Moll Flanders
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Moll Flanders

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Le titre original de ce roman est Heurs et Malheurs de la fameuse Moll Flanders, inspiré par un personnage historique, Moll la coupeuse de bourse. On aurait pu le sous-titrer «La solitude de la voleuse dans les bas-fonds londoniens». Il nous raconte l'histoire d'une jeune femme née et abandonnée dans la prison de Newgate, qui apprend seule la dure loi de la lutte pour la survie. Elle commence par etre une prostituée et une voleuse, se marie cinq fois dans l'espoir d'acquérir une certaine sécurité, notamment économique, est emprisonnée a plusieurs reprises, puis déportée en Virginie... Elle finira finalement sa vie en Irlande ou elle devient une femme honnete et riche.
Moins connue que Robinson Crusoé, cette oeuvre est tout aussi passionnante. Certains ont qualifié Daniel Defoe de premier «écrivain féministe», et ils n'ont pas tort, car c'est un beau portrait de femme dans une société qui n'a jamais été tendre avec ces dernieres.

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Information

Moll Flanders

Mon vĂ©ritable nom est si bien connu dans les archives ou registres des prisons de Newgate et de Old Bailey et certaines choses de telle importance en dĂ©pendent encore, qui sont relatives Ă  ma conduite particuliĂšre, qu’il ne faut pas attendre que je fasse mention ici de mon nom ou de l’origine de ma famille ; peut-ĂȘtre aprĂšs ma mort ceci sera mieux connu ; Ă  prĂ©sent il n’y aurait nulle convenance, non, quand mĂȘme on donnerait pleine et entiĂšre rĂ©mission, sans exception de personnes ou de crimes.
Il suffira de vous dire que certaines de mes pires camarades, hors d’état de me faire du mal, car elles sont sorties de ce monde par le chemin de l’échelle et de la corde que moi-mĂȘme j’ai souvent pensĂ© prendre, m’ayant connue par le nom de Moll Flanders, vous me permettrez de passer sous ce nom jusqu’à ce que j’ose avouer tout ensemble qui j’ai Ă©tĂ© et qui je suis.
On m’a dit que dans une nation voisine, soit en France, soit ailleurs, je n’en sais rien, il y a un ordre du roi, lorsqu’un criminel est condamnĂ© ou Ă  mourir ou aux galĂšres ou Ă  ĂȘtre dĂ©portĂ©, et qu’il laisse des enfants (qui sont d’ordinaire sans ressource par la confiscation des biens de leurs parents), pour que ces enfants soient immĂ©diatement placĂ©s sous la direction du gouvernement et transportĂ©s dans un hĂŽpital qu’on nomme Maison des Orphelins, oĂč ils sont Ă©levĂ©s, vĂȘtus, nourris, instruits, et au temps de leur sortie entrent en apprentissage ou en service, tellement qu’ils sont capables de gagner leur vie par une conduite honnĂȘte et industrieuse.
Si telle eĂ»t Ă©tĂ© la coutume de notre pays, je n’aurais pas Ă©tĂ© laissĂ©e, pauvre fille dĂ©solĂ©e, sans amis, sans vĂȘtements, sans aide, sans personne pour m’aider, comme fut mon sort ; par quoi je fus non seulement exposĂ©e Ă  de trĂšs grandes dĂ©tresses, mĂȘme avant de pouvoir ou comprendre ma situation ou l’amender, mais encore jetĂ©e Ă  une vie scandaleuse en elle-mĂȘme, et qui par son ordinaire cours amĂšne la destruction de l’ñme et du corps.
Mais ici le cas fut diffĂ©rent. Ma mĂšre fut convaincue de fĂ©lonie pour un petit vol Ă  peine digne d’ĂȘtre rapportĂ© : elle avait empruntĂ© trois piĂšces de fine Hollande Ă  un certain drapier dans Cheapside ; les dĂ©tails en sont trop longs Ă  rĂ©pĂ©ter, et je les ai entendus raconter de tant de façons que je puis Ă  peine dire quel est le rĂ©cit exact.
