Souvenirs entomologiques - Livre VII
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Souvenirs entomologiques - Livre VII

About this book

Souvenirs entomologiques - Livre VII was written in the year 1900 by Jean-Henri Fabre. This book is one of the most popular novels of Jean-Henri Fabre, and has been translated into several other languages around the world.

This book is published by Booklassic which brings young readers closer to classic literature globally.

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Chapitre 1 LE SCARITE GÉANT

Le mĂ©tier de la guerre est peu favorable aux talents. Voyez le Carabe, fougueux batailleur parmi la gent insecte. Que sait-il faire ? En industrie, rien ou peu s’en faut. L’inepte massacreur est nĂ©anmoins superbe en son justaucorps, de richesse inouĂŻe. Il a l’éclat de la pyrite cuivreuse, de l’or, du bronze florentin. S’il s’habille de noir, il rehausse le sombre costume par un fulgurant ourlet d’amĂ©thyste. Sur les Ă©lytres, ajustĂ©es en cuirasse, il porte chaĂźnettes de bosselures et de points enfoncĂ©s.
De belle prestance d’ailleurs, svelte, serrĂ© Ă  la taille, le Carabe est la gloire de nos collections, mais pour le regard seul. C’est un frĂ©nĂ©tique Ă©gorgeur, rien de plus. Ne lui demandons pas davantage. La sagesse antique reprĂ©sentait Hercule, le dieu de la force, avec une tĂȘte d’idiot. Le mĂ©rite n’est pas grand, en effet, s’il se borne Ă  la force brutale. Et c’est le cas du Carabe.
À le voir si richement parĂ©, qui ne dĂ©sirerait trouver en lui un beau sujet d’étude, digne de l’histoire, comme les humbles nous en prodiguent ? De ce fĂ©roce fouilleur d’entrailles n’attendons rien de pareil. Son art est de tuer.
Le voir en sa besogne de forban est sans difficultĂ©. Je l’élĂšve dans une ample voliĂšre avec couche de sable frais. Quelques tessons rĂ©pandus Ă  la surface servent d’abri sous roche ; une touffe de gazon implantĂ©e au centre fait bocage et rĂ©jouit l’établissement.
Trois espĂšces composent la population : la triviale JardiniĂšreou Carabe dorĂ©, hĂŽte habituel des jardins ; le Procuste coriace, sombre et puissant explorateur des fourrĂ©s herbeux au pied des murailles ; le rare Carabe pourprĂ©, qui ceint de violet mĂ©tallique l’ébĂšne de ses Ă©lytres. Je les nourris avec des escargots dont j’enlĂšve en partie la coquille.
Blottis d’abord pĂȘle-mĂȘle sous les tessons, les Carabes accourent au misĂ©rable, qui dĂ©sespĂ©rĂ©ment sort et rentre ses cornes. Ils sont trois Ă  la fois, ils sont quatre, cinq, Ă  lui dĂ©vorer en premier lieu le bourrelet du manteau, tigrĂ© d’atomes calcaires. C’est le morceau prĂ©fĂ©rĂ©. De leurs mandibules, solides tenailles, ils happent au milieu de l’écume ; ils tiraillent, ils arrachent un lambeau et se retirent Ă  l’écart pour le dĂ©glutir Ă  l’aise.
Cependant les pattes, ruisselantes de viscositĂ©, engluent des grains de sable et se chaussent de lourdes guĂȘtres, fort embarrassantes, auxquelles l’insecte n’accorde attention. Tout alourdi, embourbĂ©, il revient en trĂ©buchant Ă  la proie, prĂ©lĂšve un autre morceau. Il songera plus tard Ă  se lustrer les bottes. D’autres ne bougent, se gorgent sur place, tout l’avant du corps noyĂ© dans l’écume. La ripaille dure des heures entiĂšres. Les attablĂ©s ne quittent la piĂšce que lorsque le ventre distendu soulĂšve le toit des Ă©lytres et montre Ă  dĂ©couvert les nuditĂ©s du croupion.
Plus amis des recoins tĂ©nĂ©breux, les Procustes font bande Ă  part. Ils entraĂźnent l’escargot dans leur repaire, sous l’abri d’un tesson, et lĂ , paisiblement, en commun, dĂ©pĂšcent le mollusque. Ils affectionnent la limace, d’équarrissage plus aisĂ© que le colimaçon, dĂ©fendu par son test ; ils estiment morceau friand la Testacelle, qui porte tout au bout postĂ©rieur de l’échine une Ă©caille calcaire, contournĂ©e en bonnet phrygien. La venaison est de chair plus ferme, moins affadie par la bave.
