Princesse Brambilla
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«Un caprice dans la maniere de Jacques Callot» - 1820 - Préface de Stefan Zweig
Le caprice (capriccio en italien) désigne a l'origine une forme picturale créée en 1617 par Jacques Callot pour Cosme II de Médicis, qu'il intitule Capriccii di varie figure: elle représente des éléments architecturaux disposés de maniere tres libre et fantaisiste. Le terme est également courant en musique pour évoquer une série d'improvisations et dans la critique littéraire pour exprimer la liberté prise par l'écrivain humoristique.
Le roman se déroule a Rome au XVIIIe siecle pendant le carnaval, moment ou l'ordre est temporairement suspendu et ou les identités se confondent sous les masques. Dans le premier chapitre, Giglio Fava, un médiocre comédien, joue le rÎle du prince Taer dans la piece de Gozzi, Le Monstre turquin, et raconte un reve dans lequel une princesse lui déclarait sa flamme. Sa fiancée, cependant, Giacinta Soarti, une jolie couturiere, se lamente sur sa pauvreté, alors qu'elle est en train de mettre la main a une robe magnifique destinée a un client inconnu. Obsédés l'un et l'autre par des reves romantiques, leur vive imagination les amene a confondre leurs fantaisies avec la réalité. Ils en viennent ainsi a assumer une seconde vie, sous la forme de la princesse Brambilla et de son amant le prince assyrien Cornelio Chiapperi, aidés en cela par la magie du charlatan Celionati, qui donne en outre a Giglio une leçon de comédie, corrigeant son jeu pompeux et déclamatoire, que sa vanité l'empechait de voir. Sous son influence, de meme, Giglio et Giacinta s'éprennent respectivement de la princesse Brambilla et du prince assyrien Cornelio.. (Wikipedia)

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Information

Chapitre 1

Magiques effets d’un riche vĂȘtement sur une jeune modiste. – DĂ©finition du comĂ©dien qui joue les amoureux. – De la smorfia des jeunes filles italiennes. – Comment un petit homme vĂ©nĂ©rable s’occupe de sciences tout en Ă©tant assis dans une tulipe et comment d’honorables dames font du filet entre les oreilles de haquenĂ©es. – Le charlatan Celionati et la dent du prince assyrien. – Bleu de ciel et rose. – Le pantalon et la bouteille de vin au contenu merveilleux.
C’était le soir, le crĂ©puscule tombait et dans les couvents sonnait l’angĂ©lus. Alors la jolie et charmante enfant appelĂ©e Giacinta Soardi mit de cĂŽtĂ© le riche costume de femme, en lourd satin rouge, Ă  la garniture duquel elle avait travaillĂ© avec application, et elle regarda d’un air mĂ©content, par la haute fenĂȘtre, dans la rue Ă©troite et triste oĂč il n’y avait personne.
Cependant, la vieille BĂ©atrice ramassait soigneusement les travestis bariolĂ©s, de toute espĂšce, qui Ă©taient Ă©pars sur des tables et des chaises, dans la petite chambre, et elle les suspendait l’un aprĂšs l’autre. Puis, les deux bras campĂ©s sur les hanches, elle se plaça devant l’armoire ouverte et dit joyeusement :
– Vraiment, Giacinta, cette fois-ci nous avons bien travaillĂ©. Il me semble avoir ici devant les yeux la moitiĂ© de notre joyeux monde du Corso carnavalesque. Jamais encore, Ă  vrai dire, messer Bescapi ne nous a fait d’aussi riches commandes. Il sait, sans doute, que notre belle ville de Rome, cette annĂ©e, sera de nouveau toute Ă©clatante de joie, de magnificence et de somptuositĂ©. Tu verras, Giacinta, quel dĂ©bordement d’allĂ©gresse il y aura demain, premier jour de notre Carnaval. Et demain, demain, messer Bescapi rĂ©pandra sur nous toute une poignĂ©e de ducats, tu verras, Giacinta. Mais qu’as-tu, mon enfant ? Tu baisses la tĂȘte, tu es chagrine, boudeuse ! Et demain c’est le Carnaval !