Quoiqu’il en soit, ils s’accordent tous en ceci, que ma mĂšre plaida son ventre, qu’on la trouva grosse, et qu’elle eut sept mois de rĂ©pit ; aprĂšs quoi on la saisit (comme ils disent) du premier jugement ; mais elle obtint ensuite la faveur d’ĂȘtre dĂ©portĂ©e aux plantations, et me laissa, n’étant pas ĂągĂ©e de la moitiĂ© d’un an, et en mauvaises mains, comme vous pouvez croire.
Ceci est trop prùs des premiùres heures de ma vie pour que je puisse raconter aucune chose de moi, sinon par ouï-dire ; il suffira de mentionner que je naquis dans un si malheureux endroit qu’il n’y avait point de paroisse pour y avoir recours afin de me nourrir dans ma petite enfance, et je ne peux pas expliquer le moins du monde comment on me fit vivre ; si ce n’est qu’une parente de ma mùre (ainsi qu’on me l’a dit) m’emmena avec elle, mais aux frais de qui, ou par l’ordre de qui, c’est ce dont je ne sais rien.
La premiĂšre chose dont je puisse me souvenir, ou que j’aie pu jamais apprendre sur moi, c’est que j’arrivai Ă  ĂȘtre mĂȘlĂ©e dans une bande de ces gens qu’on nomme BohĂ©miens ou Égyptiens ; mais je pense que je restai bien peu de temps parmi eux, car ils ne dĂ©colorĂšrent point ma peau, comme ils le font Ă  tous les enfants qu’ils emmĂšnent, et je ne puis dire comment je vins parmi eux ni comment je les quittai.
Ce fut Ă  Colchester, en Essex, que ces gens m’abandonnĂšrent ; et j’ai dans la tĂȘte la notion que c’est moi qui les abandonnai (c’est-Ă -dire que je me cachai et ne voulus pas aller plus loin avec eux), mais je ne saurais rien affirmer lĂ -dessus. Je me rappelle seulement qu’ayant Ă©tĂ© prise par des officiers de la paroisse de Colchester, je leur rĂ©pondis que j’étais venue en ville avec les Égyptiens, mais que je ne voulais pas aller plus loin avec eux, et qu’ainsi ils m’avaient laissĂ©e ; mais oĂč ils Ă©taient allĂ©s, voilĂ  ce que je ne savais pas ; car, ayant envoyĂ© des gens par le pays pour s’enquĂ©rir, il paraĂźt qu’on ne put les trouver.
J’étais maintenant en point d’ĂȘtre pourvue ; car bien que je ne fusse pas lĂ©galement Ă  la charge de la paroisse pour telle au telle partie de la ville, pourtant, dĂšs qu’on connut ma situation et qu’on sut que j’étais trop jeune pour travailler, n’ayant pas plus de trois ans d’ñge, la pitiĂ© Ă©mut les magistrats de la ville, et ils dĂ©cidĂšrent de me prendre sous leur garde, et je devins Ă  eux tout comme si je fusse nĂ©e dans la citĂ©.
Dans la provision qu’ils firent pour moi, j’eus la chance d’ĂȘtre mise en nourrice, comme ils disent, chez une bonne femme qui Ă©tait pauvre, en vĂ©ritĂ©, mais qui avait connu de meilleurs jours, et qui gagnait petitement sa vie en Ă©levant des enfants tels qu’on me supposait ĂȘtre, et en les entretenant en toutes choses nĂ©cessaires jusqu’à l’ñge oĂč l’on pensait qu’ils pourraient entrer en service ou gagner leur propre pain.
Cette bonne femme avait aussi une petite Ă©cole qu’elle tenait pour enseigner aux enfants Ă  lire et Ă  coudre ; et ayant, comme j’ai dit, autrefois vĂ©cu en bonne façon, elle Ă©levait les enfants avec beaucoup d’art autant qu’avec beaucoup de soin.
Mais, ce qui valait tout le reste, elle les Ă©levait trĂšs religieusement aussi, Ă©tant elle-mĂȘme une femme bien sobre et pieuse, secondement bonne mĂ©nagĂšre et propre, et troisiĂšmement de façons et mƓurs honnĂȘtes. Si bien qu’à ne point parler de la nourriture commune, du rude logement et des vĂȘtements grossiers, nous Ă©tions Ă©levĂ©s aussi civilement qu’à la classe d’un maĂźtre de danse.
