Jâavais chaussĂ© mes pantoufles et endossĂ© ma robe de chambre. Jâessuyai une larme dont la bise qui soufflait sur le quai avait obscurci ma vue. Un feu clair flambait dans la cheminĂ©e de mon cabinet de travail. Des cristaux de glace, en forme de feuilles de fougĂšre, fleurissaient les vitres des fenĂȘtres et me cachaient la Seine, ses ponts et le Louvre des Valois.
Jâapprochai du foyer mon fauteuil et ma table volante, et je pris au feu la place quâHamilcar daignait me laisser. Hamilcar, Ă la tĂȘte des chenets, sur un coussin de plume, Ă©tait couchĂ© en rond, le nez entre ses pattes. Un souffle Ă©gal soulevait sa fourrure Ă©paisse et lĂ©gĂšre. Ă mon approche, il coula doucement ses prunelles dâagate entre ses paupiĂšres mi-closes quâil referma presque aussitĂŽt, en songeant : « Ce nâest rien, câest mon ami. »
â Hamilcar ! lui dis-je, en allongeant les jambes, Hamilcar, prince somnolent de la citĂ© des livres, gardien nocturne ! tu dĂ©fends contre de vils rongeurs les manuscrits et les imprimĂ©s que le vieux savant acquit au prix dâun modique pĂ©cule et dâun zĂšle infatigable. Dans cette bibliothĂšque silencieuse, que protĂšgent tes vertus militaires, Hamilcar, dors avec la mollesse dâune sultane !
Car tu rĂ©unis en ta personne lâaspect formidable dâun guerrier tartare Ă la grĂące appesantie dâune femme dâOrient. HĂ©roĂŻque et voluptueux Hamilcar, dors en attendant lâheure oĂč les souris danseront, au clair de la lune, devant les Acta sanctorum des doctes bollandistes.
Le commencement de ce discours plut Ă Hamilcar, qui lâaccompagna dâun bruit de gorge pareil au chant dâune bouilloire. Mais, ma voix sâĂ©tant Ă©levĂ©e, Hamilcar mâavertit, en abaissant les oreilles et en plissant la peau zĂ©brĂ©e de son front, quâil Ă©tait malsĂ©ant de dĂ©clamer ainsi. Et il songeait :
« Cet homme aux bouquins parle pour ne rien dire, tandis que notre gouvernante ne prononce jamais que des paroles pleines de sens, pleines de choses, contenant soit lâannonce dâun repas, soit la promesse dâune fessĂ©e. On sait ce quâelle dit. Mais ce vieillard assemble des sons qui ne signifient rien. »
Ainsi pensait Hamilcar. Le laissant Ă ses rĂ©flexions, jâouvris un livre que je lus avec intĂ©rĂȘt, car câĂ©tait un catalogue de manuscrits. Je ne sais pas de lecture plus facile, plus attrayante, plus douce que celle dâun catalogue. Celui que je lisais, rĂ©digĂ© en 1824 par M. Thompson, bibliothĂ©caire de sir Thomas Raleigh, pĂšche, il est vrai, par un excĂšs de briĂšvetĂ© et ne prĂ©sente point ce genre dâexactitude que les archivistes de ma gĂ©nĂ©ration introduisirent les premiers dans les ouvrages de diplomatique et de palĂ©ographie. Il laisse Ă dĂ©sirer et Ă deviner. Câest peut-ĂȘtre pourquoi jâĂ©prouve, en le lisant, un sentiment qui, dans une nature plus imaginative que la mienne, mĂ©riterait le nom de rĂȘverie. Je mâabandonnais doucement au vague de mes pensĂ©es quand ma gouvernante mâannonça dâun ton maussade que M. Coccoz demandait Ă me parler.
Quelquâun en effet se coula derriĂšre elle dans la bibliothĂšque. CâĂ©tait un petit homme, un pauvre petit homme, de mine chĂ©tive, et vĂȘtu dâune mince jaquette. Il sâavança vers moi en faisant une quantitĂ© de petits saluts et de petits sourires. Mais il Ă©tait bien pĂąle, et, quoique jeune et vif encore, il semblait malade. Je songeai, en le voyant, Ă un Ă©cureuil blessĂ©. Il portait sous son bras une toilette verte quâil posa sur une chaise ; puis, dĂ©faisant les quatre oreilles de la toilette, il dĂ©couvrit un tas de petits livres jaunes.