Giacinta s’était remise sur sa chaise de travail et, la tĂȘte appuyĂ©e dans ses mains, elle regardait fixement vers le sol, sans faire attention aux paroles de la vieille femme. Mais, comme celle-ci ne cessait de papoter sur les plaisirs du Carnaval, Ă  la veille duquel on Ă©tait, Giacinta se mit Ă  dire :
– Taisez-vous donc, la vieille ; ne parlez pas d’une Ă©poque qui a beau ĂȘtre belle pour d’autres, si elle ne m’apporte Ă  moi que du chagrin et de l’ennui. À quoi me sert de travailler jour et nuit ? À quoi me servent les ducats de messer Bescapi ? Ne sommes-nous pas d’une pauvretĂ© lamentable ? Ne devons-nous pas veiller Ă  ce que le gain de ces jours-ci dure assez pour nous nourrir bien chichement pendant toute l’annĂ©e ? Que nous reste-t-il pour notre amusement ?
– Notre pauvretĂ©, – rĂ©pliqua la vieille BĂ©atrice, – qu’a-t-elle Ă  voir avec le Carnaval ? L’annĂ©e derniĂšre, ne nous sommes-nous pas promenĂ©es depuis le matin jusque trĂšs tard dans la nuit, et n’avais-je pas bon air, un air trĂšs distinguĂ©, travestie en Dottore ? Et nous nous donnions le bras et tu Ă©tais ravissante en jardiniĂšre, – hi, hi ! et les plus beaux masques couraient aprĂšs toi et te dĂ©bitaient des paroles douces comme du sucre. Eh bien ! n’était-ce pas gai ? Qu’est-ce qui nous empĂȘche de faire la mĂȘme chose cette annĂ©e ? Je n’ai qu’à brosser comme il faut mon Dottore et alors disparaĂźtront toutes les traces des mĂ©chants confetti dont il a Ă©tĂ© bombardĂ© ; et ta jardiniĂšre est Ă©galement suspendue lĂ . Quelques rubans neufs, quelques fleurs fraĂźches, et il n’en faut pas plus pour que vous soyez jolie et pimpante ?
– Que dites-vous donc ? s’écria Giacinta. Je devrais revĂȘtir ces misĂ©rables hardes ? Non. Un beau costume espagnol, moulant Ă©troitement le buste et descendant en riches plis lourds, de larges manches Ă  crevĂ©s avec un bouillonnement de dentelles magnifiques, un petit chapeau aux plumes flottant hardiment, une ceinture, un collier de diamants Ă©tincelants, voilĂ  ce que Giacinta voudrait avoir pour prendre part au Corso et se placer devant le palais Rusponi. Comme les cavaliers se presseraient autour d’elle, disant : « Quelle est cette dame ? À coup sĂ»r, une comtesse, une princesse. » Et mĂȘme Pulcinella serait saisi de respect et en oublierait ses folles taquineries.
– Je vous Ă©coute, fit BĂ©atrice avec un grand Ă©tonnement. Dites-moi, depuis quand le maudit dĂ©mon de l’orgueil est-il entrĂ© en vous ? Eh bien ! puisque vous avez une si haute ambition que vous voulez jouer Ă  la comtesse ou Ă  la princesse, ayez la complaisance de prendre un amoureux, qui, pour vos beaux yeux, soit en mesure de puiser gaillardement dans le sac de la fortune, et chassez le signor Giglio, ce sans-le-sou, qui, lorsqu’il lui arrive de sentir dans sa poche un couple de ducats, dĂ©pense tout en pommades parfumĂ©es et en friandises et qui me doit encore deux paoli pour le col de dentelle que je lui ai lavĂ©.
Pendant ce discours, la vieille femme avait prĂ©parĂ© la lampe et elle l’avait allumĂ©e. Lorsque la lumiĂšre tomba sur le visage de Giacinta, la vieille s’aperçut que des larmes amĂšres brillaient dans ses yeux.
– Giacinta, par tous les saints, qu’as-tu, que t’est-il arrivĂ© ? s’écria-t-elle. Eh ! mon enfant, je n’ai pas voulu te fĂącher. Repose-toi ; ne travaille pas si intrĂ©pidement ; la robe sera, de toute façon, finie pour l’époque fixĂ©e.
– Ah ! – dit Giacinta sans lever les yeux de son travail, qu’elle avait repris – c’est prĂ©cisĂ©ment cette robe, cette maudite robe, qui, je le crois, m’a remplie de toutes sortes de folles pensĂ©es. Dites, la vieille, avez-vous jamais vu dans toute votre vie une robe comparable Ă  celle-ci en beautĂ© et en magnificence ? Messer Bescapi s’est vraiment surpassĂ© lui-mĂȘme. Un esprit tout particulier l’inspirait lorsqu’il taillait ce superbe satin. Et puis ces splendides dentelles, ces tresses Ă©clatantes, ces pierres prĂ©cieuses qu’il nous a confiĂ©es pour la garnir ! Pour tout au monde, je voudrais savoir quelle est l’heureuse femme qui va se parer de cette robe digne des dieux.
