L' Islam et la Science
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L' Islam et la Science

En finir avec les compromis

Faouzia Farida Charfi

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L' Islam et la Science

En finir avec les compromis

Faouzia Farida Charfi

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Faouzia Charfi nous propose dans ce nouveau livre de revisiter l'histoire des sciences en pays d'islam. Une histoire commencée sous le signe de l'ouverture à l'autre avec le vaste mouvement de traduction des textes anciens inauguré par le calife Al-Mansur au viiie siÚcle. Une histoire qui a bifurqué dÚs le xie siÚcle, quand la science s'est vue assujettie à des fins pratiques et religieuses. Le mouvement réformiste musulman au xixesiÚcle aurait pu rebattre les cartes mais il a échoué, faisant le lit du projet ambigu d'islamisation de la connaissance. Faouzia Charfi plaide ici pour une véritable séparation de la science et du religieux. Un message qui s'adresse particuliÚrement aux jeunes générations, trop souvent séduites par un islam de pacotille surfant sur la vague des technosciences. Faouzia Charfi est physicienne et professeure à l'Université de Tunis. Personnalité politique de premier plan en Tunisie, elle est l'auteure de La Science voilée et de Sacrées questions
, tous deux publiés chez Odile Jacob.

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Information

Publisher
Odile Jacob
Year
2021
ISBN
9782738156730

CHAPITRE 1

Un héritage universel1

Le Moyen Âge Ă  l’école : pour la laĂŻcitĂ©


« Il est regrettable qu’un lycĂ©en arabe de France ne sache pas que, Ă  la fin du XIe siĂšcle, l’auteur de la Lettre d’adieu et du RĂ©gime du solitaire, Ibn Bajja [Avempace], prĂȘchait une double sĂ©paration – sĂ©paration du philosophe et de la sociĂ©tĂ©, sĂ©paration de la philosophie et de la religion –, et que, pour cette seule raison [
], ses contemporains le considĂ©raient comme “une calamitĂ©â€, lui reprochant, entre autres, “de se dĂ©rober Ă  tout ce qui est prescrit dans la Loi divine [
], de n’étudier que les mathĂ©matiques, de ne mĂ©diter que sur les corps cĂ©lestes [
] et de mĂ©priser Dieu”2. »
Alain DE LIBERA,
Penser au Moyen Âge.
Je propose, dans ce premier chapitre, de m’attarder sur les dĂ©buts de la science en pays d’islam, et notamment sur ce point de dĂ©part capital que fut le mouvement de traduction vers l’arabe des textes scientifiques anciens et principalement de leurs sources hellĂ©nistiques. Qui furent les dĂ©cideurs de ce mouvement historique ? Quel Ă©tait le contexte ? Comme le souligne le spĂ©cialiste de l’histoire de la philosophie arabe, Dimitri Gutas dans son ouvrage PensĂ©e grecque, culture arabe3, ce mouvement de traduction est une Ă©tape remarquable dans l’histoire de l’humanitĂ©, au mĂȘme titre que l’AthĂšnes de PĂ©riclĂšs, l’Italie de la Renaissance ou la rĂ©volution scientifique des XVIe et XVIIe siĂšcles.
