Jean Valjean
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SoulevĂ©, le peuple de Paris est symbolisĂ© par les combattants de la barricade. Jean Valjean s'est vu confier la garde de l'inspecteur Javert, arrĂȘtĂ© par les insurgĂ©s. Il feint de l'exĂ©cuter mais le libĂšre, puis sauve Marius blessĂ© en passant par les Ă©gouts...

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Information

Livre premier – La guerre entre quatre murs

Chapitre I – La Charybde du faubourg Saint-Antoine et la Scylla du faubourg du Temple

Les deux plus mĂ©morables barricades que l’observateur des maladies sociales puisse mentionner n’appartiennent point Ă  la pĂ©riode oĂč est placĂ©e l’action de ce livre. Ces deux barricades, symboles toutes les deux, sous deux aspects diffĂ©rents, d’une situation redoutable, sortirent de terre lors de la fatale insurrection de juin 1848, la plus grande guerre des rues qu’ait vue l’histoire[1].
Il arrive quelquefois que, mĂȘme contre les principes, mĂȘme contre la libertĂ©, l’égalitĂ© et la fraternitĂ©, mĂȘme contre le vote universel, mĂȘme contre le gouvernement de tous par tous, du fond de ses angoisses, de ses dĂ©couragements, de ses dĂ©nĂ»ments, de ses fiĂšvres, de ses dĂ©tresses, de ses miasmes, de ses ignorances, de ses tĂ©nĂšbres, cette grande dĂ©sespĂ©rĂ©e, la canaille, proteste, et que la populace livre bataille au peuple.
Les gueux attaquent le droit commun ; l’ochlocratie s’insurge contre le dĂ©mos.
Ce sont des journĂ©es lugubres ; car il y a toujours une certaine quantitĂ© de droit mĂȘme dans cette dĂ©mence, il y a du suicide dans ce duel ; et ces mots, qui veulent ĂȘtre des injures, gueux, canaille, ochlocratie[2], populace, constatent, hĂ©las ! plutĂŽt la faute de ceux qui rĂšgnent que la faute de ceux qui souffrent ; plutĂŽt la faute des privilĂ©giĂ©s que la faute des dĂ©shĂ©ritĂ©s.
Quant Ă  nous, ces mots-lĂ , nous ne les prononçons jamais sans douleur et sans respect, car, lorsque la philosophie sonde les faits auxquels ils correspondent, elle y trouve souvent bien des grandeurs Ă  cĂŽtĂ© des misĂšres. AthĂšnes Ă©tait une ochlocratie ; les gueux ont fait la Hollande ; la populace a plus d’une fois sauvĂ© Rome ; et la canaille suivait JĂ©sus-Christ.
Il n’est pas de penseur qui n’ait parfois contemplĂ© les magnificences d’en bas.
C’est Ă  cette canaille que songeait sans doute saint JĂ©rĂŽme, et Ă  tous ces pauvres gens, et Ă  tous ces vagabonds, et Ă  tous ces misĂ©rables d’oĂč sont sortis les apĂŽtres et les martyrs, quand il disait cette parole mystĂ©rieuse : Fex urbis, lex orbis[3].
Les exaspĂ©rations de cette foule qui souffre et qui saigne, ses violences Ă  contre-sens sur les principes qui sont sa vie, ses voies de fait contre le droit, sont des coups d’État populaires, et doivent ĂȘtre rĂ©primĂ©s. L’homme probe s’y dĂ©voue, et, par amour mĂȘme pour cette foule, il la combat. Mais comme il la sent excusable tout en lui tenant tĂȘte ! comme il la vĂ©nĂšre tout en lui rĂ©sistant ! C’est lĂ  un de ces moments rares oĂč, en faisant ce qu’on doit faire, on sent quelque chose qui dĂ©concerte et qui dĂ©conseillerait presque d’aller plus loin ; on persiste, il le faut ; mais la conscience satisfaite est triste, et l’accomplissement du devoir se complique d’un serrement de cƓur[4].
