Le Brave Soldat Chveik
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Le Brave Soldat Chveik

About this book

L'oeuvre relate sur le mode de l'absurde et du grotesque les pérégrinations de Josef Chvéik, brave Tcheque de Prague vivant a l'époque de la Grande Guerre, sous la domination austro-hongroise. Chvéik s'affirme a lui tout seul, comme le symbole de l'absurdité de la Premiere Guerre mondiale, et peut-etre de toutes les guerres en général. Autrefois réformé pour idiotie et faiblesse d'esprit, Chvéik est le type meme de l'ingénu voltairien: honnete, naif et incompétent, il révele parfois une ruse dont on ne l'aurait pas soupçonné. S'il réussit a ridiculiser le fait militaire, c'est moins en le critiquant qu'en le vénérant d'une façon totalement imbécile. A l'optimisme forcené de Chvéik s'oppose la résignation désabusée des personnages qu'il rencontre, lesquels ne croient pas une seconde a l'utilité de la guerre ou a la possibilité qu'aurait l'Autriche-Hongrie et les autres empires centraux de la gagner. Cela donne lieu a de nombreuses scenes burlesques, comme par exemple lorsque Chvéik se fait arreter et emprisonner parce qu'il a publiquement manifesté son enthousiasme devant une affiche de mobilisation générale, son élan patriotique sincere ayant été pris pour de l'insolence.(extrait de Wikipedia)

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Information

Chapitre 1 COMMENT LE BRAVE SOLDAT CHVÉÏK INTERVINT DANS LA GRANDE GUERRE.

C’est du propre ! M’sieur le patron, prononça la logeuse de M. Chvéïk qui, aprĂšs avoir Ă©tĂ© dĂ©clarĂ© « complĂštement idiot » par la commission mĂ©dicale, avait renoncĂ© au service militaire et vivait maintenant en vendant des chiens bĂątards, monstres immondes, pour lesquels il fabriquait des pedigrees de circonstance.
Dans ses loisirs, il soignait aussi ses rhumatismes, et, au moment oĂč la logeuse l’interpella, il Ă©tait justement en train de se frictionner les genoux au baume d’opodeldoch.
– Quoi donc ? fit-il.
– Eh ! bien, notre Ferdinand
 il n’y en a plus !
– De quel Ferdinand parlez-vous, M’ame Muller ? questionna Chvéïk tout en continuant sa friction. J’en connais deux, moi. Il y a d’abord Ferdinand qui est garçon chez le droguiste Proucha et qui lui a bu une fois, par erreur, une bouteille de lotion pour les cheveux. AprĂšs, il y a Ferdinand Kokochka, celui qui ramasse les crottes de chiens. Si c’est l’un de ces deux-lĂ , ce n’est pas grand dommage ni pour l’un, ni pour l’autre.
– Mais, M’sieur le patron, c’est l’archiduc Ferdinand, celui de Konopiste, le gros calotin, vous savez bien ?
– JĂ©sus-Marie, n’en v’lĂ  d’une nouvelle ! s’écria Chvéïk. Et oĂč est-ce que ça lui est arrivĂ©, Ă  l’archiduc, voyons ?
– À SaraĂŻĂ©vo. Des coups de revolver. Il y Ă©tait allĂ© avec son archiduchesse en auto.
– Ça, par exemple ! Ben oui, en auto
 Vous voyez ce qu’c’est, M’ame Muller, on s’achĂšte une auto et on ne pense pas Ă  la fin
 Un dĂ©placement, ça peut toujours mal finir, mĂȘme pour un seigneur comme l’archiduc
 Et surtout Ă  SaraĂŻĂ©vo ! C’est en Bosnie, vous savez, M’ame Muller, et il n’y a que les Turcs qui sont capables de faire un sale coup pareil. On n’aurait pas dĂ» leur prendre la Bosnie et l’HerzĂ©govine, voilĂ  tout. Ils se vengent Ă  prĂ©sent. Alors, notre bon archiduc est montĂ© au ciel, M’ame Muller ? Ça n’a pas traĂźnĂ©, vrai ! Et a-t-il rendu son Ăąme en tout repos, ou bien a-t-il beaucoup souffert Ă  sa derniĂšre heure ?
