L'Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche - Tome II
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L'Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche - Tome II

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L'Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche - Tome II

About this book

L'Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche - Tome II was written in the year 1605 by Miguel Cervantes. This book is one of the most popular novels of Miguel Cervantes, and has been translated into several other languages around the world.

This book is published by Booklassic which brings young readers closer to classic literature globally.

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Information

Chapitre 1

De la manière dont le curé et le barbier se conduisirent avec don Quichotte au sujet de sa maladie
Cid Hamet Ben-Engéli raconte, dans la seconde partie de cette histoire et troisième sortie de don Quichotte, que le curé et le barbier demeurèrent presque un mois sans le voir, afin de ne pas lui rappeler le souvenir des choses passées. Toutefois, ils ne manquèrent pas de visiter sa nièce et sa gouvernante pour leur recommander de le choyer avec grande attention, de lui donner à manger des confortants et des choses bonnes pour le cœur et le cerveau, desquels, suivant toute apparence, procédait son infirmité. Elles répondirent qu’elles faisaient ainsi et continueraient à faire de même avec tout le soin, toute la bonne volonté possibles : car elles commençaient à s’apercevoir que, par moments, leur seigneur témoignait qu’il avait entièrement recouvré l’usage de son bon sens. Cette nouvelle causa beaucoup de joie aux deux amis, qui crurent avoir eu la plus heureuse idée en le ramenant enchanté sur la charrette à bœufs, comme l’a raconté, dans ses derniers chapitres, la première partie de cette grande autant que ponctuelle histoire. Ils résolurent donc de lui rendre visite et de faire l’expérience de sa guérison, bien qu’ils tinssent pour impossible qu’elle fût complète. Ils se promirent également de ne toucher à aucun point de la chevalerie errante, pour ne pas courir le danger de découdre les points de sa blessure, qui était encore si fraîchement reprise[9].
Ils allèrent enfin le voir, et le trouvèrent assis sur son lit, enveloppé dans une camisole de serge verte et coiffé d’un bonnet de laine rouge de Tolède, avec un visage si sec, si enfumé, qu’il semblait être devenu chair de momie. Don Quichotte leur fit très-bon accueil ; et, quand ils s’informèrent de sa santé, il en rendit compte avec beaucoup de sens et d’élégantes expressions. La conversation prit son cours, et l’on vint à parler de ce qu’on appelle raison d’État et modes de gouvernement : l’un réformait cet abus et condamnait celui-là ; l’autre corrigeait cette coutume et réprouvait celle-ci : bref, chacun des trois amis devint un nouveau législateur, un Lycurgue moderne, un Solon tout neuf ; et, tous ensemble, ils refirent si bien l’État de fond en comble, qu’on eût dit qu’ils l’avaient rapporté à la forge, et l’en avaient retiré tout autre qu’ils ne l’y avaient mis. Don Quichotte parla avec tant d’intelligence et d’esprit sur les diverses matières qu’on traita, que les deux examinateurs furent convaincus qu’il avait recouvré toute sa santé et tout son jugement.
La nièce et la gouvernante étaient présentes à l’entretien, et, pleurant de joie, ne cessaient de rendre grâce à Dieu de ce qu’elles voyaient leur seigneur revenu à une si parfaite intelligence. Mais le curé, changeant son projet primitif, qui était de ne pas toucher à la corde de chevalerie, voulut rendre l’expérience complète, et s’assurer si la guérison de don Quichotte était fausse ou véritable. Il vint donc, de fil en aiguille, à raconter quelques nouvelles qui arrivaient de la capitale. Entre autres choses, il dit qu’on tenait pour certain que le Turc descendait du Bosphore avec une flotte formidable[10] : mais qu’on ignorait encore son dessein, et sur quels rivages devait fondre une si grande tempête. Il ajouta que, dans cette crainte, qui presque chaque année nous tient sur le qui-vive, toute la chrétienté était en armes, et que Sa Majesté avait fait mettre en défense les côtes de Naples, de Sicile et de Malte.
Don Quichotte répondit :
« Sa Majesté agit en prudent capitaine lorsqu’elle met d’avance ses États en sûreté, pour que l’ennemi ne les prenne pas au dépourvu. Mais si Sa Majesté acceptait mon avis, je lui conseillerais une mesure dont elle est certainement, à l’heure qu’il est, bien loin de se douter. »
À peine le curé eut-il entendu ces mots, qu’il dit en lui-même :
« Que Dieu te tende la main, pauvre don Quichotte ! il me semble que tu te précipites du faîte élevé de ta folie au profond abîme de ta simplicité. »