Je continuai lĂ  jusqu’à l’ñge de huit ans, quand je fus terrifiĂ©e par la nouvelle que les magistrats (je crois qu’on les nommait ainsi) avaient donnĂ© l’ordre de me mettre en service ; je ne pouvais faire que bien peu de chose, oĂč qu’on m’envoyĂąt, sinon aller en course, ou servir de souillon Ă  quelque fille de cuisine ; et comme on me le rĂ©pĂ©tait souvent, j’en pris une grande frayeur ; car j’avais une extrĂȘme aversion Ă  entrer en service, comme ils disaient, bien que je fusse si jeune ; et je dis Ă  ma nourrice que je croyais pouvoir gagner ma vie sans entrer en service, si elle voulait bien me le permettre ; car elle m’avait appris Ă  travailler de mon aiguille et Ă  filer de la grosse laine, qui est la principale industrie de cette ville, et je lui dis que si elle voulait bien me garder, je travaillerais bien fort.
Je lui parlais presque chaque jour de travailler bien fort et, en somme, je ne faisais que travailler et pleurer tout le temps, ce qui affligea tellement l’excellente bonne femme qu’enfin elle se mit Ă  s’inquiĂ©ter de moi : car elle m’aimait beaucoup.
LĂ -dessus, un jour, comme elle entrait dans la chambre oĂč tous les pauvres enfants Ă©taient au travail, elle s’assit juste en face de moi ; non pas Ă  sa place habituelle de maĂźtresse mais comme si elle se disposait Ă  dessein pour m’observer et me regarder travailler ; j’étais en train de faire un ouvrage auquel elle m’avait mise, et je me souviens que c’était Ă  marquer des chemises ; et aprĂšs un temps elle commença de me parler :
– Petite sotte, dit-elle, tu es toujours à pleurer (et je pleurais alors), dis-moi pourquoi tu pleures.
– Parce qu’ils vont m’emmener, dis-je, et me mettre en service, et je ne peux pas faire le travail de mĂ©nage.
– Eh bien, mon enfant, dit-elle, il est possible que tu ne puisses pas faire le travail de mĂ©nage, mais tu l’apprendras plus tard, et on ne te mettra pas au gros ouvrage tout de suite.
– Si, on m’y mettra, dis-je, et si je ne peux pas le faire, on me battra, et les servantes me battront pour me faire faire le gros ouvrage, et je ne suis qu’une petite fille, et je ne peux pas le faire !
Et je me remis à pleurer jusqu’à ne plus pouvoir parler.
Ceci Ă©mut ma bonne nourrice maternelle ; si bien qu’elle rĂ©solut que je n’entrerais pas encore en condition ; et elle me dit de ne pas pleurer, et qu’elle parlerait Ă  M. le maire et que je n’entrerais en service que quand je serais plus grande.
Eh bien, ceci ne me satisfit pas ; car la seule idĂ©e d’entrer en condition Ă©tait pour moi une chose si terrible que si elle m’avait assurĂ© que je n’y entrerais pas avant l’ñge de vingt ans, cela aurait Ă©tĂ© entiĂšrement pareil pour moi ; j’aurais pleurĂ© tout le temps, rien qu’à l’apprĂ©hension que la chose finirait par arriver.
Quand elle vit que je n’étais pas apaisĂ©e, elle se mit en colĂšre avec moi :
– Et que veux-tu donc de plus, dit-elle, puisque je te dis que tu n’entreras en service que quand tu seras plus grande ?
– Oui, dis-je, mais il faudra tout de mĂȘme que j’y entre, Ă  la fin.
– Mais quoi, dit-elle, est-ce que cette fille est folle ? Quoi, tu veux donc ĂȘtre une dame de qualitĂ© ?
– Oui, dis-je, et je pleurai de tout mon cƓur, jusqu’à Ă©clater encore en sanglots.
Ceci fit rire la vieille demoiselle, comme vous pouvez bien penser.
– Eh bien, madame, en vĂ©ritĂ©, dit-elle, en se moquant de moi, vous voulez donc ĂȘtre une dame de qualitĂ©, et comment ferez-vous pour devenir dame de qualitĂ© ? est-ce avec le bout de vos doigts ?