– Il a Ă©tĂ© fait en cinq sec, M’sieur le patron. Pensez donc, un revolver, ce n’est pas un jouet d’enfant. Il y a pas longtemps, chez nous, Ă  Nusle, un monsieur a jouĂ© avec un revolver et il a tuĂ© toute sa famille, y compris le concierge qui est montĂ© au troisiĂšme pour voir ce qui se passait.
– Il y a des revolvers, M’ame Muller, qui ne partent pas, mĂȘme si vous poussez dessus Ă  devenir fou. Et il y en a beaucoup, de ces systĂšmes-lĂ . Seulement, vous comprenez, pour servir un archiduc on ne choisit pas de la camelote, et je parie aussi que l’homme qui a fait le coup s’est habillĂ© plutĂŽt chiquement. Un attentat comme ça, c’est pas un boulot ordinaire, c’est pas comme quand un braco tire sur un garde. Et puis, des archiducs, c’est des types difficiles, n’entre pas chez eux qui veut, n’est-ce pas ? On ne peut pas se prĂ©senter mal ficelĂ© devant un grand seigneur comme ça, y a pas Ă  tortiller. Il faut mettre un tuyau de poĂȘle, sans ça vous ĂȘtes coffrĂ©, et, ma foi, allez donc apprendre les belles maniĂšres au poste !
– Il paraĂźt qu’ils Ă©taient plusieurs.
– Bien sĂ»r, M’ame Muller, rĂ©pondit Chvéïk en terminant le massage de ses genoux. Une supposition : vous voulez tuer l’archiduc ou l’empereur, eh ! bien, la premiĂšre chose Ă  faire, c’est d’aller demander conseil Ă  quelqu’un. Autant de tĂȘtes, autant d’avis. Celui-ci conseille ci, l’autre ça, et alors « l’Ɠuvre rĂ©ussit », comme on chante dans notre hymne national. L’essentiel, c’est de choisir le bon moment lorsqu’un tel personnage passe devant vous. Tenez, vous devez vous rappeler encore ce M. Luccheni qui a percĂ© Ă  coups de tiers-point feu notre impĂ©ratrice Élisabeth. Celui-lĂ  a fait encore mieux ; il se promenait tranquillement Ă  cĂŽtĂ© d’elle et, tout d’un coup, ça y Ă©tait. C’est qu’il ne faut pas trop se fier aux gens, M’ame Muller. Depuis ce temps-lĂ  les impĂ©ratrices ne peuvent plus se promener. Et c’est pas fini, il y a encore bien d’autres personnages qui attendent leur tour. Vous verrez, M’ame Muller, qu’on aura mĂȘme le tzar et la tzarine, et il se peut aussi, puisque la sĂ©rie est commencĂ©e par son oncle, que notre empereur y passe bientĂŽt
 Il a beaucoup d’ennemis, vous savez, notre vieux pĂšre, beaucoup plus encore que ce Ferdinand. C’est comme disait l’autre jour un monsieur au restaurant ! le temps viendra oĂč tous ces monarques claqueront l’un aprĂšs l’autre, et mĂȘme le Procureur gĂ©nĂ©ral n’y pourra rien. La douloureuse venue, ce monsieur dont je vous parle n’avait pas de quoi rĂ©gler, et le propriĂ©taire a dĂ» appeler un agent. Le monsieur a accueilli cette dĂ©cision en allongeant une gifle au patron et deux Ă  l’agent et on l’a amenĂ© en panier Ă  salade oĂč vous savez. Vrai, M’ame Muller, il s’en passe des choses Ă  c’te heure ! Et l’Autriche ne fait qu’y perdre. Quand je faisais mon temps, un fantassin a tuĂ© un capitaine. N’est-ce pas, le pauvre bougre charge son fusil et s’en va au bureau. LĂ , on l’envoie promener, mais il insiste qu’il veut parler au capitaine. Finalement, le capitaine sort du bureau et colle au copain quatre jours de consigne. À partir de ce moment, ça allait tout seul : le copain va chercher son fusil et envoie une balle directement dans le cƓur du capitaine. Elle lui sort par le dos et fait encore des dĂ©gĂąts au bureau. Elle casse une bouteille d’encre et tache les paperasses.
