Pot-Bouille
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Pot-Bouille

About this book

Pot-Bouille est un roman d'Émile Zola publiĂ© en 1882, le dixiĂšme de la sĂ©rie les Rougon-Macquart. Le mot pot-bouille dĂ©signait au xixe siĂšcle en langage familier la cuisine ordinaire des mĂ©nages, en gros synonyme de popote. Mais il n'est pas question ici de cuisine, sinon au sens figurĂ©: Zola veut en effet nous montrer l'envers du dĂ©cor d'un grand immeuble parisien oĂč, derriĂšre un luxe de façade, vivent des familles bourgeoises dont le comportement quotidien est aussi peu ragoĂ»tant qu'un mĂ©diocre brouet, un pot-bouille.

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Information

Chapitre 1

Rue Neuve-Saint-Augustin, un embarras de voitures arrĂȘta le fiacre chargĂ© de trois malles, qui amenait Octave de la gare de Lyon. Le jeune homme baissa la glace d’une portiĂšre, malgrĂ© le froid dĂ©jĂ  vif de cette sombre aprĂšs-midi de novembre. Il restait surpris de la brusque tombĂ©e du jour, dans ce quartier aux rues Ă©tranglĂ©es, toutes grouillantes de foule. Les jurons des cochers tapant sur les chevaux qui s’ébrouaient, les coudoiements sans fin des trottoirs, la file pressĂ©e des boutiques dĂ©bordantes de commis et de clients, l’étourdissaient ; car, s’il avait rĂȘvĂ© Paris plus propre, il ne l’espĂ©rait pas d’un commerce aussi Ăąpre, il le sentait publiquement ouvert aux appĂ©tits des gaillards solides.
Le cocher s’était penchĂ©.
– C’est bien passage Choiseul ?
– Mais non, rue de Choiseul
 Une maison neuve, je crois.
Et le fiacre n’eut qu’à tourner, la maison se trouvait la seconde, une grande maison de quatre Ă©tages, dont la pierre gardait une pĂąleur Ă  peine roussie, au milieu du plĂątre rouillĂ© des vieilles façades voisines. Octave, qui Ă©tait descendu sur le trottoir, la mesurait, l’étudiait d’un regard machinal, depuis le magasin de soierie du rez-de-chaussĂ©e et de l’entresol, jusqu’aux fenĂȘtres en retrait du quatriĂšme, ouvrant sur une Ă©troite terrasse. Au premier, des tĂȘtes de femme soutenaient un balcon Ă  rampe de fonte trĂšs ouvragĂ©e. Les fenĂȘtres avaient des encadrements compliquĂ©s, taillĂ©s Ă  la grosse sur des poncifs ; et, en bas, au-dessus de la porte cochĂšre, plus chargĂ©e encore d’ornements, deux amours dĂ©roulaient un cartouche, oĂč Ă©tait le numĂ©ro, qu’un bec de gaz intĂ©rieur Ă©clairait la nuit.
Un gros monsieur blond, qui sortait du vestibule, s’arrĂȘta net, en apercevant Octave.
– Comment ! vous voilà ! cria-t-il. Mais je ne comptais sur vous que demain !
– Ma foi, rĂ©pondit le jeune homme, j’ai quittĂ© Plassans un jour plus tĂŽt
 Est-ce que la chambre n’est pas prĂȘte ?
– Oh ! si
 J’avais louĂ© depuis quinze jours, et j’ai meublĂ© ça tout de suite, comme vous me le demandiez. Attendez, je veux vous installer.
Il rentra, malgrĂ© les instances d’Octave. Le cocher avait descendu les trois malles. Debout dans la loge du concierge, un homme digne, Ă  longue face rasĂ©e de diplomate, parcourait gravement le Moniteur. Il daigna pourtant s’inquiĂ©ter de ces malles qu’on dĂ©posait sous sa porte ; et, s’avançant, il demanda Ă  son locataire, l’architecte du troisiĂšme, comme il le nommait :
– Monsieur Campardon, est-ce la personne ?
– Oui, monsieur Gourd, c’est M. Octave Mouret, pour qui j’ai louĂ© la chambre du quatriĂšme. Il couchera lĂ -haut et il prendra ses repas chez nous
 M. Mouret est un ami des parents de ma femme, que je vous recommande.
Octave regardait l’entrĂ©e, aux panneaux de faux marbre, et dont la voĂ»te Ă©tait dĂ©corĂ©e de rosaces. La cour, au fond, pavĂ©e et cimentĂ©e, avait un grand air de propretĂ© froide ; seul, un cocher, Ă  la porte des Ă©curies, frottait un mors avec une peau. Jamais le soleil ne devait descendre lĂ .
Cependant, M. Gourd examinait les malles. Il les poussa du pied, devint respectueux devant leur poids, et parla d’aller chercher un commissionnaire, pour les faire monter par l’escalier de service.
– Madame Gourd, je sors, cria-t-il en se penchant dans la loge.
Cette loge Ă©tait un petit salon, aux glaces claires, garni d’une moquette Ă  fleurs rouges et meublĂ© de palissandre ; et, par une porte entrouverte, on apercevait un coin de la chambre Ă  coucher, un lit drapĂ© de reps grenat. Mme Gourd, trĂšs grasse, coiffĂ©e de rubans jaunes, Ă©tait allongĂ©e dans un fauteuil, les mains jointes, Ă  ne rien faire.
– Eh bien ! montons, dit l’architecte.
Et, comme il poussait la porte d’acajou du vestibule, il ajouta, en voyant l’impression causĂ©e au jeune homme par la calotte de velours noir et les pantoufles bleu ciel de M. Gourd :
– Vous savez, c’est l’ancien valet de chambre du duc de Vaugelade.
– Ah ! dit simplement Octave.
– Parfaitement, et il a Ă©pousĂ© la veuve d’un petit huissier de Mort-la-Ville. Ils possĂšdent mĂȘme une maison lĂ -bas. Mais ils attendent d’avoir trois mille francs de rente pour s’y retirer
 Oh ! des concierges convenables !
Le vestibule et l’escalier Ă©taient d’un luxe violent. En bas, une figure de femme, une sorte de Napolitaine toute dorĂ©e, portait sur la tĂȘte une amphore, d’oĂč sortaient trois becs de gaz, garnis de globes dĂ©polis. Les panneaux de faux marbre, blancs Ă  bordures roses, montaient rĂ©guliĂšrement dans la cage ronde ; tandis que la rampe de fonte, Ă  bois d’acajou, imitait le vieil argent, avec des Ă©panouissements de feuilles d’or. Un tapis rouge, retenu par des tringles de cuivre, couvrait les marches. Mais ce qui frappa surtout Octave, ce fut, en entrant, une chaleur de serre, une haleine tiĂšde qu’une bouche lui soufflait au visage.
– Tiens ! dit-il, l’escalier est chauffĂ© ?
– Sans doute, rĂ©pondit Campardon. Maintenant, tous les propriĂ©taires qui se respectent, font cette dĂ©pense
 La maison est trĂšs bien, trĂšs bien

