Une mystérieuse constellation
Dans la premiĂšre partie de ce livre ont Ă©tĂ© dĂ©crits des dĂ©ficits dans les domaines du raisonnement et de la prise de dĂ©cision. Les recherches chez les patients qui en sont atteints ont donc conduit Ă lâidentification dâun ensemble particulier de systĂšmes neuraux qui se trouvent toujours lĂ©sĂ©s chez eux. Elles ont aussi mis en lumiĂšre une sĂ©rie apparemment disparate de processus neuropsychologiques dĂ©pendant de lâintĂ©gritĂ© des systĂšmes neuraux en question. On peut se demander en premier lieu quelle nĂ©cessitĂ© relie ces diffĂ©rents processus entre eux, et ensuite quelle raison explique quâils dĂ©pendent des systĂšmes neuraux mis en Ă©vidence dans le chapitre prĂ©cĂ©dent. Les paragraphes suivants tentent dây apporter des rĂ©ponses provisoires.
ConsidĂ©rons dâabord les problĂšmes personnels qui se posent classiquement dans un environnement social, lequel est toujours complexe et dâĂ©volution incertaine. Arriver Ă une dĂ©cision, dans ces conditions, demande de possĂ©der des informations relevant de toutes sortes de domaines, et dâĂȘtre en mesure de leur appliquer certaines stratĂ©gies de raisonnement. Les informations en question doivent porter sur les choses, les personnes et les situations rencontrĂ©es dans le monde externe. Mais dans la mesure oĂč les dĂ©cisions dans les domaines personnel et social sont inextricablement liĂ©es Ă la survie, ces informations doivent aussi comprendre des donnĂ©es concernant la rĂ©gulation de lâorganisme en tant que tout. Les stratĂ©gies de raisonnement, quant Ă elles, doivent envisager des objectifs Ă atteindre, des sĂ©ries dâactions alternatives, des prĂ©dictions sur lâavenir, des programmes dâapplication des dĂ©cisions sur des Ă©chelles de temps plus ou moins vastes.
DeuxiĂšmement, les processus dâexpression et de perception des Ă©motions font partie des mĂ©canismes neuraux desservant la rĂ©gulation de lâorganisme, lesquels comprennent notamment des mĂ©canismes homĂ©ostatiques, des instincts et des pulsions.
TroisiĂšmement, Ă©tant donnĂ© la façon dont est organisĂ© le cerveau, les informations nommĂ©es ci-dessus dĂ©pendent de nombreux systĂšmes neuraux siĂ©geant dans des rĂ©gions cĂ©rĂ©brales relativement sĂ©parĂ©es, et non pas dans une seule. Une grande partie de ces informations est rappelĂ©e Ă la mĂ©moire sous la forme dâimages distribuĂ©es entre de nombreux sites cĂ©rĂ©braux, et non pas en un seul. Bien que nous ayons lâimpression dâun seul thĂ©Ăątre mental pour ces images, des donnĂ©es rĂ©centes indiquent que celui-ci est formĂ© de nombreuses parties distinctes. Câest probablement la relative simultanĂ©itĂ© des processus se dĂ©roulant Ă leurs diffĂ©rents niveaux qui conduit Ă une impression dâunitĂ©.
QuatriĂšmement, puisque les informations ne peuvent ĂȘtre rappelĂ©es Ă la mĂ©moire que sous forme distribuĂ©e, en des sites relevant de nombreux systĂšmes parallĂšles, les stratĂ©gies de raisonnement ne peuvent leur ĂȘtre appliquĂ©es que si leurs reprĂ©sentations y sont maintenues prĂ©sentes pendant des pĂ©riodes de temps prolongĂ©es (au minimum, plusieurs secondes). En dâautres termes, les images sur lesquelles nous raisonnons (images dâobjets spĂ©cifi ques, schĂ©mas dâactions et diagrammes de relations, ainsi que leur traduction sous forme de mots) doivent non seulement occuper le centre du champ mental â ce qui est obtenu grĂące aux mĂ©canismes neuraux de lâattention â mais doivent y ĂȘtre maintenues plus ou moins longtemps â ce qui est obtenu grĂące aux mĂ©canismes dâune mĂ©moire de travail perfectionnĂ©e.
