Une page d'amour
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Une page d'amour

About this book

Une page d'amour est un roman d'Émile Zola publiĂ© en 1878, le huitiĂšme volume de la sĂ©rie Les Rougon-Macquart.
L'hĂ©roĂŻne est HĂ©lĂšne Grandjean, fille d'Ursule Macquart et du chapelier Mouret. À l'Ăąge de dix-sept ans, elle Ă©pouse un nommĂ© Grandjean qui lui a donne une fille, Jeanne, maladive et en proie Ă  des « crises » rĂ©guliĂšres.

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Information

Partie 1

Chapitre 1

La veilleuse, dans un cornet bleuĂątre, brĂ»lait sur la cheminĂ©e, derriĂšre un livre, dont l’ombre noyait toute une moitiĂ© de la chambre. C’était une calme lueur qui coupait le guĂ©ridon et la chaise longue, baignait les gros plis des rideaux de velours, azurait la glace de l’armoire de palissandre, placĂ©e entre les deux fenĂȘtres. L’harmonie bourgeoise de la piĂšce, ce bleu des tentures, des meubles et du tapis, prenait Ă  cette heure nocturne une douceur vague de nuĂ©e. Et, en face des fenĂȘtres, du cĂŽtĂ© de l’ombre, le lit, Ă©galement tendu de velours, faisait une masse noire, Ă©clairĂ©e seulement de la pĂąleur des draps. HĂ©lĂšne, les mains croisĂ©es, dans sa tranquille attitude de mĂšre et de veuve, avait un lĂ©ger souffle.
Au milieu du silence, la pendule sonna une heure. Les bruits du quartier Ă©taient morts. Sur ces hauteurs du TrocadĂ©ro, Paris envoyait seul son lointain ronflement. Le petit souffle d’HĂ©lĂšne Ă©tait si doux, qu’il ne soulevait pas la ligne chaste de sa gorge. Elle sommeillait d’un beau sommeil, paisible et fort, avec son profil correct et ses cheveux chĂątains puissamment nouĂ©s, la tĂȘte penchĂ©e, comme si elle se fĂ»t assoupie en Ă©coutant. Au fond de la piĂšce, la porte d’un cabinet grande ouverte trouait le mur d’un carrĂ© de tĂ©nĂšbres.
Mais pas un bruit ne montait. La demie sonna. Le balancier avait un battement affaibli, dans cette force du sommeil qui anĂ©antissait la chambre entiĂšre. La veilleuse dormait, les meubles dormaient ; sur le guĂ©ridon, prĂšs d’une lampe Ă©teinte, un ouvrage de femme dormait. HĂ©lĂšne, endormie, gardait son air grave et bon.
Quand deux heures sonnĂšrent, cette paix fut troublĂ©e, un soupir sortit des tĂ©nĂšbres du cabinet. Puis, il y eut un froissement de linge, et le silence recommença. Maintenant, une haleine oppressĂ©e s’entendait. HĂ©lĂšne n’avait pas bougĂ©. Mais, brusquement, elle se souleva. Un balbutiement confus d’enfant qui souffre venait de la rĂ©veiller. Elle portait les mains Ă  ses tempes, encore ensommeillĂ©e, lorsqu’un cri sourd la fit sauter sur le tapis.
– Jeanne !
 Jeanne !
 qu’as-tu ? rĂ©ponds-moi ! demanda-t-elle.
Et, comme l’enfant se taisait, elle murmura, tout en courant prendre la veilleuse :
– Mon Dieu ! elle n’était pas bien, je n’aurais pas dĂ» me coucher.
Elle entra vivement dans la piĂšce voisine oĂč un lourd silence s’était fait. Mais la veilleuse, noyĂ©e d’huile, avait une tremblante clartĂ© qui envoyait seulement au plafond une tache ronde. HĂ©lĂšne, penchĂ©e sur le lit de fer, ne put rien distinguer d’abord. Puis, dans la lueur bleuĂątre, au milieu des draps rejetĂ©s, elle aperçut Jeanne raidie, la tĂȘte renversĂ©e, les muscles du cou rigides et durs. Une contraction dĂ©figurait le pauvre et adorable visage, les yeux Ă©taient ouverts, fixĂ©s sur la flĂšche des rideaux.
– Mon Dieu ! mon Dieu ! cria-t-elle, mon Dieu ! elle se meurt !
