Le Nez d'un notaire
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Le Nez d'un notaire

About this book

C'est une bien terrible aventure que va vivre Alfred L'Ambert: perdre son nez pour les beaux yeux d'une demoiselle. Ne pouvant se résoudre a voir Victorine Tompain, courtisée par Ayvaz-Bey, le jeune notaire frappe son rival au nez. Le Turc, atteint au plus profond de son amour propre, n'a plus désormais qu'une seule idée: couper le nez de maßtre L'Ambert durant le duel qui aura lieu le lendemain matin, a dix heures, au petit village de Parthenay... Et ce qui devait arriver arriva, Alfred L'Ambert perdit son nez et pour toujours. Il était pret a tout pour retrouver un nez digne de ce nom, a tout sauf a souffrir. Aussi eut-il une idée lumineuse...

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Information

Chapitre 1 L’Orient et l’Occident sont aux prises Le sang coule

MaĂźtre Alfred L’Ambert, avant le coup fatal qui le contraignit Ă  changer de nez, Ă©tait assurĂ©ment le plus brillant notaire de France. En ce temps-lĂ , il avait trente-deux ans ; sa taille Ă©tait noble, ses yeux grands et bien fendus ; son front olympien, sa barbe et ses cheveux du blond le plus aimable. Son nez (premier du nom) se recourbait en bec d’aigle. Me croira qui voudra, mais la cravate blanche lui allait dans la perfection. Est-ce parce qu’il la portait depuis l’ñge le plus tendre, ou parce qu’il se fournissait chez la bonne faiseuse ? Je suppose que c’était pour ces deux raisons Ă  la fois.
Autre chose est de se nouer autour du cou un mouchoir de poche roulĂ© en corde ; autre chose de former avec art un beau nƓud de batiste blanche dont les deux bouts Ă©gaux, empesĂ©s sans excĂšs, se dirigent symĂ©triquement vers la droite et la gauche. Une cravate blanche bien choisie et bien nouĂ©e n’est pas un ornement sans grĂące ; toutes les dames vous le diront. Mais il ne suffit point de la mettre ; il faut encore la bien porter : c’est une affaire d’expĂ©rience. Pourquoi les ouvriers paraissent-ils si gauches et si empruntĂ©s le jour de leurs noces ? Parce qu’ils se sont affublĂ©s d’une cravate blanche sans aucune Ă©tude prĂ©paratoire.
On s’accoutume en un rien de temps Ă  porter les coiffures les plus exorbitantes ; une couronne, par exemple. Le soldat Bonaparte en ramassa une que le roi de France avait laissĂ© tomber sur la place Louis XV. Il s’en coiffa lui-mĂȘme, sans avoir pris leçon de personne, et l’Europe dĂ©clara qu’un tel bonnet ne lui allait pas mal. BientĂŽt mĂȘme il mit la couronne Ă  la mode dans le cercle de sa famille et de ses amis intimes. Tout le monde autour de lui la portait ou la voulait porter. Mais cet homme extraordinaire ne fut jamais qu’un porte-cravate assez mĂ©diocre. Mr le vicomte de C
, auteur de plusieurs poĂšmes en prose, avait Ă©tudiĂ© la diplomatie, ou l’art de se cravater avec fruit.
Il assista, en 1815, Ă  la revue de notre derniĂšre armĂ©e, quelques jours avant la campagne de Waterloo. Savez-vous ce qui frappa son esprit dans cette fĂȘte hĂ©roĂŻque oĂč Ă©clatait l’enthousiasme dĂ©sespĂ©rĂ© d’un grand peuple ? C’est que la cravate de Bonaparte n’allait pas bien.
Peu d’hommes, sur ce terrain pacifique, auraient pu se mesurer avec maĂźtre Alfred L’Ambert. Je dis L’Ambert, et non Lambert : il y a dĂ©cision du conseil d’État. MaĂźtre L’Ambert, successeur de son pĂšre, exerçait le notariat par droit de naissance. Depuis deux siĂšcles et plus, cette glorieuse famille se transmettait de mĂąle en mĂąle l’étude de la rue de Verneuil avec la plus haute clientĂšle du faubourg Saint-Germain.