Je soupçonne que la mystĂ©rieuse constellation de processus que nous avons mise en Ă©vidence dans le chapitre prĂ©cĂ©dent dĂ©coule en partie de la nature des problĂšmes que lâorganisme essaie de rĂ©soudre, et en partie de la façon dont est organisĂ© le cerveau. Les dĂ©cisions dans les domaines personnel et social comportent de nombreuses incertitudes, et ont des consĂ©quences directes ou indirectes sur la survie. Elles ont donc besoin dâĂȘtre fondĂ©es sur un vaste rĂ©pertoire dâinformations relatives aussi bien au monde externe quâau monde interne. Cependant, puisque le cerveau rappelle ces informations de façon spatialement distribuĂ©e, et non pas de façon intĂ©grĂ©e, il est nĂ©cessaire quâinterviennent les processus de lâattention et de la mĂ©moire de travail, de telle sorte que les reprĂ©sentations, sous la forme desquelles sont rappelĂ©es les informations, puissent ĂȘtre manipulĂ©es durant une certaine pĂ©riode de temps.
Quant Ă la raison pour laquelle les systĂšmes neuraux que nous avons identifiĂ©s se recoupent de façon aussi Ă©troite, je soupçonne que lâexplication en rĂ©side dans les nĂ©cessitĂ©s Ă©volutives. Admettons que les processus de rĂ©gulation biologique fondamentale de lâorganisme orientent de façon dĂ©terminante les comportements exprimĂ©s dans le domaine social et personnel. Dans ces conditions, il est probable que la sĂ©lection naturelle a dĂ» favoriser une organisation du cerveau dans laquelle les systĂšmes impliquĂ©s dans le raisonnement et la prise de dĂ©cision sont Ă©troitement interreliĂ©s avec ceux qui sous-tendent la rĂ©gulation biologique, puisque ces deux catĂ©gories de processus neuraux sont impliquĂ©es dans les impĂ©ratifs de la survie.
Les explications avancĂ©es ci-dessus apportent, dans leurs grandes lignes, des premiĂšres rĂ©ponses approximatives aux questions posĂ©es par le cas de Phineas Gage. Quels sont les mĂ©canismes permettant Ă lâhomme de se comporter de façon raisonnable ? Comment fonctionnent-ils ? Je rĂ©siste gĂ©nĂ©ralement Ă la tentation de rĂ©sumer lâensemble des rĂ©ponses que lâon peut faire Ă ces questions, par lâexpression : « neurobiologie de la facultĂ© de raisonnement », parce que cela peut paraĂźtre acadĂ©mique et prĂ©tentieux, mais pourtant, câest bien de cela quâil sâagit : les prĂ©misses dâune neurobiologie de la facultĂ© quâa lâhomme de raisonner, reposant sur lâĂ©tude de systĂšmes neuraux impliquant de vastes rĂ©gions du cerveau.
Mon objectif dans la seconde partie de ce livre est dâessayer de voir si les grandes lignes des explications avancĂ©es ci-dessus sont plausibles, et dâen tirer une hypothĂšse pouvant ĂȘtre mise Ă lâĂ©preuve. Comme la discussion de cette question peut se dĂ©velopper Ă lâinfini, je me restreindrai Ă quelques sujets bien choisis, de façon Ă bien faire comprendre mes idĂ©es.
Ce chapitre reprĂ©sente un pont entre les faits rapportĂ©s dans la premiĂšre partie et les interprĂ©tations que je vais proposer ensuite. Je vous invite Ă le passer avec moi (jâespĂšre que vous ne le prendrez pas comme une interruption), car ce chapitre vous permettra de vous familiariser avec des notions auxquelles je ferai souvent appel (telles que : organisme, corps, cerveau, comportement, fonctionnement mental, Ă©tat) ; il y sera discutĂ© briĂšvement des bases neurales sous-tendant le traitement des informations Ă©numĂ©rĂ©es ci-dessus, pour souligner quâil porte essentiellement sur des images et sâeffectue en de nombreuses rĂ©gions du cerveau sĂ©parĂ©es les unes des autres ; des commentaires sur le dĂ©veloppement du systĂšme nerveux seront enfin prĂ©sentĂ©s. JâĂ©viterai lâexhaustivitĂ© (par exemple, il aurait pu ĂȘtre utile de discuter de lâapprentissage ou de la fonction du langage ; mais ni lâun ni lâautre de ces sujets ne sont indispensables pour le but que je me suis fixĂ© ici) ; je ne traiterai aucune des questions envisagĂ©es sous la forme du « manuel scolaire » ; et je nâessaierai pas de justifier chacune des opinions que je prĂ©senterai. Rappelez-vous que ce livre cherche Ă se prĂ©senter sous la forme dâune conversation.