Dans un deuxiĂšme temps je m’intĂ©resserai aux premiers moments de production de la science arabe. Les savants au cours de cette pĂ©riode Ă©taient protĂ©gĂ©s, encouragĂ©s, ils ont pu se nourrir du savoir des anciens. Ils Ă©taient associĂ©s Ă  la puissance de l’Empire islamique, mais la science qu’ils ont construite n’était pas islamique. Elle s’inscrivait dans l’hĂ©ritage universel scientifique. Je propose d’illustrer ce point de vue en m’appuyant sur quelques grandes figures de la science en pays d’islam qui ont vĂ©cu dans des rĂ©gions diffĂ©rentes, Ă  des pĂ©riodes diffĂ©rentes et qui ont en commun l’islam comme religion et l’arabe comme langue de travail et de publication.
Mon but, ici, n’est pas de remodeler l’histoire de la science arabe mais plutĂŽt de m’interroger. Comment sortir d’une analyse essentialiste pour parler de l’essor de la science arabe ? Quels sont les Ă©lĂ©ments d’apprĂ©ciation des premiĂšres pĂ©riodes de la science arabe qui conduiraient Ă  confirmer la nature universelle de la science Ă©crite en langue arabe ?
Deux tendances opposĂ©es soutiennent le point de vue essentialiste. La premiĂšre est celle de beaucoup de musulmans, plutĂŽt des non-scientifiques, qui qualifient la science arabe de science islamique. Ils prĂŽnent une science islamique, opposĂ©e Ă  la science occidentale, compte tenu du fait que l’islam serait « sƓur » de la science. Ce point de vue mĂšne Ă  une continuelle confusion entre islam et science qui, au cours de l’histoire, a pris plusieurs formes. Depuis le dĂ©but du XXe siĂšcle, cette confusion se manifeste Ă  grande Ă©chelle sur internet, Ă  travers les miracles scientifiques du Coran, sorte de dilatation dĂ©mesurĂ©e des exĂ©gĂšses scientifiques apparues Ă  la fin du XIXe siĂšcle. L’intrusion de la science dans l’exĂ©gĂšse du texte coranique est l’une des consĂ©quences de la vision ambivalente des rĂ©formistes musulmans du XIXe siĂšcle, comme nous le verrons ultĂ©rieurement.
La seconde, le point de vue essentialiste est dĂ©fendu par une tendance opposĂ©e au courant de la science islamique, celle d’observateurs occidentaux soutenant que le dĂ©clin des sciences en pays d’islam est liĂ© Ă  la nature mĂȘme de l’islam, Ă  son essence propre incompatible avec une rĂ©flexion libre. C’est un point de vue que remettent clairement en cause des historiens des sciences. Dans son article « Situating Arabic science. Locality versus Essence4 », le professeur d’histoire des sciences de l’islam mĂ©diĂ©val Abdelhamid Sabra (1924-2013) relĂšve la faiblesse des arguments de nature essentialiste et souligne la complexitĂ© de la relation entre science et religion Ă  travers l’histoire du monde islamique et dans ses diverses contrĂ©es. En rĂ©alitĂ©, la vacuitĂ© des thĂ©ories issues d’approche essentialiste et anhistorique est souvent liĂ©e Ă  une mĂ©connaissance de la science arabe et de la civilisation islamique. Dimitri Gutas se range aux cĂŽtĂ©s de Abdelhamid Sabra et dĂ©nonce « l’adoption de prĂ©supposĂ©s au sujet d’une culture » qui sont par nature essentialistes et rĂ©ifiants et donc tout Ă  fait anhistoriques, tels que « l’esprit grec » ou « la mentalitĂ© arabe5 ». Il poursuit en faisant remarquer, Ă  juste titre, qu’ils nous donnent plus de renseignements sur « l’orientation idĂ©ologique du savant », auteur de ce genre de constructions thĂ©oriques, que sur « le sujet en discussion ».

Les débuts de la science « arabe »

