Le Roman d'un enfant
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Le Roman d'un enfant

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Le Roman d'un enfant

About this book

Le Roman d'un enfant was written in the year 1890 by Pierre Loti. This book is one of the most popular novels of Pierre Loti, and has been translated into several other languages around the world.

This book is published by Booklassic which brings young readers closer to classic literature globally.

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Information

XXXIV

Dans ce qui précède, je n'ai pas assez parlé de cette Limoise, qui fut le lieu de ma première initiation aux choses de la nature. Toute mon enfance est intimement liée à ce petit coin du monde, à ses vieux bois de chênes, à son sol pierreux que recouvrent des tapis de serpolet, ou des bruyères.
Pendant dix ou douze étés rayonnants, j'y passais tous mes jeudis d'écolier, et de plus j'en rêvais, d'un jeudi à l'autre, pendant les ennuyeux jours du travail.
Dès le mois de mai, nos amis les D*** s'installaient dans cette maison de campagne, avec Lucette, pour y rester, après les vendanges, jusqu'aux premières fraîcheurs d'octobre, – et on m'y conduisait régulièrement tous les mercredis soir.
Rien que de s'y rendre me paraissait déjà une chose délicieuse. Très rarement en voiture – car elle n'était guère qu'à cinq ou six kilomètres, cette Limoise, bien qu'elle me semblât très loin, très perdue dans les bois.
C'était vers le sud, dans la direction des pays chauds.
(J'en aurais trouvé le charme moins grand si c'eût été du côté du nord.) Donc, tous les mercredis soir, au déclin du soleil, à des heures variables suivant les mois, je partais de la maison en compagnie du frère aîné de Lucette, grand garçon de dix-huit ou vingt ans qui me faisait l'effet alors d'un homme d'âge mûr. Autant que possible, je marchais à son pas, plus vite par conséquent que dans mes promenades habituelles avec mon père et ma sœur ; nous descendions par les tranquilles quartiers bas, pour passer devant cette vieille caserne des matelots dont les bruits bien connus de clairons et de tambours venaient jusqu'à mon musée, les jours de vent de sud ; puis nous franchissions les remparts, par la plus ancienne et la plus grise des portes, – une porte assez abandonnée, où ne passent plus guère que des paysans, des troupeaux, – et nous arrivions enfin sur la route qui mène à la rivière.
Deux kilomètres d'une avenue bien droite, bordée en ce temps-là de vieux arbres rabougris, qui étaient absolument jaunes de lichen et qui portaient tous la chevelure inclinée vers la gauche, à cause des vents marins, soufflant constamment de l'ouest dans les grandes prairies vides d'alentour.
Pour les gens qui ont sur le paysage des idées de convention, et auxquels il faut absolument le site de vignette, l'eau courante entre des peupliers et la montagne surmontée du vieux château, pour ces gens-là, il est admis d'avance que cette pauvre route est très laide.
Moi, je la trouve exquise, malgré les lignes unies de son horizon. De droite et de gauche, rien cependant, rien que des plaines d'herbages où des troupeaux de bœufs se promènent. Et en avant, sur toute l'étendue du lointain, quelque chose qui semble murer les prairies, un peu tristement, comme un long rempart : c'est l'arête du plateau pierreux d'en face, au bas duquel la rivière coule ; c'est l'autre rive, plus élevée que celle-ci et d'une nature différente, mais aussi plane, aussi monotone. Et dans cette monotonie réside précisément pour moi le charme très incompris de nos contrées ; sur de grands espaces, souvent la tranquillité de leurs lignes est ininterrompue et profonde.
Dans nos environs, cette vieille route est du reste celle que j'aime le plus, probablement parce que beaucoup de mes petits rêves d'écolier sont restés posés sur ses lointains plats, où de temps en temps il m'arrive de les retrouver encore… Elle est la seule aussi qu'on ne m'ait pas défigurée avec des usines, des bassins ou des gares. Elle est absolument à moi, sans que personne s'en doute, ni ne songe par conséquent à m'en contester la propriété.