Et, posant la veilleuse, elle tĂąta sa fille de ses mains tremblantes. Elle ne put trouver le pouls. Le cƓur semblait s’arrĂȘter. Les petits bras, les petites jambes se tendaient violemment. Alors, elle devint folle, s’épouvantant, bĂ©gayant :
– Mon enfant se meurt ! Au secours !
 Mon enfant ! mon enfant !
Elle revint dans la chambre, tournant et se cognant, sans savoir oĂč elle allait ; puis, elle rentra dans le cabinet et se jeta de nouveau devant le lit, appelant toujours au secours. Elle avait pris Jeanne entre ses bras, elle lui baisait les cheveux, promenait les mains sur son corps, en la suppliant de rĂ©pondre. Un mot, un seul mot. OĂč avait-elle mal ? DĂ©sirait-elle un peu de la potion de l’autre jour ? Peut-ĂȘtre l’air l’aurait-il ranimĂ©e ? Et elle s’entĂȘtait Ă  vouloir l’entendre parler.
– Dis-moi, Jeanne, oh ! dis-moi, je t’en prie !
Mon Dieu ! et ne savoir que faire ! Comme ça, brusquement, dans la nuit. Pas mĂȘme de lumiĂšre. Ses idĂ©es se brouillaient. Elle continuait de causer Ă  sa fille, l’interrogeant et rĂ©pondant pour elle. C’était dans l’estomac que ça la tenait ; non, dans la gorge. Ce ne serait rien. Il fallait du calme. Et elle faisait un effort pour avoir elle-mĂȘme toute sa tĂȘte. Mais la sensation de sa fille raide entre ses bras lui soulevait les entrailles. Elle la regardait, convulsĂ©e et sans souffle ; elle tĂąchait de raisonner, de rĂ©sister au besoin de crier. Tout Ă  coup, malgrĂ© elle, elle cria.
Elle traversa la salle Ă  manger et la cuisine, appelant :
– Rosalie ! Rosalie !
 Vite, un mĂ©decin !
 Mon enfant se meurt !
La bonne, qui couchait dans une petite piĂšce derriĂšre la cuisine, poussa des exclamations. HĂ©lĂšne Ă©tait revenue en courant. Elle piĂ©tinait en chemise, sans paraĂźtre sentir le froid de cette glaciale nuit de fĂ©vrier. Cette bonne laisserait donc mourir son enfant ! Une minute s’était Ă  peine Ă©coulĂ©e. Elle retourna dans la cuisine, rentra dans la chambre. Et, rudement, Ă  tĂątons, elle passa une jupe, jeta un chĂąle sur ses Ă©paules. Elle renversait les meubles, emplissait de la violence de son dĂ©sespoir cette chambre oĂč dormait une paix si recueillie. Puis, chaussĂ©e de pantoufles, laissant les portes ouvertes, elle descendit elle-mĂȘme les trois Ă©tages, avec cette idĂ©e qu’elle seule ramĂšnerait un mĂ©decin.
Quand la concierge eut tirĂ© le cordon, HĂ©lĂšne se trouva dehors, les oreilles bourdonnantes, la tĂȘte perdue. Elle descendit rapidement la rue Vineuse, sonna chez le docteur Bodin, qui avait dĂ©jĂ  soignĂ© Jeanne ; une domestique, au bout d’une Ă©ternitĂ©, vint lui rĂ©pondre que le docteur Ă©tait auprĂšs d’une femme en couches. HĂ©lĂšne resta stupide sur le trottoir. Elle ne connaissait pas d’autre docteur dans Passy. Pendant un instant, elle battit les rues, regardant les maisons. Un petit vent glacĂ© soufflait ; elle marchait avec ses pantoufles dans une neige lĂ©gĂšre, tombĂ©e le soir. Et elle avait toujours devant elle sa fille, avec cette pensĂ©e d’angoisse qu’elle la tuait en ne trouvant pas tout de suite un mĂ©decin. Alors, comme elle remontait la rue Vineuse, elle se pendit Ă  une sonnette. Elle allait toujours demander ; on lui donnerait peut-ĂȘtre une adresse. Elle sonna de nouveau, parce qu’on ne se hĂątait pas. Le vent plaquait son mince jupon sur ses jambes, et les mĂšches de ses cheveux s’envolaient.
Enfin, un domestique vint ouvrir et lui dit que le docteur Deberle Ă©tait couchĂ©. Elle avait sonnĂ© chez un docteur, le Ciel ne l’abandonnait donc pas ! Alors, elle poussa le domestique pour entrer. Elle rĂ©pĂ©tait :
– Mon enfant, mon enfant se meurt !
 Dites-lui qu’il vienne.
