Une Femme
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Un jeune seigneur rural vit une histoire d'amour passionnée avec une femme, mariée a un vieux comte... Ce roman, au dénouement un peu tragique, est parfois considéré comme étant l'un des romans les plus réussis de l'auteur, meme s'il n' a eu qu'un mince succes public.

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Information

Une Femme

Camille Lemonnier

Nos chevaux vivement s’allongeaient sous les chĂątaigniers quand, au bruit d’une faux qu’un paysan battait avec la pierre, Hercule prit peur et s’emballa. C’était une bĂȘte nerveuse et qui dĂ©jĂ  m’avait causĂ© plus d’une alerte. Lorsque je pus la maĂźtriser, nous avions fait un bon bout de chemin. J’entendais derriĂšre moi le galop de Suzy qui avait rendu la bride et tĂąchait de me joindre.
Hercule, frĂ©missant et s’ébrouant, le mors mousseux d’écume, Ă  prĂ©sent dansait sur place, fouillant des sabots la terre. Mon Dieu ! je devais avoir l’air passablement ridicule avec mes bonds en selle, plongeant d’avant et d’arriĂšre aux ressacs de la croupe.
Par surcroĂźt, une branche basse pendant la course m’avait enlevĂ© mon chapeau. J’étais donc lĂ  nu-tĂȘte, au milieu du chemin, Ă©coutant venir le galop de Suzy et voyant par avance sa petite moue d’ironie. Tout Ă  coup les battues de sa jument furent comme cassĂ©es au ras du sol. J’entendis un cri et regardai par-dessus mon Ă©paule. Je l’aperçus roulĂ©e Ă  terre, prise avec la selle dans les plis de son amazone. D’une cinglade de ma cravache j’enlevai Hercule. Avant que j’eusse vidĂ© l’étrier, Suzy dĂ©jĂ  Ă©tait debout.
– Qu’est-il arrivĂ©, Suzy ?
Elle riait, secouant sa longue jupe grise de poussiÚre, la tenant à poignées dans ses gants de peau de daim.
– Rien. La selle a tournĂ©. Est-ce bĂȘte ?
Je ramassai la selle, la jetai sur le dos de la jument, et maintenant je tirais sur les sangles fortement pour serrer la boucle. Elle fit un pas, de nouveau poussa un cri.
– Je crois que je me suis foulĂ© le pied.
Une colĂšre brouilla ses yeux sous la barre noire des sourcils.
– Oh ! la brute de palefrenier !
Elle voulut remonter ; mais, chaque fois qu’elle posait le pied dans ma main pour s’enlever, une douleur lui rompait la cheville.
– La brute ! La brute !
Il fut Ă©vident que tout effort nouveau serait inutile. Par malheur, l’aprĂšs-midi s’achevait et nous Ă©tions Ă  une grande distance du chĂąteau.
– Donnez-moi votre bras, Philippe, me dit-elle. Je tñcherai de marcher jusqu’à la ferme là-bas.
Nous parcourĂ»mes une centaine de mĂštres, elle pendue Ă  mon bras, moi la soutenant et tirant aprĂšs moi les chevaux. Le mal grandit. À chaque pas elle croyait soulever toute la terre du chemin aprĂšs elle. À bout de force, elle dĂ©clara qu’elle ne mettrait plus un pied devant l’autre. Je la vis prĂšs de moi toute pĂąle, mordant sa lĂšvre pour ne pas crier.
– Ma pauvre Suzy ! Qu’allons-nous faire ?
– Eh bien, portez-moi jusqu’à la ferme.
Le courage lui revint. Elle riait en rassemblant les plis amples de sa jupe. Alors, riant aussi comme si c’eĂ»t Ă©tĂ© un jeu, je la pris dĂ©licatement sous les Ă©paules et les jarrets. Avec sa petite taille, elle pesait dans mes bras le poids d’un enfant. Et elle se tenait gentiment blottie contre moi, d’une vie lĂ©gĂšre et reposĂ©e, son visage prĂšs du mien dans le soir qui tombait. C’était elle maintenant qui, de la main qu’elle avait passĂ©e Ă  mon cou, tirait Hercule et la jument derriĂšre nous.
