Les Parents ne meurent jamais
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Les Parents ne meurent jamais

Jan Krauze

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  1. 95 pages
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Les Parents ne meurent jamais

Jan Krauze

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Jan Krauze aurait pu écrire une histoire enluminée, romantique, en comblant les blancs et transfigurant le passé.
Mais c'est un grand journaliste et un fils aimant, qui sait que le plus beau cadeau que l'on puisse faire Ă  quelqu'un est d'ĂȘtre au plus vrai et de savoir respecter les silences. Pas Ă  pas, il remonte les souvenirs, dĂ©crypte les archives et les
photographies, allant jusqu'aux aïeuls. ' Je me suis efforcé de reconstituer leur histoire à travers un fouillis inextricable
d'anecdotes entendues depuis l'enfance, d'informations obtenues plus tard, et surtout de questions que je continue aujourd'hui de me poser... '
Ce livre est celui d'un enfant de soixante ans qui remonte à la source et se rend compte que l'Histoire et la vérité sont parfois insaisissables. Mais est-ce le plus important? Chemin faisant, Jan Krauze s'interroge. ' Qu'aurais-je fait à leur place, aurais-je été à la hauteur? '

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Information

Publisher
Iconoclaste
Year
2014
ISBN
9782913366794
KRAUZE-5.tif
La carte d’identitĂ© française de mon pĂšre, Ă©tablie en 1944, peu aprĂšs la LibĂ©ration. La mĂȘme photo figure sur une carte dĂ©livrĂ©e, cette fois, en 1945, par le gouvernement polonais Ă  Londres.
KRAUZE-18.tif
Londres, août 1945. Jerzy et Jeanne Krauze, désormais mariés, et en uniforme.
IX.
« POLISH LONDON »
De toute Ă©vidence, ils Ă©taient pressĂ©s. ArrivĂ©s en Angleterre, Ă  bord d’un contre-torpilleur, le 7 janvier 1945, mes parents furent mariĂ©s le 24 fĂ©vrier. En dĂ©pit d’un obstacle de taille : mon pĂšre n’avait aucun acte de naissance, aucun des papiers en thĂ©orie indispensables dans ces circonstances, et il n’était pas question d’en faire venir. L’Europe Ă©tait toujours en guerre, la Pologne Ă©tait en train de passer sans transition d’une occupation Ă  l’autre.
Mon pĂšre Ă©tait d’ailleurs nĂ© en Russie – mais Ă  partir de ce moment, il dĂ©cida de s’inventer un lieu de naissance imaginaire (Juzow, Pologne, calquĂ© sur le Iouzovka de son enfance ukrainienne). Tous ses papiers ultĂ©rieurs, y compris son acte de dĂ©cĂšs, mentionneront donc ce faux lieu de naissance. En 1945, c’était une sage prĂ©caution. Les agents soviĂ©tiques n’allaient pas tarder Ă  Ă©cumer les pays occidentaux pour « rĂ©cupĂ©rer » leurs ressortissants ou considĂ©rĂ©s comme tels, pour, dans le meilleur des cas, les expĂ©dier dans des camps de travail. Être nĂ© « en Pologne » prĂ©sentait moins de risques.
Un cousin (plus ĂągĂ©), Bronislaw Hackiewicz, directeur avant-guerre d’une usine d’armement oĂč mon pĂšre avait fait un stage, et qui se trouvait Ă  Londres, fournit une attestation sur l’honneur. Il fut aussi leur tĂ©moin de mariage, et apparemment le seul membre de la famille qui ait Ă©tĂ© informĂ© – alors – de ce mariage.
Ce n’est que dix mois plus tard, en dĂ©cembre 1945, qu’arrive une lettre de la mĂšre et de la sƓur aĂźnĂ©e de mon pĂšre : le cousin Bronislaw, qui lui est rentrĂ© en Pologne, leur a donnĂ© de bonnes nouvelles de leur fils et frĂšre. « Nous sommes heureuses d’apprendre – Ă©crit sa sƓur – que tu t’es enfin stabilisĂ©, pour ce qui est des sentiments. » Curieuse – et un peu caustique – maniĂšre de saluer la nouvelle de son mariage !