â Monsieur, me dit-il alors, je nâai pas lâhonneur dâĂȘtre connu de vous. Je suis courtier en librairie, monsieur. Je fais la place pour les principales maisons de la capitale, et, dans lâespoir que vous voudrez bien mâhonorer de votre confiance, je prends la libertĂ© de vous offrir quelques nouveautĂ©s.
Dieux bons ! dieux justes ! quelles nouveautĂ©s mâoffrit lâhomonculus Coccoz ! Le premier volume quâil me mit dans la main fut lâHistoire de la Tour de Nesle, avec les amours de Marguerite de Bourgogne et du capitaine Buridan.
â Câest un livre historique, me dit-il en souriant, un livre dâhistoire vĂ©ritable.
â En ce cas, rĂ©pondis-je, il est trĂšs ennuyeux, car les livres dâhistoire qui ne mentent pas sont tous fort maussades. Jâen Ă©cris moi-mĂȘme de vĂ©ridiques, et si, pour votre malheur, vous prĂ©sentiez quelquâun de ceux-lĂ de porte en porte, vous risqueriez de le garder toute votre vie dans votre serge verte, sans jamais trouver une cuisiniĂšre assez mal avisĂ©e pour vous lâacheter.
â Certainement, monsieur, me rĂ©pondit le petit homme, par pure complaisance.
Et, tout en souriant, il mâoffrit les Amours dâHĂ©loĂŻse et dâAbĂ©lard, mais je lui fis comprendre quâĂ mon Ăąge je nâavais que faire dâune histoire dâamour.
Souriant encore, il me proposa la RÚgle des jeux de société : piquet, bésigue, écarté, whist, dés, dames, échecs.
â HĂ©las ! lui dis-je, si vous voulez me rappeler les rĂšgles du bĂ©sigue, rendez-moi mon vieil ami Bignan, avec qui je jouais aux cartes, chaque soir, avant que les cinq acadĂ©mies lâeussent conduit solennellement au cimetiĂšre, ou bien encore abaissez Ă la frivolitĂ© des jeux humains la grave intelligence dâHamilcar que vous voyez dormant sur ce coussin, car il est aujourdâhui le seul compagnon de mes soirĂ©es.
Le sourire du petit homme devint vague et effaré.
â Voici, me dit-il, un recueil nouveau de divertissements de sociĂ©tĂ©, facĂ©ties et calembours, avec les moyens de changer une rose rouge en rose blanche.
Je lui dis que jâĂ©tais depuis longtemps brouillĂ© avec les roses et que, quant aux facĂ©ties, il me suffisait de celles que je me permettais, sans le savoir, dans le cours de mes travaux scientifiques.
Lâhomonculus mâoffrit son dernier livre avec son dernier sourire. Il me dit :
â Voici la Clef des songes, avec lâexplication de tous les rĂȘves quâon peut faire : rĂȘve dâor, rĂȘve de voleur, rĂȘve de mort, rĂȘve quâon tombe du haut dâune tour⊠Câest complet !
Jâavais saisi les pincettes, et câest en les agitant avec vivacitĂ© que je rĂ©pondis Ă mon visiteur commercial :
â Oui, mon ami, mais ces songes et mille autres encore, joyeux et tragiques, se rĂ©sument en un seul : le songe de la vie ; et votre petit livre jaune me donnera-t-il la clef de celui-lĂ ?
â Oui, monsieur, me rĂ©pondit lâhomonculus. Le livre est complet et pas cher : un franc vingt-cinq centimes, monsieur.
Je ne poussai pas plus loin mon entretien avec le colporteur. Que mes paroles aient Ă©tĂ© prononcĂ©es telles que je les rapporte, je nâoserais lâaffirmer. Peut-ĂȘtre les ai-je quelque peu amplifiĂ©es en les mettant par Ă©crit. Il est bien difficile dâobserver, mĂȘme en un journal, la vĂ©ritĂ© littĂ©rale. Mais si ce ne fut mon discours, câĂ©tait ma pensĂ©e.
