Depuis toujours
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Madeleine Gagnon

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Depuis toujours

Madeleine Gagnon

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NĂ©e Ă  Amqui, Madeleine Gagnon se souvient avec enchantement de son enfance entourĂ©e d'une nature rayonnante, au sein d'une vaste famille qui Ɠuvre dans la forĂȘt et sur la terre, gens droits et fiers, mais sur l'esprit desquels rĂšgne encore indĂ»ment tout ce qui porte soutane.L'entrĂ©e au pensionnat marque le dĂ©but des grandes aventures intellectuelles et la naissance d'un profond refus qui commence Ă  creuser ses sillons. Refus qui tranquillement remontera Ă  la surface pendant les Ă©tudes en Europe, pour Ă©clater quand la jeune femme rentrera dans un QuĂ©bec mĂ©connaissable. Marx a remplacĂ© Claudel. La psychanalyse accompagne et favorise la venue Ă  l'Ă©criture, et l'Ɠuvre surgit sous forme d'un torrent. En mĂȘme temps que la femme connaĂźt la douleur et l'Ă©blouissement de l'enfantement, l'exaltation amoureuse et les tourments du dĂ©samour.Madeleine Gagnon raconte aussi les amitiĂ©s, primordiales, avec Annie Leclerc, Christiane Rochefort, entre autres. Les luttes fĂ©ministes, avec tous les rĂȘves et toutes les dĂ©chirures qu'elles portent. Le temps qui transforme tout, la disparition des parents. Les nouvelles passions, qui seules nous permettent de continuer la route, comme celle de comprendre le lien cruel et mystĂ©rieux qui unit les femmes et la guerre.

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Information

CINQ

Le temps de l’inĂ©dit

Tant qu’il y aura des humains pour l’écrire, l’histoire ne mourra pas. Elle sera toujours singuliĂšre et plurielle et la forge subjective sur laquelle Ɠuvreront les Ă©crivains, par le feu de l’expĂ©rience particuliĂšre, lui redonnera chaque fois sa dimension de vĂ©ritĂ©.
MĂ©moires d’enfance