La charge n’était pas cotĂ©e, n’étant jamais sortie de la famille ; mais, d’aprĂšs le produit des cinq derniĂšres annĂ©es, on ne pouvait l’estimer moins de trois cent mille Ă©cus. C’est dire qu’elle rapportait, bon an, mal an, quatre-vingt-dix mille livres. Depuis deux siĂšcles et plus, tous les aĂźnĂ©s de la famille avaient portĂ© la cravate blanche aussi naturellement que les corbeaux portent la plume noire, les ivrognes le nez rouge, ou les poĂštes l’habit rĂąpĂ©. LĂ©gitime hĂ©ritier d’un nom et d’une fortune considĂ©rables, le jeune Alfred avait sucĂ© les bons principes avec le lait. Il mĂ©prisait dĂ»ment toutes les nouveautĂ©s politiques qui se sont introduites en France depuis la catastrophe de 1789. À ses yeux, la nation française se composait de trois classes : le clergĂ©, la noblesse et le tiers Ă©tat. Opinion respectable et partagĂ©e encore aujourd’hui par un petit nombre de sĂ©nateurs. Il se rangeait modestement parmi les premiers du tiers Ă©tat, non sans quelques prĂ©tentions secrĂštes Ă  la noblesse de robe. Il tenait en profond mĂ©pris le gros de la nation française, ce ramassis de paysans et de manƓuvres qu’on appelle le peuple, ou la vile multitude. Il les approchait le moins possible, par Ă©gard pour son aimable personne, qu’il aimait et soignait passionnĂ©ment. Svelte, sain et vigoureux comme un brochet de riviĂšre, il Ă©tait convaincu que ces gens-lĂ  sont du fretin de poisson blanc, créé tout exprĂšs par la providence pour nourrir MM. les brochets.
Charmant homme au demeurant, comme presque tous les Ă©goĂŻstes ; estimĂ© au Palais, au cercle, Ă  la chambre des notaires, Ă  la confĂ©rence de Saint-Vincent de Paul et Ă  la salle d’armes ; beau tireur de pointe et de contre-pointe ; beau buveur, amant gĂ©nĂ©reux, tant qu’il avait le cƓur pris ; ami sĂ»r avec les hommes de son rang ; crĂ©ancier des plus gracieux, tant qu’il touchait les intĂ©rĂȘts de son capital ; dĂ©licat dans ses goĂ»ts, recherchĂ© dans sa toilette, propre comme un louis neuf, assidu le dimanche aux offices de Saint-Thomas d’Aquin, les lundis, mercredis et vendredis au foyer de l’OpĂ©ra, il eĂ»t Ă©tĂ© le plus parfait gentleman de son temps au physique comme au moral, sans une dĂ©plorable myopie qui le condamnait Ă  porter des lunettes. Est-il besoin d’ajouter que ses lunettes Ă©taient d’or, et les plus fines, les plus lĂ©gĂšres, les plus Ă©lĂ©gantes qu’on eĂ»t fabriquĂ©es chez le cĂ©lĂšbre Mathieu Luna, quai des OrfĂšvres ?
Il ne les portait pas toujours, mais seulement Ă  l’étude ou chez le client, lorsqu’il avait des actes Ă  lire. Croyez que les lundis, mercredis et vendredis, lorsqu’il entrait au foyer de la danse, il avait soin de dĂ©masquer ses beaux yeux. Aucun verre biconcave ne voilait alors l’éclat de son regard. Il n’y voyait goutte, j’en conviens, et saluait quelquefois une marcheuse pour une Ă©toile ; mais il avait l’air rĂ©solu d’un Alexandre entrant Ă  Babylone. Aussi les petites filles du corps de ballet, qui donnent volontiers des sobriquets aux personnes, l’avaient-elles surnommĂ© Vainqueur. Un bon gros Turc, secrĂ©taire Ă  l’ambassade, avait reçu le nom de Tranquille, un conseiller d’État s’appelait MĂ©lancolique ; un secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du ministĂšre de
, vif et brouillon dans ses allures, se nommait Mr Turlu. C’est pourquoi la petite Élise Champagne, dite aussi Champagne IIe, reçut le nom de Turlurette lorsqu’elle sortit des coryphĂ©es pour s’élever au rang de sujet.
