Le Neveu de Rameau
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Le Neveu de Rameau

About this book

Ce dialogue, qui est presque un roman, Diderot l'écrit au sommet de son art, a pres de soixante ans, et le revoit encore dix ans plus tard. Il met aux prises deux personnages seulement, « Moi », et le Neveu. Ce personnage se dédouble sans cesse: qu'est-ce qu'un homme qui prétend ne pas avoir de conscience, ne pas avoir d'unité, mais qui a en meme temps une sensibilité esthétique, celle d'un musicien averti? Diderot mele la grosse plaisanterie, les motifs et les sujets les plus divers, la lutte contre les adversaires des philosophes, dans cette mise en scene d'une conversation sans fin. Le Neveu pose des questions importantes, et soudain, pour notre amusement, l'argumentation déraille. « Moi » est fasciné par ce bouffon sublime. Ainsi va cet enchaßnement de numéros, de pantomimes, cette fausse piece, ce faux roman, ou l'auteur a mis, sous une allure burlesque, toute sa vie, tout son cour et tout son esprit.

Michel Delon.

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Information

Vertumnis, quotquot sunt, natus iniquis
(Horat., Lib. II, Satyr. VII)
Qu’il fasse beau, qu’il fasse laid, c’est mon habitude d’aller sur les cinq heures du soir me promener au Palais-Royal. C’est moi qu’on voit, toujours seul, rĂȘvant sur le banc d’Argenson. Je m’entretiens avec moi-mĂȘme de politique, d’amour, de goĂ»t ou de philosophie. J’abandonne mon esprit Ă  tout son libertinage. Je le laisse maĂźtre de suivre la premiĂšre idĂ©e sage ou folle qui se prĂ©sente, comme on voit dans l’allĂ©e de Foy nos jeunes dissolus marcher sur les pas d’une courtisane Ă  l’air Ă©ventĂ©, au visage riant, Ă  l’Ɠil vif, au nez retroussĂ©, quitter celle-ci pour une autre, les attaquant toutes et ne s’attachant Ă  aucune. Mes pensĂ©es, ce sont mes catins. Si le temps est trop froid, ou trop pluvieux, je me rĂ©fugie au cafĂ© de la RĂ©gence ; lĂ  je m’amuse Ă  voir jouer aux Ă©checs. Paris est l’endroit du monde, et le cafĂ© de la RĂ©gence est l’endroit de Paris oĂč l’on joue le mieux Ă  ce jeu. C’est chez Rey que font assaut LĂ©gal le profond, Philidor le subtil, le solide Mayot, qu’on voit les coups les plus surprenants, et qu’on entend les plus mauvais propos ; car si l’on peut ĂȘtre homme d’esprit et grand joueur d’échecs, comme LĂ©gal ; on peut ĂȘtre aussi un grand joueur d’échecs, et un sot, comme Foubert et Mayot. Un aprĂšs-dĂźner, j’étais lĂ , regardant beaucoup, parlant peu, et Ă©coutant le moins que je pouvais ; lorsque je fus abordĂ© par un des plus bizarres personnages de ce pays oĂč Dieu n’en a pas laissĂ© manquer. C’est un composĂ© de hauteur et de bassesse, de bon sens et de dĂ©raison. Il faut que les notions de l’honnĂȘte et du dĂ©shonnĂȘte soient bien Ă©trangement brouillĂ©es dans sa tĂȘte ; car il montre ce que la nature lui a donnĂ© de bonnes qualitĂ©s, sans ostentation, et ce qu’il en a reçu de mauvaises, sans pudeur. Au reste il est douĂ© d’une organisation forte, d’une chaleur d’imagination singuliĂšre, et d’une vigueur de poumons peu commune. Si vous le rencontrez jamais et que son originalitĂ© ne vous arrĂȘte pas ; ou vous mettrez vos doigts dans