Le Québec nouveau

J’avais quittĂ© le Canada français deux ans plus tĂŽt. Je revenais au QuĂ©bec, quel Ă©trange sentiment !
Au moment oĂč j’arrive Ă  MontrĂ©al, dĂ©but septembre 1963, je me souviens surtout, malgrĂ© la joie de retrouver les miens et cette drĂŽle de force que donne le fait d’ĂȘtre trois personnes ensemble et non plus une seule ainsi qu’au dĂ©part, de m’ĂȘtre sentie Ă©trangĂšre Ă  mon propre pays. J’avais changĂ©, cela Ă©tait Ă©vident, mais la terre et le peuple que j’avais quittĂ©s deux ans plus tĂŽt me semblaient eux aussi transformĂ©s, quasi mĂ©connaissables. Pour tout dire, j’avais le sentiment d’ĂȘtre apatride tant ce que je retrouvais m’était devenu comme un autre pays.
Et comment reconnaĂźtre ce que l’on ne connaĂźt plus ? Je cherchais des repĂšres. Je les trouvai, fort heureusement, dans les mille et une petites tĂąches, mille et un petits objets de la vie quotidienne et matĂ©rielle.
Il faut dire qu’à l’époque l’éloignement gĂ©ographique constituait une vĂ©ritable coupure avec le sol quittĂ©, comme un exil purement physique nĂ©anmoins rĂ©el. Tous les fils (ou les sans-fils) qui relient aujourd’hui ceux qui partent de leur camp de base originel n’existaient pas. Ni Internet ni webcam, ni portables dits intelligents, Ă  peine le tĂ©lĂ©phone. Seules existaient les lettres. Dans celles que je recevais alors, bien peu avait Ă©tĂ© dit sur les bouleversements sociaux qui avaient eu cours Ă  une grande vitesse ces annĂ©es-lĂ . Je tombais en pleine Ă©bullition du dĂ©but de la RĂ©volution tranquille et je n’en avais rien su. Ni les lettres intimes ni les journaux français ou Ă©tats-uniens n’en avaient soufflĂ© mot.
Lentement, je prenais la mesure du peu d’importance qu’avait mon pays au regard des grandes puissances du monde tout en me disant que le silence des miens Ă©tait une telle Ă©nigme que je commençai peu Ă  peu Ă  leur « rendre l’énigme », pour dire comme Paul ValĂ©ry : je jetai dans un « carnet de retour » des phrases labyrinthiques pour m’aider Ă  pĂ©nĂ©trer dans les arcanes de la chose publique. Ainsi s’amorça pour moi l’écriture des premiers poĂšmes et des premiers rĂ©cits. Si je dis vrai de la naissance concrĂšte de ma venue Ă  l’écriture, c’est lĂ , en ce lieu de mĂ©connaissance temporaire des miens, et de moi-mĂȘme par contrecoup, lĂ , Ă  ce carrefour quelque peu brouillĂ© par la perte d’intelligence claire des miens et de moi-mĂȘme, que l’écriture prit sa source. En griffonnant mes premiĂšres notes dans ce carnet de dĂ©route, sans en ĂȘtre consciente Ă  ce moment-lĂ , c’est ça que je faisais.
Je ne savais pas non plus pourquoi je pensais si fort Ă  Stendhal au cours de ces premiers temps du retour. Stendhal, mon Stendhal, devenu celui que j’ai appelĂ© longtemps mon aĂŻeul diagonal depuis que M. Ruff m’avait rĂ©vĂ©lĂ© que sa mĂšre, Henriette Gagnon, et son grand-pĂšre, mĂ©decin et encyclopĂ©diste, Henri Gagnon, Ă©taient « sans doute » mes ancĂȘtres. Depuis que mon adorable et fĂ©tichiste directeur de thĂšse avait semĂ© en moi ces miettes de petite histoire puis, Ă  mon insu, avait tracĂ© le sinueux dĂ©dale de la vie qui se vit en Ă©crivant, ce fameux « vĂ©crire » du romancier Jacques Godbout. Face au comitĂ© d’accueil que constituĂšrent les Ă©nigmes de mon pays en devenir, je commençai Ă  lire les romans de Stendhal et nĂ©gligeai follement ma thĂšse sur Claudel. Je n’avais plus la tĂȘte Ă  ça.
L’amour de Patrick et de Charles, les mille et une tĂąches du quotidien et la lecture de Stendhal m’ont empĂȘchĂ©e de sombrer dans la dĂ©pression inĂ©luctable de qui ne reconnaĂźt plus sa terre d’origine et ne s’y reconnaĂźt plus dedans.
Aujourd’hui oĂč j’écris cette autobiographie, mon aĂŻeul diagonal m’est tout proche. Il m’arrive de relire des fragments de sa Vie de Henry Brulard et d’y mieux comprendre pourquoi la mise en Ɠuvre d’une vie par l’acte mĂȘme d’écrire peut Ă©clairer moult Ă©vĂ©nements nĂ©buleux, et par consĂ©quent difficiles Ă  saisir et Ă  expliciter. Par cette distance dans la transposition mĂȘme de l’acte d’écrire sa propre vie, Stendhal, avant de quitter cette vie — il a Ă©tĂ© malade gravement, il le sent, il le sait, il va bientĂŽt mourir —, se permet de revenir en douce au nom abhorrĂ© de son pĂšre non moins dĂ©testĂ©, au presque-nom devrais-je dire, ce Henry Brulard si prĂšs du nom paternel donnĂ© Ă  la naissance, Henri Beyle, abandonnĂ© toutefois dĂšs la signature du premier livre.
Au moins lui avait-on conservĂ© les prĂ©noms vĂ©nĂ©rĂ©s de la lignĂ©e maternelle, Henriette et Henri. Ainsi l’écriture, la capacitĂ© de rĂȘver sa vie, sera-t-elle sauvegardĂ©e. SauvĂ©e et gardĂ©e. ConservĂ©e. Cette part maternelle en lui qui lui vient de l’Italie oĂč il passera d’ailleurs une grande partie de sa vie et oĂč, Ă  Rome mĂȘme, il commencera la rĂ©daction de sa Vie