– Oui, dis-je encore innocemment.
– Mais voyons, qu’est-ce que tu peux gagner, dit-elle ; qu’est-ce que tu peux gagner par jour en travaillant ?
– Six sous, dis-je, quand je file, et huit sous quand je couds du gros linge.
– HĂ©las ! pauvre dame de qualitĂ©, dit-elle encore en riant, cela ne te mĂšnera pas loin.
– Cela me suffira, dis-je, si vous voulez bien me laisser vivre avec vous.
Et je parlais d’un si pauvre ton suppliant que j’étreignis le cƓur de la bonne femme, comme elle me dit plus tard.
– Mais, dit-elle, cela ne suffira pas Ă  te nourrir et Ă  t’acheter des vĂȘtements ; et qui donc achĂštera des robes pour la petite dame de qualitĂ© ? dit-elle.
Et elle me souriait tout le temps.
– Alors je travaillerai plus dur, dis-je, et je vous donnerai tout l’argent.
– Mais, mon pauvre enfant, cela ne suffira pas, dit-elle ; il y aura à peine de quoi te fournir d’aliments.
– Alors vous ne me donnerez pas d’aliments, dis-je encore, innocemment ; mais vous me laisserez vivre avec vous.
– Et tu pourras vivre sans aliments ? dit-elle.
– Oui, dis-je encore, comme un enfant, vous pouvez bien penser, et je pleurai encore de tout mon cƓur.
Je n’avais aucun calcul en tout ceci ; vous pouvez facilement voir que tout Ă©tait de nature ; mais c’était joint Ă  tant d’innocence et Ă  tant de passion qu’en somme la bonne crĂ©ature maternelle se mit Ă  pleurer aussi, et enfin sanglota aussi fort que moi, et me prit et me mena hors de la salle d’école : « Viens, dit-elle, tu n’iras pas en service, tu vivras avec moi » ; et ceci me consola pour le moment.
LĂ -dessus, elle alla faire visite au maire, mon affaire vint dans la conversation, et ma bonne nourrice raconta Ă  M. le maire toute l’histoire ; il en fut si charmĂ© qu’il alla appeler sa femme et ses deux filles pour l’entendre, et ils s’en amusĂšrent assez entre eux, comme vous pouvez bien penser.
Enfin, une semaine ne s’était pas Ă©coulĂ©e, que voici tout Ă  coup madame la femme du maire et ses deux filles qui arrivent Ă  la maison pour voir ma vieille nourrice, et visiter son Ă©cole et les enfants. AprĂšs qu’elles les eurent regardĂ©s un peu de temps :
– Eh bien, madame, dit la femme du maire Ă  ma nourrice, et quelle est donc, je vous prie, la petite fille qui veut ĂȘtre dame de qualitĂ© ?
Je l’entendis et je fus affreusement effrayĂ©e, quoique sans savoir pourquoi non plus ; mais madame la femme du maire vient jusqu’à moi :
– Eh bien, mademoiselle, dit-elle, et quel ouvrage faites-vous en ce moment ?
Le mot mademoiselle Ă©tait un langage qu’on n’avait guĂšre entendu parler dans notre Ă©cole, et je m’étonnai de quel triste nom elle m’appelait ; nĂ©anmoins je me levai, fis une rĂ©vĂ©rence, et elle me prit mon ouvrage dans les mains, le regarda, et dit que c’était trĂšs bien ; puis elle regarda une de mes mains :
– Ma foi, dit-elle, elle pourra devenir dame de qualitĂ©, aprĂšs tout ; elle a une main de dame, je vous assure.
Ceci me fit un immense plaisir ; mais madame la femme du maire ne s’en tint pas lĂ , mais elle mit sa main dans sa poche et me donna un shilling, et me recommanda d’ĂȘtre bien attentive Ă  mon ouvrage et d’apprendre Ă  bien travailler, et peut-ĂȘtre je pourrais devenir une dame de qualitĂ©, aprĂšs tout.