Il tournait la tĂȘte, comme s’il en eĂ»t sondĂ© les murs, de son Ɠil d’architecte.
– Mon cher, vous allez voir, elle est tout Ă  fait bien
 Et habitĂ©e rien que par des gens comme il faut !
Alors, montant avec lenteur, il nomma les locataires. À chaque Ă©tage, il y avait deux appartements, l’un sur la rue, l’autre sur la cour, et dont les portes d’acajou verni se faisaient face. D’abord, il dit un mot de M. Auguste Vabre : c’était le fils aĂźnĂ© du propriĂ©taire ; il avait pris, au printemps, le magasin de soierie du rez-de-chaussĂ©e, et occupait Ă©galement tout l’entresol. Ensuite, au premier, se trouvaient, sur la cour, l’autre fils du propriĂ©taire, M. ThĂ©ophile Vabre, avec sa dame, et sur la rue, le propriĂ©taire lui-mĂȘme, un ancien notaire de Versailles, qui logeait du reste chez son gendre, M. Duveyrier, conseiller Ă  la cour d’appel.
– Un gaillard qui n’a pas quarante-cinq ans, dit en s’arrĂȘtant Campardon, hein ? c’est joli !
Il monta deux marches, et se tournant brusquement, il ajouta :
– Eau et gaz Ă  tous les Ă©tages.
Sous la haute fenĂȘtre de chaque palier, dont les vitres, bordĂ©es d’une grecque, Ă©clairaient l’escalier d’un jour blanc, se trouvait une Ă©troite banquette de velours. L’architecte fit remarquer que les personnes ĂągĂ©es pouvaient s’asseoir. Puis, comme il dĂ©passait le second Ă©tage, sans nommer les locataires :
– Et lĂ  ? demanda Octave, en dĂ©signant la porte du grand appartement.
– Oh ! là, dit-il, des gens qu’on ne voit pas, que personne ne connaüt
 La maison s’en passerait volontiers. Enfin, on trouve des taches partout