Juin 1848 fut, hĂątons-nous de le dire, un fait Ă  part, et presque impossible Ă  classer dans la philosophie de l’histoire. Tous les mots que nous venons de prononcer doivent ĂȘtre Ă©cartĂ©s quand il s’agit de cette Ă©meute extraordinaire oĂč l’on sentit la sainte anxiĂ©tĂ© du travail rĂ©clamant ses droits. Il fallut la combattre, et c’était le devoir, car elle attaquait la RĂ©publique. Mais, au fond, que fut juin 1848 ? Une rĂ©volte du peuple contre lui-mĂȘme.
LĂ  oĂč le sujet n’est point perdu de vue, il n’y a point de digression ; qu’il nous soit donc permis d’arrĂȘter un moment l’attention du lecteur sur les deux barricades absolument uniques dont nous venons de parler et qui ont caractĂ©risĂ© cette insurrection.
L’une encombrait l’entrĂ©e du faubourg Saint-Antoine ; l’autre dĂ©fendait l’approche du faubourg du Temple ; ceux devant qui se sont dressĂ©s, sous l’éclatant ciel bleu de juin, ces deux effrayants chefs-d’Ɠuvre de la guerre civile, ne les oublieront jamais.
La barricade Saint-Antoine Ă©tait monstrueuse ; elle Ă©tait haute de trois Ă©tages et large de sept cents pieds. Elle barrait d’un angle Ă  l’autre la vaste embouchure du faubourg, c’est-Ă -dire trois rues ; ravinĂ©e, dĂ©chiquetĂ©e, dentelĂ©e, hachĂ©e, crĂ©nelĂ©e d’une immense dĂ©chirure, contre-butĂ©e de monceaux qui Ă©taient eux-mĂȘmes des bastions, poussant des caps çà et lĂ , puissamment adossĂ©e aux deux grands promontoires de maisons du faubourg, elle surgissait comme une levĂ©e cyclopĂ©enne au fond de la redoutable place qui a vu le 14 juillet. Dix-neuf barricades s’étageaient dans la profondeur des rues derriĂšre cette barricade mĂšre. Rien qu’à la voir, on sentait dans le faubourg l’immense souffrance agonisante arrivĂ©e Ă  cette minute extrĂȘme oĂč une dĂ©tresse veut devenir une catastrophe. De quoi Ă©tait faite cette barricade ? De l’écroulement de trois maisons Ă  six Ă©tages, dĂ©molies exprĂšs, disaient les uns. Du prodige de toutes les colĂšres, disaient les autres. Elle avait l’aspect lamentable de toutes les constructions de la haine : la ruine. On pouvait dire : qui a bĂąti cela ? On pouvait dire aussi : qui a dĂ©truit cela ? C’était l’improvisation du bouillonnement. Tiens ! cette porte ! cette grille ! cet auvent ! ce chambranle ! ce rĂ©chaud brisĂ© ! cette marmite fĂȘlĂ©e ! Donnez tout ! jetez tout ! poussez, roulez, piochez, dĂ©mantelez, bouleversez, Ă©croulez tout ! C’était la collaboration du pavĂ©, du moellon, de la poutre, de la barre de fer, du chiffon, du carreau dĂ©foncĂ©, de la chaise dĂ©paillĂ©e, du trognon de chou, de la loque, de la guenille, et de la malĂ©diction. C’était grand et c’était petit. C’était l’abĂźme parodiĂ© sur place par le tohu-bohu. La masse prĂšs de l’atome ; le pan de mur arrachĂ© et l’écuelle cassĂ©e ; une fraternisation menaçante de tous les dĂ©bris ; Sisyphe avait jetĂ© lĂ  son rocher et Job son tesson. En somme, terrible. C’était l’acropole des va-nu-pieds. Des charrettes renversĂ©es accidentaient le talus ; un immense haquet y Ă©tait Ă©talĂ© en travers, l’essieu vers le ciel, et semblait une balafre sur cette façade tumultueuse, un omnibus, hissĂ© gaĂźment Ă  force de bras tout au sommet de l’entassement, comme si les architectes de cette sauvagerie eussent voulu ajouter la gaminerie Ă  l’épouvante, offrait son timon