Jâappelai ma gouvernante, car il nây a pas de sonnette en mon logis.
â ThĂ©rĂšse, dis-je, M. Coccoz, que je vous prie de reconduire, possĂšde un livre qui peut vous intĂ©resser : câest la Clef des songes. Je serais heureux de vous lâoffrir.
Ma gouvernante me répondit :
â Monsieur, quand on nâa pas le temps de rĂȘver Ă©veillĂ©e, on nâa pas davantage le temps de rĂȘver endormie. Dieu merci ! mes jours suffisent Ă ma tĂąche, et ma tĂąche suffit Ă mes jours, et je puis dire chaque soir : « Seigneur, bĂ©nissez le repos que je vais prendre ! » Je ne songe ni debout ni couchĂ©e, et je ne prends pas mon Ă©dredon pour un diable, comme cela arriva Ă ma cousine. Et si vous me permettez de donner mon avis, je dirai que nous avons assez de livres ici. Monsieur en a des mille et des mille qui lui font perdre la tĂȘte, et, moi, jâen ai deux qui me suffisent, mon paroissien et ma CuisiniĂšre bourgeoise.
Ayant ainsi parlé, ma gouvernante aida le petit homme à renfermer sa pacotille dans la toilette verte.
Lâhomonculus Coccoz ne souriait plus. Ses traits dĂ©tendus prirent une telle expression de souffrance que je fus aux regrets dâavoir raillĂ© un homme aussi malheureux. Je le rappelai et lui dis que jâavais lorgnĂ© du coin de lâĆil lâHistoire dâEstelle et de NĂ©morin, dont il possĂ©dait un exemplaire ; que jâaimais beaucoup les bergers et les bergĂšres et que jâachĂšterais volontiers, Ă un prix raisonnable, lâhistoire de ces deux parfaits amants.
â Je vous vendrai ce livre un franc vingt-cinq, monsieur, me rĂ©pondit Coccoz, dont le visage rayonnait de joie. Câest historique et vous en serez content. Je sais maintenant ce qui vous convient. Je vois que vous ĂȘtes un connaisseur. Je vous apporterai demain les Crimes des papes. Câest un bon ouvrage. Je vous apporterai lâĂ©dition dâamateur, avec les figures coloriĂ©es.
Je lâinvitai Ă nâen rien faire et le renvoyai content. Quand la toilette verte se fut Ă©vanouie avec le colporteur dans lâombre du corridor, je demandai Ă ma gouvernante dâoĂč nous Ă©tait tombĂ© ce pauvre petit homme.
â TombĂ© est le mot, me rĂ©pondit-elle ; il nous est tombĂ© des toits, monsieur, oĂč il habite avec sa femme.
â Il a une femme, dites-vous, ThĂ©rĂšse ? Cela est merveilleux !
Les femmes sont de bien Ă©tranges crĂ©atures. Celle-ci doit ĂȘtre une pauvre petite femme.
â Je ne sais trop ce quâelle est, me rĂ©pondit ThĂ©rĂšse, mais je la vois chaque matin traĂźner dans lâescalier des robes de soie tachĂ©es de graisse. Elle coule des yeux luisants. Et, en bonne justice, ces yeux et ces robes-lĂ conviennent-ils Ă une femme quâon a reçue par charitĂ© ? Car on les a pris dans le grenier pendant le temps quâon rĂ©pare le toit, en considĂ©ration de ce que le mari est malade et la femme dans un Ă©tat intĂ©ressant. La concierge dit mĂȘme que ce matin elle a senti les douleurs et quâelle est alitĂ©e Ă cette heure. Ils avaient bien besoin dâavoir un enfant !
â ThĂ©rĂšse, rĂ©pondis-je, ils nâen avaient sans doute nul besoin. Mais la nature voulait quâils en fissent un ; elle les a fait tomber dans son piĂšge. Il faut une prudence exemplaire pour dĂ©jouer les ruses de la nature. Plaignons-les et ne les blĂąmons pas ! Quant aux robes de soie, il nâest pas de jeune femme qui ne les aime. Les filles dâĂve adorent la parure. Vous-mĂȘme, ThĂ©rĂšse, qui ĂȘtes grave et sage, quels cris vous poussez quand il vous manque un tablier blanc pour servir Ă table ! Mais, dites-moi, ont-ils le nĂ©cessaire dans leur grenier ?