Mes lecteurs de province (si tant est que ce rĂ©cit dĂ©passe jamais les fortifications de Paris) vont mĂ©diter une minute ou deux sur le paragraphe qui prĂ©cĂšde. J’entends d’ici les mille et une questions qu’ils adressent mentalement Ă  l’auteur. « Qu’est-ce que le foyer de la danse ? Et le corps de ballet ? Et les Ă©toiles de l’OpĂ©ra ? Et les coryphĂ©es ? Et les sujets ? Et les marcheuses ? Et les secrĂ©taires gĂ©nĂ©raux qui s’égarent dans un tel monde, au risque d’y attraper des sobriquets ? Enfin par quel hasard un homme posĂ©, un homme rangĂ©, un homme de principes, comme maĂźtre Alfred L’Ambert, se trouvait-il trois fois par semaine au foyer de la danse ? »
Eh ! chers amis, c’est prĂ©cisĂ©ment parce qu’il Ă©tait un homme posĂ©, un homme rangĂ© et un homme de principes. Le foyer de la danse Ă©tait alors un vaste salon carrĂ©, entourĂ© de vieilles banquettes de velours rouge et peuplĂ© de tous les hommes les plus considĂ©rables de Paris. On y rencontrait non seulement des financiers, des conseillers d’État, des secrĂ©taires gĂ©nĂ©raux, mais encore des ducs et des princes, des dĂ©putĂ©s, des prĂ©fets, et les sĂ©nateurs les plus dĂ©vouĂ©s au pouvoir temporel du pape ; il n’y manquait que des prĂ©lats. On y voyait des ministres mariĂ©s, et mĂȘme les plus complĂštement mariĂ©s entre tous nos ministres. Quand je dis on y voyait, ce n’est pas que je les aie vus moi-mĂȘme ; vous pensez bien que les pauvres diables de journalistes n’entraient pas lĂ  comme au moulin. Un ministre tenait en main les clefs de ce salon des HespĂ©rides ; nul n’y pĂ©nĂ©trait sans l’aveu de son excellence. Aussi fallait-il voir les rivalitĂ©s, les jalousies et les intrigues ! Combien de cabinets on a culbutĂ©s sous les prĂ©textes les plus divers, mais au fond parce que tous les hommes d’État veulent rĂ©gner sur le foyer de la danse ! N’allez pas croire au moins que ces personnages y fussent attirĂ©s par l’appĂąt des plaisirs dĂ©fendus ! Ils brĂ»laient d’encourager un art Ă©minemment aristocratique et politique.
La marche des annĂ©es a peut-ĂȘtre changĂ© tout cela, car les aventures de maĂźtre L’Ambert ne datent point de cette semaine. Elles ne remontent pourtant pas Ă  l’antiquitĂ© la plus reculĂ©e. Mais des raisons de haute convenance me dĂ©fendent de prĂ©ciser l’annĂ©e exacte oĂč cet officier ministĂ©riel Ă©changea son nez aquilin contre un nez droit. C’est pourquoi j’ai dit vaguement en ce temps-lĂ , comme les fabulistes. Contentez-vous de savoir que l’action se place, dans les annales du monde, entre l’incendie de Troie par les Grecs et l’incendie du palais d’ÉtĂ© Ă  PĂ©kin par l’armĂ©e anglaise, deux mĂ©morables Ă©tapes de la civilisation europĂ©enne.