vos oreilles, ou vous vous enfuirez. Dieux, quels terribles poumons. Rien ne dissemble plus de lui que lui-mĂȘme. Quelquefois, il est maigre et hĂąve, comme un malade au dernier degrĂ© de la consomption ; on compterait ses dents Ă  travers ses joues. On dirait qu’il a passĂ© plusieurs jours sans manger, ou qu’il sort de la Trappe. Le mois suivant, il est gras et replet, comme s’il n’avait pas quittĂ© la table d’un financier, ou qu’il eĂ»t Ă©tĂ© renfermĂ© dans un couvent de Bernardins. Aujourd’hui, en linge sale, en culotte dĂ©chirĂ©e, couvert de lambeaux, presque sans souliers, il va la tĂȘte basse, il se dĂ©robe, on serait tentĂ© de l’appeler, pour lui donner l’aumĂŽne. Demain, poudrĂ©, chaussĂ©, frisĂ©, bien vĂȘtu, il marche la tĂȘte haute, il se montre et vous le prendriez au peu prĂ©s pour un honnĂȘte homme. Il vit au jour la journĂ©e. Triste ou gai, selon les circonstances. Son premier soin, le matin, quand il est levĂ©, est de savoir oĂč il dĂźnera ; aprĂšs dĂźner, il pense oĂč il ira souper. La nuit amĂšne aussi son inquiĂ©tude. Ou il regagne, Ă  pied, un petit grenier qu’il habite, Ă  moins que l’hĂŽtesse ennuyĂ©e d’attendre son loyer, ne lui en ait redemandĂ© la clef ; ou il se rabat dans une taverne du faubourg oĂč il attend le jour, entre un morceau de pain et un pot de biĂšre. Quand il n’a pas six sols dans sa poche, ce qui lui arrive quelquefois, il a recours soit Ă  un fiacre de ses amis, soit au cocher d’un grand seigneur qui lui donne un lit sur de la paille, Ă  cĂŽtĂ© de ses chevaux. Le matin, il a encore une partie de son matelas dans ses cheveux. Si la saison est douce, il arpente toute la nuit, le Cours ou les Champs-ÉlysĂ©es. Il reparaĂźt avec le jour, Ă  la ville, habillĂ© de la veille pour le lendemain, et du lendemain quelquefois pour le reste de la semaine. Je n’estime pas ces originaux-lĂ . D’autres en font leurs connaissances familiĂšres, mĂȘme leurs amis. Ils m’arrĂȘtent une fois l’an, quand je les rencontre, parce que leur caractĂšre tranche avec celui des autres, et qu’ils rompent cette fastidieuse uniformitĂ© que notre Ă©ducation, nos conventions de sociĂ©tĂ©, nos biensĂ©ances d’usage ont introduite. S’il en paraĂźt un dans une compagnie ; c’est un grain de levain qui fermente qui restitue Ă  chacun une portion de son individualitĂ© naturelle. Il secoue, il agite ; il fait approuver ou blĂąmer ; il fait sortir la vĂ©ritĂ© ; il fait connaĂźtre les gens de bien ; il dĂ©masque les coquins ; c’est alors que l’homme de bon sens Ă©coute, et dĂ©mĂȘle son monde. Je connaissais celui-ci de longue main. Il frĂ©quentait dans une maison dont son talent lui avait ouvert la porte. Il y avait une fille unique. Il jurait au pĂšre et Ă  la mĂšre qu’il Ă©pouserait leur fille. Ceux-ci haussaient les Ă©paules, lui riaient au nez ; lui disaient qu’il Ă©tait fou, et je vis le moment que la chose Ă©tait faite. Il m’empruntait quelques Ă©cus que je lui donnais. Il s’était introduit, je ne sais comment, dans quelques maisons honnĂȘtes, oĂč il avait son couvert, mais Ă  la condition qu’il ne parlerait pas, sans en avoir obtenu la permission. Il se taisait, et mangeait de rage. Il Ă©tait excellent Ă  voir dans cette contrainte. S’il