Un vieillard et une jeune fille Ă©taient assis dans la salle Ă manger dâune maison de campagne du comtĂ© de Carmarthen, situĂ©e sur des rochers qui dominent la mer.
« Câest pour moi un cas de conscience, ma chĂšre, » dit le vieillard.
â Pour moi aussi, mon oncle ; et comme ma conscience Ă moi est dâaccord avec mes sentiments, tandis que la vĂŽtre nâest pasâŠ
â Vous pensez alors que je ne dois pas Ă©couter ma conscience ?
â Je ne dis pas cela.
â Quoi donc ?
â Si je pouvais seulement vous faire comprendre combien mes sentiments⊠ou plutĂŽt combien mon antipathie est forte, et combien il mâest impossible de la vaincre, alorsâŠ
â Eh bien ?
â Alors, vous sauriez que moi, je ne cĂ©derai jamais, et vous consulteriez votre conscience, pour savoir si ce quâelle vous suggĂšre est, ou non, un devoir absolu. Vous pouvez ĂȘtre assurĂ© de ceci ; jamais je ne dirai un mot qui soit en opposition avec ce que vous conseille votre conscience. Si une parole de ce genre est prononcĂ©e, elle le sera par vous. »
La conversation demeura longtemps interrompue. Pendant le silence dâune heure qui suivit, la jeune fille alla et vint hors de la salle et dans la salle, puis sâassit et se remit Ă son ouvrage. Le vieillard reprit brusquement le sujet quâils avaient discutĂ©.
« JâobĂ©irai Ă ma conscience.
â Câest votre devoir, oncle Indefer ; Ă quoi obĂ©irait-on, sinon Ă sa conscience ?
â Et pourtant, jâen aurai le cĆur brisĂ©.
â Non, non, non.
â Et vous serez ruinĂ©e.
â Cela nâest rien. Je supporterai aisĂ©ment ma ruine, mais non votre douleur.
â Pourquoi faut-il quâil en soit ainsi ?
â Vous lâavez dit vous-mĂȘme, parce que votre conscience vous lâordonne. MĂȘme pour vous Ă©pargner une grande douleur â bien que vous soyez ce que jâai de plus cher au monde â je ne saurais Ă©pouser mon cousin Henry. Jâaimerais mieux que nous pussions mourir ensemble ; jâaimerais mieux vivre malheureuse, tout enfin, plutĂŽt que cela. Ne suis-je pas toujours prĂȘte Ă vous obĂ©ir dans les choses possibles ?
â Je lâavais cru jusquâici.
â Mais il est impossible Ă une jeune femme qui se respecte dâaccepter lâautoritĂ© dâun homme qui lui inspire de lâhorreur. Faites, par rapport Ă la vieille maison, ce que votre conscience vous dictera. Serai-je moins tendre pour vous pendant votre vie, parce que je devrai partir aprĂšs votre mort ? Croyez-vous que, dans mon cĆur, je doive accuser votre justice et votre bontĂ© ? Jamais ! Câest un accident relativement de peu dâimportance, qui ne mâatteint pas dans mes sentiments ; mais ĂȘtre la femme dâun homme que je mĂ©prise !⊠» LĂ -dessus, elle se leva et sortit de la salle.
Un mois sâĂ©coula avant que le vieillard reprĂźt le mĂȘme sujet. Il le fit assis dans la mĂȘme piĂšce, Ă la mĂȘme heure du jour, Ă quatre heures environ, quand la table eut Ă©tĂ© desservie.
« Isabel, dit-il, il nây a pas dâautre parti Ă prendre.
â Ă propos de quoi, oncle Indefer ? »
Elle savait trĂšs bien Ă propos de quoi il avait pris un parti. Sâil sâĂ©tait agi dâun service que la jeune femme pĂ»t rendre Ă son vieil oncle, il nây aurait eu entre eux aucune hĂ©sitation, aucune rĂ©ticence. Jamais fille ne fut plus tendre, jamais pĂšre plus confiant. Mais, sur ce sujet, elle ne voulait rĂ©pondre quâĂ des questions nettement posĂ©es.
â Ă propos de votre cousin et de la propriĂ©tĂ©.