Se repaĂźtre en glouton d’un escargot que j’ai moi-mĂȘme privĂ© de protection en lui brisant la coquille, n’a rien dont puisse se glorifier un belliqueux ; mais voici oĂč se rĂ©vĂšle l’audace du Carabe. À la JardiniĂšre, mise en appĂ©tit par un jeĂ»ne de quelques jours, je prĂ©sente le Hanneton des pins, dans sa pleine vigueur. C’est un colosse Ă  cĂŽtĂ© du Carabe dorĂ© ; c’est un bƓuf en face du loup.
La bĂȘte de proie rĂŽde autour du pacifique, choisit son moment. Elle s’élance, recule hĂ©sitante, revient Ă  la charge. Voici le gĂ©ant culbutĂ©. Incontinent l’autre lui ronge, lui fouille le ventre. Si cela se passait dans un monde de titre plus Ă©levĂ©, ce serait un spectacle Ă  donner la chair de poule que celui du Carabe plongeant Ă  demi dans le gros Hanneton et lui extirpant les entrailles.
Je soumets l’éventreur Ă  curĂ©e plus difficultueuse. La proie est, cette fois, l’Orycte nasicorne, le robuste RhinocĂ©ros, gĂ©ant invincible, dirait-on, sous le couvert de son armure. Mais le vĂ©nateur connaĂźt le point faible du bardĂ© de corne, la peau fine dĂ©fendue par les Ă©lytres. À force d’assauts, repris par l’agresseur aussitĂŽt que repoussĂ©s par l’assailli, le Carabe parvient Ă  soulever un peu la cuirasse et Ă  glisser la tĂȘte par-dessous. Du moment que les pinces ont fait entaille dans la peau vulnĂ©rable, le RhinocĂ©ros est perdu. Il ne restera bientĂŽt du colosse qu’une lamentable carcasse vide.
Qui désirerait lutte plus atroce, doit la demander au Calosome sycophante, le plus beau de nos insectes carnassiers, le plus majestueux de costume et de taille. Ce prince des Carabes est le bourreau des chenilles. Les plus robustes de croupe ne lui en imposent pas.
Sa prise de corps avec l’énorme chenille du Grand-Paon est Ă  voir une fois ; mais en une sĂ©ance de pareilles horreurs, on est rebutĂ©. Contorsions de la bĂȘte Ă©ventrĂ©e, qui, d’un brusque coup de reins, soulĂšve le bandit, le laisse retomber, dessus, dessous, sans parvenir Ă  lui faire lĂącher prise ; tripailles vertes rĂ©pandues Ă  terre, pantelantes ; trĂ©pignements de l’égorgeur ivre de carnage, s’abreuvant aux sources d’une horrible plaie, voilĂ  les traits sommaires du combat. Si l’entomologie n’avait d’autres scĂšnes Ă  nous montrer, sans le moindre regret je renoncerais Ă  l’insecte.
Au repu offrez le lendemain la Sauterelle verte, le Dectique Ă  front blanc, l’un et l’autre adversaires sĂ©rieux, armĂ©s de puissantes ganaches. Sur ces pansus, la tuerie va recommencer, aussi ardente que la veille. Elle recommencera plus tard sur le Hanneton des pins, sur l’Orycte nasicorne, avec l’atroce tactique usitĂ©e des Carabes. Mieux que ces derniers, le Calosome est au fait du point faible des cuirassĂ©s, sous le couvert des Ă©lytres. Et cela durera tant qu’on lui fournira des victimes, car ce buveur de sang n’est jamais assouvi.
D’ñcres exhalaisons, produits d’un tempĂ©rament brĂ»lĂ©, accompagnent cette frĂ©nĂ©sie de carnage. Les Carabes Ă©laborent des humeurs caustiques ; le Procuste lance Ă  qui le saisit un jet vinaigrĂ© ; le Calosome empuantit les doigts d’un relent de droguerie ; certains, tels les Brachines, connaissent les explosifs, et, d’une arquebusade, brĂ»lent la moustache Ă  l’agresseur.
