La Faute de l'abbé Mouret
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La Faute de l'abbé Mouret

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La Faute de l'abbé Mouret

About this book

La Faute de l'abbé Mouret est un roman d'Émile Zola paru en 1875, le cinquième volume de la série les Rougon-Macquart. Faisant suite à la Conquête de Plassans, c'est le second ouvrage de la série qui traîte du catholicisme; le thème en est la vie d'un prêtre déchiré entre sa vocation religieuse et l'amour d'une femme.

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Information

Partie 1

Chapitre 1

La Teuse, en entrant, posa son balai et son plumeau contre l’autel. Elle s’était attardée à mettre en train la lessive du semestre. Elle traversa l’église, pour sonner l’Angelus, boitant davantage dans sa hâte, bousculant les bancs. La corde, près du confessionnal, tombait du plafond, nue, râpée, terminée par un gros nœud, que les mains avaient graissé ; et elle s’y pendit de toute sa masse, à coups réguliers, puis s’y abandonna, roulant dans ses jupes, le bonnet de travers, le sang crevant sa face large.
Après avoir ramené son bonnet d’une légère tape, essoufflée, la Teuse revint donner un coup de balai devant l’autel. La poussière s’obstinait là, chaque jour, entre les planches mal jointes de l’estrade. Le balai fouillait les coins avec un grondement irrité. Elle enleva ensuite le tapis de la table, et se fâcha, en constatant que la grande nappe supérieure, déjà reprisée en vingt endroits, avait un nouveau trou d’usure au beau milieu ; on apercevait la seconde nappe, pliée en deux, si émincée, si claire elle-même, qu’elle laissait voir la pierre consacrée, encadrée dans l’autel de bois peint. Elle épousseta ces linges roussis par l’usage, promena vigoureusement le plumeau le long du gradin, contre lequel elle releva les cartons liturgiques. Puis, montant sur une chaise, elle débarrassa la croix et deux des chandeliers de leurs housses de cotonnade jaune. Le cuivre était piqué de taches ternes.
– Ah bien ! murmura la Teuse à demi-voix, ils ont joliment besoin d’un nettoyage ! Je les passerai au tripoli.
Alors, courant sur une jambe, avec des déhanchements et des secousses à enfoncer les dalles, elle alla à la sacristie chercher le Missel, qu’elle plaça sur le pupitre, du côté de l’Épître, sans l’ouvrir, la tranche tournée vers le milieu de l’autel. Et elle alluma les deux cierges. En emportant son balai, elle jeta un coup d’œil autour d’elle, pour s’assurer que le ménage du bon Dieu était bien fait. L’église dormait ; la corde seule, près du confessionnal, se balançait encore, de la voûte au pavé, d’un mouvement long et flexible.
L’abbé Mouret venait de descendre à la sacristie, une petite pièce froide, qui n’était séparée de la salle à manger que par un corridor.
– Bonjour, monsieur le curé, dit la Teuse en se débarrassant. Ah ! vous avez fait le paresseux, ce matin ! Savez-vous qu’il est six heures un quart.
Et sans donner au jeune prêtre qui souriait le temps de répondre :
– J’ai à vous gronder, continua-t-elle. La nappe est encore trouée. Ça n’a pas de bon sens ! Nous n’en avons qu’une de rechange, et je me tue les yeux depuis trois jours à la raccommoder… Vous laisserez le pauvre Jésus tout nu, si vous y allez de ce train.
L’abbé Mouret souriait toujours. Il dit gaiement :
– Jésus n’a pas besoin de tant de linge, ma bonne Teuse. Il a toujours chaud, il est toujours royalement reçu, quand on l’aime bien.