Le barbier, qui avait eu la même pensée que son compère, demanda à don Quichotte quelle était cette mesure qu’il serait, à son avis, si utile de prendre.
« Peut-être, ajouta-t-il, sera-t-elle bonne à porter sur la longue liste des impertinentes remontrances qu’on a coutume d’adresser aux princes.
– La mienne, seigneur râpeur de barbes, reprit don Quichotte, ne sera point impertinente, mais fort pertinente, au contraire.
– Je ne le dis pas en ce sens, répliqua le barbier, mais parce que l’expérience prouve que tous ou presque tous les expédients qu’on propose à Sa Majesté sont impossibles ou extravagants, et au détriment du roi ou du royaume.
– Eh bien ! répondit don Quichotte, le mien n’est ni impossible ni extravagant : c’est le plus facile, le plus juste et le mieux avisé qui puisse tomber dans la pensée d’aucun inventeur d’expédients.[11]
– Pourquoi Votre Grâce tarde-t-elle à le dire, seigneur don Quichotte ? demanda le curé.
– Je ne voudrais pas, répondit don Quichotte, le dire ici à cette heure, et que demain matin il arrivât aux oreilles de messieurs les conseillers du conseil de Castille, de façon qu’un autre reçût les honneurs et le prix de mon travail.
– Quant à moi, dit le barbier, je donne ma parole, tant ici-bas que devant Dieu, de ne répéter ce que va dire Votre Grâce ni à Roi, ni à Roch, ni à nul homme terrestre : serment que j’ai appris dans le romance du curé, lequel avisa le roi du larron qui lui avait volé les cent doubles et sa mule au pas d’amble[12].
– Je ne sais pas l’histoire, répondit don Quichotte : mais je sais que le serment est bon, sachant que le seigneur barbier est homme de bien.
– Quand même il ne le serait pas, reprit le curé, moi je le cautionne, et me porte garant qu’en ce cas il ne parlera pas plus qu’un muet, sous peine de payer l’amende et le dédit.
– Et vous, seigneur curé, dit don Quichotte, qui vous cautionne ?
– Ma profession, répondit le curé, qui m’oblige à garder les secrets.
– Corbleu ! s’écria pour lors don Quichotte, Sa Majesté n’a qu’à ordonner, par proclamation publique, qu’à un jour fixé, tous les chevaliers errants qui errent par l’Espagne se réunissent à sa cour : quand il n’en viendrait qu’une demi-douzaine, tel pourrait se trouver parmi eux qui suffirait seul pour détruire toute la puissance du Turc. Que Vos Grâces soient attentives, et suivent bien mon raisonnement. Est-ce, par hasard, chose nouvelle qu’un chevalier errant défasse à lui seul une armée de deux cent mille hommes, comme s’ils n’eussent tous ensemble qu’une gorge à couper, ou qu’ils fussent faits de pâte à massepains ? Sinon, voyez plutôt combien d’histoires sont remplies de ces merveilles ! Il faudrait aujourd’hui, à la male heure pour moi, car je ne veux pas dire pour un autre, que vécût le fameux don Bélianis, ou quelque autre chevalier de l’innombrable lignée d’Amadis de Gaule. Si l’un de ceux-là vivait, et que le Turc se vît face à face avec lui, par ma foi, je ne voudrais pas être dans la peau du Turc. Mais Dieu jettera les yeux sur son peuple, et lui enverra quelqu’un, moins redoutable peut-être que les chevaliers errants du temps passé, qui pourtant ne leur cédera point en valeur. Dieu m’entend, et je n’en dis pas davantage !
– Ah ! sainte Vierge ! s’écria la nièce, qu’on me tue si mon seigneur n’a pas envie de redevenir chevalier errant.
– Chevalier errant je dois mourir, répondit don Quichotte : que le Turc monte ou descende, quand il voudra, et en si grande force qu’il pourra : je répète encore que Dieu m’entend. »
Le barbier dit alors :
« Permettez-moi, j’en supplie Vos Grâces, de vous raconter une petite histoire qui est arrivée à Séville ; elle vient si bien à point, que l’envie me prend de vous la raconter. »
Don Quichotte donna son assentiment, le curé et les femmes prêtèrent leur attention, et le barbier commença de la sorte :
« Dans l’hôpital des fous, à Séville, il y avait un homme que ses parents avaient fait enfermer comme ayant perdu l’esprit. Il avait été gradué en droit canon par l’université d’Osuna ; mais, selon l’opinion de bien des gens, quand même c’eût été par l’université de Salamanque, il n’en serait pas moins devenu fou. Au bout de quelques années de réclusion, ce licencié s’imagina qu’il avait recouvré le jugement et possédait le plein exercice de ses facultés. Dans cette idée, il écrivit à l’archevêque, en le suppliant avec instance, et dans les termes les plus sensés, de le tirer de la misère où il vivait, puisque Dieu, dans sa miséricorde, lui avait fait grâce de lui rendre la raison. Il ajoutait que ses parents, pour jouir de son bien, le tenaient enfermé, et voulaient, en dépit de la vérité, qu’il restât fou jusqu’à sa mort. Convaincu par plusieurs billets très-sensés