Je dois trop au beau sexe ; il me fait trop dâhonneur
De lire ces rĂ©cits ; si tant est quâil les lise.
Pourquoi non ? câest assez quâil condamne en son cĆur
Celles qui font quelque sottise.
Ne peut-il pas sans quâil le dise,
Rire sous cape de ces tours,
Quelque aventure quâil y trouve ?
Sâils sont faux, ce sont vains discours ;
Sâils sont vrais, il les dĂ©sapprouve.
Irait-il aprĂšs tout sâalarmer sans raison
Pour un peu de plaisanterie ?
Je craindrais bien plutĂŽt que la cajolerie
Ne mĂźt le feu dans la maison.
Chassez les soupirants, belles, souffrez mon livre ;
Je réponds de vous corps pour corps :
Mais pourquoi les chasser ? ne saurait-on bien vivre
Quâon ne sâenferme avec les morts ?
Le monde ne vous connaĂźt guĂšres,
Sâil croit que les faveurs sont chez vous familiĂšres :
Non pas que les heureux amants
Soient ni phénix ni corbeaux blancs ;
Aussi ne sont-ce fourmiliĂšres.
Ce que mon livre en dit, doit passer pour chansons.
Jâai servi des beautĂ©s de toutes les façons :
Quâai- je gagnĂ© ? trĂšs peu de chose ;
Rien. Je mâaviserais sur le tard dâĂȘtre cause
Que la moindre de vous commĂźt le moindre mal !
Contons ; mais contons bien ; câest le point principal ;
Câest tout : Ă cela prĂšs, censeurs, je vous conseille
De dormir comme moi sur lâune et lâautre oreille.
Censurez tant quâil vous plaira
Méchants vers, et phrases méchantes ;
Mais pour bons tours, laissez-les lĂ ;
Ce sont choses indifférentes ;
Je nây vois rien de pĂ©rilleux.
Les mĂšres, les maris, me prendront aux cheveux
Pour dix ou douze contes bleus !
Voyez un peu la belle affaire !
Ce que je nâai pas fait mon livre irait le faire !
Beau sexe, vous pouvez le lire en sûreté ;
Mais je voudrais mâĂȘtre acquittĂ©
De cette grĂące par avance.
Que puis-je faire en récompense ?
Un conte ou lâon va voir vos appas triompher :
Nulle précaution ne les peut étouffer.
Vous auriez surpassĂ© le printemps et lâaurore
Dans lâesprit dâun garçon, si des ses jeunes ans,
Outre lâĂ©clat des cieux, et les beautĂ©s des champs,
Il eût vu les vÎtres encore.
Aussi dĂšs quâil les vit il en sentit les coups ;
Vous surpassĂątes tout ; il nâeut dâyeux que pour vous ;
Il laissa les palais : enfin votre personne
Lui parut avoir plus dâattraits
Que nâen auraient Ă beaucoup prĂšs
Tous les joyaux de la Couronne.
On lâavait dĂšs lâenfance Ă©levĂ© dans un bois.
LĂ son unique compagnie
Consistait aux oiseaux : leur aimable harmonie
Le désennuyait quelquefois.
Tout son plaisir Ă©tait cet innocent ramage :
Encor ne pouvait-il entendre leur langage.
En une Ă©cole si sauvage
Son pĂšre lâamena dĂšs ses plus tendres ans.
Il venait de perdre sa mĂšre ;
Et le pauvre garçon ne connut la lumiÚre
Quâafin quâil ignorĂąt les gens :
Il ne sâen figura pendant un fort long temps
Point dâautres que les habitants
De cette forĂȘt ; câest-Ă -dire
Que des loups, des oiseaux, enfin ce qui respire
Pour respirer sans plus, et ne songer Ă rien.
Ce qui porta son pĂšre Ă fuir tout entretien,
Ce furent deux raisons ou mauvaises ou bonnes ;
Lâune la haine des personnes,
Lâautre la crainte ; et depuis quâĂ ses yeux
Sa femme disparut sâenvolant dans les Cieux,
Le monde lui fut odieux :
Las dây gĂ©mir, et de sây plaindre,
Et partout des plaintes ouĂŻr,
Sa moitié le lui fit par son trépas haïr,
Et le reste des femmes craindre.
Il voulut ĂȘtre ermite ; et destina son fils
Ă ce mĂȘme genre de vie.
Ses biens aux pauvres départis,
Il sâen va seul, sans compagnie
Que celle de ce fils, quâil portait dans ses bras :
Au fond dâune forĂȘt il arrĂȘte ses pas.
(Cet homme sâappelait Philippe, dit lâhistoire.)
LĂ , par un saint motif, et non par humeur noire,
Notre ermite nouveau cache avec trĂšs grand soin
Cent choses Ă lâenfant ; ne lui dit prĂšs ni loin
Quâil fut au monde aucune femme,
Aucuns désirs, aucun amour ;
Au progrÚs de ses ans réglant en ce séjour
La nourriture de son Ăąme.
Ă cinq il lui nomma des fleurs, des animaux ;
Lâentretint de petits oiseaux ;
Et parmi ce discours aux enfants agréable,
MĂȘla des menaces du diable ;
Lui dit quâil Ă©tait fait dâune Ă©trange façon :
La crainte est aux enfants la premiÚre leçon.
Les dix ans expirés, matiÚre plus profonde
Se mit sur le tapis : un peu de lâautre monde
Au jeune enfant fut révélé ;
Et de la femme point parlé.
Vers quinze ans lui fut enseigné,
Tout autant que lâon put, lâauteur de la nature ;
Et rien touchant la créature.
Ce propos nâest alors dĂ©jĂ plus de saison
Pour ceux quâau monde on veut soustraire ;...