Puis, se dirigeant vers une petite fontaine, il demanda :
– Est-ce que ma sœur est levée ? Je ne l’ai pas vue.
– Il y a beau temps que mademoiselle Désirée est descendue, répondit la servante, agenouillée devant un ancien buffet de cuisine, dans lequel étaient serrés les vêtements sacrés. Elle est déjà à ses poules et à ses lapins… Elle attendait hier des poussins qui ne sont pas venus. Vous pensez quelle émotion !
Elle s’interrompit, disant :
– La chasuble d’or, n’est-ce pas ?
Le prêtre, qui s’était lavé les mains, recueilli, les lèvres balbutiant une prière, fit un signe de tête affirmatif. La paroisse n’avait que trois chasubles, une violette, une noire et une d’étoffe d’or. Cette dernière, servant les jours où le blanc, le rouge ou le vert étaient prescrits, prenait une importance extraordinaire. La Teuse la souleva religieusement de la planche garnie de papier bleu, où elle la couchait après chaque cérémonie ; elle la posa sur le buffet, enlevant avec précaution les linges fins qui en garantissaient les broderies. Un agneau d’or y dormait sur une croix d’or, entouré de larges rayons d’or. Le tissu, limé aux plis, laissait échapper de minces houppettes ; les ornements en relief se rongeaient et s’effaçaient. C’était, dans la maison, une continuelle inquiétude autour d’elle, une tendresse terrifiée, à la voir s’en aller ainsi paillette à paillette. Le curé devait la mettre presque tous les jours. Et comment la remplacer, comment acheter les trois chasubles dont elle tenait lieu, lorsque les derniers fils d’or seraient usés !
La Teuse, par-dessus la chasuble, étala l’étole, le manipule, le cordon, l’aube et l’amict. Mais elle continuait à bavarder, tout en s’appliquant à mettre le manipule en croix sur l’étole, et à disposer le cordon en guirlande, de façon à tracer l’initiale révérée du saint nom de Marie.
– Il ne vaut plus grand’chose, ce cordon, murmurait-elle. Il faudra vous décider à en acheter un autre, monsieur le curé… Ce n’est pas l’embarras, je vous en tisserais bien un moi-même, si j’avais du chanvre.
L’abbé Mouret ne répondait pas. Il préparait le calice sur une petite table, un grand vieux calice d’argent doré, à pied de bronze, qu’il venait de prendre au fond d’une armoire de bois blanc, où étaient enfermés les vases et les linges sacrés, les Saintes Huiles, les Missels, les chandeliers, les croix. Il posa en travers de la coupe un purificatoire propre, mit par-dessus ce linge la patène d’argent doré, contenant une hostie, qu’il recouvrit d’une petite pale de lin. Comme il cachait le calice, en pinçant les deux plis du voile d’étoffe d’or, appareillé à la chasuble, la Teuse s’écria :
– Attendez, il n’y a pas de corporal dans la bourse… J’ai pris hier soir tous les purificatoires, les pales et les corporaux sales pour les blanchir, à part bien sûr, pas dans la lessive… Je ne vous ai pas dit, monsieur le curé : je viens de la mettre en train, la lessive. Elle est joliment grasse ! Elle sera meilleure que la dernière fois.
Et pendant que le prêtre glissait un corporal dans la bourse, et qu’il posait sur le voile la bourse, ornée d’une croix d’or sur un fond d’or, elle reprit vivement :
– À propos, j’oubliais ! ce galopin de Vincent n’est pas venu. Voulez-vous que je serve la messe, monsieur le curé ?
Le jeune prêtre la regarda sévèrement.