La somme de charme que le monde extérieur nous fait l'effet d'avoir, réside en nous-mêmes, émane de nous-mêmes ; c'est nous qui la répandons, – pour nous seuls, bien entendu, – et elle ne fait que nous revenir. Mais je n'ai pas cru assez tôt à cette vérité pourtant bien connue. Pendant mes premières années toute cette somme de charme était donc localisée dans les vieux murs ou les chèvrefeuilles de ma cour, dans nos sables de l'île, dans nos plaines d'herbages ou de pierres.
Plus tard, en éparpillant cela partout, je n'ai réussi qu'à en fatiguer la source. Et j'ai, hélas ! beaucoup décoloré, rapetissé à mes propres yeux ce pays de mon enfance – qui est peut-être celui où je reviendrai mourir ; je n'arrive plus que par instants et par endroits à m'y faire les illusions de jadis ; j'y suis poursuivi, naturellement, par de trop écrasants souvenirs d'ailleurs…
… J'en étais à dire que, tous les mercredis soir, je prenais, d'un pas joyeux, cette route-là pour me diriger vers cette assise lointaine de rochers qui fermait là-bas les prairies, vers cette région des chênes et des pierres, où la Limoise est située et que mon imagination d'alors grandissait étrangement.
La rivière qu'il fallait traverser était au bout de l'avenue si droite de ces vieux arbres, que rongeaient les lichens couleur d'or et que tourmentaient les vents d'ouest. Très changeante, cette rivière, soumise aux marées et à tous les caprices de l'Océan voisin. Nous la passions dans un bac ou dans une yole, toujours avec les mêmes bateliers de tout temps connus, anciens matelots aux barbes blanches et aux figures noircies de soleil.
Sur l'autre rive, la rive des pierres, j'avais l'illusion d'un recul subit de la ville que nous venions de quitter et dont les remparts gris se voyaient encore ; dans ma petite tête, les distances s'exagéraient brusquement, les lointains fuyaient. C'est qu'aussi tout était changé, le sol, les herbes, les fleurettes sauvages et les papillons qui venaient s'y poser ; rien n'était plus ici comme dans ces abords de la ville, marais et prairies, où se faisaient mes promenades des autres jours de la semaine. Et ces différences que d'autres n'auraient pas aperçues devaient me frapper et me charmer beaucoup, moi qui perdais mon temps à observer si minutieusement les plus infimes petites choses de la nature, qui m'abîmais dans la contemplation des moindres mousses. Même les crépuscules de ces mercredis avaient je ne sais quoi de particulier que je définissais mal ; généralement, à l'heure où nous arrivions sur cette autre rive, le soleil se couchait, et, ainsi regardé, du haut de l'espèce de plateau solitaire où nous étions, il me paraissait s'élargir plus que de coutume, tandis que s'enfonçait son disque rouge derrière les plaines de hauts foins que nous venions de quitter.
La rivière ainsi franchie, nous laissions tout de suite la grand route pour prendre des sentiers à peine tracés, dans une région, odieusement profanée aujourd'hui mais exquise en ce temps-là, qui s'appelait « les Chaumes ».
Ces Chaumes étaient un bien communal, dépendant d'un village dont on apercevait là-bas l'antique église.
N'appartenant donc à personne, ils avaient pu garder intacte leur petite sauvagerie relative. Ils n'étaient qu'une sorte de plateau de pierre d'un seul morceau, légèrement ondulé et couvert d'un tapis de plantes sèches, courtes, odorantes, qui craquaient sous les pas ; tout un monde de minuscules papillons, de microscopiques mouches, vivait là, bizarrement coloré, sur des fleurettes rares.
On rencontrait aussi quelquefois des troupeaux de moutons, avec des bergères qui les gardaient, bien plus paysannes, plus noircies au grand air que celles des environs de la ville. Et ces Chaumes mélancoliques, brûlés de soleil, étaient pour moi comme le vestibule de la Limoise ; ils en avaient déjà le parfum de serpolet et de marjolaine.
Au bout de cette petite lande apparaissait le hameau du Frelin. – Or, j'aimais ce nom de Frelin, il me semblait dériver de ces gros frelons terribles des bois de la Limoise, qui nichaient dans le cœur de certains chênes et qu'on détruisait au printemps en allumant de grands feux alentour. Trois ou quatre maisonnettes composaient ce hameau. Toutes basses, comme c'est l'usage dans nos pays, elles étaient vieilles, vieilles, grisâtres ; des fleurons gothiques, des blasons à moitié effacés surmontaient leurs petites portes rondes.
Presque toujours entrevues à la même heure, à la lumière mourante, à la tombée du crépuscule, elles évoquaient dans mon esprit le mystère du temps passé ; surtout elles attestaient l'antiquité de ce sol rocheux, très antérieur à nos prairies de la ville qui ont été gagnées sur la mer, et où rien ne remonte beaucoup plus loin que l'époque de Louis XIV.
