.

2. Taupe : petit animal labourant la syntaxe en sous-sol. Synonyme : poète. Jacques Roubaud lui préfère le lombric.

Singe : grand animal des idées aériennes, parfois gesticulées. Synonyme : philosophe.

(Source : Dictionnaire illustré du langage des animaux)

2. Mon premier cours sur l’art

Un cours de singerie sur l’art (notion

au programme) montrera notamment en quoi

le raisonnement du singe

est aux antipodes formels

de la fabrication de la taupe.

Que l’un n’est pas constitutivement

le fantasme de l’autre.

Tu t’attendais à quoi?

La rigueur du singe n’est pas

de même nature que celle de la taupe.

Et il n’y a jamais eu personne à réconcilier.

Pour la bonne raison qu’une distinction (du genre tauperie/singerie), n’est pas un combat (une opposition)

sur le terrain des formes qui se font

selon deux natures ici. À moins que le terrain ne soit

qu’une image de la passion, un fantasme (une littérature),

pas un lieu d’enjeux formels.

Un film, où l’on « fait vivre » les divorces.

Mais en vrai, le terrain d’enjeux formels?

3. Arrêtez de bavarder

Ben, c’est une salle de classe, par exemple.

Le timbre du prof est la route qu’un langage pratique,

et le prof n’est pas tout seul

pour se déranger et s’interrompre judicieusement.

Les gestes et la toux font partie du discours aussi.

On serait bien en peine d’y opposer le singe

à la taupe, pour autant que la distinction

ait justement du sens, « vive sa vie » dans des exemples

lisibles (morceaux de textes), où des accents formels

précis se reconnaissent et s’étudient

en parlant. On n’oppose que les choses qu’on ignore.

Sauf que, si tu distingues mal, il n’y a rien,

pas plus de singerie

que de tauperie, de taupe-singe

que de singe-taupe : mais un bavardage informe 3,

qui mime le désir d’une réconciliation

là où les troupes

n’ont même pas pensé à s’armer ne serait-ce qu’une seule fois.

3. « La langue est une bête curieuse. Fait, fabrique, preuve de curiosité. En d’autres termes : partir avant la langue d’une fausse idée (incuriosité) de la singerie, et d’une fausse idée de la tauperie, c’est à tous les coups choisir l’absence même de forme. Ce qu’on appelle le bavardage. Incuriosité de la langue par excellence. Il est évident que le bavardage touche les gens. Puisqu’on tient toujours autant à l’illusion selon laquelle le langage est en dessous de l’émotion, n’est pas fidèle à l’homme, ou je ne sais quoi. Le bavardage nous caresse dans le sens du poil, qui veut que le langage soit une discipline mensongère dont il faut se défaire pour, allons-y gaiement, rejoindre une vérité. Comme si la curiosité était une faute. Sa vapeur de luxe (sa vérité, donc) peut bien prendre le nom d’un animal nu pour dire : y en a marre des habits ou de cette précision sur la peau. Ce n’est pas la première fois que les animaux seront exploités. Le bavardage (à tendance littéraire) est un cocon préformel, si on veut. Ou postformel, si on tient absolument à ne pas se sentir à la traîne par rapport à ses propres exigences de langage. Partant de là, l’abstraction du singe n’est pas plus un air, un style qu’on se donne (un style ‹ taupique ›) que la matérialité d’une langue n’est le prétexte à une envolée lyrique qui ‹ questionne singement ›. Tu ne parleras pas sous la torture, mais tu es obligé, seul, d’arrêter tout ça (cocon), et de parler. » Arthur Wittgenstein, « Entrevue avec Mathias Dessanges », dans L’animal conceptuel, no 7, avril 2015, p. 23.

2323__pe...

Table of contents

• Poésie lisible
• Discours sur les poissons éventuellement
• Cartes postales à un jeune poète
• La chronique littéraire sur Canal Munny
• Tête de mule
• Les poèmes à la fraise de G. Emerick
• Comment il fait, raisonnement sur le singe et la taupe
• Conférences express sur la poésie du bisou…
• La forme de la bêtise
• Suite Mami Wata
• Au revoir, j’arrive, c’est moi ! (dernières propositions)