– Eh ! ce n’est pas un péché, continua-t-elle avec son bon sourire. Je l’ai servie une fois, la messe, du temps de monsieur Caffin. Je la sers mieux que des polissons qui rient comme des païens pour une mouche volant dans l’église… Allez, j’ai beau porter un bonnet, avoir soixante ans, être grosse comme une tour, je respecte plus le bon Dieu que ces vermines d’enfants, que j’ai surpris encore, l’autre jour, jouant à saute-mouton derrière l’autel.
Le prêtre continuait à la regarder, refusant de la tête.
– Un trou, ce village, gronda-t-elle. Ils ne sont pas cent cinquante… Il y a des jours, comme aujourd’hui, où vous ne trouveriez pas âme qui vive aux Artaud. Jusqu’aux enfants au maillot qui vont dans les vignes ! Si je sais ce qu’on fait dans les vignes, par exemple ! Des vignes qui poussent sous les cailloux, sèches comme des chardons ! Et un pays de loups, à une lieue de toute route !… À moins qu’un ange ne descende la servir, votre messe, monsieur le curé, vous n’avez que moi, ma parole ! ou un des lapins de mademoiselle Désirée, sauf votre respect !
Mais, juste à ce moment, Vincent, le cadet des Brichet, poussa doucement la porte de la sacristie. Ses cheveux rouges en broussaille, ses minces yeux gris qui luisaient, fâchèrent la Teuse.
– Ah ! le mécréant ! cria-t-elle, je parie qu’il vient de faire quelque mauvais coup !… Avance donc, polisson, puisque monsieur le curé a peur que je ne salisse le bon Dieu !
En voyant l’enfant, l’abbé Mouret avait pris l’amict. Il baisa la croix brodée au milieu, posa le linge un instant sur sa tête ; puis, le rabattant sur le collet de sa soutane, il croisa et attacha les cordons, le droit par-dessus le gauche. Il passa ensuite l’aube, symbole de pureté, en commençant par le bras droit. Vincent, qui s’était accroupi, tournait autour de lui, ajustant l’aube, veillant à ce qu’elle tombât également de tous les côtés, à deux doigts de terre. Ensuite, il présenta le cordon au prêtre, qui s’en ceignit fortement les reins, pour rappeler ainsi les liens dont le Sauveur fut chargé dans sa Passion.
La Teuse restait debout, jalouse, blessée, faisant effort pour se taire ; mais la langue lui démangeait tellement, qu’elle reprit bientôt :
– Frère Archangias est venu… Il n’aura pas un enfant, à l’école, aujourd’hui. Il est parti comme un coup de vent, pour aller tirer les oreilles à cette marmaille, dans les vignes… Vous ferez bien de le voir. Je crois qu’il a quelque chose à vous dire.
L’abbé Mouret lui imposa silence de la main. Il n’avait plus ouvert les lèvres. Il récitait les prières consacrées, en prenant le manipule, qu’il baisa, avant de le mettre à son bras gauche, au-dessous du coude, comme un signe indiquant le travail des bonnes œuvres, et en croisant sur sa poitrine, après l’avoir également baisée, l’étole, symbole de sa dignité et de sa puissance. La Teuse dut aider Vincent à fixer la chasuble, qu’elle attacha à l’aide de minces cordons, de façon à ce qu’elle ne retombât pas en arrière.
– Sainte Vierge ! j’ai oublié les burettes ! balbutia-t-elle, se précipitant vers l’armoire. Allons, vite, galopin !
Vincent emplit les burettes, des fioles de verre grossier, tandis qu’elle se hâtait de prendre un manuterge propre, dans un tiroir. L’abbé Mouret, tenant le calice de la main gauche par le nœud, les doigts de la main droite posés sur la bourse, salua profondément, sans ôter sa barrette, un Christ de bois noir pendu au-dessus du buffet. L’enfant s’inclina également ; puis, passant le premier, tenant les burettes recouvertes du manuterge, il quitta la sacristie, suivi du prêtre qui marchait les yeux baissés, dans une dévotion profonde.

