Les Visiteurs
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Les Visiteurs

About this book

M de Salinis vit avec ses 3 filles, Anne-Marie, Ines et Henriette. Chacune a son caractere et la vie n'est pas toujours simple surtout lorsque ces memes filles sont toutes éprises de Gilbert, le mari d'Anne-Marie. Mais qui aime vraiment qui?...

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Information

I

– OĂč est Monsieur ?
Justinien, le valet de chambre, avait pris le sac Ă  main de Mlle de Salinis et la valise que le chauffeur du taxi s’était obstinĂ© Ă  ne pas lui tendre. Il les avait dĂ©posĂ©s sous la marquise, sur une marche du perron. Le bruit des gouttes de pluie faisait de chaque feuille de platane un instrument de musique d’une sonoritĂ© diffĂ©rente.
– M. de Salinis est dans sa chambre. Je crois qu’il est souffrant.
InÚs rougit légÚrement.
– Non. Je veux parler de M. Chasteuil.
– M. Chasteuil est auprùs de Madame.
Inùs rougit de nouveau, comme si elle avait le sentiment d’une faute.
– L’état se maintient, dit Justinien, rĂ©pondant Ă  une question que la jeune fille n’avait pas posĂ©e. Le docteur Gombert ne peut pas se prononcer encore.
– Eh bien ! Justinien, payez le chauffeur. Je n’ai pas de monnaie.
– Pourquoi Mademoiselle n’a-t-elle prĂ©venu personne de son retour ? Gaston serait allĂ© Ă  la gare avec la voiture.
– Je suis partie comme une folle, dĂšs que j’ai reçu la dĂ©pĂȘche de M. Gilbert. Je ne savais mĂȘme pas Ă  quelle heure je trouverais un train. Et puis, je ne voulais causer aucun dĂ©rangement. DĂšs qu’il y a un malade dans une maison