– Bah ! – fit la vieille BĂ©atrice en interrompant la jeune fille – que nous importe cela ! nous faisons le travail et nous recevons notre argent. Mais il est vrai que messer Bescapi avait une allure si mystĂ©rieuse, si bizarre
 Il faut que ce soit au moins une princesse qui porte cette robe, et, bien que je ne sois pas curieuse d’habitude, j’aimerais que messer Bescapi me dĂźt son nom, et demain je l’entreprendrais jusqu’à ce qu’il me le fĂźt connaĂźtre.
– Non, non, – dit Giacinta, – je ne veux pas le savoir ; je prĂ©fĂšre me figurer que jamais une mortelle ne mettra cette robe et que je travaille Ă  quelque mystĂ©rieuse parure destinĂ©e Ă  une fĂ©e. Il me semble dĂ©jĂ , vĂ©ritablement, que ces pierres Ă©blouissantes sont toutes sortes de petits esprits qui me regardent en souriant et qui me murmurent : « Couds, couds vaillamment pour notre belle reine, nous t’aiderons, nous t’aiderons. » Et quand j’entrelace ainsi dentelles et tresses, il me semble que de charmants petits ĂȘtres sautillent pĂȘle-mĂȘle avec des gnomes cuirassĂ©s d’or
 AĂŻe ! AĂŻe !
C’était Giacinta qui poussait ces cris, car en cousant le tour de gorge, elle s’était piquĂ©e fortement le doigt, si bien que le sang jaillissait comme d’une source vive.
– Ciel ! – s’écria la vieille, – que va devenir la belle robe ?
Elle prit la lampe, l’approcha du costume, pour mieux y voir, et d’abondantes gouttes d’huile s’y rĂ©pandirent.
– Ciel ! Ciel ! Que va devenir la belle robe ? – s’écria Giacinta, Ă  demi Ă©vanouie d’effroi.
Mais, bien que, Ă  coup sĂ»r, Ă  la fois du sang et de l’huile fussent tombĂ©s sur la robe, ni la vieille femme ni Giacinta ne purent dĂ©couvrir la moindre tache. Alors Giacinta continua de coudre vite, vite, jusqu’au moment oĂč elle bondit de son siĂšge en poussant un joyeux « fini ! fini ! » et en levant bien haut la robe.
– Ah ! comme c’est beau ! – s’exclama la vieille BĂ©atrice. Comme c’est superbe ! Comme c’est magnifique. Non, Giacinta, jamais tes chĂšres menottes n’ont fait quelque chose d’aussi bien. Et, sais-tu, Giacinta, il me semble que la robe a Ă©tĂ© faite exprĂšs pour toi, comme si messer Bescapi n’avait pris des mesures sur personne autre que toi-mĂȘme !
– Quelle idĂ©e ! – rĂ©pliqua Giacinta, en devenant toute rouge. Tu rĂȘves, la vieille, suis-je donc aussi grande et aussi svelte que la dame pour qui cette robe doit ĂȘtre destinĂ©e ? Prends-la, prends-la, et conserve-la soigneusement jusqu’à demain. Fasse le ciel qu’à la lumiĂšre du jour on ne dĂ©couvre pas une mĂ©chante tache. Pauvres diablesses que nous sommes, que deviendrions-nous ? Prends-la.
La vieille Béatrice hésitait.
– Il est vrai – poursuivit Giacinta, en considĂ©rant la robe – que pendant que j’y travaillais, je me suis souvent figurĂ© qu’elle devait m’aller. Pour la taille, je crois ĂȘtre assez svelte et en ce qui concerne la longueur

– Giacinina – s’écria la vieille, les yeux brillants, – tu devines mes pensĂ©es et moi les tiennes. Portera la robe qui voudra, princesse, reine ou fĂ©e, peu importe ; c’est ma petite Giacinta qui doit d’abord l’essayer.
– Jamais ! – fit Giacinta.