Chapitre 2

L’église, vide, était toute blanche, par cette matinée de mai. La corde, près du confessionnal, pendait de nouveau, immobile. La veilleuse, dans un verre de couleur, brûlait, pareille à une tache rouge, à droite du tabernacle, contre le mur. Vincent, après avoir porté les burettes sur la crédence, revint s’agenouiller à gauche, au bas du degré, tandis que le prêtre, ayant salué le Saint-Sacrement d’une génuflexion sur le pavé, montait à l’autel et étalait le corporal, au milieu duquel il plaçait le calice. Puis, ouvrant le Missel, il redescendit. Une nouvelle génuflexion le plia ; il se signa à voix haute, joignit les mains devant la poitrine, commença le grand drame divin, d’une face toute pâle de foi et d’amour.
Introibo ad altare Dei.
Ad Deum qui laetificat juventutem meam, bredouilla Vincent, qui mangea les répons de l’antienne et du psaume, le derrière sur les talons, occupé à suivre la Teuse rôdant dans l’église.
La vieille servante regardait un des cierges d’un air inquiet. Sa préoccupation parut redoubler, pendant que le prêtre, incliné profondément, les mains jointes de nouveau, récitait le Confiteor. Elle s’arrêta, se frappant à son tour la poitrine, la tête penchée, continuant à guetter le cierge. La voix grave du prêtre et les balbutiements du servant alternèrent encore pendant un instant.
Dominus vobiscum.
Et cum spiritu tuo.
Et le prêtre, élargissant les mains, puis les rejoignant, dit avec une componction attendrie :
Oremus
La Teuse ne put tenir davantage. Elle passa derrière l’autel, atteignit le cierge, qu’elle nettoya, du bout de ses ciseaux. Le cierge coulait. Il y avait déjà deux grandes larmes de cire perdues. Quand elle revint, rangeant les bancs, s’assurant que les bénitiers n’étaient pas vides, le prêtre, monté à l’autel, les mains posées au bord de la nappe, priait à voix basse. Il baisa l’autel.
Derrière lui, la petite église restait blafarde des pâleurs de la matinée. Le soleil n’était encore qu’au ras des tuiles. Les Kyrie, eleison coururent comme un frisson dans cette sorte d’étable, passée à la chaux, au plafond plat, dont on voyait les poutres badigeonnées. De chaque côté, trois hautes fenêtres, à vitres claires, fêlées, crevées pour la plupart, ouvraient des jours d’une crudité crayeuse. Le plein air du dehors entrait là brutalement, mettant à nu toute la misère du Dieu de ce village perdu. Au fond, au-dessus de la grande porte, qu’on n’ouvrait jamais, et dont des herbes barraient le seuil, une tribune en planches, à laquelle on montait par une échelle de meunier, allait d’une muraille à l’autre, craquant sous les sabots les jours de fête. Près de l’échelle, le confessionnal, aux panneaux disjoints, était peint en jaune citron. En face, à côté de la petite porte, se trouvait le baptistère, un ancien bénitier, posé sur un pied en maçonnerie. Puis, à droite et à gauche, au milieu, étaient plaqués deux minces autels, entourés de balustrades de bois. Celui de gauche, consacré à la sainte Vierge, avait une grande Mère de Dieu en plâtre doré, portant royalement une couronne d’or fermée sur ses cheveux châtains ; elle tenait, assis sur son bras gauche, un Jésus, nu et souriant, dont la petite main soulevait le globe étoilé du monde ; elle marchait au milieu de nuages, avec des têtes d’anges ailées sous les pieds. L’autel de droite, où se disaient les messes de mort, était surmonté d’un Christ en carton peint, faisant pendant à la Vierge ; le Christ, de la grandeur d’un enfant de dix ans, agonisait d’une effrayante façon, la tête rejetée en arrière, les côtes saillantes, le ventre creusé, les membres tordus, éclaboussés de sang. Il y avait encore la chaire, une caisse carrée, où l’on montait par un escabeau de cinq degrés, qui s’élevait vis-à-vis d’une horloge à poids, enfermée dans une armoire de noyer, et dont les coups sourds ébranlaient l’église entière, pareils aux battements d’un cœur énorme, caché quelque part, sous les dalles. Tout le long de la nef, les quatorze stations du chemin de la Croix, quatorze images grossièrement enluminées, encadrées de baguettes noires, tachaient du jaune, du bleu et du rouge de la Passion, la blancheur crue des murs.
