Les Linottes
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Les Linottes

About this book

Deux fois par semaine, fuyant l'ail qui parfume l'haleine avec une ténacité indiscrete, Robert Cozal remplace par du fromage blanc l'habituel saucisson de son casse-croute matinal. C'est une coquetterie qu'explique la venue, le lundi et le jeudi, de sa maßtresse la charmante Mme Marthe Hamiet. Quoi de plus pratique qu'un horaire régulier dans ses amours? Cela donne a Robert, nature légere et coeur d'amadou, toute latitude pour gouter d'autres charmes a d'autres heures. Mais une entorse a l'horaire fait que Marthe le surprend a lutiner la blanchisseuse Anita. Brouille, bouderie, silence. Sur quoi Robert, voulant se raccommoder, accepte de dßner avec le mari et se trouve séduit par cet imaginatif au point de lui confier l'opéra-bouffe qu'il compose. Et voila comment débute cette joyeuse histoire ou Courteline portraiture avec ironie les linottes perchées sur la Butte Montmartre au temps ou cette Butte était encore champetre.

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Information

LES LINOTTES

I

Le trente et un du mois d’aoĂ»t, vers les neuf heures du matin, Robert Cozal regagna ses pĂ©nates, s’étant levĂ© avec les coqs.
Il Ă©tait chaussĂ© d’espadrilles, coiffĂ© d’une casquette de vacher, et il revenait de la rue des Saules oĂč il Ă©tait allĂ© boire du vin blanc et manger un bout de saucisson Ă  la porte d’un mastroquet, en regardant les lentes fumĂ©es des chemins de fer flotter dans l’air bleu des lointains.
Il en usait ainsi chaque matin, Ă  moins que le temps s’y opposĂąt. Le lundi seulement, et le jeudi, jours oĂč Mme Hamiet, sa maĂźtresse, le venait voir, il modifiait son ordinaire et dĂ©jeunait de fromage blanc, crainte de troubler d’un relent d’ail l’extase des intimitĂ©s.
TrĂšs nomade et capricieux, aimant la nouveautĂ© jusqu’à changer trois fois par mois son lit de place, histoire de goĂ»ter au rĂ©veil l’exquise impression de la surprise, il n’était guĂšre un coin de Paris oĂč cet aimable garçon n’eĂ»t plantĂ© un instant sa tente. À la fin il avait fait comme tout le monde, il avait Ă©chouĂ© Ă  Montmartre, et, depuis le printemps, il filait d’heureux jours sous les ombrages de la villa Bon-Abri : une double forĂȘt d’acacias et de hĂȘtres dĂ©gringolant Ă  pic, aux flancs d’une commune allĂ©e, la pente nord de la Butte.
Et le fait est que c’était dĂ©licieux, ce coin de banlieue prĂ©maturĂ©e poussĂ© lĂ  sans que l’on sĂ»t comment, semĂ© d’habitations coquettes, de haies frĂȘles oĂč les liserons couraient en clochettes lĂ©gĂšres, et que les dimanches de beau temps emplissaient d’un tapage de bombances champĂȘtres. Il y en avait pour tous les goĂ»ts et aussi pour toutes les bourses, depuis le manoir Ă  tourelles dont les Ă©troites meurtriĂšres Ă©clairent les water-closets, jusqu’à l’humble cahute de planches, coiffĂ©e d’un zinc Ă  rails que roue de coups la pluie.
De bourse et de goĂ»ts Ă©galement modestes, Robert Cozal avait pris le juste milieu : il payait douze cents francs par an le droit d’exĂ©cuter d’agrĂ©ables variations sur le thĂšme cĂ©lĂšbre de Jean-Jacques, « une maisonnette blanche avec des contrevents verts », vraie maison de Socrate pour l’exiguĂŻtĂ©, si basse qu’une couple de platanes se rejoignaient par-dessus son toit, s’y enlaçaient en rameaux fraternels.
LĂ , il goĂ»tait les grandes douceurs de paix qu’avait toujours convoitĂ©es sa paresse, restant parfois des heures entiĂšres le dos dans les herbes de sa pelouse, Ă  regarder planer d’immobiles cerfs-volants qu’enlevaient des gamins rue Lamarck. À midi, il passait son veston d’alpaga, se coiffait de sa casquette et partait dĂ©jeuner au petit bonheur de ses pas : au « Lapin Agile », par exemple, ou sous les phtisiques tonnelles du « Site Enchanteur », une façon d’auberge de grand chemin Ă©chappĂ©e Ă  un dĂ©cor de mĂ©lodrame et que, seul, un miracle semblait empĂȘcher de glisser comme un wagonnet de montagne russe, sur la dĂ©gringolade de la rue du Mont-Cenis. Quelque temps il avait, ainsi, promenĂ© de bouchon en bouchon son hĂ©sitante clientĂšle, mais un matin qu’il Ă©tait venu tirer de l’eau au puits banal de la villa Bon-Abri, il avait fait la connaissance du musicien StĂ©phen Hour, son voisin, en lui inondant les souliers du trop plein de ses arrosoirs, et depuis lors, devenus grands amis, les deux hommes dĂźnaient ensemble dans une gargote de la rue Saint-Rustique dont l’ahurissante enseigne
OLIVIER
ET
PIEDS DE MOUTONS
avait le pouvoir de jeter Cozal Ă  des abĂźmes de rĂȘverie.
Ils mangeaient en plein air, Ă  la fraĂźcheur d’un chĂšvrefeuille qu’allumait de verts Ă©clatants une lampe posĂ©e entre eux, s’attardaient ensuite Ă  causer, devant les lits de sucre fondu restĂ©s au fond de leurs tasses, d’un projet de collaboration : un opĂ©ra-comique Louis XV, appelĂ© Madame Brimborion, que Cozal achevait tout doucement, en s’amusant, pour occuper ses loisirs. Hour, du reste, pour qui la vie avait eu la dent un peu dure et qui ne dĂ©rageait pas contre elle, avait, en tout et pour tout, deux sujets de conversation, – deux ! – sa musique et sa maĂźtresse. Sorti de lĂ , il bourrait sa pipe et laissait dire, dĂ©sintĂ©ressĂ©, retranchĂ©, si on venait Ă  le questionner, derriĂšre le vague geste ignorant du monsieur qui s’en bat l’orbite.
Sa musique !