Il eut un petit souffle de mépris.
– Le monsieur fait des livres, je crois.
Mais, au troisiĂšme, son rire de satisfaction reparut. L’appartement sur la cour Ă©tait divisĂ© en deux : il y avait lĂ  Mme Juzeur, une petite femme bien malheureuse, et un monsieur trĂšs distinguĂ©, qui avait louĂ© une chambre, oĂč il venait une fois par semaine, pour des affaires. Tout en donnant ces explications, Campardon ouvrait la porte de l’autre appartement.
– Ici, nous sommes chez moi, reprit-il. Attendez, il faut que je prenne votre clef
 Nous allons monter d’abord à votre chambre, et vous verrez ma femme ensuite.
Pendant les deux minutes qu’il resta seul, Octave se sentit pĂ©nĂ©trer par le silence grave de l’escalier. Il se pencha sur la rampe, dans l’air tiĂšde qui venait du vestibule ; il leva la tĂȘte, Ă©coutant si aucun bruit ne tombait d’en haut. C’était une paix morte de salon bourgeois, soigneusement clos, oĂč n’entrait pas un souffle du dehors. DerriĂšre les belles portes d’acajou luisant, il y avait comme des abĂźmes d’honnĂȘtetĂ©.
– Vous aurez d’excellents voisins, dit Campardon, qui avait reparu avec la clef : sur la rue, les Josserand, toute une famille, le pĂšre caissier Ă  la cristallerie Saint-Joseph, deux filles Ă  marier ; et, prĂšs de vous, un petit mĂ©nage d’employĂ©s, les Pichon, des gens qui ne roulent pas sur l’or, mais d’une Ă©ducation parfaite
 Il faut que tout se loue, n’est-ce pas ? mĂȘme dans une maison comme celle-ci.
À partir du troisiĂšme, le tapis rouge cessait et Ă©tait remplacĂ© par une simple toile grise. Octave en Ă©prouva une lĂ©gĂšre contrariĂ©tĂ© d’amour-propre. L’escalier, peu Ă  peu, l’avait empli de respect ; il Ă©tait tout Ă©mu d’habiter une maison si bien, selon l’expression de l’architecte. Comme il s’engageait, derriĂšre celui-ci, dans le couloir qui conduisait Ă  sa chambre, il aperçut, par une porte entrouverte, une jeune femme debout devant un berceau. Elle leva la tĂȘte, au bruit. Elle Ă©tait blonde, avec des yeux clairs et vides ; et il n’emporta que ce regard, trĂšs distinct, car la jeune femme, tout d’un coup rougissante, poussa la porte, de l’air honteux d’une personne surprise.
Campardon s’était tournĂ©, pour rĂ©pĂ©ter :
– Eau et gaz Ă  tous les Ă©tages, mon cher.
Puis, il montra une porte qui communiquait avec l’escalier de service. En haut, Ă©taient les chambres de domestique. Et, s’arrĂȘtant au fond du couloir :
– Enfin, nous voici chez vous.
La chambre, carrĂ©e, assez grande, tapissĂ©e d’un papier gris Ă  fleurs bleues, Ă©tait meublĂ©e trĂšs simplement. PrĂšs de l’alcĂŽve, se trouvait mĂ©nagĂ© un cabinet de toilette, juste la place de se laver les mains. Octave alla droit Ă  la fenĂȘtre, d’oĂč tombait une clartĂ© verdĂątre. La cour s’enfonçait, triste et propre, avec son pavĂ© rĂ©gulier, sa fontaine dont le robinet de cuivre luisait. Et toujours pas un ĂȘtre, pas un bruit ; rien que les fenĂȘtres uniformes, sans une cage d’oiseau, sans un pot de fleurs, Ă©talant la monotonie de leurs rideaux blancs. Pour cacher le grand mur nu de la maison de gauche, qui fermait le carrĂ© de la cour, on y avait rĂ©pĂ©tĂ© les fenĂȘtres, de fausses fenĂȘtres peintes, aux persiennes Ă©ternellement closes, derriĂšre lesquelles semblait se continuer la vie murĂ©e des appartements voisins.