â Alors, au nom de Dieu, ne vous tourmentez pas davantage, et nâattendez aucune aide de qui ne peut vous en donner. Vous pensez que la propriĂ©tĂ© doit passer Ă un homme et non Ă une femme ?
â Je voudrais quâelle allĂąt Ă un Jones.
â Je ne suis pas un Jones, ni destinĂ©e Ă le devenir.
â Vous mâĂȘtes une parente aussi proche et mille fois plus chĂšre que lui.
â Mais cela nâempĂȘche pas que je ne suis pas un Jones. Mon nom est Isabel Brodrick. Une femme qui nâest pas nĂ©e Jones peut avoir la bonne chance de le devenir par le mariage ; mais ce ne sera jamais mon cas.
â Vous ne devriez pas parler en riant de ce que je considĂšre comme un devoir.
â Cher, bien cher oncle, dit-elle en le caressant, si jâai paru rire â et elle avait ri en effet en parlant de la chance de devenir un Jones â câest seulement pour vous faire comprendre le peu dâimportance que jâattache Ă tout ceci, quant Ă ce qui me concerne.
â Mais câest une chose importante â terriblement importante !
â TrĂšs bien. Alors que deux choses soient irrĂ©vocablement fixĂ©es dans votre esprit, et agissez en consĂ©quence : lâune, que vous devez laisser Llanfeare Ă votre neveu Henry Jones ; lâautre, que je nâĂ©pouserai pas votre neveu Henry Jones. Quand tout ceci sera rĂ©glĂ©, ce sera comme si la vieille propriĂ©tĂ© nâavait jamais cessĂ© dâĂȘtre transmise de mĂąle en mĂąle.
â Je voudrais que cela fĂ»t !
â Moi aussi ; cela vous eĂ»t Ă©pargnĂ© bien du souci.
â Mais ce nâest pas la mĂȘme chose ; â ce ne peut ĂȘtre la mĂȘme chose. En rachetant les terres que votre grand-pĂšre avait vendues, jâai dĂ©pensĂ© lâargent que jâavais rĂ©servĂ© pour vous.
â Ce sera tout Ă fait la mĂȘme chose pour moi, et je serai heureuse de penser que le vieux bien de famille sera transmis dans les conditions que vous voulez. Je puis ĂȘtre fiĂšre de la famille, bien que je ne doive jamais en porter le nom.
â Vous ne vous souciez pas plus de la famille que dâun fĂ©tu de paille.
â Vous ne devriez pas parler ainsi, oncle Indefer ; cela nâest pas. Je me soucie assez de la famille pour sympathiser entiĂšrement avec vous dans tout ce que vous faites, mais pas assez de la propriĂ©tĂ© pour en obtenir une part en sacrifiant ma personne.
â Je ne sais pourquoi vous avez si mauvaise opinion de Henry.
â Et quâest-ce qui me donnerait de lui une assez bonne opinion pour que je consentisse Ă devenir sa femme ? Je ne le sais vraiment pas. En Ă©pousant un homme, une femme doit lâaimer en tout ; satisfaire ses moindres dĂ©sirs doit ĂȘtre son souci ; lui rendre jusquâaux plus vulgaires services doit ĂȘtre son plaisir. Croyez-vous que jâĂ©prouve un tel sentiment Ă lâĂ©gard de Henry Jones ?
â Tout cela, câest de la poĂ©sie, et vous parlez trop comme vos livres.
â Je me ferais honte Ă moi-mĂȘme si jâallais Ă lâautel avec lui. Renoncez Ă cette idĂ©e, oncle Indefer, enlevez-la de votre esprit comme une chimĂšre quâelle est. Câest la seule chose que je ne puisse ni ne veuille faire, mĂȘme pour vous. Câest la seule chose que vous ne devriez pas me demander. Disposez de la propriĂ©tĂ© comme il vous plaĂźt, â comme vous le croyez bon.
â Mais cela ne me plaĂźt pas de faire ce que vous dites.