lui prenait envie de manquer au traitĂ©, et qu’il ouvrit la bouche ; au premier mot, tous les convives s’écriaient, ĂŽ Rameau ! Alors la fureur Ă©tincelait dans ses yeux, et il se remettait Ă  manger avec plus de rage. Vous Ă©tiez curieux de savoir le nom de l’homme, et vous le savez. C’est le neveu de ce musicien cĂ©lĂšbre qui nous a dĂ©livrĂ©s du plain-chant de Lulli que nous psalmodions depuis plus de cent ans ; qui a tant Ă©crit de visions inintelligibles et de vĂ©ritĂ©s apocalyptiques sur la thĂ©orie de la musique, oĂč ni lui ni personne n’entendit jamais rien, et de qui nous avons un certain nombre d’opĂ©ras oĂč il y a de l’harmonie, des bouts de chants, des idĂ©es dĂ©cousues, du fracas, des vols, des triomphes, des lances, des gloires, des murmures, des victoires Ă  perte d’haleine ; des airs de danse qui dureront Ă©ternellement, et qui, aprĂšs avoir enterrĂ© le Florentin sera enterrĂ© par les virtuoses italiens, ce qu’il pressentait et le rendait sombre, triste, hargneux ; car personne n’a autant d’humeur, pas mĂȘme une jolie femme qui se lĂšve avec un bouton sur le nez, qu’un auteur menacĂ© de survivre Ă  sa rĂ©putation ; tĂ©moins Marivaux et CrĂ©billon le fils.
Il m’aborde
 Ah, ah, vous voilĂ , monsieur le philosophe, et que faites-vous ici parmi ce tas de fainĂ©ants ? Est-ce que vous perdez aussi votre temps Ă  pousser le bois ? C’est ainsi qu’on appelle par mĂ©pris jouer aux Ă©checs ou aux dames.
MOI. – Non, mais quand je n’ai rien de mieux à faire, je m’amuse à regarder un instant, ceux qui le poussent bien.
LUI. – En ce cas, vous vous amusez rarement ; exceptĂ© LĂ©gal et Philidor, le reste n’y entend rien.
MOI. – Et monsieur de Bissy donc ?
LUI. – Celui-lĂ  est en joueur d’échecs, ce que mademoiselle Clairon est en acteur. Ils savent de ces jeux, l’un et l’autre, tout ce qu’on en peut apprendre.
MOI. – Vous ĂȘtes difficile, et je vois que vous ne faites grĂące qu’aux hommes sublimes.
LUI. – Oui, aux Ă©checs, aux dames, en poĂ©sie, en Ă©loquence, en musique, et autres fadaises comme cela. A quoi bon la mĂ©diocritĂ© dans ces genres.
MOI. – A peu de chose, j’en conviens. Mais c’est qu’il faut qu’il y ait un grand nombre d’hommes qui s’y appliquent, pour faire sortir l’homme de gĂ©nie. Il est un dans la multitude. Mais laissons cela. Il y a une Ă©ternitĂ© que je ne vous ai vu. Je ne pense guĂšre Ă  vous, quand je ne vous vois pas. Mais vous me plaisez toujours Ă  revoir. Qu’avez-vous fait ?
LUI. – Ce que vous, moi et tous les autres font ; du bien, du mal et rien. Et puis j’ai eu faim, et j’ai mangĂ©, quand l’occasion s’en est prĂ©sentĂ©e ; aprĂšs avoir mangĂ©, j’ai eu soif, et j’ai bu quelquefois. Cependant la barbe me venait ; et quand elle a Ă©tĂ© venue, je l’ai fait raser.
MOI. – Vous avez mal fait. C’est la seule chose qui vous manque, pour ĂȘtre un sage.
LUI. – Oui-da. J’ai le front grand et ridĂ© ; l’Ɠil ardent ; le nez saillant ; les joues larges ; le sourcil noir et fourni ; la bouche bien fendue ; la lĂšvre rebordĂ©e ; et la face carrĂ©e. Si ce vaste menton Ă©tait couvert d’une longue barbe ; savez-vous que cela figurerait trĂšs bien en bronze ou en marbre.
MOI. – A cĂŽtĂ© d’un CĂ©sar, d’un Marc-AurĂšle, d’un Socrate.