Mais la vieille femme lui prit la robe des mains, la posa soigneusement sur le fauteuil et se mit Ă  dĂ©faire les cheveux de la jeune fille, qu’ensuite elle natta entiĂšrement. Puis elle alla chercher dans l’armoire le petit chapeau ornĂ© de fleurs et de plumes que Bescapi leur avait confiĂ© pour le garnir, comme la robe, et elle le fixa sur les boucles chĂątaines de Giacinta.
– Mon enfant, comme dĂ©jĂ  le petit chapeau te va Ă  ravir ! Mais maintenant, mais maintenant enlĂšve ta blouse.
Ainsi parla la vieille Béatrice, et elle se mit à déshabiller Giacinta, qui, dans une pudeur charmante, ne fut plus capable de résister.
– Hum ! – murmura la vieille femme, – cette nuque doucement arrondie, ce sein de lis, ces bras d’albĂątre, la MĂ©dicĂ©enne n’en a pas de plus beaux ; Jules Romain n’en a pas peint de plus superbes. Je voudrais bien savoir quelle princesse ne les envierait pas Ă  ma chĂšre enfant.
Mais, lorsqu’elle habilla la jeune fille de cette splendide robe, on eĂ»t dit qu’elle Ă©tait aidĂ©e par des esprits invisibles.
Tout s’ordonnait et se dĂ©ployait parfaitement bien ; chaque Ă©pingle se plaçait immĂ©diatement au bon endroit ; chaque pli s’arrangeait comme de lui-mĂȘme ; il n’était pas possible de croire que la robe eĂ»t Ă©tĂ© faite pour une autre que Giacinta elle-mĂȘme.
– Oh ! par tous les saints ! – s’écria la vieille BĂ©atrice, lorsqu’elle vit devant elle Giacinta si magnifiquement parĂ©e – tu n’es, Ă  coup sĂ»r, pas ma Giacinta
 Oh ! Oh ! Comme vous ĂȘtes belle, ma trĂšs gracieuse Princesse ! Mais, attends, attends ! Il faut faire de la lumiĂšre, beaucoup de lumiĂšre dans la petite chambre.
Et, ce disant, la vieille femme alla chercher toutes les chandelles bĂ©nites qu’elle avait conservĂ©es depuis les fĂȘtes de la Vierge et elle les alluma, si bien que Giacinta fut entourĂ©e d’un rayonnement de splendeur.
Tout Ă  fait Ă©tonnĂ©e de la haute beautĂ© de Giacinta et encore plus de la façon gracieuse, et en mĂȘme temps distinguĂ©e, avec laquelle celle-ci allait et venait dans la chambre, la vieille joignit les mains, en s’écriant :
– Oh ! si quelqu’un, si tout le Corso pouvait vous voir ainsi !
Au mĂȘme instant, la porte s’ouvrit vivement ; Giacinta s’enfuit vers la fenĂȘtre en poussant un cri. À peine l’arrivant, un jeune homme, eut-il fait deux pas dans la chambre, qu’il resta clouĂ© au sol, figĂ© comme une colonne.
Tu peux, mon trĂšs cher lecteur, considĂ©rer Ă  loisir ce jeune homme, tandis qu’il est lĂ  muet et immobile. Tu verras qu’il a Ă  peine vingt-quatre Ă  vingt-cinq ans et que c’est un trĂšs beau garçon. Son costume peut ĂȘtre qualifiĂ© d’étrange parce que, bien que la couleur et la coupe de chacune de ses parties soient irrĂ©prochables, l’ensemble ne s’harmonise pas du tout et offre un jeu de couleurs violemment disparates. En outre, bien que tout soit proprement entretenu, on remarque une certaine pauvretĂ© ; on s’aperçoit, au col de dentelle, que celui qui le porte n’en a qu’un autre de rechange et que les plumes dont est fantaisistement ornĂ© le chapeau, enfoncĂ© de travers sur la tĂȘte, ne tiennent que pĂ©niblement grĂące Ă  des fils mĂ©talliques et Ă  des Ă©pingles. Tu t’en rends bien compte, aimable lecteur, le jeune homme ainsi habillĂ© ne peut ĂȘtre qu’un comĂ©dien un peu vain, dont les gains ne sont guĂšre Ă©levĂ©s ; et il en est vĂ©ritablement ainsi. En un mot, c’est ce Giglio Fava qui doit Ă  la vieille BĂ©atrice encore deux paoli pour le lavage d’un col de dentelle.