Après le Frelin, je commençais à regarder en avant de moi dans les sentiers, car en général on ne tardait pas à apercevoir Lucette, venant à notre rencontre, en voiture ou à pied, avec son père ou sa mère. Et dès que je l'avais reconnue, je prenais ma course pour aller l'embrasser.
On franchissait le village, en longeant l'église – une antique petite merveille, du XIIe siècle, du style roman le plus reculé et le plus rare ; – alors, le crépuscule s'éteignant toujours, on voyait surgir devant soi une haute bande noire : les bois de la Limoise, composés surtout de chênes verts, dont le feuillage est si sombre. Puis on s'engageait dans les chemins particuliers du domaine ; on passait devant le puits où les bœufs attendaient leur tour pour boire. Et enfin on ouvrait le vieux petit portail ; on pénétrait dans la première cour, espèce de préau d'herbe, déjà plongé dans l'ombre tout à fait obscure de ses arbres de cent ans.
L'habitation était entre cette cour et un grand jardin un peu à l'abandon, qui confinait aux bois de chênes. En entrant dans les appartements très anciens, aux murailles peintes à la chaux blanche et aux boiseries d'autrefois, je cherchais d'abord des yeux ma papillonnette, toujours accrochée à la même place, prête pour les chasses du lendemain…
Après dîner, on allait généralement s'asseoir au fond du jardin, sur les bancs d'un berceau adossé aux vieux murs d'enceinte, – adossé à tout l'inconnu de la campagne noire où chantaient les hiboux des bois.
Et tandis qu'on était là, dans la belle nuit tiède semée d'étoiles, dans le silence sonore plein de musiques de grillons, tout à coup une cloche commençait à tinter, très loin mais très clair, là-bas dans l'église du village.
Oh ! l'Angelus d'Échillais, entendu dans ce jardin, par ces beaux soirs d'autrefois ! Oh ! le son de cette cloche, un peu fêlée mais argentine encore, comme ces voix très vieilles, qui ont été jolies et qui sont restées douces ! Quel charme de passé, de recueillement mélancolique et de paisible mort, ce son-là venait répandre dans l'obscurité limpide de la campagne !…
Et la cloche tintait longtemps, inégale dans le lointain, tantôt assourdie, tantôt rapprochée, au gré des souffles tièdes qui remuaient l'air. Je songeais à tous les gens qui devaient l'écouter, dans les fermes isolées ; je songeais surtout aux endroits déserts d'alentour, où il n'y avait personne pour l'entendre, et un frisson me venait à l'idée des bois proches voisins, où sans doute les dernières vibrations devaient mourir…
Un conseil municipal, composé d'esprits supérieurs, après avoir affublé le pauvre vieux clocher roman d'une potence avec un drapeau tricolore, a supprimé maintenant cet Angelus. Donc, c'est fini ; on n'entendra plus jamais, les soirs d'été, cet appel séculaire…
Aller se coucher ensuite était une chose très égayante, surtout avec la perspective du lendemain jeudi qui prédisposait à s'amuser de tout. J'aurais sans doute eu peur, dans les chambres d'amis qui étaient au rez-de-chaussée de la grande maison solitaire ; aussi, jusqu'à ma douzième année m'installait-on en haut, dans l'immense chambre de la mère de Lucette, derrière des paravents qui me faisaient un logis particulier. Dans mon réduit se trouvait une bibliothèque Louis XV, vitrée, remplie de livres de navigation du siècle dernier, de journaux de marine fermés depuis cent ans. Et sur la chaux blanche du mur, il y avait, tous les étés, les mêmes imperceptibles petits papillons, qui entraient dans le jour par les fenêtres ouvertes et qui dormaient là posés, les ailes étendues. Des incidents, qui complétaient la soirée, survenaient toujours au moment où on allait s'endormir : une intempestive chauve-souris qui faisait son entrée, tournoyant comme une folle autour des flambeaux ; ou une énorme phalène bourdonnante qu'il fallait chasser avec un aranteloir. Ou bien encore, quelque orage se déchaînait, tourmentant les arbres voisins qui battaient le mur de leurs branches ; rouvrant les vieilles fenêtres qu'on avait fermées, ébranlant tout !
J'ai un souvenir effrayant et magnifique de ces orages de la Limoise, tels qu'ils m'apparaissaient, à cette époque où tout était plus grand qu'aujourd'hui et palpitait d'une vie plus intense…