LUI. – Non, je serais mieux entre DiogĂšne et PhrynĂ©. Je suis effrontĂ© comme l’un, et je frĂ©quente volontiers chez les autres.
MOI. – Vous portez-vous toujours bien ?
LUI. – Oui, ordinairement ; mais pas merveilleusement aujourd’hui.
MOI. – Comment ? Vous voilà avec un ventre de Silùne ; et un visage

LUI. – Un visage qu’on prendrait pour son antagoniste. C’est que l’humeur qui fait sĂ©cher mon cher oncle engraisse apparemment son cher neveu.
MOI. – A propos de cet oncle, le voyez-vous quelquefois ?
LUI. – Oui, passer dans la rue.
MOI. – Est-ce qu’il ne vous fait aucun bien ?
LUI. – S’il en fait Ă  quelqu’un, c’est sans s’en douter. C’est un philosophe dans son espĂšce. Il ne pense qu’à lui ; le reste de l’univers lui est comme d’un clou Ă  soufflet. Sa fille et sa femme n’ont qu’à mourir, quand elles voudront ; pourvu que les cloches de la paroisse, qu’on sonnera pour elles, continuent de rĂ©sonner la douziĂšme et la dix-septiĂšme tout sera bien. Cela est heureux pour lui. Et c’est ce que je prise particuliĂšrement dans les gens de gĂ©nie. Ils ne sont bons qu’à une chose. PassĂ© cela, rien. Ils ne savent ce que c’est d’ĂȘtre citoyens, pĂšres, mĂšres, frĂšres, parents, amis. Entre nous, il faut leur ressembler de tout point ; mais ne pas dĂ©sirer que la graine en soit commune. Il faut des hommes ; mais pour des hommes de gĂ©nie ; point. Non, ma foi, il n’en faut point. Ce sont eux qui changent la face du globe ; et dans les plus petites choses, la sottise est si commune et si puissante qu’on ne la rĂ©forme pas sans charivari. Il s’établit partie de ce qu’ils ont imaginĂ©. Partie reste comme il Ă©tait ; de lĂ  deux Ă©vangiles ; un habit d’Arlequin. La sagesse du moine de Rabelais, est la vraie sagesse, pour son repos et pour celui des autres : faire son devoir, tellement quellement ; toujours dire du bien de Monsieur le prieur ; et laisser aller le monde Ă  sa fantaisie. Il va bien, puisque la multitude en est contente. Si je savais l’histoire, je vous montrerais que le mal est toujours venu ici-bas, par quelque homme de gĂ©nie. Mais je ne sais pas l’histoire, parce que je ne sais rien. Le diable m’emporte, si j’ai jamais rien appris ; et si pour n’avoir rien appris, je m’en trouve plus mal. J’étais un jour Ă  la table d’un ministre du roi de France qui a de l’esprit comme quatre ; eh bien, il nous dĂ©montra clair comme un et un font deux, que rien n’était plus utile aux peuples que le mensonge ; rien de plus nuisible que la vĂ©ritĂ©. Je ne me rappelle pas bien ses preuves ; mais il s’ensuivait Ă©videmment que les gens de gĂ©nie sont dĂ©testables, et que si un enfant apportait en naissant, sur son front, la caractĂ©ristique de ce dangereux prĂ©sent de la nature, il faudrait ou l’étouffer, ou le jeter au cagnard.
MOI. – Cependant ces personnages-lĂ , si ennemis du gĂ©nie, prĂ©tendent tous en avoir.
LUI. – Je crois bien qu’ils le pensent au-dedans d’eux-mĂȘmes ; mais je ne crois pas qu’ils osassent l’avouer.
MOI. – C’est par modestie. Vous conçûtes donc lĂ , une terrible haine contre le gĂ©nie.
LUI. – A n’en jamais revenir.