À la vĂ©ritĂ©, deux mornes chutes rĂ©sumaient sa carriĂšre :
1° À l’OpĂ©ra, Servage ! Ă©popĂ©e tragique, intentionnellement traitĂ©e en opĂ©rette, Hour ayant tenu Ă  prouver qu’il savait ĂȘtre homme de verve le jour oĂč ça lui convenait ;
2° Aux Folies-Dramatiques, La Main chaude, opĂ©rette bouffe dĂ©bordante d’ñpre Ă©rudition et d’insipide solennitĂ©, Hour ayant voulu, cette fois, Ă©tablir qu’il avait plus d’une corde Ă  son arc, et que, s’il excellait Ă  se montrer badin lorsqu’il convenait qu’il fĂ»t grave, en revanche il Ă©tait sans Ă©gal pour triompher, quand il fallait ĂȘtre plaisant, dans le bel art d’ĂȘtre sĂ©vĂšre.
Avec ce joli systĂšme, oĂč se synthĂ©tisait tout entiĂšre la vanitĂ© intransigeante et insociable du personnage, il en Ă©tait venu, lui, prix de Rome de 1895, Ă  bricoler pour l’éditeur BarbaillĂ©, qui les lui payait vingt francs piĂšce, des rĂ©ductions enfantines d’Ɠuvres cĂ©lĂšbres tombĂ©es dans le domaine public, et Ă  battre, le reste du temps, le pavĂ© de la capitale, pour trouver des leçons de piano – qu’il trouvait et ne gardait jamais plus de huit jours, tant il apportait de promptitude Ă  dĂ©goĂ»ter les gens les mieux intentionnĂ©s.
Les quelques louis ainsi glanĂ©s de droite et de gauche, joints aux quelques piĂšces de cent sous qu’il touchait Ă  l’agence des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (il Ă©tait l’auteur d’une romance cĂ©lĂšbre : Cueillons les Roses), et aux petits revenus qu’il avait hĂ©ritĂ©s de sa mĂšre, lui constituaient une maigre aisance, dont l’allĂ©geait, avec une incontestable dextĂ©ritĂ©, la jeune HĂ©lĂšne, aimable voyou juponnĂ© de 17 Ă  18 ans, qu’il avait mise dans ses meubles et qu’il idolĂątrait et rouait de coups tout ensemble.
Rue de Lorient, une venelle en coude qu’écrase la crĂȘte de la Butte sous l’ombre allongĂ©e de ses moulins, il lui avait louĂ© et meublĂ© un petit rez-de-chaussĂ©e de trois piĂšces oĂč Ă©taient venus coucher les uns aprĂšs les autres tous les rigolos de Montmartre, sauf lui, qu’elle renvoyait impitoyablement Ă  sa niche de la villa.
Car cette prodigue de soi-mĂȘme, de qui nul pied n’avait en vain agacĂ© le pied sous une table, se montrait avec lui d’une lĂ©sinerie inouĂŻe, d’une ladrerie qui ne dĂ©sarmait par-ci par-lĂ  qu’avec des soupirs assommĂ©s, et qui, aprĂšs l’avoir lentement exaspĂ©rĂ©, le jetait soudain Ă  des accĂšs de folie furieuse.
– SaletĂ© ! criait-il. Coquine ! En voilĂ  encore des façons ! Si je te dĂ©goĂ»te, faut le dire.
Mais elle, froidement :
– Faut le dire ?
 Je le dis.
– Je te dĂ©goĂ»te ?
– Oui, tu me dĂ©goĂ»tes !
Alors Stéphen Hour, hors de lui :
– Sale bĂȘte ! hurlait-il, sale bĂȘte !