Les chapitres suivants retourneront Ă notre sujet principal et sâattaqueront aux problĂšmes de la rĂ©gulation biologique, Ă la façon dont elle implique lâexpression et la perception des Ă©motions, ainsi quâĂ la question des mĂ©canismes par lesquels la capacitĂ© dâexpression des Ă©motions peut contribuer Ă ceux de la prise de dĂ©cision.
Avant dâaller plus loin, je voudrais rĂ©pĂ©ter quelque chose que jâai dĂ©jĂ dit dans lâintroduction. Ce livre obĂ©it au modĂšle du voyage de dĂ©couverte jamais terminĂ©, et non pas Ă celui du recensement des faits admis par tout le monde. Je prĂ©sente ici des hypothĂšses et leur mise Ă lâĂ©preuve, non pas un catalogue de certitudes.
De lâorganisme, du corps et du cerveau
Quelle que soit la question que lâon se pose au sujet de lâhomme (comme, par exemple, qui sommes-nous et pourquoi sommes-nous ainsi ?), on peut partir du fait certain que nous sommes des organismes vivants complexes, possĂ©dant un corps proprement dit (que jâappellerai « corps », en bref) et un systĂšme nerveux (que jâappellerai « cerveau », en bref). Autrement dit, lorsque je mentionnerai le corps, cela dĂ©signera le corps moins le systĂšme nerveux (lequel comprend une partie centrale et une partie pĂ©riphĂ©rique), bien que, dans un sens traditionnel, le cerveau fasse aussi partie du corps.
Lâorganisme est caractĂ©risĂ© par une structure et possĂšde un trĂšs grand nombre de composantes. Il comprend un squelette formĂ© de nombreuses piĂšces, qui sont reliĂ©es entre elles par des articulations et sont mises en mouvement par des muscles. Il comporte de nombreux organes, dont les combinaisons forment des systĂšmes. Il prĂ©sente une limite externe, qui, le plus souvent, est constituĂ©e par la peau. Dans certains cas, je dĂ©signerai les organes â vaisseaux sanguins, peau, organes localisĂ©s dans la tĂȘte, la poitrine ou lâabdomen â par le terme de « viscĂšres ». LĂ encore, dans le sens traditionnel, on inclurait le cerveau sous ce vocable ; mais ce ne sera pas le cas ici.
Chaque organe est constituĂ© de tissus, qui sont Ă leur tour constituĂ©s de cellules. Chacune de ces derniĂšres est formĂ©e de trĂšs nombreuses molĂ©cules, dont les arrangements variĂ©s dĂ©terminent le squelette de la cellule (ou cytosquelette), ou bien ses organes internes (noyau et divers organites), ou bien sa limite externe (la membrane cellulaire). La structure et le fonctionnement dâune seule de ces cellules sont dâune complexitĂ© impressionnante ; et la structure et le fonctionnement dâun seul des systĂšmes dâorganes du corps sont dâune complexitĂ© vertigineuse.
Les Ă©tats de lâorganisme
Dans la discussion qui va suivre, il sera souvent fait rĂ©fĂ©rence Ă des « Ă©tats du corps » ou des « Ă©tats du fonctionnement mental ». Les organismes vivants sont continuellement en train de changer, passant par une sĂ©rie dâ« Ă©tats » : chacun de ces derniers correspond Ă une configuration dans laquelle les diverses composantes de lâorganisme prĂ©sentent un niveau dâactivitĂ© donnĂ©. Vous pouvez vous reprĂ©senter cette figure Ă lâimage dâune scĂšne oĂč seraient en cours toutes sortes de mouvements de gens et dâobjets, au sein dâune aire circonscrite. Imaginez que vous vous trouviez dans un grand terminal dâaĂ©roport, et que vous regardiez autour de vous, Ă lâintĂ©rieur et Ă lâextĂ©rieur. Vous verriez et entendriez lâanimation constante due Ă de nombreux processus : les personnes embarquant dans les avions ou en descendant ; dâautres se promenant ou, au contraire, marchant dans un but dĂ©terminĂ© ; les avions roulant sur la piste ou en train de dĂ©coller ou dâatterrir ; les mĂ©caniciens et les porteurs de bagages accomplissant leur tĂąche. Imaginez Ă prĂ©sent que la scĂšne soit enregistrĂ©e par un magnĂ©toscope et que vous fassiez un arrĂȘt sur une image lors de la relecture ; ou que vous ayez pris une photo grand-angle de tout le spectacle se dĂ©roulant sous vos yeux. Ce que vous observeriez ainsi sur lâimage vidĂ©o arrĂȘtĂ©e ou sur le clichĂ© grand-angle, serait lâimage dâun Ă©tat, une tranche de vie instantanĂ©e, rĂ©vĂ©lant ce qui Ă©tait en train de se passer dans les divers organes dâun vaste organisme, dans le bref intervalle de temps dĂ©fini par la vitesse de prise de vue. (En rĂ©alitĂ©, les choses sont un peu plus complexes que cela. Selon le niveau auquel se place lâanalyse, les « Ă©tats » dâun organisme peuvent reprĂ©senter des unitĂ©s distinctes ou ĂȘtre enchaĂźnĂ©s de façon continue.)