MOI. – Mais j’ai vu un temps que vous vous dĂ©sespĂ©riez de n’ĂȘtre qu’un homme commun. Vous ne serez jamais heureux, si le pour et le contre vous afflige Ă©galement. Il faudrait prendre son parti, et y demeurer attachĂ©. Tout en convenant avec vous que les hommes de gĂ©nie sont communĂ©ment singuliers, ou comme dit le proverbe, qu’il n’y a point de grands esprits sans un grain de folie, on n’en reviendra pas. On mĂ©prisera les siĂšcles qui n’en auront pas produit. Ils feront l’honneur des peuples chez lesquels ils auront existĂ© ; tĂŽt ou tard, on leur Ă©lĂšve des statues, et on les regarde comme les bienfaiteurs du genre humain. N’en dĂ©plaise au ministre sublime que vous m’avez citĂ©, je crois que si le mensonge peut servir un moment, il est nĂ©cessairement nuisible Ă  la longue ; et qu’au contraire, la vĂ©ritĂ© sert nĂ©cessairement Ă  la longue ; bien qu’il puisse arriver qu’elle nuise dans le moment. D’oĂč je serais tentĂ© de conclure que l’homme de gĂ©nie qui dĂ©crie une erreur gĂ©nĂ©rale, ou qui accrĂ©dite une grande vĂ©ritĂ©, est toujours un ĂȘtre digne de notre vĂ©nĂ©ration. Il peut arriver que cet ĂȘtre soit la victime du prĂ©jugĂ© et des lois ; mais il y a deux sortes de lois, les unes d’une Ă©quitĂ©, d’une gĂ©nĂ©ralitĂ© absolues ; d’autres bizarres qui ne doivent leur sanction qu’à l’aveuglement ou la nĂ©cessitĂ© des circonstances. Celles-ci ne couvrent le coupable qui les enfreint que d’une ignominie passagĂšre ; ignominie que le temps reverse sur les juges et sur les nations, pour y rester Ă  jamais. De Socrate, ou du magistrat qui lui fit boire la ciguĂ«, quel est aujourd’hui le dĂ©shonorĂ© ?
LUI. – Le voilĂ  bien avancĂ© ! en a-t-il Ă©tĂ© moins condamnĂ© ? en a-t-il moins Ă©tĂ© mis Ă  mort ? en a-t-il moins Ă©tĂ© un citoyen turbulent ? par le mĂ©pris d’une mauvaise loi, en a-t-il moins encouragĂ© les fous au mĂ©pris des bonnes ? en a-t-il moins Ă©tĂ© un particulier audacieux et bizarre ? Vous n’étiez pas Ă©loignĂ© tout Ă  l’heure d’un aveu peu favorable aux hommes de gĂ©nie.
MOI. – Écoutez-moi, cher homme. Une sociĂ©tĂ© ne devrait point avoir de mauvaises lois ; et si elle n’en avait que de bonnes, elle ne serait jamais dans le cas de persĂ©cuter un homme de gĂ©nie. Je ne vous ai pas dit que le gĂ©nie fĂ»t indivisiblement attachĂ© Ă  la mĂ©chancetĂ©, ni la mĂ©chancetĂ© au gĂ©nie. Un sot sera plus souvent un mĂ©chant qu’un homme d’esprit. Quand un homme de gĂ©nie serait communĂ©ment d’un commerce dur, difficile, Ă©pineux, insupportable, quand mĂȘme ce serait un mĂ©chant, qu’en concluriez-vous ? LUI. – Qu’il est bon Ă  noyer.
MOI. – Doucement ; cher homme. Ça, dites-moi ; je ne prendrai pas votre oncle pour exemple ; c’est un homme dur ; c’est un brutal ; il est sans humanitĂ© ; il est avare. Il est mauvais pĂšre, mauvais Ă©poux ; mauvais oncle ; mais il n’est pas assez dĂ©cidĂ© que ce soit un homme de gĂ©nie ; qu’il ait poussĂ© son art fort loin, et qu’il soit question de ses ouvrages dans dix ans. Mais Racine ? Celui-lĂ  certes avait du gĂ©nie, et ne passait pas pour un trop bon homme. Mais de Voltaire ?
LUI. – Ne me pressez pas ; car...

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  1. Titre
  2. Le Neveu de Rameau