â Et comment lâauraient-ils, monsieur ? Le mari, que vous venez de voir, Ă©tait courtier en bijouterie, Ă ce que mâa dit la concierge, et on ne sait pas pourquoi il ne vend plus de montres. Il vend maintenant des almanachs. Ce nâest pas lĂ un mĂ©tier honnĂȘte, et je ne croirai jamais que Dieu bĂ©nisse un marchand dâalmanachs. La femme, entre nous, mâa tout lâair dâune propre Ă rien, dâune Marie-couche-toi-lĂ . Je la crois capable dâĂ©lever un enfant comme moi de jouer de la guitare. On ne sait dâoĂč cela vient, mais je suis certaine quâils arrivent par le coche de MisĂšre du pays de Sans-Souci.
â DâoĂč quâils viennent, ThĂ©rĂšse, ils sont malheureux, et leur grenier est froid.
â Pardi ! le toit est crevĂ© en plusieurs endroits et la pluie du ciel y coule en rigoles. Ils nâont ni meubles ni linge. LâĂ©bĂ©niste et le tisserand ne travaillent pas, je pense, pour des chrĂ©tiens de cette confrĂ©rie-lĂ !
â Cela est fort triste, ThĂ©rĂšse, et voilĂ une chrĂ©tienne moins bien pourvue que ce paĂŻen dâHamilcar. Que dit-elle ?
â Monsieur, je ne parle jamais Ă ces gens-lĂ . Je ne sais ce quâelle dit, ni ce quâelle chante. Mais elle chante toute la journĂ©e. Je lâentends de lâescalier quand jâentre ou quand je sors.
â Eh bien ! lâhĂ©ritier des Coccoz pourra dire, comme lâĆuf, dans la devinette villageoise : « Ma mĂšre me fit en chantant. »
Pareille chose advint Ă Henri IV. Quand Jeanne dâAlbret se sentit prise des douleurs, elle se mit Ă chanter un vieux cantique bĂ©arnais :
Notre-Dame du bout du pont,
Venez Ă mon aide en cette heure !
Priez le Dieu du ciel
Quâil me dĂ©livre vite,
Quâil me donne un garçon !
Il est Ă©videmment dĂ©raisonnable de donner la vie Ă des malheureux. Mais cela se fait journellement, ma pauvre ThĂ©rĂšse, et tous les philosophes du monde ne parviendront pas Ă rĂ©former cette sotte coutume. Madame Coccoz lâa suivie et elle chante. VoilĂ qui est bien ! Mais, dites-moi, ThĂ©rĂšse, nâavez-vous pas mis aujourdâhui le pot-au-feu ?
â Je lâai mis, monsieur, et mĂȘme il nâest que temps que jâaille lâĂ©cumer.
â Fort bien ! mais ne manquez point, ThĂ©rĂšse, de tirer de la marmite un bon bol de bouillon, que vous porterez Ă madame Coccoz, notre hyper-voisine.
Ma gouvernante allait se retirer quand jâajoutai fort Ă propos :
â ThĂ©rĂšse, veuillez donc, avant tout, appeler votre ami le commissionnaire, et dites-lui de prendre dans notre bĂ»cher une bonne crochetĂ©e de bois quâil montera au grenier des Coccoz. Surtout quâil ne manque pas de mettre dans son tas une maĂźtresse bĂ»che, une vraie bĂ»che de NoĂ«l. Quant Ă lâhomonculus, je vous prie, sâil revient, de le consigner poliment Ă ma porte, lui et tous ses livres jaunes.
Ayant pris ces petits arrangements avec lâĂ©goĂŻsme raffinĂ© dâun vieux cĂ©libataire, je me remis Ă lire mon catalogue.
Avec quelle surprise, quelle Ă©motion, quel trouble jây vis cette mention, que je ne puis transcrire sans que ma main tremble :
« La lĂ©gende dorĂ©e de Jacques de GĂȘnes (Jacques de Voragine), traduction française, petit in-4°.