– Et ce soldat, qu’est-ce qu’il est devenu ? questionna Mme Muller pendant que Chvéïk s’habillait.
– Il s’est pendu avec une paire de bretelles, rĂ©pondit Chvéïk en Ă©poussetant son chapeau melon. Avec des bretelles qui n’étaient pas Ă  lui, s’il vous plaĂźt ! Il avait dĂ» les emprunter au gardien-chef, sous prĂ©texte que ses pantalons tombaient. Et dame ! pourquoi attendre que le conseil de guerre vous condamne Ă  mort, n’est-ce pas ? Vous comprenez, M’ame Muller, que, dans des circonstances pareilles, on perd la tĂȘte. Le gardien-chef a Ă©tĂ© dĂ©gradĂ© et il a attrapĂ© six mois de prison. Mais il n’a pas pourri au violon. Il a foutu le camp en Suisse oĂč il a trouvĂ© un poste de prĂ©dicant de je ne sais plus quelle Église. Les gens honnĂȘtes sont rares aujourd’hui, vous savez, M’ame Muller. On se trompe facilement. C’était certainement le cas de l’archiduc Ferdinand. Il voit un monsieur qui lui crie « Gloire ! » et il se dit que ça doit ĂȘtre un type comme il faut. Mais voilĂ , les apparences sont trompeuses
 Est-ce qu’il a reçu un seul coup ou plusieurs ?
– Il est Ă©crit sur les journaux, M’sieur le patron, que l’archiduc a Ă©tĂ© criblĂ© de balles comme une Ă©cumoire. L’assassin a tirĂ© toutes ses balles.
– Parbleu ! On va vite dans ces affaires-lĂ , M’ame Muller. La vitesse, c’est tout. Moi, en pareil cas, je m’achĂšterais un browning. Ça n’a l’air de rien, c’est petit comme un bibelot, mais avec ça vous pouvez tuer en deux minutes une vingtaine d’archiducs, qu’ils soient gros ou maigres. Entre nous, M’ame Muller, vous avez toujours plus de chance de ne pas rater un archiduc gras qu’un archiduc maigre. On l’a bien vu au Portugal. Vous vous rappelez cette histoire du roi trouĂ© de balles ? Celui-lĂ  Ă©tait aussi dans le genre de l’archiduc, gros comme tout. Dites donc, M’ame Muller, je m’en vais maintenant Ă  mon restaurant Au Calice. Si on vient pour le ratier – j’ai dĂ©jĂ  touchĂ© un petit acompte sur le prix, – vous direz, s’il vous plaĂźt, qu’il se trouve dans mon chenil Ă  la campagne, que je viens de lui couper les oreilles et qu’il n’est pas en Ă©tat de voyager tant que ses oreilles ne sont pas cicatrisĂ©es, il pourrait prendre froid. La clef, vous la remettrez Ă  la concierge.
Au Calice il n’y avait qu’un seul client. C’était Bretschneider, un agent en bourgeois. Le propriĂ©taire, M. Palivec, rinçait les soucoupes, et Bretschneider essayait en vain d’entamer la conversation.
Palivec Ă©tait cĂ©lĂšbre par la verdeur de son langage, et il ne pouvait pas ouvrir la bouche sans dire « cul » ou « merde ». Mais il avait des lettres et conseillait Ă  qui voulait l’entendre de relire ce qu’a Ă©crit Ă  ce sujet Victor Hugo dans le passage oĂč il a citĂ© la rĂ©ponse de la vieille garde de NapolĂ©on aux Anglais, Ă  la bataille de Waterloo.