Et lĂ -dessus, c’était des batailles Ă  en Ă©tourdir la maison, des pourchas extravagants autour des meubles culbutĂ©s, des scĂšnes de pugilat en chambre, d’oĂč ils sortaient : lui, comme d’une catastrophe Ă  laquelle il n’aurait Ă©chappĂ© que par miracle, Ă©perdu, muet, les lĂšvres blĂȘmes ; elle, comme de son lit, mon Dieu ! reposĂ©e, et souriante, et calme, toute colorĂ©e de calottes et ravie d’avoir fait Ă©cumer le gros homme.
Pauvre gros homme !
TorturĂ© de jalousie latente et de dĂ©sirs insatisfaits, deux fois trahi et deux fois malheureux dans les deux seules passions qui meublassent sa vie, volontiers et indiffĂ©remment il s’en prenait Ă  l’une de l’autre. À l’ingratitude de son art il reprochait les tristes consolations demandĂ©es Ă  ses sales amours ; Ă  ses amours, les cruelles reprĂ©sailles de son art bĂȘtement nĂ©gligĂ© et galvaudĂ© pour elles, et qui se vengeait.
Il passait la moitiĂ© de sa vie Ă  faire le serment de lĂącher la « coquine » et l’autre moitiĂ© Ă  le refaire ; de quoi se divertissait fort Robert Cozal, demeurĂ© trĂšs bĂ©bĂ© malgrĂ© ses vingt-cinq ans, et qu’amusait au suprĂȘme degrĂ© l’éloquence pittoresque et pleine de laisser-aller de son ami. Celui-ci, par sa large face embroussaillĂ©e, le flamboiement sombre de ses yeux, le perpĂ©tuel grondement d’orage qui filtrait de ses lĂšvres closes et l’entretenait au centre d’un essaim bourdonnant de grosses mouches, apparaissait Ă  celui-lĂ  tel un sanglier monstrueux.
Ce mĂȘme matin, trente et uniĂšme du mois d’aoĂ»t, Cozal devait ĂȘtre Ă©bahi Ă  dĂ©couvrir en quelle bauge le sanglier vivait comme un cochon.
Il avait, la veille au soir, achevĂ© le second acte de Madame Brimborion, et, pressĂ© de lui faire tenir la bonne nouvelle, il se dĂ©cida Ă  franchir, en dĂ©pit de l’heure matinale, le seuil de son collaborateur.
En pénétrant dans la villa Bon-Abri, le premier cottage rencontré était celui de Stéphen Hour.
Il se composait d’une chose qui avait Ă©tĂ© un jardin, ainsi qu’en attestaient les buis empoussiĂ©rĂ©s surgis des herbes par instants et marquant l’emplacement de corbeilles disparues, et d’un cube Ă©norme de verdures qui Ă©tait l’habitation. De la maison, en effet, plus rien, que l’enchevĂȘtrement confus des vignes vierges qui en matelassaient la toiture, pour chasser de lĂ , jusqu’au sol, en stalactites compactes, leurs jeunes pousses troussĂ©es et tendres. Robert Cozal, cherchant la porte, les dut Ă©carter de ses deux bras ainsi qu’il eĂ»t fait de lourds rideaux.
La clĂ©, mise une fois pour toutes Ă  la serrure, n’en avait oncques bougĂ© depuis.
Il entra.
– Eh ?
 Quoi ?