Nous n’avions Ă©tĂ© jusque-lĂ  l’un pour l’autre que des gens d’un mĂȘme monde, unis par une ancienne camaraderie. J’avais certainement dĂ» penser dĂ©jĂ  Ă  la forme de son corps. Seulement c’était un autre sentiment qu’avec les grandes femmes indolentes et charnues. Il ne m’était jamais venu l’idĂ©e que je pourrais la dĂ©sirer un jour. Je l’avais connue toute jeune : nous avions passionnĂ©ment jouĂ© au polo chez un de ses parents qui Ă©tait aussi l’ami des miens. Il venait lĂ  beaucoup de jeunes gens et de jeunes filles. Comme les parties duraient tout l’étĂ©, on finissait par supprimer toute cĂ©rĂ©monie et les petits noms volaient d’une bouche Ă  l’autre familiĂšrement. Moi, je brĂ»lais en ce temps d’une ardeur ridicule pour une grande fille blonde et maniĂ©rĂ©e ; mais celle-lĂ , je n’osais pas la nommer par son nom, tandis que tout de suite j’appelai par le sien, cette petite fille noire aux allures masculines. Plus tard, ce jeune compagnonnage nous devint Ă  tous deux une amicale habitude. Elle aima m’avoir pour partenaire aux paper hunts chez son pĂšre. Avec sa nature volontaire et personnelle, elle exerçait sur moi un ascendant lĂ©ger. Elle paraissait me traiter comme un bon garçon avec lequel une jeune fille ne court point de risque. Aucun de nous n’était un flirt pour l’autre.
Et puis j’avais voyagĂ© : nous ne nous Ă©tions plus revus qu’aprĂšs son mariage avec le vieux comte. Ce fut une surprise ; je ne m’étais pas fait Ă  la pensĂ©e qu’elle se marierait un jour. Elle m’avait seulement dit une fois, en galopant prĂšs de moi, que, sur ce point comme sur tout le reste, elle Ă©tait bien dĂ©cidĂ©e Ă  n’en faire qu’à sa tĂȘte. Elle me prĂ©senta Ă  son mari, un homme aimable aprĂšs tout, d’assez grande mine, mais goutteux. Comme j’hĂ©sitais sur le nom qu’il me faudrait lui donner dĂ©sormais, elle me dit de sa petite voix un peu rauque :
– Appelez-moi Suzy ; je veux ĂȘtre toujours Suzy pour mes anciens amis.
Et ce fut entre nous comme si rien n’avait changĂ©.
J’allais doucement avec mon lĂ©ger fardeau dans mes bras, mettant un certain orgueil Ă  marcher droit, d’une haleine Ă©gale. Une illusion d’optique, dans le coup de lumiĂšre oblique du couchant, sembla d’abord avancer les murs blancs de la ferme Ă  une double portĂ©e de fusil. Mais la route s’allongea : les bras petit Ă  petit raidis, je n’étais plus aussi sĂ»r d’arriver jusqu’au bout sans lasser mes forces. Les chevaux derriĂšre nous s’ébrouaient, les cols tendus, tirant sur la bride que Suzy tenait dans son petit poing fermĂ©. Elle ne me parlait plus de son mal, elle Ă©tait plutĂŽt portĂ©e Ă  envisager gaiement l’aventure ; et moi, je me taisais pour Ă©pargner mon souffle, riant seulement d’un rire un peu nerveux par-dessus sa jolie moue amusĂ©e. Et puis pour la premiĂšre fois, sentant se communiquer Ă  moi cette vie encore inconnue de son corps, mon cƓur Ă©trangement battit. Je commençai Ă  penser que c’était vraiment lĂ  une jeune femme dĂ©sirable que je tenais dans mes bras, avec ses petits seins frĂ©missants et la courbe flexible de ses reins. Au creux de ma main se moulait si nettement la rondeur de ses jambes, que j’avais la sensation indĂ©finissable de les toucher nues sous la robe, Ă  la hauteur des jarretiĂšres. Elles Ă©taient fermes et pleines.