C’était un petit hĂŽtel plein de tentures. Elle monta ainsi un Ă©tage, luttant contre le domestique, rĂ©pondant Ă  toutes les observations que son enfant se mourait. ArrivĂ©e dans une piĂšce, elle voulut bien attendre. Mais, dĂšs qu’elle entendit Ă  cĂŽtĂ© le mĂ©decin se lever, elle s’approcha, elle parla Ă  travers la porte.
– Tout de suite, monsieur, je vous en supplie
 Mon enfant se meurt !
Et, lorsque le mĂ©decin parut en veston, sans cravate, elle l’entraĂźna, elle ne le laissa pas se vĂȘtir davantage. Lui, l’avait reconnue. Elle habitait la maison voisine et Ă©tait sa locataire. Aussi, quand il lui fit traverser un jardin pour raccourcir en passant par une porte de communication qui existait entre les deux demeures, eut-elle un brusque rĂ©veil de mĂ©moire.
– C’est vrai, murmura-t-elle, vous ĂȘtes mĂ©decin, et je le savais
 Voyez-vous, je suis devenue folle
 DĂ©pĂȘchons-nous.
Dans l’escalier, elle voulut qu’il passĂąt le premier. Elle n’eĂ»t pas amenĂ© Dieu chez elle d’une façon plus dĂ©vote. En haut, Rosalie Ă©tait restĂ©e prĂšs de Jeanne, et elle avait allumĂ© la lampe posĂ©e sur le guĂ©ridon. DĂšs que le mĂ©decin entra, il prit cette lampe, il Ă©claira vivement l’enfant, qui gardait une rigiditĂ© douloureuse ; seulement, la tĂȘte avait glissĂ©, de rapides crispations couraient sur la face. Pendant une minute, il ne dit rien, les lĂšvres pincĂ©es. HĂ©lĂšne, anxieusement, le regardait. Quand il aperçut ce regard de mĂšre qui l’implorait, il murmura :
– Ce ne sera rien
 Mais il ne faut pas la laisser ici. Elle a besoin d’air.
HĂ©lĂšne, d’un geste fort, l’emporta sur son Ă©paule. Elle aurait baisĂ© les mains du mĂ©decin pour sa bonne parole, et une douceur coulait en elle. Mais Ă  peine eut-elle posĂ© Jeanne dans son grand lit, que ce pauvre petit corps de fillette fut agitĂ© de violentes convulsions. Le mĂ©decin avait enlevĂ© l’abat-jour de la lampe, une clartĂ© blanche emplissait la piĂšce. Il alla entrouvrir une fenĂȘtre, ordonna Ă  Rosalie de tirer le lit hors des rideaux. HĂ©lĂšne, reprise par l’angoisse, balbutiait :
– Mais elle se meurt, monsieur !
 Voyez donc, voyez donc !
 Je ne la reconnais plus !
Il ne rĂ©pondait pas, suivait l’accĂšs d’un regard attentif. Puis, il dit :
– Passez dans l’alcĂŽve, tenez-lui les mains pour qu’elle ne s’égratigne pas
 LĂ , doucement, sans violence
 Ne vous inquiĂ©tez pas, il faut que la crise suive son cours.
Et tous deux, penchĂ©s au-dessus du lit, ils maintenaient Jeanne, dont les membres se dĂ©tendaient avec des secousses brusques. Le mĂ©decin avait boutonnĂ© son veston pour cacher son cou nu. HĂ©lĂšne Ă©tait restĂ©e enveloppĂ©e dans le chĂąle qu’elle avait jetĂ© sur ses Ă©paules. Mais Jeanne, en se dĂ©battant, tira un coin du chĂąle, dĂ©boutonna le haut du veston. Ils ne s’en aperçurent point. Ni l’un ni l’autre ne se voyait.
Cependant, l’accĂšs se calma. La petite parut tomber dans un grand affaissement. Bien qu’il rassurĂąt la mĂšre sur l’issue de la crise, le docteur restait prĂ©occupĂ©. Il regardait toujours la malade, il finit par poser des questions brĂšves Ă  HĂ©lĂšne, demeurĂ©e debout dans la ruelle.
– Quel ñge a l’enfant ?
– Onze ans et demi, monsieur.
Il y eut un silence. Il hochait la tĂȘte, se baissait pour soulever la paupiĂšre fermĂ©e de Jeanne et regarder la muqueuse. Puis, il continua son interrogatoire, sans lever les yeux sur HĂ©lĂšne.
– A-t-elle eu des convulsions Ă©tant jeune ?