dĂ©telĂ© Ă  on ne sait quels chevaux de l’air. Cet amas gigantesque, alluvion de l’émeute, figurait Ă  l’esprit un Ossa sur PĂ©lion de toutes les rĂ©volutions ; 93 sur 89, le 9 thermidor sur le 10 aoĂ»t, le 18 brumaire sur le 21 janvier, vendĂ©miaire sur prairial, 1848 sur 1830. La place en valait la peine, et cette barricade Ă©tait digne d’apparaĂźtre Ă  l’endroit mĂȘme oĂč la Bastille avait disparu. Si l’ocĂ©an faisait des digues, c’est ainsi qu’il les bĂątirait. La furie du flot Ă©tait empreinte sur cet encombrement difforme. Quel flot ? la foule. On croyait voir du vacarme pĂ©trifiĂ©. On croyait entendre bourdonner, au-dessus de cette barricade, comme si elles eussent Ă©tĂ© lĂ  sur leur ruche, les Ă©normes abeilles tĂ©nĂ©breuses du progrĂšs violent. Était-ce une broussaille ? Ă©tait-ce une bacchanale ? Ă©tait-ce une forteresse ? Le vertige semblait avoir construit cela Ă  coups d’aile. Il y avait du cloaque dans cette redoute et quelque chose d’olympien dans ce fouillis. On y voyait, dans un pĂȘle-mĂȘle plein de dĂ©sespoir, des chevrons de toits, des morceaux de mansardes avec leur papier peint, des chĂąssis de fenĂȘtres avec toutes leurs vitres plantĂ©s dans les dĂ©combres, attendant le canon, des cheminĂ©es descellĂ©es, des armoires, des tables, des bancs, un sens dessus dessous hurlant, et ces mille choses indigentes, rebuts mĂȘme du mendiant, qui contiennent Ă  la fois de la fureur et du nĂ©ant. On eĂ»t dit que c’était le haillon d’un peuple, haillon de bois, de fer, de bronze, de pierre, et que le faubourg Saint-Antoine l’avait poussĂ© lĂ  Ă  sa porte d’un colossal coup de balai, faisant de sa misĂšre sa barricade. Des blocs pareils Ă  des billots, des chaĂźnes disloquĂ©es, des charpentes Ă  tasseaux ayant forme de potences, des roues horizontales sortant des dĂ©combres, amalgamaient Ă  cet Ă©difice de l’anarchie la sombre figure des vieux supplices soufferts par le peuple. La barricade Saint-Antoine faisait arme de tout ; tout ce que la guerre civile peut jeter Ă  la tĂȘte de la sociĂ©tĂ© sortait de lĂ  ; ce n’était pas du combat, c’était du paroxysme ; les carabines qui dĂ©fendaient cette redoute, parmi lesquelles il y avait quelques espingoles, envoyaient des miettes de faĂŻence, des osselets, des boutons d’habit, jusqu’à des roulettes de tables de nuit, projectiles dangereux Ă  cause du cuivre. Cette barricade Ă©tait forcenĂ©e ; elle jetait dans les nuĂ©es une clameur inexprimable ; Ă  de certains moments, provoquant l’armĂ©e, elle se couvrait de foule et de tempĂȘte, une cohue de tĂȘtes flamboyantes la couronnait ; un fourmillement l’emplissait ; elle avait une crĂȘte Ă©pineuse de fusils, de sabres, de bĂątons, de haches, de piques et de bayonnettes ; un vaste drapeau rouge y claquait dans le vent ; on y entendait les cris du commandement, les chansons d’attaque, des roulements de tambours, des sanglots de femmes, et l’éclat de rire tĂ©nĂ©breux des meurt-de-faim. Elle Ă©tait dĂ©mesurĂ©e et vivante ; et, comme du dos d’une bĂȘte Ă©lectrique, il en sortait un pĂ©tillement de foudres. L’esprit de rĂ©volution couvrait de son nuage ce sommet oĂč grondait cette voix du peuple qui ressemble Ă  la voix de Dieu ; une majestĂ© Ă©trange se dĂ©gageait de cette titanique hottĂ©e de gravats. C’était un tas d’ordures et c’était le SinaĂŻ.