J’avais le tempĂ©rament rĂ©gulier des jeunes hommes adonnĂ©s aux exercices physiques et je n’avais pas de maĂźtresse. Quand la sĂšve montait, je me satisfaisais d’un gros plaisir tout de suite oubliĂ©. Mais avec cette palpitation d’une chair jeune et fraĂźche contre la mienne, je me pris Ă  songer que cette Suzy serait d’un prix inestimable pour l’homme qui saurait s’en faire aimer. J’étais troublĂ© au fond de moi d’étranges et subtils mouvements. Sa bouche aux lĂšvres rouges, ouvertes dans un clair rire de petites dents blanches, sembla m’encourager : je ne l’avais pas encore entendue rire ainsi ; et elle avait dans les yeux un plissement rusĂ©. Se moque-t-elle de moi, pensais-je, et soupçonnerait-elle ma petite torture intime ? Ou attend-elle que cette situation si nouvelle pour tous deux se dĂ©noue dans un sens que ni l’un ni l’autre ne pouvons encore prĂ©voir ? Un homme, dans certains cas, en arrive facilement Ă  croire qu’il est de sa dignitĂ© de se comporter envers une femme comme le ferait un goujat.
Des chaleurs m’irritĂšrent le sang ; un magnĂ©tisme dangereux Ă  mesure se dĂ©gageait de ce corps souple et vibrant, tout prĂšs du battement de ma vie. Mes mains aussi Ă  prĂ©sent s’électrisaient dans la pression plus vive autour de la forme de ses jambes. Je vis ses yeux se fermer.
Elle eut une expression de bonheur charmĂ©, la tĂȘte renversĂ©e sur mon Ă©paule. Et elle me dit singuliĂšrement de sa petite voix dure, plus sourde qu’à l’ordinaire :
– Philippe, il me semble que vous m’avez toujours portĂ©e ainsi.
Une joie d’enfant aprĂšs une grande fatigue ne se fĂ»t pas exprimĂ©e autrement. SitĂŽt que me vint cette idĂ©e, je repris possession de moi-mĂȘme, un peu honteux de mon court vertige. Je pensais trĂšs nettement : Ma petite Suzy, il y a longtemps que je serais tombĂ© sur les genoux si j’avais dĂ» toujours vous porter ainsi.
Je ramassai mes forces dans un dernier effort, et traßnant aprÚs nous les chevaux, nous pénétrùmes dans la ferme.
Les gens s’empressĂšrent. Il se trouva qu’ils avaient vendu une couple de vaches bretonnes au chĂąteau, l’autre annĂ©e. Ils Ă©tendirent des draps frais sur le meilleur des lits et j’y portai moi-mĂȘme Suzy dans son amazone. Tous deux, encore une fois, nous nous Ă©tions remis Ă  rire comme si, en la portant dans mes bras, j’accomplissais rĂ©ellement un office habituel. Son rire Ă  elle me disait :
– Mais oui, n’est-ce pas là une chose convenue entre nous ?
Et moi, avec mon souffle rafraüchi et le jeu libre de mes poumons, j’entrais joyeusement dans ce rîle.
Une grande fille monta, se tint prĂšs du lit. Elle sentait le lait et la paille et elle caressait ses bras nus, un peu gĂȘnĂ©e, nous Ă©piant du coin de l’Ɠil.
– Mais restez donc ! me dit Suzy ; vous n’ĂȘtes pas de trop.
Elle fit sauter sa jupe par-dessus son pantalon de cheval et tendit le pied. La fille, à croupettes, doucement tirait sur la botte ; mais la cheville avait gonflé. Suzy me prit vivement la main, pinça mes doigts entre les siens, criant à travers ses dents serrées :
– Tire, mais tire donc.