 Qui va lĂ  ? fit une voix qui parut sortir d’un souterrain et qui, en rĂ©alitĂ©, Ă©tait celle de StĂ©phen Hour, couchĂ© Ă  mĂȘme le plancher. Ah ! c’est vous ? Eh bien ! vrai, vous n’avez pas le trac d’ĂȘtre sur vos pattes Ă  cette heure-ci. Le diable vous emporte, mon bon !
En mĂȘme temps, par le bain d’ombre noyant la piĂšce, une pĂąleur imprĂ©cise et vivante s’agita : Hour, Ă©veillĂ© en sursaut, qui se soulevait sur ses paumes.
Interloqué :
– Je vous dĂ©range
 ; vous dormiez encore, fit Cozal.
Hour avait un langage Ă  lui, dont les volontĂ©s de continence d’une exaspĂ©ration perpĂ©tuelle mangeaient la moitiĂ© au passage et dont suintait le reste, tant bien que mal, Ă  travers la flambaison dense d’une moustache en chute d’eau.
Sa réponse fut un grognement de truie à qui on a donné du pied dans le groin.
– 
 on
 eu
 ou
 ; heure qu’il est ?
 Pas midi, je parie !
 erdant, ĂȘtre rĂ©veillĂ© Ă  des heures pareilles !
 – Enfin !
Il ajouta :
– Tirez donc le rideau. On est comme dans une cave, ici. Cozal, ravi d’y voir clair, s’empressa, et il demeura effarĂ©, Ă  se demander s’il rĂȘvait.
À peine distinguĂ© dans l’affreux crĂ©puscule tombĂ© lĂ  tout Ă  coup des verdures du dehors, c’était sous ses yeux le plus fou, le plus invraisemblable repaire de sous-fripier qu’ait jamais abritĂ© la Maube en les enfoncements sinistres de ses impasses.
Des loques ! Des chaussures moisies et encroĂ»tĂ©es d’antiques boues !
 Des chapeaux ravagĂ©s d’usure, et dont l’un, ĂŽ surprise ! un melon aux vastes bords, que sans doute la main de son propriĂ©taire avait impatiemment lancĂ© Ă  la volĂ©e, flottait comme un navire Ă  l’ancre en les eaux savonneuses et Ă©paisses d’une cuvette !
 Sur la tablette, fendue en deux, d’une cheminĂ©e qui Ă©tait un cellier et dont la trappe dĂ©mantibulĂ©e ouvrait un jour en angle aigu sur l’ñtre hĂ©rissĂ© de bouteilles vides, cette cuvette occupait la place de la pendule, laquelle, juchĂ©e sur la corniche d’un colossal bahut de chĂȘne, projetait un rouleau de musique hors du trou bĂ©ant de son cadran, parti lui-mĂȘme avec Jean, « voir s’ils viennent ». Des milliers de bouts d’allumettes saupoudraient de grĂ©sil le plancher, des mĂ©gots de cigarettes crachĂ©s au hasard de la lĂšvre lĂ©praient bizarrement les murs d’une invasion d’énormes cloportes immobiles, et StĂ©phen Hour, Ă  demi Ă©mergĂ© du pĂȘle-mĂȘle de ses couvertures entre un pot de nuit Ă  sa droite et un monticule de tabac Ă  sa gauche, Ă©tait une horreur de plus, parmi tant d’autres.
Il y avait mieux cependant.
La vraie surprise de ce claquedent, ce qui, d’une chose simplement extraordinaire, faisait une chose fantastique, c’était l’attendrissant piano qui servait au compositeur Ă  y parfaire ses chefs-d’Ɠuvre.
Non, ce meuble !

