Sauver la beauté du monde
eBook - ePub

Sauver la beauté du monde

Jean-Claude Guillebaud

Share book
  1. 166 pages
  2. French
  3. ePUB (mobile friendly)
  4. Available on iOS & Android
eBook - ePub

Sauver la beauté du monde

Jean-Claude Guillebaud

Book details
Book preview
Table of contents
Citations

About This Book

Changer de regard. Décider de voir la beauté. Jean-Claude Guillebaud revient sur celles glanées au fil de son existence; l'émotion ressentie devant une peinture pariétale à Lascaux, la parade amoureuse d'un oiseau, le basculement du ciel au-dessus de nos têtes, la rencontre avec une ' belle personne ', la fulgurance d'une passion. Ce chant du monde nous rappelle que la beauté est rare et précieuse. Qu'il faut la chérir et s'en émerveiller. D'autant plus à l'heure où la planète se fait souffrante.

Frequently asked questions

How do I cancel my subscription?
Simply head over to the account section in settings and click on “Cancel Subscription” - it’s as simple as that. After you cancel, your membership will stay active for the remainder of the time you’ve paid for. Learn more here.
Can/how do I download books?
At the moment all of our mobile-responsive ePub books are available to download via the app. Most of our PDFs are also available to download and we're working on making the final remaining ones downloadable now. Learn more here.
What is the difference between the pricing plans?
Both plans give you full access to the library and all of Perlego’s features. The only differences are the price and subscription period: With the annual plan you’ll save around 30% compared to 12 months on the monthly plan.
What is Perlego?
We are an online textbook subscription service, where you can get access to an entire online library for less than the price of a single book per month. With over 1 million books across 1000+ topics, we’ve got you covered! Learn more here.
Do you support text-to-speech?
Look out for the read-aloud symbol on your next book to see if you can listen to it. The read-aloud tool reads text aloud for you, highlighting the text as it is being read. You can pause it, speed it up and slow it down. Learn more here.
Is Sauver la beauté du monde an online PDF/ePUB?
Yes, you can access Sauver la beauté du monde by Jean-Claude Guillebaud in PDF and/or ePUB format, as well as other popular books in Theology & Religion & Mysticism. We have over one million books available in our catalogue for you to explore.

Information

Publisher
Iconoclaste
Year
2019
ISBN
9782378801113

1

Une déclaration d’amour à la Terre

« Nous tournons le dos à la nature, nous avons honte de la beauté. Nos misérables tragédies traînent une odeur de bureau, et le sang dont elles ruissellent a couleur d’encre grasse 1. »
Albert Camus

