Taxile, Cléofile
Cléofile
Quoi ? vous allez combattre un roi dont la puissance
Semble forcer le ciel à prendre sa défense,
Sous qui toute lâAsie a vu tomber ses rois,
Et qui tient la fortune attachée à ses lois ?
Mon frĂšre, ouvrez les yeux pour connaĂźtre Alexandre :
Voyez de toutes parts les trĂŽnes mis en cendre,
Les peuples asservis, et les rois enchaßnés ;
Et prévenez les maux qui les ont entraßnés.
Taxile
Voulez-vous que, frappĂ© dâune crainte si basse,
Je prĂ©sente la tĂȘte au joug qui nous menace,
Et que jâentende dire aux peuples indiens
Que jâai forgĂ© moi-mĂȘme et leurs fers et les miens ?
Quitterai-je Porus ? Trahirai-je ces princes
Que rassemble le soin dâaffranchir nos provinces,
Et qui sans balancer sur un si noble choix,
Sauront également vivre ou mourir en rois ?
En voyez-vous un seul qui sans rien entreprendre
Se laisse terrasser au seul nom dâAlexandre,
Et le croyant dĂ©jĂ maĂźtre de lâunivers,
Aille, esclave empressé, lui demander des fers ?
Loin de sâĂ©pouvanter Ă lâaspect de sa gloire,
Ils lâattaqueront mĂȘme au sein de la victoire.
Et vous voulez, ma sĆur, que Taxile aujourdâhui,
Tout prĂȘt Ă le combattre, implore son appui !
Cléofile
Aussi nâest-ce quâĂ vous que ce prince sâadresse ;
Pour votre amitiĂ© seule Alexandre sâempresse :
Quand la foudre sâallume et sâapprĂȘte Ă partir,
Il sâefforce en secret de vous en garantir.
Taxile
Pourquoi suis-je le seul que son courroux ménage ?
De tous ceux que lâHydaspe oppose Ă son courage,
Ai-je mérité seul son indigne pitié ?
Ne peut-il à Porus offrir son amitié ?
Ah ! sans doute il lui croit lâĂąme trop gĂ©nĂ©reuse
Pour écouter jamais une offre si honteuse :
Il cherche une vertu qui lui résiste moins,
Et peut-ĂȘtre il me croit plus digne de ses soins.
Cléofile
Dites, sans lâaccuser de chercher un esclave,
Que de ses ennemis, il vous croit le plus brave,
Et quâen vous arrachant les armes de la main,
Il se promet du reste un triomphe certain.
Son choix Ă votre nom nâimprime point de taches,
Son amitiĂ© nâest point le partage des lĂąches :
Quoiquâil brĂ»le de voir tout lâunivers soumis,
On ne voit point dâesclave au rang de ses amis.
Ah ! si son amitié peut souiller votre gloire,
Que ne mâĂ©pargniez-vous une tache si noire ?
Vous connaissez les soins quâil me rend tous les jours :
Il ne tenait quâĂ vous dâen arrĂȘter le cours.
Vous me voyez ici maĂźtresse de son Ăąme ;
Cent messages secrets mâassurent de sa flamme ;
Pour venir jusquâĂ moi, ses soupirs embrasĂ©s
Se font jour au travers de deux camps opposés.
Au lieu de le haĂŻr, au lieu de mây contraindre,
De mon trop de rigueur je vous ai vu vous plaindre :
Vous mâavez engagĂ©e Ă souffrir son amour,
Et peut-ĂȘtre, mon frĂšre, Ă lâaimer Ă mon tour.
Taxile
Vous pouvez, sans rougir du pouvoir de vos charmes,
Forcer ce grand guerrier Ă vous rendre les armes,
Et sans que votre cĆur doive sâen alarmer,
Le vainqueur de lâEuphrate a pu vous dĂ©sarmer.
Mais lâĂtat aujourdâhui suivra ma destinĂ©e,
Je tiens avec mon sort sa fortune enchaßnée,
Et quoique vos conseils tùchent de me fléchir,
Je dois demeurer libre afin de lâaffranchir.
Je sais lâinquiĂ©tude oĂč ce dessein vous livre,
Mais comme vous, ma sĆur, jâai mon amour Ă suivre.
Les beaux yeux dâAxiane, ennemis de la paix,
Contre votre Alexandre arment tous leurs attraits :
Reine de tous les cĆurs, elle met tout en armes
Pour cette liberté que détruisent ses charmes,
Elle rougit des fers quâon apporte en ces lieux,
Et nây saurait souffrir de tyrans que ses yeux.
Il faut servir, ma sĆur, son illustre colĂšre ;
Il faut allerâŠ
Cléofile
Eh bien ! perdez-vous pour lui plaire :
De ces tyrans si chers suivez lâarrĂȘt fatal,
Servez-les, ou plutĂŽt servez votre rival.
De vos propres lauriers souffrez quâon le couronne.
Combattez pour Porus, Axiane lâordonne,
Et par de beaux exploits appuyant sa rigueur,
Assurez Ă Porus lâempire de son cĆur.
Taxile
Ah ! ma sĆur, croyez-vous que PorusâŠ
Cléofile
Mais vous-mĂȘme
Doutez-vous en effet quâAxiane ne lâaime ?
Quoi ? ne voyez-vous pas avec quelle chaleur
Lâingrate Ă vos yeux mĂȘme Ă©tale sa valeur ?
Quelque brave quâon soit, si nous la voulons croire,
Ce nâest quâautour de lui que vole la Victoire ;
Vous formeriez sans lui dâinutiles desseins,
La libertĂ© de lâInde est to...