» Ce manuscrit, du XIVe siĂšcle, contient, outre la traduction assez complĂšte de lâouvrage cĂ©lĂšbre de Jacques de Voragine : 1° les lĂ©gendes des saints FerrĂ©ol, Ferrution, Germain, Vincent et DroctovĂ©e ; 2° un poĂšme sur la SĂ©pulture miraculeuse de Monsieur saint Germain dâAuxerre. Cette traduction, ces lĂ©gendes et ce poĂšme sont dus au clerc Jean ToutmouillĂ©.
» Le manuscrit est sur vĂ©lin. Il contient un grand nombre de lettres ornĂ©es et deux miniatures finement exĂ©cutĂ©es, mais dans un mauvais Ă©tat de conservation ; lâune reprĂ©sente la Purification de la Vierge, et lâautre le couronnement de Proserpine. »
Quelle dĂ©couverte ! La sueur mâen vint au front, et mes yeux se couvrirent dâun voile. Je tremblai, je rougis et, ne pouvant plus parler, jâĂ©prouvai le besoin de pousser un grand cri.
Quel trĂ©sor ! JâĂ©tudie depuis quarante ans la Gaule chrĂ©tienne et spĂ©cialement cette glorieuse abbaye de Saint-Germain-des-PrĂ©s dâoĂč sortirent ces rois-moines qui fondĂšrent notre dynastie nationale. Or, malgrĂ© la coupable insuffisance de la description, il Ă©tait Ă©vident pour moi que ce manuscrit provenait de la grande abbaye. Tout me le prouvait : les lĂ©gendes ajoutĂ©es par le traducteur se rapportaient toutes Ă la pieuse fondation du roi Childebert. La lĂ©gende de saint DroctovĂ©e Ă©tait particuliĂšrement significative, car câest celle du premier abbĂ© de ma chĂšre abbaye. Le poĂšme en vers français, relatif Ă la sĂ©pulture de saint Germain, me conduisait dans la nef mĂȘme de la vĂ©nĂ©rable basilique, qui fut le nombril de la Gaule chrĂ©tienne.
La LĂ©gende dorĂ©e est par elle-mĂȘme un vaste et gracieux ouvrage. Jacques de Voragine, dĂ©finiteur de lâordre de Saint-Dominique et archevĂȘque de GĂȘnes, assembla au XIIIe siĂšcle les traditions relatives aux saints de la catholicitĂ©, et il en forma un recueil dâune telle richesse quâon sâĂ©cria dans les monastĂšres et dans les chĂąteaux : « Câest la lĂ©gende dorĂ©e ! » La LĂ©gende dorĂ©e est surtout opulente en hagiographie italienne. Les Gaules, les Allemagnes, lâAngleterre y ont peu de place. Voragine nâaperçoit quâĂ travers une froide brume les plus grands saints de lâOccident. Aussi les traducteurs aquitains, germains et saxons de ce bon lĂ©gendaire prirent-ils le soin dâajouter Ă son rĂ©cit les vies de leurs saints nationaux.
Jâai lu et collationnĂ© bien des manuscrits de la LĂ©gende dorĂ©e. Je connais ceux que dĂ©crit mon savant collĂšgue M. Paulin Paris, dans son beau catalogue des manuscrits de la bibliothĂšque du roi. Il y en a deux notamment qui ont fixĂ© mon attention. Lâun est du XIVe siĂšcle et contient une traduction de Jean Belet ; lâautre, plus jeune dâun siĂšcle, renferme la version de Jacques Vignay. Ils proviennent tous deux du fonds Colbert et furent placĂ©s sur les tablettes de cette glorieuse Colbertine par les soins du bibliothĂ©caire Baluze, dont je ne puis prononcer le nom sans ĂŽter mon bonnet, car, dans le siĂšcle des gĂ©ants de lâĂ©rudition, Baluze Ă©tonne par sa grandeur. Je connais un trĂšs curieux codex du fonds Bigot ; je connais soixante-quatorze Ă©ditions imprimĂ©es, Ă commencer par leur vĂ©nĂ©rable aĂŻeule Ă toutes, la gothique de Stra...