â Comme votre conscience vous lâordonne, alors. Quant Ă ma personne, la seule petite chose que je possĂšde au monde, jâen disposerai selon mon goĂ»t et selon ma conscience. »
Elle prononça ces derniers mots avec une certaine brusquerie, et quitta la chambre avec un air dâorgueil blessĂ©. CâĂ©tait une petite comĂ©die, quâelle jouait Ă dessein. Si elle affectait une certaine duretĂ© Ă lâĂ©gard de son oncle, si elle sâobstinait Ă ne rien lui cĂ©der, il sâobstinerait, lui aussi, Ă exĂ©cuter son projet, et en souffrirait moins. CâĂ©tait pour elle un devoir de lui faire comprendre quâil avait le droit de disposer Ă son grĂ© de la propriĂ©tĂ©, puisquâelle-mĂȘme prĂ©tendait disposer Ă©galement de sa personne. Non seulement elle ne dirait pas un mot pour le dissuader de modifier ses intentions prĂ©cĂ©dentes, mais encore elle lui rendrait ce changement rĂ©cent moins pĂ©nible, en lâamenant Ă penser quâil Ă©tait justifiĂ© par sa maniĂšre dâĂȘtre envers lui. CâĂ©tait en effet tout un changement qui sâĂ©tait fait dans les idĂ©es du vieillard, et mĂȘme dans ses intentions dĂ©clarĂ©es. Llanfeare appartenait aux Indefer Jones depuis plusieurs gĂ©nĂ©rations. Quand le dernier propriĂ©taire Ă©tait mort, vingt ans auparavant, un seul de ses dix enfants survivait, lâaĂźnĂ©, Ă qui la propriĂ©tĂ© appartenait en ce moment. Quatre ou cinq autres, nĂ©s successivement aprĂšs lui, Ă©taient morts sans enfants. Puis Ă©tait venu un Henry Jones, qui avait quittĂ© le pays, sâĂ©tait mariĂ©, Ă©tait devenu le pĂšre de cet Henry Jones dont il a dĂ©jĂ Ă©tĂ© question, et Ă©tait mort lui aussi. Le plus jeune, une fille, avait Ă©pousĂ© un avouĂ© nommĂ© Brodrick, et Ă©tait mort, ne laissant pas dâautre enfant quâIsabel. M. Brodrick sâĂ©tait remariĂ© et Ă©tait alors le pĂšre dâune nombreuse famille Ă Hereford. Il nâĂ©tait pas dans une trĂšs bonne situation de fortune. La seconde madame Brodrick avait trop montrĂ© sa prĂ©fĂ©rence pour ses propres enfants, et Isabel, Ă lâĂąge de quinze ans, Ă©tait allĂ©e habiter avec son oncle, cĂ©libataire. CâĂ©tait Ă Llanfeare quâelle avait vĂ©cu pendant les dix derniĂšres annĂ©es, faisant de temps en temps une visite Ă son pĂšre, Ă Hereford.
M. Indefer Jones, qui avait en ce moment entre soixante-dix et quatre-vingts ans, avait Ă©tĂ© toute sa vie tourmentĂ© par des rĂ©flexions, des craintes, des espĂ©rances relativement Ă la propriĂ©tĂ© de famille sur laquelle il Ă©tait nĂ©, dans laquelle il avait toujours vĂ©cu, en possession de laquelle il devait certainement mourir, et dont il devait disposer Ă son grĂ© pour lâavenir. La propriĂ©tĂ© lui avait Ă©tĂ© substituĂ©e[1] avant sa naissance, du vivant de son grand-pĂšre, alors que son pĂšre allait se marier ; mais la substitution sâĂ©tait arrĂȘtĂ©e Ă lui. Quant Ă lui, il ne sâĂ©tait pas mariĂ©. Son grand-pĂšre, sâĂ©tant livrĂ© Ă de folles dĂ©penses et ayant Ă©tĂ© souvent Ă court dâargent, avait trouvĂ© plus commode de possĂ©der un bien non substituĂ©. Les circonstances avaient amenĂ© aussi son fils Ă rĂ©aliser de lâargent sur la propriĂ©tĂ©. Ainsi, non seulement depuis quâil Ă©tait lui-mĂȘme en possession, mais dĂšs avant la mort de son pĂšre, notre Indefer avait dĂ» rĂ©flĂ©chir Ă la transmission future de Llanfeare. Ă cinquante ans il Ă©tait cĂ©libataire, et il nâĂ©tait pas vraisemblable quâil dĂ»t cessera de lâĂȘtre. Son frĂšre Henry vivait encore, mais il avait dĂ©shonorĂ© la famille : il sâĂ©tait, enfui avec une femme mariĂ©e, quâil avait Ă©pousĂ©e aprĂšs un divorce ; il Ă©tait assidu aux courses et frĂ©quentait les salles de billard ; il sâĂ©tait rendu odieux Ă son frĂšre Indefer. NĂ©anmoins, le fils qui Ă©tait nĂ© de ce mariage, Henry, avait Ă©tĂ© Ă©levĂ© Ă ses frais et quelquefois reçu Ă Llanfeare. Il nây avait plu Ă personne : câĂ©tait un enfant sournois, menteur, et comme les domestiques eux-mĂȘmes le disaient, ce nâĂ©tait pas un Jones. Cependant, Isabel avait Ă©tĂ© amenĂ©e Ă Llanfeare. Henry sâĂ©tait fait renvoyer dâOxford pour une faute qui nâĂ©tait pas sans gravitĂ©, et son oncle sâĂ©tait dit et avait dĂ©clarĂ© Ă tout le monde que Llanfeare ne lui appartiendrait jamais.