– Nous avons un Ă©tĂ© superbe, commença Bretschneider dĂ©sireux de faire parler le patron.
– Autant vaut la merde, rĂ©pondit Palivec en rangeant les soucoupes sur le buffet.
– Ils en ont fait de belles dans ce sacrĂ© SaraĂŻĂ©vo ! hasarda Bretschneider avec un faible espoir.
– Dans quel « SaraĂŻĂ©vo » ? questionna Palivec. Le bistro de Nusle ? Ça ne m’étonnerait pas du tout, lĂ  on se bat quotidiennement tous les jours. Tout le monde sait ce que c’est que Nusle

– Mais je vous parle de SaraĂŻĂ©vo en Bosnie, patron. On vient d’y assassiner l’archiduc Ferdinand. Qu’est-ce que vous en dites ?
– Des choses comme ça, je ne m’en mĂȘle pas. Celui qui vient m’emmerder avec des conneries pareilles, je l’envoie chier, rĂ©pondit poliment Palivec en allumant sa pipe. S’occuper des affaires de ce genre-lĂ  aujourd’hui, ça pourrait vous casser les reins. Je suis commerçant, n’est-ce pas ? et, quand quelqu’un vient pour me demander de la biĂšre, je suis Ă  son service. Mais n’importe quel SaraĂŻĂ©vo, la politique ou feu notre archiduc, tout ça ne fait pas notre affaire. Ça ne peut rapporter qu’un sĂ©jour Ă  Pankrac.
Déçu dans son attente, Bretschneider se tut et regarda autour de la salle vide.
– Dans le temps, vous aviez ici un tableau reprĂ©sentant notre empereur, reprit-il aprĂšs un moment de silence ; il Ă©tait accrochĂ© juste lĂ , oĂč il y a maintenant la glace.
– Ça, vous avez raison, riposta le patron. Mais, comme les mouches chiaient dessus, je l’ai fait enlever et mettre au grenier. Vous comprenez, il vient du monde ici, et il pourrait arriver facilement qu’on fasse une rĂ©flexion dĂ©sobligeante, et ça me vaudrait des emmerdements. Est-ce que j’en ai besoin, moi ?
– Il n’y a pas Ă  dire, ça n’a pas dĂ» ĂȘtre drĂŽle, ce SaraĂŻĂ©vo de malheur, patron ?
À cette question qu’il sentit brĂ»lante, Palivec rĂ©pondit Ă©vasivement :
– À c’te Ă©poque-lĂ , fit-il, il fait en Bosnie et en HerzĂ©govine des chaleurs formidables. Quand j’y faisais mon service militaire, on mettait tous les jours de la glace sur la tĂȘte de notre colonel.
– Dans quel rĂ©giment avez-vous servi, patron ?
– Je ne me charge pas la mĂ©moire avec des bĂȘtises pareilles. Je ne me suis jamais occupĂ© d’une telle foutaise et, du reste, je ne suis pas curieux Ă  ce point-lĂ , rĂ©pondit Palivec. Trop chercher nuit.
L’agent garda dĂ©finitivement le silence. Son regard s’assombrit et ne s’illumina qu’à l’arrivĂ©e de M. Chvéïk qui en ouvrant la porte commanda tout de suite « une noire ».
– À Vienne aussi, on est au noir aujourd’hui, ajouta-t-il.
Les yeux de Bretschneider s’allumùrent d’espoir.
– À Konopiste, il y a une dizaine de drapeaux noirs, fit-il sùchement.
– Il devrait y en avoir douze, dit Chvéïk aprĂšs avoir bu de sa biĂšre.
– Pourquoi justement douze ? interrogea Bretschneider.
– Pour que ça fasse un chiffre rond : une douzaine, ça se compte mieux comme ça. Et puis, c’est toujours Ă  meilleur marchĂ© quand on achĂšte par douzaine, rĂ©pliqua Chvéïk.