Et tout Ă  coup, dans l’effort, la botte cĂ©da ; j’aperçus son petit pied d’enfant Ă  travers les mailles du bas noir, avec la croqure jolie des doigts jouant au bord des draps. Il me parut que j’étais redevenu le bon garçon devant qui une femme ne se gĂȘne pas pour trousser sa robe jusqu’au mollet. Maintenant Suzy se renversait sur le lit, allĂ©gĂ©e, dĂ©tendue, avec un soupir de joie.
Le fermier gratta Ă  la porte : il s’offrait pour aller chercher le rebouteur. Celui-ci habitait Ă  une heure de la ferme. Mais Suzy, pour la premiĂšre fois, eut l’air de se rappeler qu’il y avait Ă  Montaiglon quelqu’un qui peut-ĂȘtre dĂ©jĂ  s’inquiĂ©tait de son absence.
– Philippe, fit-elle, dites Ă  ce brave homme qu’il aille plutĂŽt au chĂąteau. Il ramĂšnera la jument et il apprendra au comte cette sotte histoire. Il le priera aussi de m’envoyer demain matin le landau avec le mĂ©decin et ma femme de chambre. Je suis dĂ©cidĂ©e Ă  passer la nuit ici.
En rentrant dans la chambre, je trouvai Suzy au lit. Elle s’était dĂ©shabillĂ©e avec l’aide de la fille et celle-ci lui avait passĂ© une jaquette de coton dont l’ampleur exagĂ©rait encore la petitesse de sa taille. Toutes deux riaient tandis que, sous le retroussis des manches, elle agitait ses fins poignets. Son amazone pendait Ă  un crochet contre le mur. Il y avait sur une chaise, prĂšs du chevet, une cuvette d’eau fraĂźche et des bandelettes. J’apercevais le relief de son pied bandĂ©, sous les draps.
– Ah ! mon pauvre Philippe, me dit-elle gentiment, quel ennui pour vous !
Elle congĂ©dia la fille et maintenant elle m’avait repris les mains ; je la regardais en souriant. Sa peau tiĂšde avait la douceur du satin et me causait une sensation de plaisir. Je pensais : « Oui, quel ennui ! » J’avais arrangĂ© avec Ponsin, le garde du comte, que nous irions, cette nuit-lĂ , poser nos nasses, prĂšs du barrage, dans l’étang. Cependant je tenais doucement ses petites mains pressĂ©es dans les miennes, j’appuyais sur ses yeux noirs et limpides un regard franc, comme si ma pensĂ©e n’était pas allĂ©e lĂ -bas, vers le barrage.
Des minutes coulĂšrent. La ferme s’était feutrĂ©e de silence. Au loin, sur la route, le martellement des ferrures lĂąches d’un bidet s’accompagnait des larges foulĂ©es sonores de la jument. Une nuit bleue mollement glissait entre les rideaux, une large onde de lune que limitait la zone rougeĂątre du suif crĂ©pitant dans un flambeau de bois.
– Eh bien, Suzy ?
– Oh ! plus rien qu’une petite torpeur dĂ©licieuse !
Quelle idĂ©e bizarre elle eut tout Ă  coup de se vouloir faire conter « quelque chose d’amusant » ! J’étais l’homme le moins fait pour dĂ©biter des fables lĂ©gĂšres. Au moment oĂč je croyais pouvoir me rappeler la fin d’une anecdote, la mĂ©moire toujours me manquait.
– Vous savez, Suzy, je suis trĂšs bĂȘte. Je ne trouve jamais rien, moi.
– Si ! si ! fit-elle. Contez-moi, par exemple, votre premiùre histoire de femme.
Son visage, d’un hĂąle ambrĂ© de pĂȘche mĂ»re, ondulait dans la grosse toile bise. Je compris que tout son corps, avec sa serpentaison flexible sous les draps, aussi venait Ă  moi dans ce mouvement. Mon Dieu ! elle me demanda cela si drĂŽlement que je me pris Ă  rougir trĂšs bas dans la nuque comme si sur ce chapitre-lĂ  une certaine rĂ©serve m’était commandĂ©e. Il me parut peu convenable de lui rĂ©vĂ©ler qu’une nuit, une des servantes de ma mĂšre Ă©tait entrĂ©e dans mon lit et que, de toutes les femmes qui Ă©taient venues par la suite, aucune ne m’avait laissĂ© un plus agrĂ©able souvenir.