Deo gratias, bégaya Vincent, à la fin de l’Épître.
Le mystère d’amour, l’immolation de la sainte victime se préparait. Le servant prit le Missel, qu’il porta à gauche, du côté de l’Évangile, en ayant soin de ne point toucher les feuillets du livre. Chaque fois qu’il passait devant le tabernacle, il faisait de biais une génuflexion qui lui déjetait la taille. Puis, revenu à droite, il se tint debout, les bras croisés, pendant la lecture de l’Évangile. Le prêtre, après avoir fait un signe de croix sur le Missel, s’était signé lui-même : au front, pour dire qu’il ne rougirait jamais de la parole divine ; sur la bouche, pour montrer qu’il était toujours prêt à confesser sa foi ; sur son cœur, pour indiquer que son cœur appartenait à Dieu seul.
Dominus vobiscum, dit-il en se tournant, le regard noyé, en face des blancheurs froides de l’église.
Et cum spiritu tuo, répondit Vincent, qui s’était remis à genoux.
Après avoir récité l’Offertoire, le prêtre découvrit le calice. Il tint un instant, à la hauteur de sa poitrine, la patène contenant l’hostie, qu’il offrit à Dieu, pour lui, pour les assistants, pour tous les fidèles vivants ou morts. Puis, l’ayant fait glisser au bord du corporal, sans la toucher des doigts, il prit le calice, qu’il essuya soigneusement avec le purificatoire. Vincent était allé chercher sur la crédence les burettes, qu’il présenta l’une après l’autre, la burette du vin d’abord, ensuite la burette de l’eau. Le prêtre offrit alors, pour le monde entier, le calice à demi plein, qu’il remit au milieu du corporal, où il le recouvrit de la pale. Et, ayant prié encore, il revint se faire verser de l’eau par minces filets sur les extrémités du pouce et de l’index de chaque main, afin de se purifier des moindres taches du péché. Quand il se fut essuyé au manuterge, la Teuse, qui attendait, vida le plateau des burettes dans un seau de zinc, au coin de l’autel.
Orate, fratres, reprit le prêtre à voix haute, tourné vers les bancs vides, les mains élargies et rejointes, dans un geste d’appel aux hommes de bonne volonté.
Et, se retournant devant l’autel, il continua, en baissant la voix. Vincent marmotta une longue phrase latine dans laquelle il se perdit. Ce fut alors que des flammes jaunes entrèrent par les fenêtres. Le soleil, à l’appel du prêtre, venait à la messe. Il éclaira de larges nappes dorées la muraille gauche, le confessionnal, l’autel de la Vierge, la grande horloge. Un craquement secoua le confessionnal ; la Mère de Dieu, dans une gloire, dans l’éblouissement de sa couronne et de son manteau d’or, sourit tendrement à l’enfant Jésus, de ses lèvres peintes ; l’horloge, réchauffée, battit l’heure, à coups plus vifs. Il sembla que le soleil peuplait les bancs des poussières qui dansaient dans ses rayons. La petite église, l’étable blanchie, fut comme pleine d’une foule tiède. Au dehors, on entendait les petits bruits du réveil heureux de la campagne, les herbes qui soupiraient d’aise, les feuilles s’essuyant dans la chaleur, les oiseaux lissant leurs plumes, donnant un premier coup d’ailes. Même la campagne entrait avec le soleil : à une des fenêtres, un gros sorbier se haussait, jetant des branches par les carreaux cassés, allongeant ses bourgeons, comme pour regarder à l’intérieur ; et, par les fentes de la grande porte, on voyait les herbes du perron, qui menaçaient d’envahir la nef. Seul, au milieu de cette vie montante, le grand Christ, resté dans l’ombre, mettait la mort, l’agonie...

Table of contents

  1. Titre
  2. Partie 1
  3. Partie 2
  4. Partie 3
  5. À propos de cette édition électronique