XXXV

C'est vers le moment où j'en suis rendu, – ma onzième année environ, – que se place l'apparition d'une nouvelle petite amie, appelée à être bientôt en très haute faveur enfantine auprès de moi. (Antoinette avait quitté le pays ; Véronique était oubliée.) Elle s'appelait Jeanne et elle était d'une famille d'officiers de marine liée à la nôtre, comme celle des D***, depuis un bon siècle. Son aîné de deux ou trois ans, je n'avais guère pris garde à elle au début, la trouvant trop bébé sans doute.
Elle avait d'ailleurs commencé par montrer une petite figure de chat très drôle ; impossible de savoir ce qui sortirait de son minois trop fin, impossible de deviner si elle serait vilaine ou jolie ; puis, bientôt, elle passa par une certaine gentillesse, et finit par devenir tout à fait mignonne et charmante sur ses huit ou dix ans. Très malicieuse, aussi sociable que j'étais sauvage ; aussi lancée dans les bals et les soirées d'enfants que j'en étais tenu à l'écart, elle me semblait alors posséder le dernier mot de l'élégance mondaine et de la coquetterie comme il faut.
Et malgré la grande intimité de nos familles, il était manifeste que ses parents voyaient nos relations d'un mauvais œil, trouvant mal à propos sans doute qu'elle eût pour camarade un garçon. J'en souffrais beaucoup, et, les impressions des enfants sont si vives et si persistantes qu'il a fallu des années passées, il a fallu que je devinsse presque un jeune homme pour pardonner à son père et à sa mère les humiliations que j'en avais ressenties.
Il en résultait pour moi un désir d'autant plus grand d'être admis à jouer avec elle. Et elle, alors, sentant cela, faisait sa petite princesse inaccessible de contes de fées ; raillait impitoyablement mes timidités, mes gaucheries de maintien, mes entrées manquées dans des salons ; c'était entre nous un échange de pointes très comiques, ou d'impayables petites galanteries.
Quand j'étais invité à passer une journée chez elle, j'en jouissais à l'avance, mais j'en avais généralement des déboires après, car je commettais toujours des maladresses dans cette famille, où je me sentais incompris.
Et chaque fois que je voulais l'avoir à dîner à la maison, il fallait que ce fût négocié de longue main par grand-tante Berthe, qui faisait autorité chez ses parents.
Or, un jour qu'elle revenait de Paris, cette petite Jeanne me conta avec admiration la féerie de Peau d'Âne qu'elle avait vu jouer.
Elle ne perdit pas son temps, cette fois-là, car Peau d'Âne devait m'occuper pendant quatre ou cinq années, me prendre les heures les plus précieuses que j'aie jamais gaspillées dans le cours de mon existence.
En effet, nous conçûmes ensemble l'idée de monter cela sur un théâtre qui m'appartenait. Cette Peau d'Âne nous rapprocha beaucoup. Et, peu à peu, ce projet atteignit dans nos têtes des proportions gigantesques ; il grandit, grandit pendant des mois et des mois, nous amusant toujours plus, à mesure que nos moyens d'exécution se perfectionnaient. Nous brossions de fantastiques décors ; nous habillions, pour les défilés, d'innombrables petites poupées. Vraiment, je serai obligé de reparler plusieurs fois de cette féerie, qui a été une des choses capitales de mon enfance.
Et même après que Jeanne s'en fut lassée, je continuai seul, surenchérissant toujours, me lançant dans des entreprises réellement grandioses, de clairs de lune, d'embrasements, d'orages. Je fis aussi des palais merveilleux, des jardins d'Aladin. Tous les rêves d'habitations enchantées, de luxes étranges que j'ai plus ou moins réalisés plus tard, dans divers coins du monde, ont pris forme, pour la première fois, sur ce théâtre de Peau d'Âne ; au sortir de mon mysticisme des commencements, je pourrais presque dire que toute la chimère de ma vie a été d'abord essayée, mise en action sur cette très petite scène-là. J'avais bien quinze ans, lorsque les derniers décors inachevés s'enfermèrent pour jamais dans les cartons qui leur servent de tranquille sépulture.
Et, puisque j'en suis à anticiper ainsi sur l'avenir, je note ceci, pour terminer : ces dernières années, avec Jeanne devenue une belle dame, nous avons formé vingt fois le projet de rouvrir ensemble les boîtes où dorment nos petites poupées mortes, – mais la vie à présent s'en va si vite que nous n'en avons jamais trouvé le temps, ni ne le trouverons jamais.
Nos enfants, peut-être, plus tard ? – ou, qui sait, nos petits-enfants ! Un jour futur, quand on ne pensera plus à nous, ces successeurs inconnus, en furetant au fond des plus mystérieux placards, feront l'étonnante découverte de légions de petits personnages, nymphes, fées et génies, qui furent habillés par nos mains…