et très-spirituels, l’archevêque chargea un de ses chapelains de s’informer, auprès du recteur de l’hôpital, si ce qu’écrivait ce licencié était bien exact, et même de causer avec le fou, afin que, s’il lui semblait avoir recouvré l’esprit, il le tirât de sa loge et lui rendît la liberté. Le chapelain remplit sa mission, et le recteur lui dit que cet homme était encore fou ; que, bien qu’il parlât maintes fois comme une personne d’intelligence rassise, il éclatait à la fin en telles extravagances, qu’elles égalaient par le nombre et la grandeur tous les propos sensés qu’il avait tenus auparavant, comme on pouvait, au reste, s’en assurer en conversant avec lui. Le chapelain voulut faire l’expérience : il alla trouver le fou, et l’entretint plus d’une heure entière. Pendant tout ce temps, le fou ne laissa pas échapper un mot extravagant ou même équivoque ; au contraire, il parla si raisonnablement, que le chapelain fut obligé de croire qu’il était totalement guéri. Entre autres choses, le fou accusa le recteur de l’hôpital. « Il me garde rancune, dit-il, et me dessert, pour ne pas perdre les cadeaux que lui font mes parents afin qu’il dise que je suis encore fou, bien qu’ayant des intervalles lucides. Le plus grand ennemi que j’aie dans ma disgrâce, c’est ma grande fortune : car, pour en jouir, mes héritiers portent un faux jugement et révoquent en doute la grâce que le Seigneur m’a faite en me rappelant de l’état de brute à l’état d’homme. » Finalement, le fou parla de telle sorte qu’il rendit le recteur suspect, qu’il fit paraître ses parents avaricieux et dénaturés, et se montra lui-même si raisonnable, que le chapelain résolut de le conduire à l’archevêque pour que celui-ci reconnût et touchât du doigt la vérité de cette affaire. Dans cette croyance, le bon chapelain pria le recteur de faire rendre au licencié les habits qu’il portait à son entrée dans l’hôpital. À son tour, le recteur le supplia de prendre garde à ce qu’il allait faire : car, sans nul doute, le licencié était encore fou. Mais ses remontrances et ses avis ne réussirent pas à détourner le chapelain de son idée. Le recteur obéit donc, en voyant que c’était un ordre de l’archevêque, et l’on remit au licencié ses anciens habits, qui étaient neufs et décents. Lorsqu’il se vit dépouillé de la casaque de fou et rhabillé en homme sage, il demanda par charité au chapelain la permission d’aller prendre congé de ses camarades les fous. Le chapelain répondit qu’il voulait l’accompagner et voir les fous qu’il y avait dans la maison. Ils montèrent en effet, et avec eux quelques personnes qui se trouvaient présentes. Quand le licencié arriva devant une cage où l’on tenait enfermé un fou furieux, bien qu’en ce moment tranquille et calme, il lui dit : « Voyez, frère, si vous avez quelque chose à me recommander : je retourne chez moi, puisque Dieu a bien voulu, dans son infinie miséricorde et sans que je le méritasse, me rendre la raison. Me voici en bonne santé et dans mon bon sens, car au pouvoir de Dieu rien n’est impossible. Ayez grande espérance en lui. Puisqu’il m’a remis en mon premier état, il pourra bien vous y remettre également, si vous avez confiance en sa bonté. J’aurai soin de vous envoyer quelques friands morceaux, et mangez-les de bon cœur : car, en vérité, je m’imagine, comme ayant passé par là, que toutes nos folies procèdent de ce que nous avons l’estomac vide et le cerveau plein d’air. Allons, allons, prenez courage : l’abattement dans les infortunes détruit la santé et hâte la mort. » Tous ces propos du licencié étaient entendus par un autre fou renfermé dans la cage en face de celle du furieux. Il se leva d’une vieille natte de jonc sur laquelle il était couché tout nu, et demanda à haute voix quel était celui qui s’en allait bien portant de corps et d’esprit. « C’est moi, frère, qui m’en vais, répondit le licencié : je n’ai plus besoin de rester ici, et je rends au ciel des grâces infinies pour la faveur qu’il m’a faite. – Prenez garde à ce que vous dites, licencié mon ami, répliqua le fou, de peur que le diable ne vous trompe. Pliez la jambe, et restez tranquille dans votre loge, pour éviter l’aller et le retour. – Je sais que je suis guéri, reprit le licencié, et rien ne m’oblige à recommencer les stations. – Vous, guéri ! s’écria le fou. À la bonne heure, et que Dieu vous conduise ! Mais je jure par le nom de Jupiter, dont je représente sur la terre la majesté souveraine, que, pour ce seul péché que Séville commet aujourd’hui en vous tirant de cette maison et en vous tenant pour homme de bon sens, je la frapperai d’un tel châtiment que le souvenir s’en perpétuera dans les siècles des siècles, amen. Ne sais-tu pas, petit bachelier sans cervelle, que je puis le faire comme je le