– Mais je serai parfaitement ! cria Octave enchantĂ©.
– N’est-ce pas ? dit Campardon. Mon Dieu ! j’ai fait comme pour moi ; et, d’ailleurs, j’ai suivi les instructions contenues dans vos lettres
 Alors, le mobilier vous plaüt ? C’est tout ce qu’il faut pour un jeune homme. Plus tard, vous verrez.
Et, comme Octave lui serrait les mains, en le remerciant, en s’excusant de lui avoir donnĂ© tout ce tracas, il reprit d’un air sĂ©rieux :
– Seulement, mon brave, pas de tapage ici, surtout pas de femme !
 Parole d’honneur ! si vous ameniez une femme, ça ferait une rĂ©volution.
– Soyez tranquille ! murmura le jeune homme, un peu inquiet.
– Non, laissez-moi vous dire, c’est moi qui serais compromis
 Vous avez vu la maison. Tous bourgeois, et d’une moralitĂ© ! mĂȘme, entre nous, ils raffinent trop. Jamais un mot, jamais plus de bruit que vous ne venez d’en entendre
 Ah bien ! M. Gourd irait chercher M. Vabre, nous serions propres tous les deux ! Mon cher, je vous le demande pour ma tranquillitĂ© : respectez la maison.
Octave, que tant d’honnĂȘtetĂ© gagnait, jura de la respecter. Alors, Campardon, jetant autour de lui un regard de mĂ©fiance, et baissant la voix, comme si l’on eĂ»t pu l’entendre, ajouta, l’Ɠil allumĂ© :
– Dehors, ça ne regarde personne. Hein ? Paris est assez grand, on a de la place
 Moi, au fond, je suis un artiste, je m’en fiche !
Un commissionnaire montait les malles. Quand l’installation fut terminĂ©e, l’architecte assista paternellement Ă  la toilette d’Octave. Puis, se levant :
– Maintenant, descendons voir ma femme.
Au troisiĂšme, la femme de chambre, une fille mince, noiraude et coquette, dit que madame Ă©tait occupĂ©e. Campardon, pour mettre Ă  l’aise son jeune ami, et lancĂ© d’ailleurs par ses premiĂšres explications, lui fit visiter l’appartement : d’abord, le grand salon blanc et or, trĂšs ornĂ© de moulures rapportĂ©es, entre un petit salon vert qu’il avait transformĂ© en cabinet de travail, et la chambre Ă  coucher, oĂč ils ne purent entrer, mais dont il lui indiqua la forme Ă©tranglĂ©e et le papier mauve. Comme il l’introduisait ensuite dans la salle Ă  manger, toute en faux bois, avec une complication extraordinaire de baguettes et de caissons, Octave sĂ©duit s’écria :
– C’est trùs riche !
Au plafond, deux grandes fentes coupaient les caissons, et, dans un coin, la peinture qui s’était Ă©caillĂ©e, montrait le plĂątre.
– Oui, ça fait de l’effet, dit lentement l’architecte, les yeux fixĂ©s sur le plafond. Vous comprenez, ces maisons-lĂ , c’est bĂąti pour faire de l’effet
 Seulement, il ne faudrait pas trop fouiller les murs. Ça n’a pas douze ans et ça part dĂ©jà
 On met la façade en belle pierre, avec des machines sculptĂ©es ; on vernit l’escalier Ă  trois couches ; on dore et on peinturlure les appartements ; et ça flatte le monde, ça inspire de la considĂ©ration
 Oh ! c’est encore solide, ça durera toujours autant que nous !
Il lui fit traverser de nouveau l’antichambre, que des vitres dĂ©polies Ă©clairaient. À gauche, donnant sur la cour, il y avait une seconde chambre, oĂč couchait sa fille AngĂšle ; et, toute blanche, elle Ă©tait, par cette aprĂšs-midi de novembre, d’une tristesse de tombe. Puis, au fond du couloir, se trouvait la cuisine, dans laquelle il tint absolument Ă  le conduire, disant qu’il fallait tout connaĂźtre.