1. Albert Camus, L’Été, Gallimard, « Folio », 2006.
C’est bien d’amour qu’il s’agit. Je le jure. Ces dernières années, une émotion inhabituelle s’est installée en moi. Elle a grandi, pris sa place jusqu’à rendre obsessionnelle ma conviction que notre planète était en perdition, mais serait sauvée in extremis. Comment ? Par la beauté. Ma conviction était-elle déraisonnable ? Elle s’explique. J’avais reçu en 2005 le livre Cinq méditations sur la beauté de François Cheng, que j’admirais beaucoup et connaissais un peu. Son éditeur avait placé sur la couverture une bande promotionnelle : « La beauté sauvera le monde. » Une phrase empruntée à Dostoïevski.
Hélas ! Frais et joyeux, l’aphorisme avait été si souvent repris dans les médias et la publicité ces dernières années, qu’il était devenu un poncif, une ritournelle agaçante. Cette fois-ci, sans trop savoir pourquoi, j’avais mieux réagi. Quelques livres de Dostoïevski m’étaient familiers, y compris L’Éternel Mari, où le philosophe René Girard a trouvé l’une des illustrations emblématiques du « désir mimétique », thème central de son œuvre. En revanche, je n’avais jamais ouvert L’Idiot.
J’ai donc acheté le livre et trouvé le passage où le prince Léon Nicolaïévitch Mychkine assure en effet que « la beauté sauvera le monde ». Sauf que dans le roman, paru en 1874, on se moque de Mychkine et de ses « idées si folâtres ». Mais alors ? Si en 1874 la formule paraissait déjà saugrenue, comment pourrait-on croire, aujourd’hui, que la beauté puisse sauver le monde ? Trop tard ! Il est trop mal en point, fragile, enlaidi. Il faut raisonner à l’envers. On ne peut plus compter sur la beauté et sa magie. C’est elle (ou ce qu’il en reste !) qu’il faut sauver coûte que coûte. Urgence.
À cet épisode s’est ajouté l’effet d’une admiration personnelle. Celle que je porte à un confrère photographe, le Brésilien Sebastião Salgado. À quelques semaines près, nous avons le même âge. Nous avons couvert l’un et l’autre quantité de guerres et de tueries. Lui avec un Leica, moi avec un stylo. Entre 1994 et 1997, il photographiait encore le génocide des Tutsis au Rwanda, tragédie redoublée par la « revanche punitive » de ces mêmes Tutsis qui poursuivirent plusieurs dizaines de milliers de Hutus, femmes et enfants compris, réfugiés au Congo et fuyant vers Kisangani. Là-bas, ils furent exterminés jusqu’au dernier.
Salgado assista à cette deuxième boucherie. Il en fut profondément changé. Ces massacres à répétition le dissuadèrent de continuer son métier. « Le goût même de photographier s’enfuyait, raconta-t-il plus tard. J’ai vu des chutes d’eau déverser des tourbillons de cadavres, des amis tués avec toute leur famille. » Il rompit net avec la photo et retourna, avec sa femme Lelia (« mon associée en tout dans la vie », disait-il), vers la ferme léguée par son père au Brésil, dans la vallée du Rio Doce (État du Minas Gerais). La propriété était devenue désertique à cause de la déforestation. Paysage austère, poussiéreux, sinistre.
Avec Lelia, ils décident de sauver la fazenda. Tâche colossale, entreprise déraisonnable ! Peut-être, mais ils relèvent le défi. En une dizaine d’années, ils replantent deux millions d’arbres, et le miracle se produit. En lieu et place de la vallée desséchée, des arbres poussent, les buissons s’installent, les prairies reverdissent, les insectes et les oiseaux reviennent, puis les animaux sauvages. La beauté ressuscite.
Cette victoire acquise encouragera Salgado à reprendre la photo. Lelia jouera encore un rôle. Finis, cette fois, ses Leica argentiques devenus célèbres. Il s’achète un Pentax 645, numérique, et retrouve la joie ancienne de mettre son œil dans un viseur. Mais que va-t-il photographier ? Jamais, plus jamais, de massacres et de corps déchiquetés. C’est vers autre chose que son désir le porte. Il construit et lance un projet qu’il baptise du mot grec Genesis, genèse, création, premier matin du monde. Il veut partir « trouver et photographier la beauté un peu partout sur la planète ». S’intéresser à l’autre face du réel. Pour le bonheur du regard, mais aussi pour participer à un sauvetage.
En 2013, le cinéaste Wim Wenders, assisté de Juliano, le propre fils du photographe, réalise un documentaire hors du commun qui raconte Genesis en images et suit pas à pas l’itinéraire de Salgado. C’est l’histoire d’une reconquête de soi, mais aussi d’un grand voyage. Ce film, Le Sel de la terre, m’a troublé, comme s’il m’était destiné.
À chaque visionnage de ce DVD, je me disais : « Qu’est-ce que tu attends ? » L’écrit après l’image, le bonheur d’admirer après la laideur de la guerre, la vie vivante après la mort. Oui, courir chercher et raconter les mille et un visages de la beauté du monde. J’ai fait mienne cette urgence !
Une suffocation ravie
Je devine les hochements de tête. Sauver la planète du désastre ? Conjurer cette « autre » fin du monde ? C’est l’affaire des spécialistes du climat, des océanographes, des « économistes atterrés » (ceux que je préfère), des ambassades et des « sachants ». Tous ceux-là sont sérieux. Chanter sur tous les tons la beauté du monde, c’est charmant. Mais à quoi ça sert ?