Elle n’acheva pas sa phrase.
Le danger qui menaçait sa sƓur lui causait un tel malaise que son esprit butait sur cette pensĂ©e comme sur un obstacle. Elle tira un rĂ©cipissĂ© de son sac et le donna Ă  Justinien.
– Si Gaston n’a rien Ă  faire, qu’il aille retirer ma malle Ă  la gare. Mais ce n’est pas pressĂ©, j’ai emportĂ© l’essentiel avec moi.
Justinien s’inclina respectueusement pour s’emparer de la feuille administrative. C’était un domestique par vocation, qui, Ă  soixante-huit ans, estimait encore que l’exĂ©cution d’un ordre donnĂ© est une faveur accordĂ©e par le destin ; ou plutĂŽt, c’était un courtisan. Et il partageait les joies, les anxiĂ©tĂ©s et les intrigues des courtisans. À la fois prudent et astucieux, familier et contenu, il avait leur mĂ©lange d’arrogance, d’affectation, de tact et d’impersonnalitĂ©.
InĂšs entra dans le chĂąteau. Le hall prenait dĂ©jĂ  l’air abandonnĂ© des maisons oĂč le chagrin et l’angoisse disposent des choses. Personne ; dans un coin, un Ă©norme bouquet de chrysanthĂšmes vieux-rose qui achevait de se faner dans un vase de Chine Ă  dĂ©cor vert, posĂ© Ă  mĂȘme le dallage.
On apercevait, par la porte entr’ouverte du grand salon, les arbres du parc, immobiles dans l’averse, et qui avaient sous le ciel froid la couleur des haillons et des ruines.
InĂšs s’arrĂȘta au pied de l’escalier, Ă©puisĂ©e par les Ă©motions qui battaient son cƓur. Elle ne savait ni ce qu’elle voulait, ni ce qu’elle cherchait ; tant de souffrances la harcelaient qu’elle ne savait plus oĂč Ă©tait sa vraie souffrance.
Comme elle arrivait sur le palier du premier Ă©tage, une porte s’ouvrit et sa sƓur Henriette parut, mince, petite, le visage rond, avec des yeux clairs, qui semblaient Ă©tonnĂ©s de tout, et des cheveux chĂątains dont les boucles, naturellement ondulĂ©es, flattaient sa nuque.
– Et Anne-Marie ?
Henriette Ă©carta les deux bras, comme si la fatalitĂ© mĂȘme la forçait Ă  les ouvrir ainsi.
– Mal. Trùs mal. Que faire ?
– Comment est Gilbert ?
Henriette leva la tĂȘte, regarda sa sƓur avec colĂšre et dit d’une voix soudain aiguĂ« oĂč perçait de l’irritation :
– Eh bien ! Comment veux-tu qu’il soit, sinon dĂ©sespĂ©rĂ© ?
– Et pùre ?
– Pùre ?
Elle ricana aigrement :
– Tu n’ignores pas sa façon de se comporter dans de pareilles circonstances. Il ne nous est d’aucun secours. Il n’est bon Ă  rien, il tourne en rond, il pleure, il pose cent questions saugrenues, puis quand il n’en peut plus, il va se coucher sous le prĂ©texte qu’il n’est pas fait pour les grandes Ă©motions
 Tu l’as vu, lors de la mort de maman, n’est-ce pas ? Il est encore pire. Je ne sais pas, au juste, si c’est un Ă©goĂŻste ou une nature trop sensible : peut-ĂȘtre est-ce la mĂȘme chose.
InĂšs Ă©tait entrĂ©e dans la chambre de sa sƓur. Le premier objet qui frappa son regard fut une petite commode de miroirs, toute neuve, Ă  tiroirs de verre gravĂ©, et, sur cette commode, deux grandes photographies encadrĂ©es d’argent ; elles reprĂ©sentaient Anne-Marie et Gilbert Chasteuil. InĂšs ne put s’empĂȘcher de s’approcher d’elles comme pour les examiner de plus prĂšs. Mais ce fut le portrait de son beau-frĂšre qu’elle considĂ©ra seulement.
– Je ne connaissais pas cette photo, dit-elle. Elle est nouvelle ?
Henriette ne répondit pas à la question.
– Tu as mauvaise mine, dit-elle.
– Depuis que j’ai reçu la dĂ©pĂȘche de Gilbert, je ne suis pas prĂ©cisĂ©ment joyeuse.
– Et avant ?
– Je me portais bien. Les BĂ©rage sont si dĂ©licieux ! Tout le monde s’occupait de moi avec une telle sollicitude
 Comment n’aurais-je pas Ă©tĂ© satisfaite ?
– Nous ne te manquions pas trop ? demanda sarcastiquement Henriette.
– Pas toi, en tout cas.
– Allons, je vois que rien n’est changĂ© Ă  nos bons rapports.
InĂšs fit semblant de ne pas avoir entendu afin de ne pas ĂȘtre obligĂ©e de rĂ©pondre.
– Enfin, dit-elle, Anne-Marie est-elle, oui ou non, en danger ?
– Qui le sait ? Gilbert a exigĂ© une consultation. Jusqu’ici, le docteur Gombert a Ă©tĂ© hostile Ă  cette idĂ©e. Mais demain, Mazoullier doit venir.
– Peut-on voir Anne-Marie ?
– Elle est si faible ! Gombert lui dĂ©fend de parler.
– Je vais chez moi, dit Inùs.
Elle y trouva sa femme de chambre qui venait d’ouvrir la valise et qui faisait sa couverture.
C’était une fille trĂšs brune, avec de beaux yeux noirs et un visage plat ; elle Ă©tait Bordelaise. Quand elle vit entrer Mlle de Salinis, des larmes parurent entre ses paupiĂšres.
– Ah ! Mademoiselle, s’écria-t-elle, qui nous aurait dit quand Mlle InĂšs est partie, il y a trois mois, qu’elle reviendrait pour trouver Mme Chasteuil dans un tel Ă©tat ?
– Il faut espĂ©rer, ma bonne Delphine.
– Bien sĂ»r Mademoiselle. Quand mĂȘme, nous autres, on n’a pas confiance. On ne sait pas pourquoi, par exemple. Tout de suite, la pauvre Madame a paru si mal ! Il est vrai que depuis trois mois, ça n’allait plus. On ne savait pas ce qu’elle avait. Nous autres, on pensait quelquefois qu’elle avait perdu le goĂ»t de la vie.
InĂšs tressaillit.
– Ne dites pas cela, Delphine, c’est trop affreux. Qui a pu vous faire penser quelque chose de semblable ?
– Oh ! Mademoiselle, on n’est sĂ»r de rien, est-ce pas ? Mais quelquefois, quand Jeanne entrait chez Madame, elle voyait bien qu’elle venait de pleurer. Et M. Gilbert n’était pas gai non plus. Il faisait peine Ă  voir. Ce n’était un secret pour personne Ă  l’office que ces deux ĂȘtres-lĂ  se rongeaient

