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Imaginer un remède
Le Québec est une société vieillissante. Faible natalité, départs massifs à la retraite : les astres semblent alignés pour produire une catastrophe démo-économique. Qui paiera les pensions des baby-boomers ? Qui occupera les centaines de milliers d’emplois qu’ils laisseront vacants ? Si les Québécois ne font pas plus d’enfants, qui demain fera fonctionner leur économie ?
Depuis quelques années, une réponse semble s’imposer chez les commentateurs et décideurs politiques : l’immigration. Le Québécois venu d’ailleurs — jeune, qualifié et souvent francophone — viendra combler la place laissée libre par le baby-boomer. Il occupera sur le marché du travail la place des enfants que les Québécois — de souche, ceux-là — auront négligé de faire. L’immigration ne permettra peut-être pas d’éviter l’ensemble des problèmes liés au vieillissement, mais elle constituera une pièce essentielle de la solution.
L’argument est séduisant, c’est le moins qu’on puisse dire. Il semble empiriquement valide. Nos grands-parents (ou arrière-grands-parents) ont eu quatre, six ou huit enfants, alors que la plupart d’entre nous se contentent de deux ou d’un seul. La conséquence n’est pas difficile à imaginer : la pyramide des âges est aujourd’hui inversée, menaçant de laisser chez les cohortes en âge de travailler un trou qui ne demande qu’à être comblé. Comment ne pas voir que l’immigration offre la matière idéale pour y arriver ?
La planète, après tout, est couverte de pays populeux qui ne sont pas menacés par le vieillissement. Les hauts taux de fécondité que nous trouvions ici autrefois, ne les observe-t-on pas encore aujourd’hui dans les pays du Sud ? Or, ces pays sont pour l’essentiel pauvres. Ils font face à un taux de chômage élevé et à une économie chancelante. Quel avenir peuvent-ils offrir à leur jeunesse, qui ne rêve que de gagner l’Occident, d’y trouver du travail et d’y améliorer son sort ?
L’immigration se présente donc comme un appariement idéal. Il s’agit au fond de délester les pays pauvres d’un surplus démographique encombrant, soulageant par la même occasion notre déficit démographique. En d’autres mots, il n’y a que des gagnants. L’immigrant améliore son niveau de vie, nous permettant du même coup de préserver le nôtre.
L’objectif de cet essai est de montrer que cette idée est fausse. Il est vrai que le vieillissement de la population pose de sérieux problèmes à l’économie du Québec, mais il est faux de dire que l’immigration est une pièce essentielle de la solution à ces problèmes. Lorsque l’on comprend bien le fonctionnement de la démographie, de l’économie, des politiques et des dynamiques migratoires, il devient évident que l’impact de l’immigration sur l’économie et la démographie ne peut être que très faible. Pire : il n’est même pas certain qu’il soit positif. Cette thèse paraîtra contre-intuitive — provocatrice même — à plusieurs. Nous savons qu’elle l’est, mais nous savons également qu’elle est très largement soutenue par la recherche empirique sur la question.
Évidemment, l’immigration est un sujet délicat. Les débats sur les accommodements raisonnables, la laïcité, l’intégration, le multiculturalisme, le cours Éthique et culture religieuse, le voile, le kirpan, la prière, le crucifix, etc., lui sont régulièrement liés, que ce soit de façon implicite ou explicite. Si nous souhaitons parler d’immigration, ne devons-nous pas nécessairement aborder ces questions également ? Non, car le débat sur ces sujets est déjà bien enclenché au Québec. Différents points de vue — souvent fort contrastés — sont représentés dans l’espace public. Des intellectuels et des commentateurs ont adopté des points de vue opposés, les ont articulés dans des philosophies et des propositions détaillées et réfléchies, ce qui aide le citoyen à saisir les différents aspects de ces enjeux. Dans plusieurs dossiers, les partis politiques ont adopté des positions différentes, créant ainsi une offre politique réelle. Fort bien. Les citoyens feront leur choix le temps venu.
Un lieu commun
Une telle diversité d’idées n’existe pas lorsqu’il s’agit de l’impact de l’immigration sur la démographie et l’économie. Ici, commentateurs et politiciens forment une véritable chorale, psalmodiant un même chant à l’unisson. Exagérons-nous ? Pas du tout. La revue de presse de la dernière décennie montre la domination sans partage d’un seul et même point de vue.
Commençons par les journalistes et éditorialistes. Qu’en pensent-ils ? André Pratte, éditorialiste en chef du quotidien La Presse, affirme que, « parce qu’ils sont jeunes (70 % d’entre eux ont moins de 35 ans) et instruits, les [immigrants] pourront donner à l’économie québécoise un souffle qui viendrait à lui manquer en raison du vieillissement de la population ». Son homologue du Devoir, Bernard Descôteaux — pourtant en désaccord avec lui sur plusieurs sujets — affiche sur ce point une unité de vue complète :
À partir du moment où on admet que l’immigration est indispensable au développement aussi bien économique que social et culturel du Québec, le débat sur l’intégration des immigrants ne peut que devenir plus rationnel. Il faut insister sur cette nécessité, qui est d’abord démographique. Le vieillissement de la population québécoise se fait de façon accélérée, plus que partout ailleurs dans le monde, sauf au Japon.