Isabel lui avait inspirĂ© tant dâaffection que, deux ans Ă peine aprĂšs son arrivĂ©e Ă Llanfeare, elle y Ă©tait devenue la maĂźtresse. Tout ce quâelle faisait, son oncle le trouvait bien ; tout ce quâelle aurait demandĂ©, elle lâeĂ»t obtenu ; mais elle ne demandait rien. Ă cette Ă©poque, le cousin avait Ă©tĂ© placĂ© dans des bureaux, Ă Londres, et Ă©tait devenu â du moins, on le disait â un travailleur sĂ©rieux. Cependant, quand il lui Ă©tait permis de se montrer Ă Llanfeare, il continuait Ă dĂ©plaire Ă tout le monde, sauf peut-ĂȘtre au vieillard. Il Ă©tait certain que, dans son emploi, il se rendait utile, et il semblait quâil eĂ»t perdu lâhabitude de faire des dettes et dâenvoyer les billets Ă Llanfeare, pratique quâil avait suivie au commencement de sa carriĂšre.
Pendant tout ce temps, le vieillard Ă©tait dans la plus pĂ©nible hĂ©sitation au sujet de la transmission de la propriĂ©tĂ©. Son testament Ă©tait toujours Ă la portĂ©e de sa main. Jusquâau moment oĂč Isabel atteignit vingt et un ans, ce testament avait Ă©tĂ© fait en faveur de Henry, avec cette clause pourtant, quâune somme dâargent, que possĂ©dait le testateur, appartiendrait Ă Isabel. Ensuite, son antipathie pour son neveu changea ses intentions : il fit un autre testament, en faveur de sa niĂšce. Les choses en restĂšrent lĂ pendant trois ans ; mais ce furent pour lui trois annĂ©es de tourments. Il sâĂ©tait fait difficilement Ă la pensĂ©e que la propriĂ©tĂ© passerait en dehors de ce quâil appelait la ligne mĂąle directe. Selon lui, câĂ©tait par accident que le pouvoir de disposer de la propriĂ©tĂ© Ă©tait dans ses mains. CâĂ©tait un principe auquel il fallait obĂ©ir religieusement que, dans lâAngleterre, une terre passĂąt du pĂšre au fils aĂźnĂ©, et, Ă dĂ©faut du fils, Ă lâhĂ©ritier mĂąle le plus proche. LâAngleterre ne serait pas ruinĂ©e parce que Llanfeare serait transmis en dehors de lâordre rĂ©gulier, mais lâAngleterre serait ruinĂ©e si les Anglais nâaccomplissaient pas les devoirs qui leur incombaient Ă chacun dans la situation Ă laquelle Dieu les avait appelĂ©s ; et, dans ce cas, son devoir Ă lui Ă©tait de maintenir le vieil ordre de choses.