Distillateurs de corrosifs, canonniers au picrate, bombardiers Ă  la dynamite, eux tous, les violents, si bien douĂ©s pour la bataille, que savent-ils faire en dehors de la tuerie ? Rien. Nul art, nulle industrie, pas mĂȘme chez la larve, qui pratique le mĂ©tier de l’adulte et mĂ©dite ses mauvais coups en vagabondant sous les pierres. C’est cependant Ă  un de ces ineptes guerroyeurs que je vais aujourd’hui m’adresser de prĂ©fĂ©rence, entraĂźnĂ© par certaine question Ă  rĂ©soudre. Voici la chose. Vous venez de surprendre tel ou tel autre insecte, immobile sur un rameau, dans les bĂ©atitudes du soleil. Votre main se lĂšve, ouverte, prĂȘte Ă  s’abattre et Ă  le saisir. À peine avez-vous fait le geste qu’il se laisse choir. C’est un cuirassĂ© d’élytres, lent Ă  dĂ©gager les ailes de leur Ă©tui de corne, ou bien un incomplet, dĂ©pourvu de membranes alaires. Incapable de prompte fuite, l’insecte surpris se laisse tomber. Vous le cherchez, souvent peine inutile, parmi les herbages. Si vous le trouvez, il est Ă©tendu sur le dos, les pattes repliĂ©es, ne bougeant plus.
Il fait le mort, dit-on ; il ruse pour se tirer d’affaire. L’homme certainement lui est inconnu ; en son petit monde, nous ne comptons pour rien. Que lui importent nos chasses d’enfant ou de savant ? Il n’a cure du collectionneur et de sa longue Ă©pingle ; mais il connaĂźt le danger en gĂ©nĂ©ral ; il apprĂ©hende son naturel ennemi, l’oiseau insectivore, qui le gobe d’un coup de bec. Pour dĂ©router l’assaillant, il gĂźt sur le dos, contracte les pattes et simule la mort. En cet Ă©tat, l’oiseau, ou tout autre persĂ©cuteur, le dĂ©daignera, et la vie sera sauve.
À ce qu’on assure, ainsi raisonnerait l’insecte brusquement surpris. Cette ruse est depuis longtemps cĂ©lĂšbre. Autrefois deux compagnons, Ă  bout de ressources, vendirent la peau de l’ours avant d’avoir mis l’animal Ă  terre. La rencontre tourne mal ; il faut fuir Ă  la hĂąte. L’un d’eux bronche, tombe, retient le souffle et fait le mort. L’ours arrive, tourne et retourne l’homme, l’explore de la patte et des naseaux, le flaire au visage. « Il sent dĂ©jĂ  mauvais, » dit-il, et sans plus s’en retourne. Cet ours Ă©tait un naĂŻf.
L’oiseau ne serait pas dupe de ce grossier stratagĂšme. En ce bienheureux temps oĂč la dĂ©couverte d’un nid est un Ă©vĂ©nement majeur, Ă  nul autre pareil, je n’ai jamais vu mes moineaux, mes verdiers, refuser un criquet parce qu’il ne remuait plus, une mouche parce qu’elle Ă©tait morte. Toute becquĂ©e qui ne se dĂ©mĂšne pas est trĂšs bien acceptĂ©e, pourvu qu’elle soit fraĂźche et de bon goĂ»t.
S’il compte, en effet, sur les apparences de la mort, l’insecte me semble donc mal inspirĂ©. Mieux avisĂ© que l’ours de la fable, l’oiseau, de sa prunelle perspicace, Ă  l’instant reconnaĂźtra la supercherie et passera outre. Si d’ailleurs l’objet Ă©tait rĂ©ellement un dĂ©funt, frais encore, le coup de bec n’en serait pas moins donnĂ©.
Des doutes me viennent, plus pressants, si je considĂšre Ă  quelles graves confidences conduirait l’astuce de l’insecte. Il fait le mort, dit le langage populaire, peu soucieux de peser la valeur de ses termes ; il fait le mort, rĂ©pĂšte le langage savant, heureux de trouver lĂ  certaines Ă©claircies de raison chez la bĂȘte. Qu’y a-t-il de vrai dans ce dire unanime, trop peu rĂ©flĂ©chi d’un cĂŽtĂ©, et de l’autre trop enclin aux lubies thĂ©oriques ?
Les arguments de la logique ici ne suffiraient pas. Il est indispensable de faire parler l’expĂ©rience, qui seule peut fournir valide rĂ©ponse. Mais, parmi les insectes, Ă  qui s’adresser tout d’abord ?