Je haussai le sourcil ; mon monocle tomba. Avec une gaucherie de myope, je demeurai un instant tĂątonnant du bout des doigts le long de mon gilet. Et l’Ɠil vague, nuĂ© d’un lĂ©ger brouillard, je lui disais :
– Je vous assure, cette chose aurait pu arriver aussi bien à votre jardinier qu’à moi. Il vaut mieux n’en pas parler.
– Mais le voilĂ  ! fit-elle en me passant le monocle qui avait roulĂ© sur la couverture.
Il me parut qu’elle riait au bord des draps. Je ne voyais pas ses yeux ; et puis, sa voix brusque, sa petite voix de mue d’un jeune garçon Ă  l’ñge de la pubertĂ© sortit du lit.
– Dites-moi, avez-vous au moins connu l’amour ?
D’un geste rapide du pouce et de l’index, j’assurai mon disque de verre. Maintenant je pouvais lui dire franchement la vĂ©ritĂ© sans honte.
– Non, Suzy, je n’ai jamais aimĂ©.
– SĂ©rieusement, non ?
– SĂ©rieusement, non.
La confiance monta. Il sembla que nous Ă©tions plus prĂšs l’un de l’autre, avec des Ăąmes fraĂźches et heureuses. Un peu de temps aucun de nous ne parla plus. C’était une chose nouvelle, trĂšs douce, une intimitĂ© que nous n’avions pas encore connue. Et enfin elle me dit faiblement, comme une petite enfant malade :
– Philippe, donnez-moi votre main. Je vais dormir.
Avec la chaleur sĂšche et les pulsations de son sang dans mes doigts, je la vis entrer mollement dans le sommeil. À prĂ©sent elle dormait lĂ  sous ma garde, blottie avec son mystĂšre dans la chaleur des draps. Son visage demeura tournĂ© vers moi, la vie close de ses yeux, le souffle lĂ©ger de sa bouche entr’ouverte. Et moi, j’avais attirĂ© une chaise, je tenais toujours dans les doigts sa main ardente, sentant passer dans mes papilles le rapide magnĂ©tisme orageux de sa fiĂšvre. Quelquefois ses hanches, sous la toile, avaient une secousse, brĂšves et fines comme le moulage d’une crĂ©ature des petites races.
Un grand apaisement me vint Ă  moi-mĂȘme, aprĂšs le trouble vertige subi sur le chemin. Je pensais avec une nuance plutĂŽt de tendre sensibilitĂ© : « Quelle drĂŽle de petite femme ! » Aucune autre n’aurait fait ce qu’elle faisait lĂ , dans sa confiance tranquille.
Mes idĂ©es tournĂšrent. Je redevins l’homme qui rapporte Ă  la pensĂ©e du plaisir et de la possession le charme dĂ©licat d’une compagnie fĂ©minine. Elle doit me prendre pour un fier imbĂ©cile, me certifiai-je, sans goĂ»t d’ailleurs pour une surprise d’amour. Maintenant aussi je me figurais le vieil Ă©poux, venant comme moi au bord du lit et se glissant sous les draps avec son dĂ©sir dĂ©bile. VoilĂ , oui, comment n’avait-elle pas pris un homme jeune et aduste, elle qui autrefois n’en voulait faire qu’à sa tĂȘte ?
Je demeurai encore un peu de temps ; et puis je dĂ©tachai doucement sa main, je la reposai sur les couvertures. Dans la ferme on veillait : le fermier n’était pas encore rentrĂ© ; j’entendais bourdonner faiblement les voix Ă  travers les solives. Peut-ĂȘtre ces gens causaient de nous. Vers minuit, les fers du bidet enfin rĂąpĂšrent le pavĂ© de la cour. J’ouvris avec prĂ©caution la porte et descendis sur la pointe des pieds. Le bonhomme rapportait un billet du...

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