Un contemporain et un client de maĂźtre L’Ambert, Mr le marquis d’Ombremule, disait un soir au cafĂ© Anglais :
– Ce qui nous distingue du commun des hommes, c’est notre fanatisme pour la danse. La canaille raffole de musique. Elle bat des mains aux opĂ©ras de Rossini, de Donizetti et d’Auber : il paraĂźt qu’un million de petites notes mises en salade a quelque chose qui flatte l’oreille de ces gens-lĂ . Ils poussent le ridicule jusqu’à chanter eux-mĂȘmes de leur grosse voix Ă©raillĂ©e, et la police leur permet de se rĂ©unir dans certains amphithéùtres pour Ă©corcher quelques ariettes. Grand bien leur fasse ! Quant Ă  moi, je n’écoute point un opĂ©ra, je le regarde : j’arrive pour le divertissement, et je me sauve aprĂšs. Ma respectable aĂŻeule m’a contĂ© que toutes les grandes dames de son temps n’allaient Ă  l’OpĂ©ra que pour le ballet. Elles ne refusaient aucun encouragement Ă  MM. les danseurs. Notre tour est venu ; c’est nous qui protĂ©geons les danseuses : honni soit qui mal y pense !
La petite duchesse de BiĂ©try, jeune, jolie et dĂ©laissĂ©e, eut la faiblesse de reprocher Ă  son mari les habitudes d’OpĂ©ra qu’il avait prises.
– N’ĂȘtes-vous pas honteux, lui disait-elle, de m’abandonner dans ma loge avec tous vos amis pour courir je ne sais oĂč ?
– Madame, rĂ©pondit-il, lorsqu’on espĂšre une ambassade, ne doit-on pas Ă©tudier la politique ?
– Soit ; mais il y a, je pense, de meilleures Ă©coles dans Paris.
– Aucune. Apprenez, ma chùre enfant, que la danse et la politique sont jumelles. Chercher à plaire, courtiser le public, avoir l’Ɠil sur le chef d’orchestre, composer son visage, changer à chaque instant de couleur et d’habit, sauter de gauche à droite et de droite à gauche, se retourner lestement, retomber sur ses pieds, sourire avec des larmes plein les yeux, n’est-ce pas en quelques mots le programme de la danse et de la politique ?
La duchesse sourit, pardonna, et prit un amant.
Les grands seigneurs comme le duc de BiĂ©try, les hommes d’État comme le baron de F
, les gros millionnaires comme le petit Mr St
, et les simples notaires comme le hĂ©ros de cette histoire se coudoient pĂȘle-mĂȘle au foyer de la danse et dans les coulisses du théùtre. Ils sont tous Ă©gaux devant l’ignorance et la naĂŻvetĂ© de ces quatre-vingts petites ingĂ©nues qui composent le corps de ballet. On les appelle MM. les abonnĂ©s, on leur sourit gratis, on bavarde avec eux dans les petits coins, on accepte leurs bonbons et mĂȘme leurs diamants comme des politesses sans consĂ©quence et qui n’engagent Ă  rien celle qui les reçoit. Le monde s’imagine bien Ă  tort que l’OpĂ©ra est un marchĂ© de plaisir facile et une Ă©cole de libertinage.
On y trouve des vertus en plus grand nombre que dans aucun autre théùtre de Paris : et pourquoi ? parce que la vertu y est plus chÚre que partout ailleurs.
N’est-il pas intĂ©ressant d’étudier de prĂšs ce petit peuple de jeunes filles, presque toutes parties de fort bas et que le talent ou la beautĂ© peut en un rien de temps Ă©lever assez haut ? Fillettes de quatorze Ă  seize ans pour la plupart, nourries de pain sec et de pommes vertes dans une mansarde d’ouvriĂšre ou dans une loge de concierge, elles viennent au théùtre en tartan et en savates et courent s’habiller furtivement. Un quart d’heure aprĂšs, elles descendent au foyer radieuses, Ă©tincelantes, couvertes de soie, de gaze et de fleurs, le tout aux frais de l’État, et plus brillantes que les fĂ©es, les anges et les houris de nos rĂȘves. Les ministres et les princes leur baisent les mains et blanchissent leur habit noir Ă  la cĂ©ruse de leurs bras nus. On leur dĂ©bite Ă  l’oreille des madrigaux vieux et neufs qu’elles comprennent quelquefois. Quelques-unes ont de l’esprit naturel et causent bien ; celles-lĂ , on se les arrache.