Il se fit un long silence que Chvéïk interrompit en soupirant :
– Le voilĂ  devant la justice de Dieu : que Dieu l’accueille dans sa gloire. Il n’aura pas vĂ©cu assez pour ĂȘtre empereur. Quand j’étais au rĂ©giment, un gĂ©nĂ©ral aussi est tombĂ© de son cheval et s’est tuĂ© tout doucement. On voulait le pousser pour l’aider Ă  remonter Ă  cheval, et on a vu qu’il Ă©tait dĂ©jĂ  tout ce qu’il y a de plus mort. Lui aussi aurait Ă©tĂ© bientĂŽt feld-marĂ©chal. Cela s’est passĂ© Ă  une revue. Ces revues militaires ne produisent jamais rien de bon, y a pas d’erreur. Je vous le dis, moi, Ă  SaraĂŻĂ©vo, c’est encore une revue qui a Ă©tĂ© la cause de tout. Je me rappelle qu’à une revue comme ça il me manquait, par hasard, Ă  peu prĂšs une vingtaine de sales boutons Ă  mon uniforme. Ah ! bien, on m’a foutu pour quinze jours en cellule, et pendant deux jours je me suis tortillĂ© comme un Lazare, ficelĂ© comme un saucisson. Mais, la discipline Ă  la caserne, je ne connais que ça, il en faut, voyez-vous. Notre colonel Makavoc nous disait toujours : « La discipline, tas d’abrutis, il la faut, parce que, sans elle, vous grimperiez aux arbres comme des singes, mais le service militaire fait de vous, espĂšces d’andouilles, des membres de la sociĂ©tĂ© humaine ! » Et c’est vrai ! Imaginez-vous un parc, mettons celui de la Place Charles, et sur chaque arbre un soldat sans discipline. C’est toujours ça qui m’a fait le plus peur.
– À SaraĂŻĂ©vo, insinua Bretschneider, c’est les Serbes qui ont tout fait.
– Pas du tout, rĂ©pondit Chvéïk, c’est les Turcs, rapport Ă  la Bosnie et Ă  l’HerzĂ©govine.
Et Chvéïk exposa ses vues sur la politique extĂ©rieure de l’Autriche dans les Balkans. En 1912, les Turcs ont Ă©tĂ© battus par la Serbie, la Bulgarie et la GrĂšce. Ils avaient demandĂ© Ă  l’Autriche de les aider, et, comme l’Autriche ne marchait pas, ils viennent de tuer Ferdinand. VoilĂ .
– Est-ce que tu aimes les Turcs, toi ? ajouta Chvéïk en s’adressant au patron ; est-ce que tu les aimes, ces chiens de paĂŻens ? N’est-ce pas que non ?
– Un client en vaut un autre, dit Palivec, mĂȘme si c’est un Turc. Pour nous autres commerçants, il n’y a pas de politique. Tu paies ton litre, tu as ta place chez moi. Tu as le droit de gueuler autant que tu veux, jusqu’à la Saint-Trou-du-cul. VoilĂ  mon principe. Que le type qui a fait le coup Ă  SaraĂŻĂ©vo soit un Serbe ou un Turc, un catholique ou un musulman, un anarchiste ou un Jeune-TchĂšque, je m’en bats l’Ɠil.
– Votre raisonnement est trĂšs juste, patron, fit Bretschneider sentant renaĂźtre son espoir de prendre en flagrant dĂ©lit au moins un des deux hommes. Mais vous admettrez que c’est une grande perte pour la Monarchie ?
Chvéïk se chargea de répondre à la place du patron :
– C’en est une, personne ne le nie. MĂȘme une perte Ă©norme. C’est que Ferdinand ne peut pas se faire remplacer par le premier imbĂ©cile venu. Il ne lui manquait que d’ĂȘtre encore plus gros.
– Qu’est-ce que vous entendez par là ? demanda vivement Bretschneider.