– Ne croyez pas cela, Delphine, dit la jeune fille d’une voix Ă©touffĂ©e. M. Gilbert et sa femme Ă©taient parfaitement heureux.
– Oui. Ils voulaient vous le faire croire, et à Monsieur aussi, et à Mlle Henriette. Mais demandez à Justinien, à Jeanne, à Louisa, à Gaston ce qu’ils pensent là-dessus. Voyez-vous, Mademoiselle, c’est nous qui voyons les choses : pas vous.
InĂšs s’était assise dans une petite bergĂšre basse qu’elle aimait. Elle promenait lentement ses regards autour d’elle sur la cheminĂ©e, Gilbert et Anne-Marie triomphaient aussi dans de grands cadres. À cĂŽtĂ© d’eux, le portrait de la mĂšre d’InĂšs, un visage doux, trĂšs triste, avec des cheveux prĂ©maturĂ©ment blanchis, et celui de M. de Salinis. Henriette manquait Ă  cette petite galerie de famille, comme InĂšs Ă©tait absente de la chambre de sa sƓur. Un vase de Venise, dont une chimĂšre formait l’anse, un crucifix d’ivoire, une mouette en porcelaine de Copenhague et un coffret de laque blanche se suivaient devant les cadres : vivante image du dĂ©sordre d’esprit dans lequel vivait InĂšs.
Delphine sortit ; Mlle de Salinis resta immobile. Elle Ă©tait devenue une Ă©trangĂšre dans sa propre chambre, une Ă©trangĂšre pour Henriette. Elle avait tellement changĂ© depuis trois mois ! Elle se leva au bout d’un quart d’heure et ouvrit la fenĂȘtre. Il ne pleuvait plus. Le chĂąteau de Laurette Ă©tait situĂ© assez haut pour que le moutonnement de la mer dominĂąt celui des arbres. Au sommet de la colline, Ă  droite, au-dessus d’un fourmillement de pins, se hĂ©rissait un ensemble de murs blancs, vaguement oriental, faisant penser Ă  une piĂšce de pĂątisserie.
En ce moment, des nuages s’assemblaient au-dessus de la mer ; noirs, dĂ©chiquetĂ©s, ils ouvraient dans tous les sens des dĂ©coupures hargneuses entre lesquelles flottait un vaste lac d’or. Ce lac semblait inviolable et d’une miraculeuse beautĂ©. Il ne correspondait ni Ă  ces formes de harpies et d’aigles qui s’emparaient du ciel, ni Ă  la couleur plombĂ©e, lourde, remuante de la MĂ©diterranĂ©e. C’était comme une oasis rayonnante entre des tourmentes diverses. InĂšs eut presque peur de ces becs, de ces griffes, de ces caps qui hachaient et mordaient les bords de la sainte surface.
– Non, dit-elle Ă  mi-voix, je n’ai rien Ă  espĂ©rer, plus rien Ă  espĂ©rer