XXXVI

Il paraît que certains enfants du pays du Centre ont une préoccupation grande de voir la mer. Moi, qui n'étais jamais sorti de nos plaines monotones, je rêvais de voir des montagnes. Je me représentais de mon mieux ce que cela pouvait être ; j'en avais vu dans plusieurs tableaux, j'en avais même peint dans des décors de Peau d'Âne. Ma sœur, pendant un voyage autour du lac de Lucerne, m'en avait envoyé des descriptions, m'en avait écrit de longues lettres, comme on n'en adresse pas d'ordinaire à des enfants de l'âge que j'avais alors. Et mes notions s'étaient complétées de photographies de glaciers, qu'elle m'avait rapportées pour mon stéréoscope. Mais je désirais ardemment voir la réalité de ces choses.
Or, un jour, comme à souhait, une lettre arriva, qui fut tout un événement dans la maison. Elle était d'un cousin germain de mon père, élevé jadis avec lui fraternellement, mais qui, pour je ne sais quelles causes, n'avait plus donné signe de vie depuis trente ans.
Quand je vins au monde, on avait déjà complètement cessé de parler de lui dans la famille, aussi ignorais-je son existence. Et c'était lui qui écrivait, demandant que le lien fût renoué ; il habitait, disait-il, une petite ville du Midi, perdue dans les montagnes, et il annonçait qu'il avait des fils et une fille, dans les âges de mon frère et de ma sœur. Sa lettre était très affectueuse, et on lui répondit de même, en lui apprenant notre existence à tous les trois.
Puis, la correspo...

Table of contents

  1. Titre
  2. Préface
  3. I
  4. II
  5. III
  6. IV
  7. V
  8. VI
  9. VII
  10. VIII
  11. IX
  12. X
  13. XI
  14. XII
  15. XIII
  16. XIV
  17. XV
  18. XVI
  19. XVII
  20. XVIII
  21. XIX
  22. XX
  23. XXI
  24. XXII
  25. XXIII
  26. XXIV
  27. XXV
  28. XVI
  29. XXVII
  30. XXVIII
  31. XXIX
  32. XXX
  33. XXXI
  34. XXXII
  35. XXXIII
  36. XXXIV
  37. XXXV
  38. XXXVI
  39. XXXVII
  40. XXXVIII
  41. XXXIX
  42. XL
  43. XLI
  44. XLII
  45. XLIII
  46. XLIV
  47. XLV
  48. XLVI
  49. XLVII
  50. XLVIII
  51. XLIX
  52. L
  53. LI
  54. LII
  55. LIII
  56. LIV
  57. LV
  58. LVI
  59. LVII
  60. LVIII
  61. LIX
  62. LX
  63. LXI
  64. LXII
  65. LXIII
  66. LXIV
  67. LXV
  68. LXVI
  69. LXVII
  70. LXVIII
  71. LXIX
  72. LXX
  73. LXXI
  74. LXXII
  75. LXXIII
  76. LXXIV
  77. LXXV
  78. LXXVI
  79. LXXVII
  80. LXXVIII
  81. LXXIX
  82. LXXX
  83. LXXXI
  84. LXXXII
  85. À propos de cette édition électronique