Un souvenir me vient, remontant Ă  une quarantaine d’annĂ©es. Tout heureux de mon rĂ©cent triomphe universitaire, je faisais halte Ă  Cette, Ă  mon retour de Toulouse oĂč je venais de passer mon examen de licence Ăšs sciences naturelles. L’occasion Ă©tait belle de voir encore une fois la flore des bords de la mer, qui, peu d’annĂ©es avant, faisait mes dĂ©lices autour du merveilleux golfe d’Ajaccio. C’eĂ»t Ă©tĂ© sottise que de ne pas en profiter. Un grade ne confĂšre pas le droit de ne plus Ă©tudier. Si l’on a vraiment un peu de feu sacrĂ© dans les veines, on reste Ă©colier toute sa vie, non des livres, pauvre ressource, mais de la grande, de l’inĂ©puisable Ă©cole des choses.
Un jour donc, en juillet, dans le frais silence de l’aube, j’herborisais sur la plage de Cette. Pour la premiĂšre fois, je rĂ©coltais le Liseron soldanelle, qui traĂźne, sur la limite des embruns, ses cordons Ă  feuilles d’un vert lustrĂ© et ses grandes clochettes roses. RetirĂ© dans sa coquille blanche, aplatie, fortement carĂ©nĂ©e, un curieux colimaçon, l’HĂ©lix explanata, sommeillait, par groupes, sur les gramens.
Les sables secs et mouvants montraient çà et lĂ  de longues sĂ©ries d’empreintes, rappelant, en petit et sous une autre forme, les traces des oisillons sur la neige, cause de doux Ă©mois en mes jeunes annĂ©es. Que signifient ces empreintes ?
Je les suis, chasseur Ă  la piste d’un nouveau genre. Chaque fois, Ă  leur point terminal, j’exhume, en fouillant Ă  peu de profondeur, un superbe carabique, dont le nom seul m’était Ă  peu prĂšs connu. C’est le Scarite gĂ©ant (Scarites gigas, Fab).
Je le fais marcher sur le sable. Il reproduit exactement les traces qui m’ont donnĂ© l’éveil. C’est bien lui qui, en quĂȘte de gibier, la nuit, a, de ses doigts, marquĂ© la piste. Avant le jour, il est rentrĂ© dans son repaire, et nul maintenant ne se montre Ă  dĂ©couvert.
Un autre trait de mƓurs s’impose Ă  mon attention. TracassĂ© un moment, puis mis Ă  terre sur le dos, de longtemps il ne remue. Nul encore parmi les autres insectes, objets d’ailleurs d’un superficiel examen sous ce rapport, ne m’avait montrĂ© pareille persistance dans l’immobilitĂ©. Ce dĂ©tail se grave si bien dans ma mĂ©moire que, quarante ans aprĂšs, dĂ©sireux d’expĂ©rimenter les insectes experts dans l’art de simuler la mort, je songe immĂ©diatement au Scarite.
Un ami m’en fait parvenir une douzaine de Cette, de la plage mĂȘme oĂč jadis j’avais passĂ© dĂ©licieuse matinĂ©e en compagnie de cet habile mime des morts. Ils m’arrivent en parfait Ă©tat, pĂȘle-mĂȘle avec des PimĂ©lies (Pimelia bipunctata, Fab.), leurs compatriotes des sables maritimes. De celles-ci, troupeau lamentable, beaucoup sont Ă©ventrĂ©es, vidĂ©es Ă  fond ; d’autres n’ont plus que des moignons de pattes ; quelques-unes, rares, sont sans blessures.
Il fallait s’y attendre avec ces carabiques, giboyeurs effrĂ©nĂ©s. De tragiques Ă©vĂ©nements se sont passĂ©s dans la boĂźte pendant le trajet de Cette Ă  SĂ©rignan. Les Scarites ont fait bombance, Ă  ventre que veux-tu, des paisibles PimĂ©lies.
Leurs traces que je suivais autrefois sur les lieux mĂȘmes Ă©taient le tĂ©moignage de leurs rondes nocturnes, apparemment Ă  la recherche de la proie, la PimĂ©lie pansue, dont toute la dĂ©fense consiste en une forte armure d’élytres soudĂ©es. Mais que peut telle cuirasse contre les atroces tenailles du forban !