Le corps et le cerveau interagissent : lâunitĂ© interne
Le cerveau et le corps forment une unitĂ© indissociablement intĂ©grĂ©e, par le biais de circuits neuraux et biochimiques, oĂč les messages sont acheminĂ©s aussi bien dans un sens que dans lâautre. Il existe deux voies principales dâinterconnexion. Celle Ă laquelle on pense gĂ©nĂ©ralement, en premier lieu, est reprĂ©sentĂ©e par les nerfs pĂ©riphĂ©riques sensoriels et moteurs, les uns apportant au cerveau les messages en provenance de tout le corps, et les autres acheminant Ă toutes les parties du corps les messages provenant du cerveau. Lâautre voie, Ă laquelle on pense moins facilement, bien quâelle soit Ă©volutivement plus ancienne, est constituĂ©e par la circulation sanguine ; celle-ci achemine des messages chimiques, tels que des hormones, des neurotransmetteurs et des modulateurs.
Un rĂ©sumĂ© mĂȘme simplifiĂ© des relations entre cerveau et corps montre Ă quel point celles-ci sont complexes :
1. Pratiquement toutes les parties du corps (muscles, articulations et organes internes) peuvent envoyer des messages au cerveau, via les nerfs pĂ©riphĂ©riques. Ces messages entrent dans le systĂšme nerveux au niveau de la moelle Ă©piniĂšre ou du tronc cĂ©rĂ©bral, et sont ensuite acheminĂ©s de relais en relais, jusquâau cortex somatosensoriel du lobe pariĂ©tal et de lâinsula.
2. Les substances chimiques issues de lâactivitĂ© du corps peuvent atteindre le cerveau par voie sanguine et influencer son fonctionnement, soit directement, soit indirectement, en stimulant des sites cĂ©rĂ©braux particuliers, comme, par exemple, lâorgane subfornical.
3. Dans la direction opposĂ©e, le cerveau peut agir, via les nerfs, sur toutes les parties du corps. Ces actions sont mĂ©diĂ©es par le systĂšme nerveux autonome (ou viscĂ©ral) et par le systĂšme nerveux musculosquelettique (ou volontaire). Les messages empruntant le systĂšme nerveux autonome proviennent de rĂ©gions Ă©volutivement anciennes (lâamygdale, le cortex cingulaire, lâhypothalamus et le tronc cĂ©rĂ©bral), tandis que les messages empruntant le systĂšme musculosquelettique proviennent de plusieurs cortex moteurs ou noyaux subcorticaux, dâĂąges Ă©volutifs variĂ©s.
4. Le cerveau agit aussi sur le corps en Ă©laborant ou en commandant lâĂ©laboration de substances chimiques libĂ©rĂ©es dans la circulation sanguine, telles que des hormones, des neurotransmetteurs et des modulateurs. Jâen dirai plus au sujet de ces diverses substances dans le prochain chapitre.