Ah ! les choses, vraiment ont des mélancolies à elles ; des tristesses qui leur sont propres !
Avec son clavier comparable Ă  la mĂąchoire safranĂ©e d’une quakeresse octogĂ©naire, le piano de StĂ©phen Hour eĂ»t Ă©voquĂ© la vision du capitaine Castagnette, si, plutĂŽt, il n’eĂ»t fait songer Ă  un pauvre Ăąne Ă©corchĂ© vif, par son ventre, son triste ventre dĂ©foncĂ© en cerceau de cirque sur ses entrailles de laiton. De ses colonnettes de soutien, frĂȘles spirales oĂč s’accrochait le jour, l’une se calait, amputĂ©e Ă  mi-jambe, au cul d’un seau renversĂ©, et les deux accroches de cuivre, d’oĂč les appliques avaient fui, qui flanquaient les zigzags baroques du pupitre, pointaient sur son avant, tels, sur une plate poitrine, les petits, tout petits tĂ©tons, d’une grande bringue de pensionnaire. InstallĂ© au sein de ce fumier, de biais et Ă©nigmatiquement Ă  contre-jour, il s’y dressait avec l’hĂ©sitation inquiĂšte d’un homme saoul Ă©chouĂ© quelque part sans s’ĂȘtre au juste rendu compte par la faveur de quel miracle.
Or, chose inouĂŻe ! Ă  cette Ă©pinette apocalyptique et de laquelle se battaient les cordes avec des coquilles de noix, des carcasses de boĂźtes d’allumettes et des fragments de papiers encore gras des reliefs de charcuterie qu’ils avaient enveloppĂ©s naguĂšre, StĂ©phen Hour arrachait des sons !
 Quels sons !
 N’importe, des sons ; des mĂ©lancolies attĂ©nuĂ©es, lointaines, lointaines, lointaines, qui avaient la plaintive douceur des souvenirs d’enfance effacĂ©s Ă  demi, et cela Ă©tait Ă  la fois profondĂ©ment triste et grotesque, parce qu’à la musique douloureuse sanglotĂ©e aux flancs de l’instrument une autre musique se mĂȘlait : la danse tremblotĂ©e de l’anse sur les parois sonores du seau.
– Oui
 un peu en dĂ©sordre ici, dit nĂ©gligemment StĂ©phen Hour qui avait suivi de son regard le regard ahuri de Cozal et qui ajouta ce mot superbe : – Je fais mon mĂ©nage moi-mĂȘme. Excusez, hein !
 Q’ç...

Table of contents

  1. Titre
  2. AVANT-PROPOS
  3. LES LINOTTES
  4. LIEDS DE MONTMARTRE
  5. À propos de cette Ă©dition Ă©lectronique
  6. Notes de bas de page