La cĂ©rĂ©monie avait Ă©tĂ© cĂ©lĂ©brĂ©e par un prĂȘtre polonais, dans une Ă©glise remplie d’officiers. Ce jour-lĂ , ma mĂšre, pour une raison que j’ignore, Ă©tait trĂšs faible, elle « tenait Ă  peine sur ses jambes ». Plus tard, dans mon enfance, je me souviens qu’elle Ă©tait souvent fatiguĂ©e, et avait du mal Ă  marcher longtemps. Elle qui avait manifestĂ© tant d’énergie pendant la guerre, tant de dĂ©termination, avait-elle trop « tirĂ© sur la machine », au point que son organisme ne s’en est jamais tout Ă  fait remis ?
Selon le rituel polonais, il ne s’agissait pas seulement de dire oui, mais de prononcer une longue formule d’acceptation des vƓux du mariage. Elle avait appris le texte par cƓur, mais eut le plus grand mal Ă  s’en sortir. Par prĂ©caution, elle l’avait aussi Ă©crit sur un petit papier « aide-mĂ©moire », qu’elle serrait dans sa main, et qu’elle conservera ensuite toute sa vie, pliĂ© en quatre, dans son portefeuille. La cĂ©rĂ©monie civile eut lieu en anglais, et ma mĂšre rĂ©pondit cette fois pour les deux Ă©poux.
La suite logique des Ă©vĂ©nements ne tarda pas Ă  se manifester. Ma mĂšre accoucha au tout dĂ©but de l’annĂ©e suivante d’un petit garçon, Jan Michal, mais il mourut au bout de trois jours, le mĂ©decin ayant trop tardĂ© Ă  pratiquer l’indispensable cĂ©sarienne. Depuis sa plus petite enfance, ma mĂšre avait Ă©tĂ© privĂ©e de famille. La guerre lui ayant pris son contingent d’annĂ©es, elle avait dĂ©sormais trente-quatre ans. Comment a-t-elle encaissĂ© ce nouveau choc ? Ce qu’ils avaient vĂ©cu ensemble, ou presque, les annĂ©es prĂ©cĂ©dentes, la mort qu’ils avaient si souvent cĂŽtoyĂ©e, tout cela les aida-t-il Ă  surmonter l’épreuve ?
Ma mĂšre m’a seulement racontĂ© que mon pĂšre venait la voir dans sa chambre d’hĂŽpital. PlutĂŽt que de parler, il lui jouait des petits airs gais sur sa clarinette.
Mon pĂšre avait Ă©videmment annoncĂ© Ă  ses proches la naissance Ă  venir, mais il semble avoir eu le plus grand mal Ă  les informer de l’issue fatale. J’ai retrouvĂ© une lettre oĂč sa propre mĂšre s’inquiĂšte de n’avoir aucune nouvelle : c’est en juin 1946, plusieurs mois donc aprĂšs le dĂ©cĂšs du nourrisson.
A-t-il vraiment gardĂ© le silence pendant des mois ? En tout cas, au mois d’aoĂ»t – dans l’une des trĂšs rares lettres Ă  sa famille dont j’ai retrouvĂ© la trace, sans doute parce qu’il s’agissait d’un brouillon –, lui-mĂȘme n’aborde le sujet qu’au milieu de la seconde page, avec une extrĂȘme retenue. Et seulement pour dire que « Janeczka » (Jeanne en polonais) « va trĂšs bien », « qu’ils jouent presque tous les jours au tennis et font du vĂ©lo ». Difficile d’ĂȘtre plus sobre.
La situation de mes parents Ă©tait des plus Ă©tranges, en tout cas elle le devint rapidement. Quand ils sont arrivĂ©s en Angleterre, la guerre Ă©tait sans doute finie en France. Mais pas en Allemagne, et pas non plus en Pologne, oĂč le rouleau-compresseur de l’armĂ©e russe avait repris sa marche en avant, aprĂšs s’ĂȘtre arrĂȘtĂ© plusieurs mois derriĂšre la Vistule, laissant les Allemands Ă©craser l’insurrection de Varsovie, et par la mĂȘme occasion les forces vives de la rĂ©sistance polonaise. Deux cent mille morts dans la seule capitale, une ville totalement dĂ©truite. Mais aussi la preuve que Staline ne s’embarrassait d’aucun scrupule et Ă©tait dĂ©cidĂ© Ă  Ă©liminer toute force qui ne lui serait pas soumise.
C’était de trĂšs mauvais augure pour l’avenir, mais les combats continuaient. Berlin restait Ă  prendre, et les relations entre alliĂ©s Ă©taient encore Ă  peu prĂšs celles qu’elles avaient Ă©tĂ©, avec des hauts et des bas, depuis le dĂ©but du conflit. Ni mon pĂšre, ni ma mĂšre d’ailleurs, n’étaient « dĂ©mobilisĂ©s ». Sur une photo, que je regarde toujours avec autant d’étonnement, ils apparaissent mĂȘme l’un et l’autre en uniforme (ma mĂšre en jupe, avec un calot sur la tĂȘte – elle avait Ă©tĂ© « assimilĂ©e » au grade de sous-lieutenant).