Elle revint s’asseoir devant la croisĂ©e ouverte ; elle avait joint les mains sur ses genoux. Comme elle ne faisait plus l’effort de penser, des choses tronquĂ©es, Ă  demi informes, s’ébauchaient dans les limbes de son esprit, pareilles Ă  des Ă©chos de musique, trĂšs lointains, Ă  peine entendus, entrecoupĂ©s par les quatre vents d’une forĂȘt : souvenirs d’enfance, intonations de voix de sa mĂšre, anciens gestes de tendresse d’Anne-Marie, au temps de leur intimitĂ©, promenade sur la plage, un soir, oĂč InĂšs avait eu une crise de tristesse si violente qu’elle avait dĂ» s’asseoir en attendant que cet accĂšs se fĂ»t affaibli suffisamment pour qu’elle pĂ»t reprendre sa marche, mouvements que faisait son lĂ©vrier ZĂ©nith quand il posait son long museau sur ses genoux en la suppliant de faire pour lui quelque chose qu’elle n’avait pas compris, qu’elle ne comprendrait plus maintenant.
Le lac d’or s’effaçait au-dessus de la mer bousculĂ©e par d’invisibles batteuses. Il ne restait de sa prĂ©sence qu’un flot fluide et mince, ensablĂ© par les dĂ©pĂŽts Ă©paissis des nuages. Il ne luttait pas, il acceptait de s’éteindre. Jamais cette minute ne reviendrait, jamais cet Ă©clat incroyable d’un tout petit bout de ciel n’étendrait de nouveau un espace vierge entre ces nues opaques et ces vagues rebelles. Dernier espoir de quelque chose qui aurait pu avoir lieu ! Dernier rayonnement d’un paysage impossible !
À ce moment, le visage de Gilbert lui revint Ă  l’esprit avec une prĂ©cision inhabituelle.
Pourquoi ces caprices de l’imagination, ces dĂ©sobĂ©issances du souvenir ? Telle figure Ă  demi oubliĂ©e reparaĂźt soudain avec le relief d’un marbre posĂ© devant nous, alors que des traits que l’on contemplait en soi-mĂȘme se fondent dans l’indĂ©cision d’une photographie voilĂ©e.
 Suffisait-il que Gilbert fĂ»t Ă  quelques mĂštres de lĂ , dans la chambre de sa femme, pour que sa prĂ©sence toute voisine poussĂąt hors de lui son image, comme une tige de bois enroulĂ©e de papier rose projette au plus haut du ciel une fusĂ©e ?
Dans cet Ă©clair, elle avait tout vu : ce visage toujours jeune que l’on aurait voulu griffer afin d’en humilier la fraĂźcheur impertinente ; cet Ɠil mordorĂ© qui riait de coin, avec une malice tendre, sous des paupiĂšres presque bridĂ©es : ce teint mat, inaltĂ©rable, qu’aucune fatigue ne ternissait ; ce bout de moustache noire, carrĂ©e, qui avait la forme d’un timbre-poste, – d’un timbre-poste inconnu, tĂ©moignage de quelque Ăźle de pirates, – posĂ© au-dessus de la lĂšvre ; ce nez mince, fin, relevĂ© du bout ; ces cheveux souples, un peu longs, dont une mĂšche de soie bordait le front.
L’image s’effaça ; le lac d’or Ă©tait Ă©teint ; il avait sombrĂ© totalement sous le dĂ©ferlement des nuages. Que ferait Gilbert en face du malheur, si celui-ci triomphait ? Comment souffrirait-il, s’il savait souffrir ?
Un cri Ă©touffĂ© traversa l’esprit de la jeune fille ; un de ces cris que le larynx Ă©bauche, que la langue ne façonne pas et qui sont un Ă©lan musculaire rĂ©sorbĂ© en idĂ©e pure.
– Que rien n’arrive ! Que rien n’arrive !
Des bribes de priĂšres, des dĂ©sirs de neuvaines, des remords confus s’emparaient maintenant de sa pensĂ©e Ă  demi vacante ; tout cela Ă©mergeait par bouffĂ©es d’un passĂ© encore rĂ©cent, du temps oĂč elle avait la foi. Elle se souvint d’une oraison fameuse qu’elle avait apprise alors et de sa phrase la plus dĂ©chirante : « Ayez pitiĂ© de ceux qui s’aiment et qui ont Ă©tĂ© sĂ©parĂ©s