– Ah ! que vois-je ? – dit enfin Giglio Fava, avec autant d’emphase que s’il eĂ»t Ă©tĂ© sur les planches du Théùtre Argentina – est-ce un rĂȘve qui m’illusionne encore ? Non, c’est elle-mĂȘme, la divine, et il m’est permis d’oser lui adresser de hardies paroles d’amour ? Princesse, ĂŽ princesse !
– Ne fais pas l’ñne, – s’écria Giacinta, en se retournant vivement, – et garde tes farces pour les jours qui vont venir.
– Ne sais-je donc pas, – rĂ©pliqua Giglio aprĂšs avoir repris haleine et avec un sourire forcĂ©, – que c’est toi, ma charmante Giacinta ? Mais, dis-moi, que signifie cette robe magnifique ? Vraiment, jamais tu ne m’as parue si ravissante et je ne voudrais plus te voir autrement.
– Quoi ? – dit Giacinta avec irritation. C’est donc à mon costume de satin et à mon chapeau à plumes que va ton amour ?
Et en mĂȘme temps elle se glissa promptement dans la petite chambre voisine et elle en sortit bientĂŽt, dĂ©pourvue de toute parure et ayant repris ses vĂȘtements ordinaires. Sur ces entrefaites, la vieille BĂ©atrice avait Ă©teint les chandelles et sĂ©rieusement rabrouĂ© ce malavisĂ© de Giglio qui venait ainsi troubler le plaisir que faisait Ă  Giacinta l’essayage de la robe destinĂ©e Ă  quelque grande dame et qui, par-dessus le marchĂ©, avait Ă©tĂ© assez peu galant pour donner Ă  entendre qu’une telle parure accroissait les charmes de Giacinta et la faisait paraĂźtre plus aimable encore que d’ordinaire. Giacinta ne manqua pas d’ajouter du sien Ă  cette verte semonce, jusqu’à ce que le pauvre Giglio, devenu tout humilitĂ© et tout repentir, finĂźt par obtenir assez de calme pour faire Ă©couter les assurances qu’il donnait que sa surprise avait Ă©tĂ© provoquĂ©e par une Ă©trange coĂŻncidence de circonstances toutes particuliĂšres.
– Je vais te raconter la chose, – commença-t-il – je vais te raconter, ma charmante enfant, ma douce vie, quel rĂȘve fabuleux j’ai fait hier au soir lorsque, tout Ă©puisĂ© et harassĂ© du rĂŽle du prince Taer que, tu le sais aussi bien que tout le monde, je joue Ă  la perfection, je me jetai sur mon lit. Il me sembla que j’étais encore sur la scĂšne et que je me disputais vivement avec ce sordide avare d’impresario, qui me refusait opiniĂątrement une avance de quelques misĂ©rables ducats. Il m’accablait de toute espĂšce de sots reproches. Alors, je voulus, pour mieux me dĂ©fendre, faire un beau geste, mais ma main rencontra Ă  l’improviste la joue droite de l’impresario, de sorte qu’il en rĂ©sulta le son et la mĂ©lodie d’un soufflet bien appliquĂ©. AussitĂŽt, l’impresario, saisissant un grand coutelas, s’élança sur moi ; je reculai et en mĂȘme temps mon beau bonnet de prince, que toi-mĂȘme, ma suave espĂ©rance, tu avais si gentiment parĂ© des plus belles plumes qui aient jamais Ă©tĂ© arrachĂ©es Ă  une autruche, tomba Ă  terre. Furieux, le monstre, le barbare d’impresario se jeta sur lui et perça de son coutelas le pauvre mignon, qui, dans les affres de la mort, se tordait Ă  mes pieds en gĂ©missant. Je voulus, comme c’était mon devoir, venger l’infortunĂ©. Mon manteau enroulĂ© sur mon bras gauche et brandissant mon glaive princier, je m’élançai sur l’infĂąme meurtrier. Mais le voilĂ  qui se rĂ©fugie dans une maison et qui, du haut du balcon, dĂ©charge sur moi le fusil de Truffaldino. Chose bizarre, l’éclair du coup de feu s’immobilisa et rayonna autour de moi comme des diamants Ă©tincelants. Et, lorsque la fumĂ©e se fut peu Ă  peu dissipĂ©e, je m’aperçus que ce que j’avais pris pour l’éclair du fusil de Truffaldino n’était autre que l’exquise parure du petit chapeau d’une dame. Oh ! par les dieux et par tout le ciel ! Voici qu’une douce voix se mit Ă  parler, – non, Ă  chanter, – non, Ă  exhaler, dans un accent mĂ©lodieux, un parfum d’amour : « Ô Giglio, mon Giglio ! » dit-elle. Et je vis alors un ĂȘtre d’un charme si divin, d’une grĂące si suprĂȘme que le brĂ»lant sirocco d’une ardente passion envahit toutes mes veines et tous mes nerfs et que ce fleuve de feu devint une lave jaillissant du volcan enflammĂ© de mon cƓur : « Je suis », dit la dĂ©esse, en s’approchant de moi, « je suis la princesse ».