– Entrez donc, rĂ©pĂ©tait-il en poussant la porte.
Un terrible bruit s’en Ă©chappa. La fenĂȘtre, malgrĂ© le froid, Ă©tait grande ouverte. AccoudĂ©es Ă  la barre d’appui, la femme de chambre noiraude et une cuisiniĂšre grasse, une vieille dĂ©bordante, se penchaient dans le puits Ă©troit d’une cour intĂ©rieure, oĂč s’éclairaient, face Ă  face, les cuisines de chaque Ă©tage. Elles criaient ensemble, les reins tendus, pendant que, du fond de ce boyau, montaient des Ă©clats de voix canailles, mĂȘlĂ©s Ă  des rires et Ă  des jurons. C’était comme la dĂ©verse d’un Ă©gout : toute la domesticitĂ© de la maison Ă©tait lĂ , Ă  se satisfaire. Octave se rappela la majestĂ© bourgeoise du grand escalier.
Mais les deux femmes, averties par un instinct, s’étaient retournĂ©es. Elles restĂšrent saisies, en apercevant leur maĂźtre avec un monsieur. Il y eut un lĂ©ger sifflement, des fenĂȘtres se refermĂšrent, tout retomba Ă  un silence de mort.
– Qu’est-ce donc, Lisa ? demanda Campardon.
– Monsieur, rĂ©pondit la femme de chambre trĂšs excitĂ©e, c’est encore cette malpropre d’AdĂšle. Elle a jetĂ© une tripĂ©e de lapin par la fenĂȘtre
 Monsieur devrait bien parler Ă  M. Josserand.
Campardon resta grave, dĂ©sireux de ne pas s’engager. Il revint dans son cabinet de travail, en disant Ă  Octave :
– Vous avez tout vu. À chaque Ă©tage, les appartements se rĂ©pĂštent. Moi, j’en ai pour deux mille cinq cents francs, et au troisiĂšme ! Les loyers augmentant tous les jours
 M. Vabre doit se faire dans les vingt-deux mille francs avec son immeuble. Et ça montera encore, car il est question d’ouvrir une large voie, de la place de la Bourse au nouvel OpĂ©ra
 Une maison dont il a eu le terrain pour rien, il n’y a pas douze ans, aprĂšs ce grand incendie, allumĂ© par la bonne d’un droguiste !
Comme ils entraient, Octave aperçut, au-dessus d’une table Ă  dessin, dans le plein jour de la fenĂȘtre, une image de saintetĂ© richement encadrĂ©e, une Vierge montrant, hors de sa poitrine ouverte, un cƓur Ă©norme qui flambait. Il ne put rĂ©primer un mouvement de surprise ; il regarda Campardon, qu’il avait connu trĂšs farceur Ă  Plassans.
– Ah ! je ne vous ai pas dit, reprit celui-ci avec une rougeur lĂ©gĂšre, j’ai Ă©tĂ© nommĂ© architecte diocĂ©sain, oui, Ă  Évreux. Oh ! une misĂšre comme argent, en tout Ă  peine deux mille francs par an. Mais il n’y a rien Ă  faire, de temps Ă  autre un voyage ; pour le reste, j’ai lĂ -bas un inspecteur
 Et, voyez-vous, c’est beaucoup, quand on peut mettre sur ses cartes : architecte du gouvernement. Vous ne vous imaginez pas les travaux que cela me procure dans la haute sociĂ©tĂ©.
En parlant, il regardait la Vierge au cƓur embrasĂ©.
– Aprùs tout, continua-t-il dans un brusque accùs de franchise, moi, je m’en fiche, de leurs machines !
Mais, Octave s’étant mis Ă  rire, l’architecte fut pris de peur. Pourquoi se confier Ă  ce jeune homme ? Il eut un regard oblique, se donna un air de ...

Table of contents

  1. Titre
  2. Chapitre 1
  3. Chapitre 2
  4. Chapitre 3
  5. Chapitre 4
  6. Chapitre 5
  7. Chapitre 6
  8. Chapitre 7
  9. Chapitre 8
  10. Chapitre 9
  11. Chapitre 10
  12. Chapitre 11
  13. Chapitre 12
  14. Chapitre 13
  15. Chapitre 14
  16. Chapitre 15
  17. Chapitre 16
  18. Chapitre 17
  19. Chapitre 18
  20. À propos de cette Ă©dition Ă©lectronique