, cette part-lĂ , venue des Gagnoni de naguĂšre et dont parle Roland Barthes quand il aborde le dernier texte de sa vie Ă  lui alors qu’il s’en va faire une confĂ©rence en Italie, sur Stendhal justement, et qu’il veut entretenir ses contemporains de son dĂ©sir ultime d’en venir enfin Ă  l’écriture de fiction, cette « part maternelle stendhalienne » nĂ©gligĂ©e jusqu’ici, Ă©vacuĂ©e au profit de l’essai thĂ©orique, considĂ©rĂ© par Barthes comme Ă  la fois masculin et castrateur d’écriture. (C’est d’ailleurs ce dernier texte que l’on trouvera sur la machine Ă  Ă©crire de Barthes, le jour de sa mort accidentelle, en 1980.)
Stendhal eĂ»t voulu prendre comme pseudonyme le nom de la mĂšre, Gagnon, il l’écrit cette fois dans son Journal, mais l’époque ne le permettait pas.
Tout au dĂ©but de sa Vie de Henry Brulard, assis sur un banc du mont Janicule, Ă  Rome, et contemplant les beautĂ©s antiques, il Ă©crit : « Il faisait un soleil magnifique » — il avait pris soin d’inscrire la date, le 16 octobre 1832. « Un lĂ©ger vent de sirocco Ă  peine sensible faisait flotter quelques petits nuages blancs au-dessus du mont Albano, une chaleur dĂ©licieuse rĂ©gnait dans l’air, j’étais heureux de vivre. »
Un peu plus loin, Stendhal, nostalgique, Ă©crira : « Ah ! Dans trois mois j’aurai cinquante ans, est-il bien possible ! 1783, 93, 1803, je suis tout le compte sur mes doigts
 et 1833 cinquante. Est-il bien possible ! Cinquante ! Je vais avoir la cinquantaine
 »
En ce 6 octobre 2010, je relis ces pages et je comprends pourquoi, Ă  vingt-cinq ans, Ă  mon arrivĂ©e Ă  MontrĂ©al, l’Ɠuvre de fiction de Stendhal m’était plus accessible et pourquoi ce fut au dĂ©but de ma cinquantaine Ă  moi, sans le concerter sĂ©rieusement, que j’abordai les « Ɠuvres intimes » de mon modĂšle romanesque.
Aujourd’hui, Ă  soixante-douze ans, je commence Ă  comprendre pourquoi il me fallut toutes ces annĂ©es pour la nĂ©cessaire mise Ă  l’Ɠuvre de ma vie. Quand on dĂ©sire l’éclairer Ă  l’ombre des mots, qui, eux, sont toute lumiĂšre pour l’écrivain, le temps devient le grand forgeron de l’Ɠuvre. Et pourquoi l’indispensable faisceau s’allume au moment de l’évocation de la plus obscure pĂ©riode de mon existence, cette dĂ©cennie 1960.
Aujourd’hui, en ce 6 octobre 2010, au son des vagues entendues de ma fenĂȘtre sous les grands vents et le fulgurant soleil de l’étĂ© des Indiens, en GaspĂ©sie, je peux dire comme mon aĂŻeul diagonal : il y a deux mois, j’ai eu soixante-douze ans, est-il bien possible ! 1938, 48, 58, 68, 78, 88, 98, 2008, plus deux ans, je suis tout le compte sur mes doigts
 et 2010 soixante-douze. Est-il bien possible ! Soixante-douze !
Je ne le crois pas moi-mĂȘme tant mon cƓur semble au printemps. Mon cƓur et mon esprit. Je ne le crois pas. Mais je dois le penser. L’autobiographie n’est qu’une voie pour mieux penser cette Ă©blouissante Ă©preuve du temps qui s’en va. Elle peut ĂȘtre publique vu que tant de livres le furent. Ceux qui craignent l’autobiographie manquent d’humilitĂ©.
Venus tout droit de New York, en cette fin d’étĂ© 1963, nous fĂ»mes hĂ©bergĂ©s par l’une de mes sƓurs. Il nous fut loisible de courir un peu partout en ville pendant que Charles se faisait garder chez elle. D’abord, il nous fallait trouver un appartement, pas trĂšs loin de l’UniversitĂ© de MontrĂ©al oĂč Patrick enseignerait, et meublĂ© si possible, nous ne possĂ©dions que nos vĂȘtements, nos livres ainsi que quelques objets, achetĂ©s en Provence pour la plupart. Nous avons finalement trouvĂ© un demi-sous-sol meublĂ© comprenant deux chambres, la petite pour le bĂ©bĂ© et la grande pour nous, la « chambre des maĂźtres », comme disait le propriĂ©taire, et qui me servirait aussi de bureau. Dans le quartier glauque du CĂŽte-des-Neiges des pauvres et des immigrants, ce qui n’était pas pour me dĂ©plaire au dĂ©but, immigrante je me sentais moi-mĂȘme.
En parcourant les rues de MontrĂ©al, je vis de façon Ă©clatante l’un des grands changements survenus durant mon absence. Il n’y avait presque plus de soutanes et de longues robes avec leurs voiles sur la tĂȘte dĂ©ambulant sur les trottoirs. J’avais quittĂ© ma ville remplie de ses longs et nombreux oiseaux noirs et je ne les voyais plus. Que s’était-il passĂ© ? demandai-je Ă  la ronde. On m’expliqua. Les Ă©glises se vidaient, ainsi que les couvents et les monastĂšres, la foi se perdait ou se dissipait ailleurs, fondue dans la sociĂ©tĂ© civile. Ceux et celles qui demeuraient dans les communautĂ©s religieuses s’éclipsaient discrĂštement sous des habits laĂŻques. On ne les reconnaissait plus. MĂȘme les services hospitaliers, et les Ă©coles en grande partie, s’étaient vidĂ©s de leur personnel sacrĂ©.