Lorsque je dĂ©clare que le corps et le cerveau forment une unitĂ© organique indissociable, je nâexagĂšre pas. En fait, je simplifie plutĂŽt. Car le cerveau reçoit des messages non seulement de tout le corps, mais aussi, Ă certains niveaux, de quelques-unes de ses propres rĂ©gions, lesquelles reçoivent des messages du corps ! LâunitĂ© organique constituĂ©e par le partenariat corps-cerveau interagit en tant que tout avec lâenvironnement, lâinteraction nâĂ©tant le fait ni du corps seul, ni du cerveau seul. Mais des organismes complexes tels que les nĂŽtres ne se bornent pas Ă simplement rĂ©agir, Ă simplement exprimer ces rĂ©ponses spontanĂ©es ou rĂ©flexes, que lâon appelle du nom gĂ©nĂ©rique de « comportements ». Ils donnent Ă©galement lieu Ă des rĂ©ponses internes, dont certaines constituent les images (visuelles, auditives, somatosensorielles, etc.) que je postule ĂȘtre Ă la base du fonctionnement mental.
Du comportement et du fonctionnement mental
De nombreux organismes simples, et mĂȘme ceux formĂ©s dâune seule cellule et ne possĂ©dant pas de systĂšme nerveux, manifestent des activitĂ©s spontanĂ©es, ou bien des activitĂ©s rĂ©pondant Ă des stimuli de lâenvironnement ; autrement dit, ces organismes rĂ©alisent des comportements. Certaines de ces activitĂ©s concernent lâorganisme lui-mĂȘme, et peuvent ĂȘtre invisibles Ă lâobservateur (comme, par exemple, une contraction au sein dâun organe interne) ou bien ĂȘtre observables de lâextĂ©rieur (comme une secousse musculaire, ou lâextension dâun membre). Dâautres activitĂ©s mettent en jeu lâenvironnement (ramper, marcher, tenir un objet). Mais chez quelques organismes simples et chez tous les organismes complexes, les activitĂ©s, quâelles soient spontanĂ©es ou quâelles rĂ©pondent Ă des stimuli, sont provoquĂ©es par des commandes du systĂšme nerveux central (il faut noter, en passant, que les organismes dĂ©pourvus de systĂšme nerveux central, mais capables de mouvement, ont prĂ©cĂ©dĂ©, puis ont coexistĂ© avec, les organismes dotĂ©s de systĂšme nerveux central).
Toutes les actions commandĂ©es par le systĂšme nerveux central ne sont pas forcĂ©ment volontaires. Au contraire, on peut tenir pour assurĂ© que la plupart des actes que lâon dit commandĂ©s par le systĂšme nerveux central, en train dâĂȘtre rĂ©alisĂ©s de par le monde, ne sont pas du tout volontaires. Ce sont simplement des rĂ©ponses, Ă lâinstar du rĂ©flexe le plus simple : un stimulus est acheminĂ© par un neurone vers un autre neurone, lequel dĂ©clenche une action.
Ă mesure que les organismes ont acquis une plus grande complexitĂ©, les actions dĂ©clenchĂ©es par le systĂšme nerveux central ont nĂ©cessitĂ© davantage dâĂ©tapes de traitement intermĂ©diaires. Des neurones supplĂ©mentaires ont Ă©tĂ© interposĂ©s entre le neurone recevant le stimulus et le neurone dĂ©livrant la rĂ©ponse, et divers circuits parallĂšles ont Ă©tĂ© ainsi mis en place ; mais on ne peut pas dire pour autant que les organismes dotĂ©s de ces systĂšmes nerveux centraux plus complexes ont Ă©tĂ© immĂ©diatement caractĂ©risĂ©s par un fonctionnement mental. Un systĂšme nerveux central peut possĂ©der de nombreuses Ă©tapes intermĂ©diaires au sein des circuits menant du stimulus Ă la rĂ©ponse, et nĂ©anmoins ne pas prĂ©senter de fonctionnement mental, sâil ne remplit pas une condition essentielle : lâaptitude Ă former des images internes, et Ă organiser celles-ci en un processus que nous appelons « pensĂ©e » (il ne sâagit pas seulement dâimages visuelles ; ce sont Ă©galement des « images » auditives, olfactives, etc.). Ma description des organismes capables de comportement peut donc maintenant ĂȘtre complĂ©tĂ©e par la remarque suivante : ils ne sont pas tous dotĂ©s dâun fonctionnement mental, câest-Ă -dire quâils ne prĂ©sentent pas tous des phĂ©nomĂšnes mentaux (ce qui est la mĂȘme chose que de dire quâils ne sont pas tous capables de processus cognitifs). Certains organismes sont caractĂ©risĂ©s Ă la fois par la capacitĂ© de rĂ©aliser des comportements et par une capacitĂ© cognitive. Dâautres organismes sont capables dâactions « intelligentes », mais nâont aucun fonctionnement m...