Comme nous l’avons dit plus haut, elle attaquait au nom de la RĂ©volution, quoi ? la RĂ©volution. Elle, cette barricade, le hasard, le dĂ©sordre, l’effarement, le malentendu, l’inconnu, elle avait en face d’elle l’assemblĂ©e constituante, la souverainetĂ© du peuple, le suffrage universel, la nation, la RĂ©publique ; et c’était la Carmagnole dĂ©fiant la Marseillaise.
Défi insensé, mais héroïque, car ce vieux faubourg est un héros.
Le faubourg et sa redoute se prĂȘtaient main-forte. Le faubourg s’épaulait Ă  la redoute, la redoute s’acculait au faubourg. La vaste barricade s’étalait comme une falaise oĂč venait se briser la stratĂ©gie des gĂ©nĂ©raux d’Afrique. Ses cavernes, ses excroissances, ses verrues, ses gibbositĂ©s, grimaçaient, pour ainsi dire, et ricanaient sous la fumĂ©e. La mitraille s’y Ă©vanouissait dans l’informe ; les obus s’y enfonçaient, s’y engloutissaient, s’y engouffraient ; les boulets n’y rĂ©ussissaient qu’à trouer des trous ; Ă  quoi bon canonner le chaos ? Et les rĂ©giments, accoutumĂ©s aux plus farouches visions de la guerre, regardaient d’un Ɠil inquiet cette espĂšce de redoute bĂȘte fauve, par le hĂ©rissement sanglier, et par l’énormitĂ© montagne.
À un quart de lieue de lĂ , de l’angle de la rue du Temple qui dĂ©bouche sur le boulevard prĂšs du ChĂąteau-d’Eau, si l’on avançait hardiment la tĂȘte en dehors de la pointe formĂ©e par la devanture du magasin Dallemagne, on apercevait au loin, au delĂ  du canal, dans la rue qui monte les rampes de Belleville, au point culminant de la montĂ©e, une muraille Ă©trange atteignant au deuxiĂšme Ă©tage des façades, sorte de trait d’union des maisons de droite aux maisons de gauche, comme si la rue avait repliĂ© d’elle-mĂȘme son plus haut mur pour se fermer brusquement. Ce mur Ă©tait bĂąti avec des pavĂ©s. Il Ă©tait droit, correct, froid, perpendiculaire, nivelĂ© Ă  l’équerre, tirĂ© au cordeau, alignĂ© au fil Ă  plomb. Le ciment y manquait sans doute, mais comme Ă  de certains murs romains, sans troubler sa rigide architecture. À sa hauteur on devinait sa profondeur. L’entablement Ă©tait mathĂ©matiquement parallĂšle au soubassement. On distinguait d’espace en espace, sur sa surface grise, des meurtriĂšres presque invisibles qui ressemblaient Ă  des fils noirs. Ces meurtriĂšres Ă©taient sĂ©parĂ©es les unes des autres par des intervalles Ă©gaux. La rue Ă©tait dĂ©serte Ă  perte de vue. Toutes les fenĂȘtres et toutes les portes fermĂ©es. Au fond se dressait ce barrage qui faisait de la rue un cul-de-sac ; mur immobile et tranquille ; on n’y voyait personne, on n’y entendait rien ; pas un cri, pas un bruit, pas un souffle. Un sĂ©pulcre.
L’éblouissant soleil de juin inondait de lumiĂšre cette chose terrible.
C’était la barricade du faubourg du Temple.
DĂšs qu’on arrivait sur le terrain et qu’on l’apercevait, il Ă©tait impossible, mĂȘme aux plus hardis, de ne pas devenir pensif devant cette apparition mystĂ©rieuse. C’était ajustĂ©, emboĂźtĂ©, imbriquĂ©, rectiligne, symĂ©trique, et funĂšbre. Il y avait lĂ  de la science et des tĂ©nĂšbres. On sentait que le chef de cette barricade Ă©tait un gĂ©omĂštre ou un spectre. On regardait cela et l’on parlait bas.