Cependant, un nouveau souci Ă©tait venu sâajouter aux autres. AprĂšs quâil se fut dĂ©cidĂ© Ă agir contrairement Ă ses principes et Ă donner satisfaction Ă ses sentiments, aprĂšs quâil eut dĂ©clarĂ© Ă son neveu et Ă sa niĂšce quâIsabel serait son hĂ©ritiĂšre, il eut une consolation dans ses ennuis : il put racheter un morceau de terre que son pĂšre avait vendu. Il avait toujours souffert de voir ces quelques arpents dĂ©tachĂ©s de la propriĂ©tĂ©, non parce que son bien en Ă©tait amoindri, mais parce que, selon lui, un propriĂ©taire ne devait pas se permettre de diminuer sa terre, pendant quâil lâavait en sa possession. Afin de pouvoir les racheter, il avait Ă©conomisĂ© de lâargent depuis que Llanfeare Ă©tait entre ses mains. Puis Ă©tait survenue la nĂ©cessitĂ© de pourvoir Ă lâavenir dâIsabel. Mais quand il eut en gĂ©missant, dĂ©cidĂ©, quâIsabel serait son hĂ©ritiĂšre, il avait pu employer lâargent Ă lâaccomplissement de son premier dessein, et il lây avait employĂ© en effet. Alors, il nâavait pu supporter les reproches de sa conscience, et il avait fait un nouveau testament.
On verra comment il avait essayĂ© de concilier les choses. Quand on sut que Henry Jones Ă©tait un travailleur sĂ©rieux, dans les bureaux de Londres auxquels il Ă©tait attachĂ©, quâil avait jetĂ© ses premiers feux, lâoncle Indefer commença Ă se demander si tout ne pouvait pas ĂȘtre arrangĂ© par un mariage entre les cousins. « Il y a bien lieu de parler de ses feux, » avait dit Isabel en plaisantant, quand lâidĂ©e de ce mariage lui avait Ă©tĂ© suggĂ©rĂ©e pour la premiĂšre fois. « Je les trouve bien Ă©teints. Il nâose regarder personne en face. » Son oncle sâĂ©tait alors fĂąchĂ© de ce que, par une sotte observation, elle empĂȘchait leur bonheur Ă tous.
Mais son irritation contre elle sâapaisait toujours vite ; et, avant le moment oĂč notre histoire commence, il sâĂ©tait dĂ©jĂ aperçu quâIsabel redoutait moins sa colĂšre, que lui-mĂȘme celle de sa niĂšce. Elle avait une fermetĂ© que rien ne pouvait vaincre. Elle avait grandi sous ses yeux, forte, courageuse, quelquefois presque hardie, avec une pointe dâoriginalitĂ© ; quand elle avait estimĂ© quâune chose Ă©tait juste ou injuste, elle ne revenait pas sur son jugement. Il avait eu, ou peu sâen fallait, peur dâelle, quand il sâĂ©tait vu forcĂ© de lui dire la dĂ©cision Ă laquelle sa conscience lâavait obligĂ©. Mais le testament Ă©tait fait â le troisiĂšme, peut-ĂȘtre le quatriĂšme ou le cinquiĂšme quâil sâĂ©tait fait devoir dâĂ©crire, depuis le commencement de ses hĂ©sitations. Par ce testament, sur lequel il se promit de ne plus revenir, il laissait Llanfeare Ă son neveu, Ă la seule condition quâil ajoutĂąt le nom dâIndefer Ă celui de Jones, et stipulait, par certaines clauses, la reprise de la substitution. Enfin, tout ce quâil possĂ©derait Ă sa mort, exceptĂ© Llanfeare et le mobilier de la maison, il le laissait Ă sa niĂšce Isabel.
« Il faut vendre les chevaux, lui dit-il, quinze jours environ aprÚs la conversation que nous avons rapportée.
â Pourquoi donc ?
â Mon testament est fait, et vous devez avoir si peu, quâil nous faut mettre de cĂŽtĂ© le plus dâargent possible avant ma mort.
â Mon Dieu ! Quel tourment !
â Croyez-vous que ce ne soit pas une terrible pensĂ©e pour moi que celle du peu de bien que je puis vous faire ? Peut-ĂȘtre vivrai-je encore deux ans ; nous pourrons Ă©conomiser six ou sept cents livres par an. Jâai mis sur la terre une charge de quatre mille livres. La propriĂ©tĂ© est peu de chose, aprĂšs tout ; elle ne rapporte pas plus de quinze cents livres par an.
â Je ne veux pas entendre parler de vendre les chevau...