Pratte et Descôteaux ne manquent pas de collègues pour partager leur interprétation. Rima Elkouri, de La Presse, n’hésite pas à affirmer que, « démographie et économie obligent, l’avenir du Québec dépend de l’immigration ». Marie-Andrée Chouinard, du Devoir, nous dit pour sa part que le « Québec multiplie les opérations de charme auprès d’une population immigrante dont il a cruellement besoin » et que les « précieuses entrées » d’immigrants « permettront notamment de résorber une criante pénurie de main-d’œuvre ».
Amélie Gaudreau, dans Le Devoir, n’en pense pas moins : « [L]e Québec, soutient-elle, dépend grandement de l’immigration pour assurer son avenir, avoir une main-d’œuvre qui peut répondre à la pénurie actuelle et future […] » On pourrait aussi citer Claude Turcotte qui, commentant les perspectives d’emploi au Québec, affirme que « l’immigration apparaît déjà comme un apport tout à fait essentiel pour assurer le développement de l’économie ». La même hypothèse est présentée par Lisa-Marie Gervais d’une manière particulièrement limpide :
Les Québécois vieillissent, prennent leur retraite. Devant cette désertion du marché du travail, le Québec est forcé de s’en remettre à sa main-d’œuvre immigrante, qui représentait en 2006 11 % de la population totale. Il n’est d’ailleurs pas de question qui fasse davantage consensus, tant dans les partis politiques que dans les syndicats et autres groupes de pression.
Nous pourrions poursuivre cette énumération, qui deviendrait rapidement lassante. La communauté journalistique partage un seul et même point de vue sur la question. L’immigration est essentielle pour diminuer les effets négatifs du vieillissement ; c’en est même devenu un lieu commun.
L’idée s’est imposée avec la même force ailleurs dans la société, aussi bien à gauche qu’à droite. Du côté syndical, par exemple, elle est défendue par Michel Arsenault, président de la Fédération des travailleurs du Québec : « Avec la pénurie de travailleurs et travailleuses qu’on est en train de vivre et qui s’en va en accélérant, on va devoir, au Québec, avoir recours à l’immigration pour combler les postes dans les années à venir… » Le côté patronal ne fait pas exception. Gaston Lafleur, par exemple, président du Conseil québécois du commerce de détail, expliquait au congrès de son organisation que l’intégration des immigrants sur le marché du travail pourrait aider à résoudre la pénurie de main-d’œuvre qui sévit dans ce domaine au Québec. La PDG des Chambres de commerce du Québec, Françoise Bertrand, croit de son côté que, sans « être une panacée, l’immigration apportera une contribution absolument indispensable au fonctionnement de notre économie ».
L’idée s’est imposée également dans les milieux politiques. Questionnés par La Presse aux élections de 2008, le Parti québécois, le Parti libéral du Québec, l’Action démocratique du Québec et Québec solidaire répondaient oui à la question suivante : faut-il augmenter l’immigration afin de régler la pénurie de main-d’œuvre ? Le seul parti qui répondait par la négative était le Parti vert, craignant sans doute qu’une augmentation de la population québécoise ne vienne accroître l’empreinte écologique de notre société.
Mais le point de vue du Parti vert est clairement marginal. Du côté gouvernemental, le lieu commun est bien en place. Le ministre de l’Emploi, Sam Hamad, par exemple, commentait récemment ainsi la politique d’immigration du Québec : « Si nous ne réglons pas la pénurie de main-d’œuvre, ça peut signifier une décroissance économique pour le Québec. » Monique Jérôme-Forget, alors qu’elle était ministre des Finances, allait dans la même veine : « Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, nous avons besoin d’une immigration qualifiée. Et la concurrence sera vive entre les pays d’accueil pour attirer une main-d’œuvre qualifiée. » Kathleen Weil, remplaçant Yolande James au ministère de l’Immigration à l’été 2010, avouait adhérer à une théorie semblable : « L’immigration est un outil important pour l’avenir du Québec tant sur le plan économique que sur le plan démographique. » Il faut dire que les ministres ne font sur ce point que suivre l’exemple du chef du gouvernement puisque, selon Jean Charest, « le Québec ne peut se permettre de freiner l’immigration [et ce,] en raison du vieillissement de la population et du faible taux de natalité ».
La pensée unique règne-t-elle vraiment chez les politiciens québécois ? Mario Dumont ne s’est-il pas prononcé contre la hausse du volume d’immigration en 2007 ? Alors que le gouvernement du Québec se préparait à augmenter à 55 000 le nombre d’immigrants admis annuellement par le Québec, l’ADQ ne préconisait-elle pas un gel à 45 000 du volume d’admission ? C’est juste. Mais regardons comment Dumont explique son opposition à la hausse. À Patrick Lagacé, qui lui demandait si le Québec avait besoin de plus d’immigrants, Dumont répondait :
Ben, si tu prends juste en termes de marché du travail, une vision vraiment d’économiste pur, tu pourrais fac...