Et tout ce temps ma bonne vieille nourrice, et madame la femme du maire et tous les autres gens, ne me comprenaient nullement : car eux voulaient dire une sorte de chose par le mot dame de qualitĂ© et moi j’en voulais dire une toute diffĂ©rente ; car hĂ©las ! tout ce que je comprenais en disant dame de qualitĂ©, c’est que je pourrais travailler pour moi et gagner assez pour vivre sans entrer en service ; tandis que pour eux cela signifiait vivre dans une grande et haute position et je ne sais quoi.
Eh bien, aprĂšs que madame la femme du maire fut partie, ses deux filles arrivĂšrent et demandĂšrent aussi Ă  voir la dame de qualitĂ©, et elles me parlĂšrent longtemps, et je leur rĂ©pondis Ă  ma guise innocente ; mais toujours lorsqu’elles me demandaient si j’avais rĂ©solu de devenir une dame de qualitĂ©, je rĂ©pondais « oui » : enfin elles me demandĂšrent ce que c’était qu’une dame de qualitĂ©. Ceci me troubla fort : toutefois j’expliquai nĂ©gativement que c’était une personne qui n’entrait pas en service pour faire le mĂ©nage ; elles en furent extrĂȘmement charmĂ©es, et mon petit babillage leur plut et leur sembla assez agrĂ©able, et elles me donnĂšrent aussi de l’argent.
Pour mon argent, je le donnai tout Ă  ma nourrice-maĂźtresse comme je l’appelais, et lui promis qu’elle aurait tout ce que je gagnerais quand je serais dame de qualitĂ©, aussi bien que maintenant ; par ceci et d’autres choses que je disais, ma vieille gouvernante commença de comprendre ce que je voulais dire par dame de qualitĂ©, et que ce n’était pas plus que d’ĂȘtre capable de gagner mon pain par mon propre travail et enfin elle me demanda si ce n’était pas cela.
Je lui dis que oui, et j’insistai pour lui expliquer que vivre ainsi, c’était ĂȘtre dame de qualitĂ© ; car, dis-je, il y a une telle, nommant une femme qui raccommodait de la dentelle et lavait les coiffes de dentelle des dames ; elle, dis-je, c’est une dame de qualitĂ©, et on l’appelle madame.
– Pauvre enfant, dit ma bonne vieille nourrice, tu pourras bientĂŽt ĂȘtre une personne mal famĂ©e, et qui a eu deux bĂątards.
Je ne compris rien Ă  cela ; mais je rĂ©pondis : « Je suis sĂ»re qu’on l’appelle madame, et elle ne va pas en service, et elle ne fait pas le mĂ©nage » ; et ainsi je soutins qu’elle Ă©tait dame de qualitĂ©, et que je voulais ĂȘtre dame de qualitĂ©, comme elle.
Tout ceci fut rĂ©pĂ©tĂ© aux dames, et elles s’en amusĂšrent et de temps en temps les filles de M. le maire venaient me voir et demandaient oĂč Ă©tait la petite dame de qualitĂ©, ce qui ne me rendait pas peu fiĂšre de moi, d’ailleurs j’avais souvent la visite de ces jeunes dames, et elles en amenaient d’autres avec elles ; de sorte que par cela je devins connue presque dans toute la ville.
J’avais maintenant prĂšs de dix ans et je commençais d’avoir l’air d’une petite femme, car j’étais extrĂȘmement sĂ©rieuse, avec de belles maniĂšres, et comme j’avais souvent entendu dire aux dames que j’étais jolie, et que je deviendrais extrĂȘmement belle, vous pouvez penser que cela ne me rendait pas peu fiĂšre ; toutefois cette vanitĂ© n’eut pas encore de mauvais effet sur moi ; seulement, comme elles me donnaient souvent de l’argent que je donnais Ă  ma vieille nourrice, elle, honnĂȘte femme, avait l’intĂ©gritĂ© de le dĂ©penser pour moi afin de m’acheter coiffe, linge et gants, et j’allais nettement vĂȘtue ; car si je portais des haillons, j’étais toujours trĂšs propre, ou je les faisais barboter moi-mĂȘme dans l’eau, mais, dis-je, ma bonne vieille nourrice, quand on me donnait de l’argent, bien honnĂȘtement le dĂ©pensait pour moi, et disait toujours aux dames que ceci ou cela avait Ă©tĂ© achetĂ© avec leur argent ; et ceci faisait qu’elles m’en donnaient davantage ; jusqu’enfin je fus tout de bon appelĂ©e par les magistrats, pour entrer en service ; mais j’étais alors devenue si excellente ouvriĂšre, et les dames Ă©taient si bonnes pour moi, que j’en avais passĂ© le besoin ; car je pouvais gagner pour ma nourrice autant qu’il lui fallait pour m’entretenir ; de sorte qu’elle leur dit que, s’ils lui permettaient, elle garderait la « dame de qualitĂ© » comme elle m’appelait, pour lui servir d’aide et donner leçon aux enfants, ce que j’étais trĂšs bien capable de faire ; car j’étais trĂšs agile au travail, bien que je fusse encore trĂšs jeune.