– Qu’est-ce que j’entends par lĂ  ? rĂ©pĂ©ta Chvéïk d’un air content, mais tout simplement ceci : S’il avait Ă©tĂ© plus gros, il aurait dĂ©jĂ  depuis longtemps attrapĂ© une attaque en courant aprĂšs les vieilles femmes lĂ -bas, Ă  Konopiste, quand elles ramassaient des champignons et du bois mort dans sa chasse, et il n’aurait pas Ă©tĂ© forcĂ© de mourir d’une mort si honteuse que ça. Quand j’y pense ! un oncle de l’Empereur, et on le tue comme un lapin ! Mais c’est un scandale, tous les journaux en sont pleins. Chez nous, Ă  Budejovice, il y a quelques annĂ©es, on a bouzillĂ© au marchĂ©, dans une petite dispute, un marchand de cochons, un certain Bretislav Ludovic. Il avait un fils qui s’appelait Geoffroy et, chaque fois qu’il s’amenait avec ses cochons Ă  vendre, personne n’en voulait et tout le monde disait :
« C’est le fils du bouzillĂ© de Budejovice, ça doit ĂȘtre une fine canaille ». Il a fini par se jeter dans la Vlatva Ă  Kroumlov, on a Ă©tĂ© obligĂ© de l’en tirer, ils ont dĂ» le faire revenir Ă  lui, il a fallu lui pomper de l’eau qu’il avait dans le corps et cet animal-lĂ  a claquĂ© dans les mains du mĂ©decin pendant que celui-ci lui donnait une injection.
– Vous en faites des comparaisons ! dit sentencieusement Bretschneider ; vous parlez d’abord de l’archiduc et ensuite d’un marchand de cochons.
– Mais je ne compare rien du tout, dit Chvéïk pour se dĂ©fendre ; Dieu m’en garde. Le patron me connaĂźt bien. Je n’ai jamais comparĂ© personne Ă  personne, il peut le dire. Seulement, je ne voudrais pas me trouver dans la peau de la veuve de l’archiduc. Je vous demande un peu ce qu’elle va faire Ă  prĂ©sent. Les enfants sont orphelins et le domaine de Kanopiste sans maĂźtre. Et se remarier avec un nouvel archiduc, c’est Ă  voir. Qui est-ce qui lui garantit qu’elle ne reto...

Table of contents

  1. Titre
  2. Chapitre 1 - COMMENT LE BRAVE SOLDAT CHVÉÏK INTERVINT DANS LA GRANDE GUERRE.
  3. Chapitre 2 - À LA DIRECTION DE LA POLICE.
  4. Chapitre 3 - CHVÉÏK DEVANT LES MÉDECINS LÉGISTES.
  5. Chapitre 4 - COMMENT CHVÉÏK FUT MIS À LA PORTE DE L’ASILE D’ALIÉNÉS.
  6. Chapitre 5 - CHVÉÏK AU COMMISSARIAT DE POLICE DE LA RUE SALMOVA.
  7. Chapitre 6 - CHVÉÏK RENDU À SES FOYERS.
  8. Chapitre 7 - CHVÉÏK S’EN VA T’EN GUERRE.
  9. Chapitre 8 - COMMENT CHVÉÏK FUT RÉDUIT AU TRISTE ÉTAT DE SIMULATEUR.
  10. Chapitre 9 - CHVÉÏK DANS LA PRISON DE LA PLACE DE PRAGUE.
  11. Chapitre 10 - COMMENT CHVÉÏK DEVINT LE TAMPON DE L’AUMÔNIER MILITAIRE.
  12. Chapitre 11 - CHVÉÏK SERT LA MESSE AU CAMP.
  13. Chapitre 12 - CONTROVERSE RELIGIEUSE.
  14. Chapitre 13 - CHVÉÏK PORTE LES DERNIERS SACREMENTS.
  15. Chapitre 14 - CHVÉÏK ORDONNANCE DU LIEUTENANT LUCAS.
  16. Chapitre 15 - CATASTROPHE.
  17. À propos de cette Ă©dition Ă©lectronique
  18. Notes de bas de page