dis, puisque je suis Jupiter tonnant, et que je tiens dans mes mains les foudres destructeurs avec lesquels je menace et bouleverse le monde ? Mais non : je veux bien n’imposer qu’un seul châtiment à cette ville ignorante : je ne ferai pas pleuvoir, ni sur elle ni sur tout son district, pendant trois années entières, qui se compteront depuis le jour et la minute où la menace en est prononcée. Ah ! tu es libre, tu es bien portant, tu es raisonnable, et moi je suis attaché, je suis malade, je suis fou ! Bien, bien, je pense à pleuvoir tout comme à me pendre. » Les assistants étaient restés fort attentifs aux cris et aux propos du fou ; mais notre licencié, se tournant vers le chapelain, et lui prenant les mains avec intérêt : « Que Votre Grâce ne se mette point en peine, mon cher seigneur, lui dit-il, et ne fasse aucun cas de ce que ce fou vient de dire. S’il est Jupiter et qu’il ne veuille pas faire pleuvoir, moi, qui suis Neptune, le père et le dieu des eaux, je ferai tomber la pluie chaque fois qu’il me plaira et qu’il en sera besoin. » À cela le chapelain répondit : « Toutefois, seigneur Neptune, il ne convient pas de fâcher le seigneur Jupiter. Que votre Grâce demeure en sa loge ; une autre fois, quand nous aurons mieux nos aises et notre temps, nous reviendrons vous chercher. » Le recteur et les assistants se mirent à rire, au point de faire presque rougir le chapelain. Quant au licencié, on le déshabilla, puis on le remit dans sa loge : et le conte est fini.
– C’est donc là, seigneur barbier, reprit don Quichotte, ce conte qui venait si bien à point, qu’on ne pouvait se dispenser de nous le servir ? Ah ! seigneur du rasoir, seigneur du rasoir, combien est aveugle celui qui ne voit pas à travers la toile du tamis ! Est-il possible que Votre Grâce ne sache pas que les comparaisons qui se font d’esprit à esprit, de courage à courage, de beauté à beauté, de noblesse à noblesse, sont toujours odieuses et mal reçues ? Pour moi, seigneur barbier, je ne suis pas Neptune, le dieu des eaux, et n’exige que personne me tienne pour homme d’esprit, ne l’étant pas : seulement je me fatigue à faire comprendre au monde la faute qu’il commet en ne voulant pas renouveler en lui l’heureux temps où florissait la chevalerie errante. Mais notre âge dépravé n’est pas digne de jouir du bonheur ineffable dont jouirent les âges où les chevaliers errants prirent à charge et à tâche la défense des royaumes, la protection des demoiselles, l’assistance des orphelins, le châtiment des superbes et la récompense des humbles. La plupart des chevaliers qu’on voit aujourd’hui font plutôt bruire le satin, le brocart et les riches étoffes dont ils s’habillent, que la cotte de mailles dont ils s’arment. Il n’y a plus un chevalier qui dorme en plein champ, exposé à la rigueur du ciel, armé de toutes pièces de la tête aux pieds ; il n’y en a plus un qui, sans quitter l’étrier et appuyé sur sa lance, ne songe qu’à tromper le sommeil, comme faisaient les chevaliers errants. Il n’y en a plus un qui sorte de ce bois pour pénétrer dans cette montagne ; puis qui arrive sur une plage stérile et déserte, où bat la mer furieuse, et, trouvant amarré au rivage un petit bateau sans rames, sans voiles, sans gouvernail, sans agrès, s’y jette d’un cœur intrépide, et se livre aux flots implacables d’une mer sans fond, qui tantôt l’élèvent au ciel et tantôt l’entraînent dans l’abîme, tandis que lui, toujours affrontant la tempête, se trouve tout à coup, quand il y songe le moins, à plus de trois mille lieues de distance de l’endroit où il s’est embarqué, et, sautant sur une terre inconnue, rencontre des aventures dignes d’être écrites, non sur le parchemin, mais sur le bronze. À présent la paresse triomphe de la diligence, l’oisiveté du travail, le vice de la vertu, l’arrogance de la valeur, et la théorie de la pratique dans les armes, qui n’ont vraiment brillé de tout leur éclat que pendant l’âge d’or et parmi les chevaliers errants. Sinon, dites-moi, qui fut plus chaste et plus vaillant que le fameux Amadis de Gaule ? qui plus spirituel que Palmerin d’Angleterre ? qui plus accommodant et plus traitable que Tirant le Blanc ? qui plus galant que Lisvart de Grèce ? qui plus blessé et plus blessant que don Bélianis ? qui plus intrépide que Périon de Gaule ? qui plus entreprenant que Félix-Mars d’Hyrcanie ? qui plus sincère qu’Esplandian ? qui plus hardi que don Cirongilio de Thrace ? qui plus brave que Rodomont ? qui plus prudent que le roi Sobrin ? qui plus audacieux que Renaud ? qui plus invincible que Roland ? qui plus aimable et plus courtois que Roger, de qui descendent les ducs de Ferrare, suivant Turpin, dans sa Cosmographie[13] ? Tous ces guerriers, et beaucoup d’autres que je pourrais nommer encore, s...