C’est, en effet, un rude chasseur, que ce Nemrod du littoral. Tout noir et brillant, ainsi qu’un bijou de jais, il a le corps coupĂ© en deux par un fort Ă©tranglement de la taille. Son arme d’attaque consiste en deux pinces d’extraordinaire vigueur. Nul de nos insectes ne l’égale en puissance de mandibules. Il faut en excepter le Cerf-volant, bien mieux outillĂ©, ou pour mieux dire dĂ©corĂ©, car les pinces en ramure de cerf de l’hĂŽte des chĂȘnes sont des atours de la parure masculine, et non une panoplie de bataille.
Le brutal carabique, Ă©ventreur de PimĂ©lies, connaĂźt sa force. Si je le harcĂšle un peu sur la table, il se met aussitĂŽt en posture de dĂ©fense. Bien cambrĂ© sur ses courtes pattes, celles d’avant surtout, dentelĂ©es en rĂąteaux de fouille ; il se disloque en deux piĂšces, pour ainsi dire, Ă  la faveur de l’étranglement qui le scinde aprĂšs le corselet ; il relĂšve fiĂšrement la moitiĂ© antĂ©rieure du corps, son large thorax taillĂ© en cƓur, sa tĂȘte massive, ouvrant en plein les menaçantes tenailles. Il en impose alors. Il fait davantage : il a l’audace de courir sus au doigt qui vient de le toucher. VoilĂ  certes un sujet d’intimidation non facile. J’y regarde Ă  deux fois avant de le manier.
Je loge mes Ă©trangers partie sous cloche en toile mĂ©tallique, partie dans des bocaux, tous avec couche de sable. Sans tarder, chacun se creuse un terrier. L’insecte inflĂ©chit fortement sa tĂȘte, et de la pointe des mandibules, rassemblĂ©es en un pic, rudement pioche, laboure, excave. Les pattes d’avant, dilatĂ©es et armĂ©es de crocs, cueillent les dĂ©blais poudreux en une brassĂ©e qui se refoule au dehors Ă  reculons. Ainsi s’élĂšve une taupinĂ©e sur le seuil du clapier. La demeure rapidement s’approfondit et par une douce pente atteint le fond du bocal.
ArrĂȘtĂ© dans le sens de la profondeur, le Scarite travaille alors contre la paroi de verre et continue son ouvrage dans le sens horizontal jusqu’à lui donner prĂšs de trois dĂ©cimĂštres de dĂ©veloppement en totalitĂ©.
Cette disposition de la galerie, presque en entier sous le couvert immĂ©diat du verre, m’est trĂšs utile pour suivre l’insecte dans l’intimitĂ© du chez soi. Si je veux assister Ă  ses manƓuvres souterraines, il me suffit de soulever le manchon opaque dont j’ai soin d’envelopper le bocal, afin d’éviter Ă  la bĂȘte l’importunitĂ© de la lumiĂšre.
Lorsque le logis est jugĂ© de longueur suffisante, le Scarite revient Ă  l’entrĂ©e, qu’il travaille avec plus de soin que le reste. Il en fait un entonnoir, un gouffre Ă  dĂ©clivitĂ© mouvante. C’est en grand, et de façon plus rustique, le cratĂšre du Fourmi-Lion. Cette embouchure se continue par un plan inclinĂ©, entretenu libre de tout Ă©boulis. Au bas de la pente est le vestibule de la galerie horizontale. LĂ , d’habitude, se tient le vĂ©nateur, immobile, les tenailles Ă  demi ouvertes. Il attend.
Quelque chose bruit lĂ -haut. C’est un gibier que je viens d’introduire, une Cigale, somptueux morceau. Le somnolent trappeur aussitĂŽt se rĂ©veille ; il agite les palpes, qui frĂ©missent de convoitise. Avec prudence, pas Ă  pas, il remonte son plan inclinĂ©. Un coup d’Ɠil est jetĂ© au dehors. La Cigale est vue.
Le Scarite s’élance de son puits, accourt, la saisit et l’entraĂźne Ă  reculons. La lutte est brĂšve avec le traquenard de l’entrĂ©e, qui bĂąille en entonnoir pour recevoir une proie mĂȘme volumineuse et qui se rĂ©trĂ©cit en un prĂ©cipice croulant oĂč toute rĂ©sistance est paralysĂ©e. La pente est fatale : qui en franchit le seuil ne peut plus Ă©viter l’égorgeoir.