C’est une photo en noir et blanc, bien sĂ»r, mais si on pouvait la « coloriser », elle serait sans doute plus parlante. Ma mĂšre avec ses cheveux noirs et ses yeux marron, trĂšs française. Mon pĂšre avec son regard bleu lumineux. Petit, il Ă©tait tout blond, mais ses cheveux avaient foncĂ©. Pendant l’Occupation, il avait mĂȘme entrepris de les teindre en noir, y compris la moustache, mais la teinture avait dĂ©bordĂ©, lui laissant une marque sur la peau – pas l’idĂ©al pour passer inaperçu. Des dĂ©cennies plus tard, ma mĂšre semblait encore s’amuser de ce mĂ©lange d’improvisation brouillonne et de dĂ©termination trĂšs organisĂ©e qui Ă©tait le propre de son mari.
Mon pĂšre allait bientĂŽt ĂȘtre promu capitaine, et il faisait clairement partie des forces armĂ©es polonaises au Royaume-Uni. Il reçut le commandement d’une compagnie de transmissions des forces polonaises installĂ©e prĂšs de Londres. Que faisait au juste cette compagnie ? D’abord, elle Ă©coutait les transmissions allemandes, et aussi, de plus en plus, Ă©coutait et essayait de dĂ©crypter les transmissions soviĂ©tiques.
L’issue du conflit, dĂ©sormais, ne faisait plus de doute, mais l’avenir de l’Europe Ă©tait encore largement brumeux. Les instructions donnĂ©es par les autoritĂ©s soviĂ©tiques Ă  leurs unitĂ©s combattantes Ă©taient du plus haut intĂ©rĂȘt pour les Occidentaux. Et bien sĂ»r pour le gouvernement polonais de Londres, qui recevait de mille canaux des nouvelles alarmantes sur la situation dans le pays. Les SoviĂ©tiques manifestaient une attitude dĂ©libĂ©rĂ©ment hostile Ă  l’égard de ce qui restait de la rĂ©sistance polonaise, aprĂšs des annĂ©es d’un combat sans merci avec l’occupant allemand et la dĂ©faite de l’insurrection de Varsovie. Arrestations, exĂ©cutions parfois : une nouvelle occupation succĂ©dait Ă  la prĂ©cĂ©dente.
Quand il Ă©voquait cette Ă©poque, mon pĂšre insistait surtout sur le rĂŽle jouĂ© par quelques trĂšs brillants mathĂ©maticiens qui s’appliquaient Ă  briser les codes des messages que son unitĂ© captait. Étaient-ils ceux qui, dĂšs avant la guerre, et ensuite pendant toute la durĂ©e du conflit, jouĂšrent, aux cĂŽtĂ©s de mathĂ©maticiens anglais, un rĂŽle si Ă©minent dans le dĂ©cryptage de la machine Ă  coder allemande, Enigma ? L’opĂ©ration Ă©tait Ă  l’époque entourĂ©e du plus complet secret, et le serait encore pendant plusieurs annĂ©es : les AlliĂ©s occidentaux s’étaient bien gardĂ©s d’informer les SoviĂ©tiques de cette arme secrĂšte, et extrĂȘmement puissante, que constituait pour eux la connaissance des messages de l’ennemi.
Combien de temps dura cette activitĂ© d’écoute et de dĂ©chiffrage ? DĂšs le mois de juillet 1945, les dizaines de milliers de Polonais qui s’étaient retrouvĂ©s en Grande-Bretagne, pour la plupart des militaires, et le plus souvent Ă  Londres, se trouvĂšrent confrontĂ©s Ă  une trĂšs dure rĂ©alitĂ© : le gouvernement britannique avait reconnu le 5 juillet le gouvernement polonais dit « de Lublin », c’est-Ă -dire celui qui avait Ă©tĂ© constituĂ© un an plus tĂŽt par les SoviĂ©tiques. De Gaulle s’arrangea mĂȘme pour devancer, symboliquement, le mouvement d’une journĂ©e ! C’est l’une des raisons, je crois, pour lesquelles mon pĂšre n’a jamais nourri Ă  son Ă©gard le mĂȘme enthousiasme que ma mĂšre.
Du mĂȘme coup, les Britanniques, et la quasi-totalitĂ© des AlliĂ©s avec eux, cessaient de reconnaĂźtre le gouvernement polonais Ă©migrĂ© Ă  Londres, qui avait Ă©tĂ© leur partenaire pendant toute la guerre. Le rapport de force l’avait emportĂ© sur les sentiments et les liens tissĂ©s pendant le conflit. L’Angleterre Ă©tait entrĂ©e en guerre pour la Pologne, et les pilotes polonais avaient jouĂ© un rĂŽle essentiel dans la bataille de Londres. Mais il n’était pas question de s’opposer plus longtemps Ă  la volontĂ© de Staline, grand vainqueur du conflit, dont les troupes occupaient la moitiĂ© de l’Europe.
La raison d...

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