Table of contents

  1. Titre
  2. Prologue
  3. Chapitre 1
  4. Chapitre 2
  5. Chapitre 3
  6. Chapitre 4
  7. Chapitre 5
  8. Chapitre 6
  9. Chapitre 7
  10. Chapitre 8
  11. Chapitre 9
  12. Chapitre 10
  13. Chapitre 11
  14. Chapitre 12
  15. Chapitre 13
  16. Chapitre 14
  17. Chapitre 15
  18. Chapitre 16
  19. Chapitre 17
  20. Chapitre 18
  21. Chapitre 19
  22. Chapitre 20
  23. Chapitre 21
  24. Chapitre 22
  25. Chapitre 23
  26. Chapitre 24
  27. Chapitre 25
  28. Chapitre 26
  29. Chapitre 27
  30. Chapitre 28
  31. Chapitre 29
  32. Chapitre 30
  33. Chapitre 31
  34. Chapitre 32
  35. Chapitre 33
  36. Chapitre 34
  37. Chapitre 35
  38. Chapitre 36
  39. Chapitre 37
  40. Chapitre 38
  41. Chapitre 39
  42. Chapitre 40
  43. Chapitre 41
  44. Chapitre 42
  45. Chapitre 43
  46. Chapitre 44
  47. Chapitre 45
  48. Chapitre 46
  49. Chapitre 47
  50. Chapitre 48
  51. Chapitre 49
  52. Chapitre 50
  53. Chapitre 51
  54. Chapitre 52
  55. Chapitre 53
  56. Chapitre 54
  57. Chapitre 55
  58. Chapitre 56
  59. Chapitre 57
  60. Chapitre 58
  61. Chapitre 59
  62. Chapitre 60
  63. Chapitre 61
  64. Chapitre 62
  65. Chapitre 63
  66. Chapitre 64
  67. Chapitre 65
  68. Chapitre 66
  69. Chapitre 67
  70. Chapitre 68
  71. Chapitre 69
  72. Chapitre 70
  73. Chapitre 71
  74. Chapitre 72
  75. Chapitre 73
  76. Chapitre 74
  77. À propos de cette édition électronique
  78. Notes de bas de page