TĂȘte premiĂšre, la Cigale plonge dans le gouffre, ou par saccades l’entraĂźne le ravisseur. Elle est introduite dans le tunnel surbaissĂ©. LĂ , faute d’espace, cesse tout trĂ©moussement des ailes. Elle arrive dans la salle d’équarrissage, Ă  l’extrĂ©mitĂ© du couloir. Quelque temps, alors, le Scarite la travaille de ses pinces pour l’immobiliser Ă  fond, crainte d’une fuite ; puis il remonte Ă  l’embouchure du charnier.
Ce n’est pas tout que de possĂ©der venaison copieuse ; il s’agit maintenant de la consommer en paix. La porte est donc fermĂ©e aux importuns, c’est-Ă -dire que l’insecte comble l’entrĂ©e du souterrain avec sa taupinĂ©e de dĂ©blais. Ces prĂ©cautions prises, il redescend et s’attable. Il ne rouvrira sa cachette et ne refera le gouffre de l’entrĂ©e que plus tard, lorsque la Cigale sera digĂ©rĂ©e et que reviendra la faim. Laissons le goinfre Ă  sa curĂ©e.
La courte matinĂ©e passĂ©e avec lui, en son lieu d’origine, ne m’a pas permis de l’observer en chasse, sur les sables de la plage ; mais les faits recueillis en captivitĂ© suffisent Ă  nous renseigner. Ils nous montrent, dans le Scarite, un audacieux que n’intimident ni la taille ni la vigueur de l’adversaire.
Nous venons de le voir remonter de dessous terre, courir sus aux passants, les saisir Ă  distance et les entraĂźner violemment dans son coupe-gorge. La CĂ©toine dorĂ©e, le Hanneton vulgaire, sont pour lui mĂ©diocre butin. Il ose s’attaquer Ă  la Cigale, il ose porter ses crocs sur le corpulent Hanneton des pins. C’est un tĂ©mĂ©raire, prĂȘt Ă  tous les mauvais coups.
Dans les conditions naturelles, il ne doit pas dĂ©ployer moins d’audace. Au contraire, les lieux familiers, les mouvements libres, l’espace sans limites, l’atmosphĂšre salĂ©e chĂšre Ă  ses habitudes, exaltent le belliqueux.
Il s’est creusĂ© dans le sable une retraite Ă  large embouchure croulante. Ce n’est pas, Ă  l’exemple du Fourmi-Lion, pour attendre, au fond de son entonnoir, le passage d’un...

Table of contents

  1. Titre
  2. Chapitre 1 - LE SCARITE GÉANT
  3. Chapitre 2 - LA SIMULATION DE LA MORT
  4. Chapitre 3 - L’HYPNOSE. – LE SUICIDE
  5. Chapitre 4 - LES VIEUX CHARANÇONS
  6. Chapitre 5 - LE LARIN MACULÉ
  7. Chapitre 6 - LE LARIN OURS
  8. Chapitre 7 - L’INSTINCT BOTANIQUE
  9. Chapitre 8 - LE BALANIN ÉLÉPHANT
  10. Chapitre 9 - LE BALANIN DES NOISETTES
  11. Chapitre 10 - LE RHYNCHITE DU PEUPLIER
  12. Chapitre 11 - LE RHYNCHITE DE LA VIGNE
  13. Chapitre 12 - AUTRES ROULEURS DE FEUILLES
  14. Chapitre 13 - LE RHYNCHITE DU PRUNELLIER
  15. Chapitre 14 - LES CRIOCÈRES
  16. Chapitre 15 - LES CRIOCÈRES (SUITE)
  17. Chapitre 16 - LA CICADELLE ÉCUMEUSE
  18. Chapitre 17 - LES CLYTHRES
  19. Chapitre 18 - LES CLYTHRES (L’ƒUF)
  20. Chapitre 19 - LA MARE
  21. Chapitre 20 - LA PHRYGANE
  22. Chapitre 21 - LES PSYCHÉS (LA PONTE)
  23. Chapitre 22 - LES PSYCHÉS (LE FOURREAU)
  24. Chapitre 23 - LE GRAND-PAON
  25. Chapitre 24 - LE MINIME À BANDE
  26. Chapitre 25 - L’ODORAT
  27. À propos de cette Ă©dition Ă©lectronique
  28. Notes de bas de page