Je mets ici entre guillemets le terme « arabe » pour rappeler que, tout en concernant des espaces gĂ©ographiques allant de l’Espagne Ă  l’Inde du Nord, en passant par le Maghreb, l’Égypte, les pays de la MĂ©sopotamie et la Perse, oĂč s’est dĂ©ployĂ©e la civilisation islamique, la science en terres d’islam a eu dans tous ces grands espaces l’arabe comme langue, devenue langue internationale de la science. C’est ce qui justifie la dĂ©nomination « science arabe ».
Le monde musulman s’est intĂ©ressĂ© Ă  l’hĂ©ritage antique, celui de la tradition grecque, mais aussi perse et hindoue, et a traduit en arabe les grands traitĂ©s de la science grecque. Il ne s’est pas limitĂ© Ă  la rĂ©ception de ce prĂ©cieux hĂ©ritage, ainsi que l’a montrĂ© trĂšs clairement un historien des sciences comme Roshdi Rashed6 pour qui la science arabe n’a pas Ă©tĂ© un conservatoire de la science hellĂšne. En effet, souligne Rashed, ce serait « dĂ©figurer les rĂ©sultats de la science hellĂšne aussi bien que ceux du XVIIe siĂšcle, si l’on veut joindre les deux bouts de la chaĂźne dans une histoire continue7 ». Ce serait faire l’impasse sur les « liens privilĂ©giĂ©s qui unissent la science arabe Ă  ses prolongements latins et, plus gĂ©nĂ©ralement, Ă  la science dĂ©veloppĂ©e en Europe de l’Ouest jusqu’au XVIIe siĂšcle8 ». La pĂ©riode islamique mĂ©diĂ©vale ne fut pas seulement une pĂ©riode de rĂ©ception, de prĂ©servation et de transmission, prĂ©cise Abdelhamid Sabra9. Le terme rĂ©ception est rĂ©ducteur s’il est compris comme un processus passif, n’attribuant Ă  la civilisation islamique qu’un rĂŽle de dĂ©positaire du savoir de la GrĂšce antique. La transmission de la science ancienne aux pays d’islam est plutĂŽt caractĂ©risĂ©e par un processus de crĂ©ation d’une nouvelle tradition scientifique qui s’est Ă©panouie dans une nouvelle langue et a rĂ©gnĂ© sur une longue pĂ©riode. Pour George Sarton, « les meilleurs savants arabes ne se satisfaisaient pas de la science grecque et hindoue dont ils avaient hĂ©ritĂ©. Ils admiraient les trĂ©sors qui Ă©taient tombĂ©s entre leurs mains, mais ils Ă©taient aussi “modernes” et aussi insatiables que nous le sommes et ils voulaient plus. Ils critiquaient Euclide, Apollonios et ArchimĂšde, discutaient PtolĂ©mĂ©e, essayaient d’amĂ©liorer les tables astronomiques et de dĂ©couvrir et d’éviter les causes d’erreur qui Ă©taient cachĂ©es dans les thĂ©ories courantes10 ». Alain de Libera, professeur d’histoire de philosophie mĂ©diĂ©vale citĂ© en exergue de ce chapitre, Ă©voque ces profonds bouleversements culturels liĂ©s au mouvement de traduction11 : on traduit tout ou presque, les grands textes philosophiques grecs, les textes scientifiques, l’alchimie, la mĂ©decine ; on lit, on commente, on invente, on innove, on continue et on approfondit l’hĂ©ritage humain
 « Bref, il y a ce qu’on appellerait aujourd’hui “une vie intellectuelle”. »
Lorsque l’on Ă©voque cette nouvelle tradition scientifique qui a commencĂ© au VIIIe siĂšcle et qui s’est nourrie de l’hĂ©ritage antique, il importe d’identifier les facteurs qui ont favorisĂ© un tel dĂ©veloppement et on est en droit d’attendre davantage que la rĂ©ponse faisant de la religion musulmane la responsable de l’essor de la science. Dans cette perspective, elle serait Ă©galement responsable de son dĂ©clin depuis quelques siĂšcles dans le monde musulman. L’explication met en avant la religion musulmane, considĂ©rĂ©e comme une religion idĂ©ale lorsqu’il s’agit de comprendre la gloire passĂ©e de la science arabe, et ne concernerait plus que les musulmans qui se sont dĂ©tournĂ©s de leur vraie religion lorsque l’on aborde les « profondes tĂ©nĂšbres12 » qui ont envahi le monde arabe. L’analyse gagnerait Ă  Ă©chapper Ă  une approche essentialiste et Ă  prendre en compte les facteurs politiques et sociaux, le contexte historique et gĂ©ographique.

Le mouvement de traduction gréco-arabe

C’est Ă  partir du VIIIe siĂšcle que fut engagĂ© un considĂ©rable travail de traduction vers l’arabe d’ouvrages appartenant Ă  la tradition grecque et traitant de diffĂ©rentes sciences, disponibles sous forme de codex en parchemin ou de rouleaux en papyrus dans l’ensemble de l’Empire byzantin et le Proche-Orient. Ce mouvement a durĂ© deux siĂšcles. Il a profitĂ© d’un facteur important, la maĂźtrise de la technique de fabrication du papier introduite par des prisonniers chinois lors de la bataille de Talas, au nord...

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