Oreste, Pylade
Pylade
ModĂ©rez donc, Seigneur, cette fureur extrĂȘme.
Je ne vous connais plus ; vous nâĂȘtes plus vous-mĂȘme.
SouffrezâŠ
Oreste
Non, tes conseils ne sont plus de saison,
Pylade ; je suis las dâĂ©couter la raison.
Câest traĂźner trop longtemps ma vie et mon supplice :
Il faut que je lâenlĂšve, ou bien que je pĂ©risse.
Le dessein en est pris, je le veux achever.
Oui, je le veux.
Pylade
Eh bien ! il la faut enlever,
Jây consens. Mais songez cependant oĂč vous ĂȘtes.
Que croira-t-on de vous, Ă voir ce que vous faites ?
Dissimulez : calmez ce transport inquiet ;
Commandez Ă vos yeux de garder le secret.
Ces gardes, cette cour, lâair qui vous environne,
Tout dépend de Pyrrhus, et surtout Hermione.
Ă ses regards surtout cachez votre courroux.
à dieux ! en cet état pourquoi la cherchiez-vous ?
Oreste
Que sais-je ? De moi-mĂȘme Ă©tais-je alors le maĂźtre ?
La fureur mâemportait, et je venais peut-ĂȘtre
Menacer Ă la fois lâingrate et son amant.
Pylade
Et quel était le fruit de cet emportement ?
Oreste
Et quelle ùme, dis-moi, ne serait éperdue
Du coup dont ma raison vient dâĂȘtre confondue ?
Il épouse, dit-il, Hermione demain ;
Il veut, pour mâhonorer, la tenir de ma main.
Ah ! plutĂŽt cette main dans le sang du barbareâŠ
Pylade
Vous lâaccusez, Seigneur, de ce destin bizarre ;
Cependant, tourmenté de ses propres desseins,
Il est peut-ĂȘtre Ă plaindre autant que je vous plains.
Oreste
Non, non, je le connais, mon désespoir le flatte ;
Sans moi, sans mon amour, il dĂ©daignait lâingrate ;
Ses charmes jusque-lĂ nâavaient pu le toucher :
Le cruel ne la prend que pour me lâarracher.
Ah dieux ! câen Ă©tait fait : Hermione gagnĂ©e
Pour jamais de sa vue allait ĂȘtre Ă©loignĂ©e,
Son cĆur, entre lâamour et le dĂ©pit confus,
Pour se donner Ă moi nâattendait quâun refus,
Ses yeux sâouvraient, Pylade, elle Ă©coutait Oreste,
Lui parlait, le plaignait⊠Un mot eût fait le reste.
Pylade
Vous le croyez !
Oreste
Hé quoi ? ce courroux enflammé
Contre un ingratâŠ
Pylade
Jamais il ne fut plus aimé.
Pensez-vous, quand Pyrrhus vous lâaurait accordĂ©e,
Quâun prĂ©texte tout prĂȘt ne lâeĂ»t pas retardĂ©e ?
Mâen croirez-vous ? LassĂ© de ses trompeurs attraits,
Au lieu de lâenlever, fuyez-la pour jamais.
Quoi ? votre amour se veut charger dâune furie
Qui vous détestera, qui toute votre vie,
Regrettant un hymen tout prĂȘt Ă sâachever,
VoudraâŠ
Oreste
Câest pour cela que je veux lâenlever.
Tout lui rirait, Pylade ; et moi, pour mon partage,
Je nâemporterais donc quâune inutile rage ?
Jâirais loin dâelle encor tĂącher de lâoublier ?
Non, non, Ă mes tourments, je veux lâassocier.
Câest trop gĂ©mir tout seul. Je suis las quâon me plaigne.
Je prĂ©tends quâĂ mon tour lâinhumaine me craigne,
Et que ses yeux cruels, à pleurer condamnés,
Me rendent tous les noms que je leur ai donnés.
Pylade
VoilĂ donc le succĂšs quâaura votre ambassade :
Oreste ravisseur !
Oreste
Et quâimporte, Pylade ?
Quand nos Ătats vengĂ©s jouiront de mes soins,
Lâingrate de mes pleurs jouira-t-elle moins ?
Et que me servira que la GrĂšce mâadmire,
Tandis que je serai la fable de lâĂpire ?
Que veux-tu ? Mais, sâil faut ne te rien dĂ©guiser,
Mon innocence enfin commence Ă me peser.
Je ne sais de tout temps quelle injuste puissance
Laisse le crime en paix, et poursuit lâinnocence.
De quelque part sur moi que je tourne les yeux,
Je ne vois que malheurs qui condamnent les dieux.
Méritons leur courroux, justifions leur haine,
Et que le fruit du crime en précÚde la peine
Mais toi, par quelle erreur veux-tu toujour...