C’est une énorme machinerie diplomatique et scientifique qui est au travail depuis la Conférence de Paris sur le climat, en novembre et décembre 2015, où l’on a signé la COP21. Pourquoi le chiffre 21 ? Par référence à une réunion plus ancienne, la 21e Conférence des parties (COP), prévue en 1992 par la Convention des Nations unies sur les changements climatiques. À l’époque, elle réunissait cent soixante-dix-huit États. Depuis près de trente ans, des études savantes, des modélisations de prévisions datées, des rapports ont été empilés à l’intention des responsables et des citoyens curieux.
Je m’y suis plongé comme j’ai pu. De plus en plus découragé. Qu’il me suffise de citer quelques passages de ces textes rédigés dans ce patois international — qu’on appelle le « globish » — et qui nous adjurent de sauver la planète. Échantillons glanés dans plusieurs rapports : « Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), IMT0 : Indice mondial de température terre-océan, circulation thermohaline, déclin de la biomasse océanique, réchauffement anthropique de la planète, programme européen Damoclès (Developing Arctic Modelling and Observing Capabilities for Long-term Environmental Studies), cycles biogéochimiques, eutrophisation des eaux de surface, etc. »
Oh, je respecte la science et ses vulgarisateurs ! Je comprends moi aussi les difficultés d’expression, inhérentes à n’importe quelle concertation internationale. Mais espère-t-on rameuter les foules, les énergies, les passions avec ce lugubre dialecte ? Où est donc la « folie » rimbaldienne et « voyante » d’Une saison en enfer ? « Elle est retrouvée / Quoi ? — L’Éternité / C’est la mer allée / Avec le soleil. »
Si je remplace le mot éternité par beauté, j’ai tout de suite envie de mieux regarder le monde. À l’inverse, je devine dans le parler obscur des institutions un pharisaïsme qui permet à « ceux qui savent » de dédaigner tous ces « ignorants » qui, eux, ne font qu’aimer passionnément la planète. Ils ont tort bien sûr. Notre cerveau est capable de comprendre les chiffres et les concepts, mais notre cœur n’est ni ému ni convoqué par un tel baragouin. Si l’on veut mobiliser les Terriens, il faut partir de l’émerveillement. Serait-ce naïf ? Bien sûr que non. C’est un Éveil !
Quant à l’émerveillement, ce n’est pas un concept, c’est une suffocation ravie. Une foudre qui coupe le souffle. Pensons au rose floconneux d’un petit matin quand l’Est sort de la nuit ; à cette demi-pénombre qui enveloppe la grande forêt de mystère ; au cap des Aromates dont on rêve quand on a huit ans ; aux fracas de la mer d’Iroise sur la pointe du Raz ; à la splendeur du Wadi Rum jordanien ; à un cirque de montagnes, soudain, qui efface notre mélancolie ; à la démarche calme et douce d’un grand félin ; à Mozart tout entier ; à la musique d’un rire d’enfant ; au « grand désert, où luit la Liberté ravie, forêts, soleils, rives, savanes ! » (Rimbaud encore) ; à une femme qui passe ; à ce moment où « mon cœur bondit de joie quand apparaît un arc-en-ciel » (William Wordsworth). On pourrait poursuivre longtemps.
Chaque émerveillement me remet debout sur mes jambes, heureux d’être vivant. La beauté fait lever en nous tous cette exaltation ravie qui ressemble au bonheur. Et qu’on ne s’y trompe pas. Beaucoup de savants, parmi les plus grands, ont parlé de ces moments radieux. Albert Einstein disait ressentir un « émerveillement devant la beauté et la majesté du monde ». Le prix Nobel de physique Steven Weinberg croyait en un « art de la science ». Le mathématicien britannique Paul Dirac (1902-1984) conseillait à ses élèves de s’attacher — surtout — à la beauté de leurs équations. Les responsables de la NASA s’enthousiasment quand ils trouvent une planète « belle », comme ce fut le cas en juillet 2015 quand la sonde New Horizons, après douze années de vol, survola Pluton. Oui, d’abord s’émerveiller !
C’est sur cet émerveillement continuel qu’il faut tabler si l’on veut sauver la beauté du monde. La laideur n’est-elle pas un poison pour l’espérance ? Je déteste la laideur satisfaite. J’en ai trop vu. Dans son Journal d’un curé de campagne, Georges Bernanos met dans la bouche du curé d’Ambricourt cet aveu : « Il n’y a pas de solitude plus profonde qu’une certaine désolation de la laideur. » On comprend pourquoi cette joie de l’émerveillement et les débats qu’elle fait naître ne datent pas d’hier. Ils opposaient déjà Platon et Aristote. L’un estimait que la philosophie commence dans l’émerveillement. L’autre répondait que ce dernier devait s’effacer au profit de la connaissance. Je vote des deux mains pour Platon !
En route !

2

Heureux comme à Bunzac

« Il y a moins de désordre dans la nature que dans l’humanité 2. »
Edgar Morin

2. Edgar Morin, Le Paradigme perdu : la nature humaine (1973), Seuil, « Points Essais », 2016.
Depuis plusieurs décennies, je partage ma vie entre Paris (deux jours) et la Charente (cinq jours). Je me suis longtemps interrogé : suis-je un Parisien en province, ou un provincial à Paris ? À Paris, je suis dans le « sérieux » (édition, salles de rédaction, chroniques à écrire, etc.) ; en Charente, je suis dans la vie. Match inégal ! Irrésistiblement la province a fini par l’emporter. Je me suis remis à chantonner comme au lycée : Parisiens, têtes de chien, Parigots, têtes de veau ! Sans (trop de) méchanceté…
Cette transhumance à l’envers s’est faite par étapes. Je garde le souvenir des plus récentes. Par exemple l’épisode du renard dans les phares. C’était en 2011. Rentrant de Paris pa...

Table of contents