Comment expliquer ce subit changement ? Avec les amis retrouvĂ©s, je posais des questions. Nous discutions. Nous passions d’interminables soirĂ©es, un verre Ă  la main et des musiques nouvelles aux oreilles — Miles Davis, Leonard Cohen, Pete Seeger, Joan Baez, Bob Dylan, Gordon Lightfoot et Donovan, et Barbara —, Ă  tenter de comprendre ces bouleversements qui, tous ensemble, nous tombaient dessus. Je dis « nous tombaient dessus », consciente que nous Ă©tions partie prenante de ces mutations. À travers livres et disques, la rĂ©volution sexuelle, californienne surtout, sonnait Ă  nos portes. Et le fĂ©minisme naissant, par des livres et des revues venus des États-Unis, de la France, de l’Espagne, du Portugal et de tous les pays de l’Europe du Nord, s’infiltrait en nos esprits et en nos cƓurs. Nous faisions sauter les loquets d’incroyables censures, nous parlions des heures entre nous, amis de la vingtaine ou de la jeune trentaine. Nous avions le sentiment de vivre une fabuleuse pĂ©riode historique. Nous nous sentions acteurs et actrices d’un extraordinaire jeu qui allait changer la sociĂ©tĂ© entiĂšre.
Tout nous semblait possible maintenant que les poussiĂšres du temps sĂ©culaire des censures, des interdits et des silences coupables Ă©taient en train d’ĂȘtre balayĂ©es sous nos yeux vivants. Nous Ă©tions certains d’appartenir Ă  une rĂ©volution qui ne portait pas encore de nom. Nous allions la nommer. Nous allions l’écrire. Nous serions dans le temps de l’inĂ©dit.
Au cours de dĂźners ou de soupers bien arrosĂ©s, nous les femmes, nous les filles prenions la parole, parlions de nos vies sexuelles brimĂ©es, des rapports fondĂ©s sur la sĂ©duction que nous avions entretenus avec les hommes. De nos soumissions. De nos aliĂ©nations. Nos amoureux, nos compagnons, nos frĂšres Ă©coutaient. Je me souviens d’un soir oĂč nous avions soulevĂ© la question de la jouissance sexuelle, vaginale ou clitoridienne. Eux nous Ă©coutaient. Semblaient ne pas en revenir. Nous n’en revenions pas nous-mĂȘmes. Venant des noirceurs affectives du machisme patriarcal et religieux, nous cherchions les mots inventeurs de notre nouvelle mise au monde, mots qui seraient issus des lumiĂšres que nous allions fĂ©brilement allumer.
Le plus souvent, Ă  bout de raisonnements et de mots, les fĂȘtes se terminaient dans la danse. LĂ  aussi, nous voulions innover. Nous Ă©tions sortis de la valse, du tango et de ces pas appris et comptĂ©s, nous avions pris le chemin du rock-and-roll. Maintenant, avec des mouvements que chacun inventait Ă  sa guise, nous entrions dans la nuit, transis et amoureux.
***
Je revins tranquillement Ă  ma thĂšse. L’oisivetĂ© n’a jamais Ă©tĂ© mon fort et, de toute façon, Ă  cause sans doute d’une Ă©ducation Ă  la rigueur due Ă  la discipline d’une maisonnĂ©e nombreuse et des pensionnats, j’ai appris Ă  terminer ce que j’avais commencĂ©. Ai-je assez entendu Il ne faut jamais remettre au lendemain ce qu’on peut faire le jour mĂȘme, Pierre qui roule n’amasse pas mousse et d’autres dictons qui se sont mis Ă  constituer Ă  la longue la fibre de ma volontĂ© ? Comme toutes les femmes de ma gĂ©nĂ©ration et de ma condition qui dĂ©siraient Ă©tudier ou travailler, dĂ©pourvues de garderies, nous devions nous payer les services de ce que nous appelions une gouvernante pour les enfants, ce qui nous semblait plus respectueux que le terme de bonne et tellement plus que celui de servante.
Me rendant compte que je ne pourrais ni Ă©tudier ni Ă©crire vraiment Ă  la maison, j’engageai une dame, roumaine d’origine, qui voulait que nous l’appelions Nana. Elle fut formidable, cette Nana. Si chaleureuse et si aimante, elle chantait des chansons roumaines quand elle berçait Charles ou lui racontait des histoires en allemand. Cette langue est belle, disait-elle. Elle lui ouvrira beaucoup de portes quand il sera grand. Deux ans plus tard, lorsque nous emmĂ©nageĂąmes dans un logement spacieux et que je pus, enfin, voir des arbres Ă  travers les fenĂȘtres et y faire entrer un piano, Nana jouait des « petites piĂšces pour enfants », disait-elle. Je me souviens encore d’avoir entendu les notes quand je revenais par le bosquet champĂȘtre — devenu aujourd’hui le terrain du chic Sanctuaire — et que je montais les marches du second oĂč m’attendait un enfant heureux, Charles qui se jetait ...

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