De temps en temps, si quelqu’un, soldat, officier ou reprĂ©sentant du peuple, se hasardait Ă  traverser la chaussĂ©e solitaire, on entendait un sifflement aigu et faible, et le passant tombait blessĂ© ou mort, ou, s’il Ă©chappait, on voyait s’enfoncer dans quelque volet fermĂ©, dans un entre-deux de moellons, dans le plĂątre d’un mur, une balle. Quelquefois un biscayen. Car les hommes de la barricade s’étaient fait de deux tronçons de tuyaux de fonte du gaz bouchĂ©s Ă  un bout avec de l’étoupe et de la terre Ă  poĂȘle, deux petits canons. Pas de dĂ©pense de poudre inutile. Presque tout coup portait. Il y avait quelques cadavres çà et lĂ , et des flaques de sang sur les pavĂ©s. Je[5] me souviens d’un papillon blanc qui allait et venait dans la rue. L’étĂ© n’abdique pas.
Aux environs, le dessous des portes cochÚres était encombré de blessés.
On se sentait lĂ  visĂ© par quelqu’un qu’on ne voyait point, et l’on comprenait que toute la longueur de la rue Ă©tait couchĂ©e en joue.
MassĂ©s derriĂšre l’espĂšce de dos d’ñne que fait Ă  l’entrĂ©e du faubourg du Temple le pont cintrĂ© du canal, les soldats de la colonne d’attaque observaient, graves et recueillis, cette redoute lugubre, cette immobilitĂ©, cette impassibilitĂ©, d’oĂč la mort sortait. Quelques-uns rampaient Ă  plat ventre jusqu’au haut de la courbe du pont en ayant soin que leurs shakos ne passassent point.
Le vaillant colonel Monteynard admirait cette barricade avec un frĂ©missement. – Comme c’est bĂąti ! disait-il Ă  un reprĂ©sentant. Pas un pavĂ© ne dĂ©borde de l’autre. C’est de la porcelaine. – En ce moment une balle lui brisa sa croix sur sa poitrine, et il tomba.
– Les lĂąches ! disait-on. Mais qu’ils se montrent donc ! qu’on les voie ! ils n’osent pas ! ils se cachent ! – La barricade du faubourg du Temple, dĂ©fendue par quatrevingts hommes, attaquĂ©e par dix mille, tint trois jours. Le quatriĂšme, on fit comme Ă  Zaatcha et Ă  Constantine[6], on perça les maisons, on vint par les toits, la barricade fut prise. Pas un des quatrevingts lĂąches ne songea Ă  fuir ; tous y furent tuĂ©s, exceptĂ© le chef, BarthĂ©lemy, dont nous parlerons tout Ă  l’heure.
La barricade Saint-Antoine Ă©tait le tumulte des tonnerres ; la barricade du Temple Ă©tait le silence. Il y avait entre ces deux redoutes la diffĂ©rence du formidable au sinistre. L’une semblait une gueule ; l’autre un masque.
En admettant que la gigantesque et tĂ©nĂ©breuse insurrection de juin fĂ»t composĂ©e d’une colĂšre et d’une Ă©nigme, on sentait dans la premiĂšre barricade le dragon et derriĂšre la seconde le sphinx.
Ces deux forteresses avaient Ă©tĂ© Ă©difiĂ©es par deux hommes nommĂ©s, l’un Cournet, l’autre BarthĂ©lemy. Cournet avait fait la barricade Saint-Antoine ; BarthĂ©lemy[7] la barricade du Temple. Chacune d’elles Ă©tait l’image de celui qui l’avait bĂątie.
Cournet Ă©...

Table of contents

  1. Titre
  2. Livre premier – La guerre entre quatre murs
  3. Livre deuxiĂšme – L’intestin de LĂ©viathan
  4. Livre troisiùme – La boue, mais l’ñme
  5. Livre quatriĂšme – Javert dĂ©raillĂ©
  6. Livre cinquiùme – Le petit-fils et le grand-pùre
  7. Livre sixiùme – La nuit blanche
  8. Livre septiĂšme – La derniĂšre gorgĂ©e du calice
  9. Livre huitiĂšme – La dĂ©croissance crĂ©pusculaire
  10. Livre neuviĂšme – SuprĂȘme ombre, suprĂȘme aurore
  11. À propos de cette Ă©dition Ă©lectronique
  12. Notes de bas de page