Mais la bontĂ© de ces dames ne s’arrĂȘta pas lĂ , car lorsqu’elles comprirent que je n’étais plus entretenue par la citĂ©, comme auparavant, elles me donnĂšrent plus souvent de l’argent ; et, Ă  mesure que je grandissais, elles m’apportaient de l’ouvrage Ă  faire pour elles : tel que linge Ă  rentoiler, dentelles Ă  rĂ©parer, coiffes Ă  façonner, et non seulement me payaient pour mon ouvrage, mais m’apprenaient mĂȘme Ă  le faire, de sorte que j’étais vĂ©ritablement une dame de qualitĂ©, ainsi que je l’entendais ; car avant d’avoir douze ans, non seulement je me suffisais en vĂȘtements et je payais ma nourrice pour m’entretenir, mais encore je mettais de l’argent dans ma poche.
Les dames me donnaient aussi frĂ©quemment de leurs hardes ou de celles de leurs enfants ; des bas, des jupons, des habits, les unes telle chose, les autres telle autre, et ma vieille femme soignait tout cela pour moi comme une mĂšre, m’obligeait Ă  raccommoder, et Ă  tourner tout au meilleur usage : car c’était une rare et excellente mĂ©nagĂšre.
À la fin, une des dames se prit d’un tel caprice pour moi qu’elle dĂ©sirait m’avoir chez elle, dans sa maison, pour un mois, dit-elle, afin d’ĂȘtre en compagnie de ses filles.
Vous pensez que cette invitation Ă©tait excessivement aimable de sa part ; toutefois, comme lui dit ma bonne femme, Ă  moins qu’elle se dĂ©cidĂąt Ă  me garder pour tout de bon, elle ferait Ă  la petite dame de qualitĂ© plus de mal que de bien. – « Eh bien, dit la dame, c’est vrai ; je la prendrai chez moi seulement pendant une semaine, pour voir comment mes filles et elles s’accordent, et comment son caractĂšre me plaĂźt, et ensuite je vous en dirai plus long ; et cependant, s’il vient personne la voir comme d’ordinaire, dites-leur seulement que vous l’avez envoyĂ©e en visite Ă  ma maison. »
Ceci Ă©tait prudemment mĂ©nagĂ©, et j’allai faire visite Ă  la dame, oĂč je me plus tellement avec les jeunes demoiselles, et elles si fort avec moi, que j’eus assez Ă  faire pour me sĂ©parer d’elles, et elles en furent aussi fĂąchĂ©es que moi-mĂȘme.
Je les quittai cependant et je vĂ©cus presque une annĂ©e encore avec mon honnĂȘte vielle femme ; et je commençais maintenant de lui ĂȘtre bien utile ; car j’avais presque quatorze ans, j’étais grande pour mon Ăąge, et j’avais dĂ©jĂ  l’air d’une petite femme ; mais j’avais pris un tel goĂ»t de l’air de qualitĂ© dont on vivait dans la maison de la dame, que je ne me sentais plus tant Ă  mon aise dans mon ancien logement ; et je pensais qu’il Ă©tait beau d’ĂȘtre vraiment dame de qualitĂ©, car j’avais mainten...

Table of contents

  1. Titre
  2. Préface du Traducteur
  3. Moll Flanders
  4. À propos de cette Ă©dition Ă©lectronique