 » Elle n’avait jamais pu prononcer ces mots sans que des larmes lui vinssent aux yeux. Elle la rĂ©pĂ©ta Ă  voix haute, la voix tremblante : « Seigneur, ayez pitiĂ© de ceux qui s’aiment et qui ont Ă©tĂ© sĂ©parĂ©s ! » Les larmes coulaient maintenant sur ses joues. À qui pensait-elle en invoquant ceux qui s’aiment et qui ont Ă©tĂ© sĂ©parĂ©s ? À deux personnes en particulier, ou Ă  toutes ?
Dans les ombres du soir, elle entrevoyait un lent dĂ©filĂ© de couples qui se tendaient les bras de loin, sĂ©parĂ©s les uns des autres par des dĂ©mons armĂ©s de piques ; des cortĂšges de femmes sanglotantes et d’hommes suppliants ; et ces masses Ă©plorĂ©es glissaient, glissaient sans fin dans deux directions diffĂ©rentes. Ainsi Gilbert serait-il chassĂ© d’Anne-Marie ; ainsi serait-elle elle-mĂȘme exilĂ©e de lui. Et des vapeurs de soufre tournaient lourdement, tournaient sans fin entre les grandes murailles de schiste.
Ses larmes coulaient toujours, lui glaçant les joues. « Ayez pitiĂ© de la solitude du cƓur ! » Cette phrase se trouvait-elle dans la priĂšre de l’abbĂ© Perreyve ou bien l’y avait-elle ajoutĂ©e ? Mais qui Ă©chappe Ă  la solitude du cƓur ?
Elle cessa de pleurer. Elle savait combien l’émotion qui avait amenĂ© ces larmes Ă©tait superficielle, physique, sans nĂ©cessitĂ©. Un tout petit effort de volontĂ© avait tari ses glandes lacrymales ; il ne s’agissait ni de vĂ©ritable angoisse, ni de douleur profonde. Elle souffrait de façon diffuse, comme d’une courbature morale qui, ne s’étant encore fixĂ©e nulle part, n’avait pas choisi son point de flamme et d’élancement.
Elle frissonna. Le soir apportait sa caresse froide, son effleurement perfide.
« Assez d’une malade dans la maison ! pensa InĂšs. Ce n’est pas le moment de mourir
 »
À quel vƓu s’appliquait cette phrase ambiguĂ« ? La jeune fille n’y arrĂȘta pas sa pensĂ©e. Elle l’avait formulĂ©e machinalement. En fermant la fenĂȘtre, elle s’étonna de n’avoir pas rendu visite Ă  son pĂšre depuis son retour. Elle l’aimait cependant, et d’une affection vĂ©ritable qu’elle ressentait dans ses fibres les plus intimes, dans ces nƓuds vivants oĂč l’amour se fait chair, et souffrance, et instinct. Mais rien ne la rebutait en ce moment comme la conversation qu’elle devrait avoir avec lui et dont la maladie d’Anne-Marie ferait l’objet. Elle se souvint de la phrase mĂ©chante d’Henriette : « ExcĂšs de sensibilitĂ© ? ÉgoĂŻsme ? » Il y avait dans la nature de sa sƓur quelque chose de sec et de sournois, une maniĂšre de dĂ©nigrement systĂ©matique. PĂšre est adorable, pensa InĂšs, mais si faible devant la vie
 Et puis il a tant souffert ! » Ici, un doute effleura son esprit. Était-ce le chagrin, comme ses filles le supposaient, qui a...

Table of contents

  1. Titre
  2. I
  3. II
  4. III
  5. IV
  6. V
  7. VI
  8. VII
  9. VIII
  10. IX
  11. X
  12. XI
  13. XII
  14. XIII
  15. XIV
  16. XV
  17. XVI
  18. XVII
  19. XVIII
  20. XIX
  21. XX
  22. XXI
  23. XXII
  24. XXIII
  25. XXIV
  26. XXV
  27. XXVI
  28. XXVII
  29. XXVIII
  30. XXIX
  31. XXX
  32. XXXI
  33. À propos de cette Ă©dition Ă©lectronique