– Comment – fit Giacinta en interrompant colĂ©reusement l’acteur, qui Ă©tait aux anges, – tu as l’impudence de rĂȘver d’une autre personne que moi ? Tu as l’impudence de devenir amoureux rien qu’à l’aspect d’une sotte et stupide vision qu’a fait naĂźtre le fusil de Truffaldino ?
Et ce fut alors comme un dĂ©luge de reproches et de plaintes, d’injures et de malĂ©dictions ; et toutes les affirmations et toutes les assurances du pauvre Giglio, dĂ©clarant que justement la princesse de son rĂȘve avait portĂ© la mĂȘme robe que celle qu’il venait de voir Ă  sa Giacinta, ne servirent absolument Ă  rien. La vieille BĂ©atrice elle-mĂȘme, qui d’habitude n’était pas disposĂ©e Ă  prendre le parti du signor Sans-le-sou, comme elle appelait Giglio, se sentit prise de pitiĂ© et ne lĂącha pas cette entĂȘtĂ©e de Giacinta, jusqu’à ce que celle-ci eĂ»t pardonnĂ© Ă  son amoureux le rĂȘve qu’il avait fait, Ă  la condition qu’il n’en parlerait jamais plus. La vieille BĂ©atrice prĂ©para un bon plat de macaroni, et Giglio, Ă  qui, Ă  l’opposĂ© de son rĂȘve, l’impresario avait avancĂ© quelques ducats, alla chercher un cornet de dragĂ©es et sortit de la poche de son manteau une fiole remplie d’un vin qui, ma foi, Ă©tait assez buvable.
– Je vois que tu penses à moi, mon Giglio, – dit Giacinta, en mettant dans sa bouchette un fruit confit.
Elle permit mĂȘme Ă  Giglio de baiser le doigt qu’avait blessĂ© la mĂ©chante aiguille et tout fut de nouveau, pour eux, dĂ©lices et bĂ©atitude. Mais quand le Diable se met Ă  entrer dans la danse, les pas les plus gentils ne servent Ă  rien. Ce fut sans doute le Malin lui-mĂȘme qui inspira Ă  Giglio, lorsque celui-ci eut bu quelques verres de vin, les paroles suivantes :
– Je n’aurais pas cru, que toi, ma douce vie, tu pusses ĂȘtre si jalouse de moi. Mais tu as raison, j’ai un physique fort joli, je suis douĂ© par nature de toutes sortes de talents agrĂ©ables, et, mieux encore, je suis comĂ©dien. Le jeune comĂ©dien qui, comme moi, joue divinement les princes amoureux, avec des « oh ! » et des « ah ! » bien congruents, est un roman ambulant, une intrigue sur deux jambes, une chanson d’amour avec des lĂšvres pour baiser et des bras pour embrasser, une aventure sortie d’un volume pour s’incarner dans la vie et qui prend figure devant les yeux de la lectrice la plus belle, lorsqu’elle ferme le livre. De lĂ  vient que nous exerçons un enchantement irrĂ©sistible sur les pauvres femmes qui sont folles de tout ce que nous sommes et de tout ce qu’il y a en nous, ou sur nous, folles de notre esprit, de nos yeux, de nos fausses pierres prĂ©cieuses, de nos plumes et de nos rubans, – peu importe leur rang et leur situation ; lavandiĂšres ou princesses, c’est la mĂȘme chose. Eh bien ! Je te dis, ma charmante enfant, que, si certains pressentiment...

Table of contents

  1. Titre
  2. PRÉFACE
  3. Chapitre 1
  4. Chapitre 2
  5. Chapitre 3
  6. Chapitre 4
  7. Chapitre 5
  8. Chapitre 6
  9. Chapitre 7
  10. Chapitre 8