Un coup de sonnette appelle les fĂ©es au théùtre ; la foule des abonnĂ©s les poursuit jusqu’à l’entrĂ©e de la scĂšne, les retient et les accapare derriĂšre les portants de coulisses. Vertueux abonnĂ© qui brave la chute des dĂ©cors, les taches d’huile des quinquets et les miasmes les plus divers pour le plaisir d’entendre une petite voix lĂ©gĂšrement enrouĂ©e murmurer ces mots charmants :
– CrĂ© nom ! j’ai-t-il mal aux pieds !
La toile se lĂšve, et les quatre-vingts reines d’une heure s’ébattent joyeusement sous les lorgnettes d’un public enflammĂ©. Il n’y en a pas une qui ne voie ou ne devine dans la salle deux, trois, dix adorateurs connus ou inconnus. Quelle fĂȘte pour elles jusqu’à la chute du rideau ! Elles sont jolies, parĂ©es, lorgnĂ©es, admirĂ©es, et elles n’ont rien Ă  craindre de la critique ni des sifflets.
Minuit sonne : tout change comme dans les fĂ©eries. Cendrillon remonte avec sa mĂšre ou sa sƓur aĂźnĂ©e vers les sommets Ă©conomiques de Batignolles ou de Montmartre. Elle boite un tantinet, pauvre petite ! Et elle Ă©clabousse ses bas gris. La bonne et sage mĂšre de famille, qui a placĂ© toutes ses espĂ©rances sur la tĂȘte de cette enfant, rabĂąche, chemin faisant, quelques leçons de sagesse :
– Marchez droit dans la vie, î ma fille, et ne vous laissez jamais choir ! Ou, si le destin veut absolument qu’un tel malheur vous arrive, ayez soin de tomber sur un lit en bois de rose !
Ces conseils de l’expĂ©rience ne sont pas toujours suivis. Le cƓur parle quelquefois. On a vu des danseuses Ă©pouser des danseurs. On a vu des petites filles, jolies comme la VĂ©nus anadyomĂšne, Ă©conomiser cent mille francs de bijoux pour conduire Ă  l’autel un employĂ© Ă  deux mille francs. D’autres abandonnent au hasard le soin de leur avenir, et font le dĂ©sespoir de leur famille. Celle-ci attend le 10 avril pour disposer de son cƓur, parce qu’elle s’est jurĂ© Ă  elle-mĂȘme de rester sage jusqu’à dix-sept ans. Celle-lĂ  trouve un protecteur Ă  son goĂ»t et n’ose le dire : elle craint la vengeance d’un conseiller rĂ©fĂ©rendaire qui a promis de la tuer et de se suicider ensuite si elle aimait un autre que lui. Il plaisantait, comme vous pensez bien ; mais on prend les paroles au sĂ©rieux dans ce petit monde. Qu’elles sont naĂŻves et ignorantes de tout ! On a entendu deux grandes filles de seize ans se disputer sur la noblesse de leur origine et le rang de leurs familles :
– Voyez un peu cette demoiselle ! disait la plus grande. Les boucles d’oreilles de sa mùre...

Table of contents

  1. Titre
  2. Avant propos
  3. Chapitre 1 - L’Orient et l’Occident sont aux prises Le sang coule
  4. Chapitre 2 - La chasse au chat
  5. Chapitre 3 - OĂč le notaire dĂ©fend sa peau avec plus de succĂšs
  6. Chapitre 4 - Chébachtien Romagné
  7. Chapitre 5 - Grandeur et décadence
  8. Chapitre 6 - Histoire d’une paire de lunettes et consĂ©quences d’un rhume de cerveau
  9. Notes de bas de page