– Oui, monsieur, mais ces convulsions ont disparu vers l’ñge de six ans
 Elle est trĂšs dĂ©licate. Depuis quelques jours, je la voyais mal Ă  son aise. Elle avait des crampes, des absences.
– Connaissez-vous des maladies nerveuses dans votre famille.
– Je ne sais pas
 Ma mùre est morte de la poitrine.
Elle hĂ©sitait, prise d’une honte, ne voulant pas avouer une aĂŻeule enfermĂ©e dans une maison d’aliĂ©nĂ©s. Toute son ascendance Ă©tait tragique.
– Prenez garde, dit vivement le mĂ©decin, voici un nouvel accĂšs.
Jeanne venait d’ouvrir les yeux. Un instant, elle regarda autour d’elle, d’un air Ă©garĂ©, sans prononcer une parole. Puis, son regard devint fixe, son corps se renversa en arriĂšre, les membres Ă©tendus et roidis. Elle Ă©tait trĂšs rouge. Tout d’un coup elle blĂȘmit, d’une pĂąleur livide, et les convulsions se dĂ©clarĂšrent.
– Ne la lñchez pas, reprit le docteur. Prenez-lui l’autre main.
Il courut au guĂ©ridon, sur lequel, en entrant, il avait posĂ© une petite pharmacie. Il revint avec un flacon, qu’il fit respirer Ă  l’enfant. Mais ce fut comme un terrible coup de fouet, Jeanne donna une telle secousse, qu’elle Ă©chappa des mains de sa mĂšre.
– Non, non, pas d’éther ! cria celle-ci, avertie par l’odeur. L’éther la rend folle.
Tous deux suffirent Ă  peine Ă  la maintenir. Elle avait de violentes contractions, soulevĂ©e sur les talons et sur la nuque, comme pliĂ©e en deux. Puis, elle retombait, elle s’agitait dans un balancement qui la jetait aux deux bords du lit. Ses poings Ă©taient serrĂ©s, le pouce flĂ©chi vers la paume ; par moments, elle les ouvrait et, les doigts Ă©cartĂ©s, elle cherchait Ă  saisir des objets dans le vide pour les tordre. Elle rencontra le chĂąle de sa mĂšre, elle s’y cramponna. Mais ce qui surtout torturait celle-ci, c’était, comme elle le disait, de ne plus reconnaĂźtre sa fille. Son pauvre ange, au visage si doux, avait les traits renversĂ©s, les yeux perdus dans leurs orbites, montrant leur nacre bleuĂątre.
– Faites quelque chose, je vous en supplie, murmura-t-elle. Je ne me sens plus la force, monsieur.
Elle venait de se rappeler que la fille d’une de ses voisines, Ă  Marseille, Ă©tait morte Ă©touffĂ©e dans une crise semblable. Peut-ĂȘtre le mĂ©decin la trompait-il pour l’épargner. Elle croyait, Ă  chaque seconde, recevoir au visage le dernier souffle de Jeanne, dont la respiration entrecoupĂ©e s’arrĂȘtait. Alors, navrĂ©e, bouleversĂ©e de pitiĂ© et de terreur, elle pleura. Ses larmes tombaient sur la nuditĂ© innocente de l’enfant, qui avait rejetĂ© les couvertures.
Le docteur cependant, de ses longs doigts souples, opĂ©rait des pressions lĂ©gĂšres au bas du col. L’intensitĂ© de l’accĂšs diminua. Jeanne, aprĂšs quelques mouvements ralentis, resta inerte. Elle Ă©tait retombĂ©e au milieu du lit, le corps allongĂ©, les bras Ă©tendus, la tĂȘte soutenue par l’oreiller et penchĂ©e sur la poitrine. On aurait dit un Christ enfant. HĂ©lĂšne se courba et la baisa longuement au front.
– Est-ce fini ? dit-elle à demi-voix. Croyez-vous à d’autres accùs ?
Il fit un geste évasif. Puis, il répondit :
– En tout cas, les autres seront moins violents.
Il avait demandĂ© Ă  Rosalie un verre et une carafe. Il emplit le verre Ă  moitiĂ©, prit deux nouveaux flacons, compta des gouttes, et, avec l’aide d’HĂ©lĂšne, qui soulevait la tĂȘte de l’enfant, il introduisit entre les dents serrĂ©es une cuillerĂ©e de cette potion. La lampe brĂ»lait trĂšs haute, avec sa flamme blanche, Ă©clairant le dĂ©sordre de la chambre, oĂč les meubles Ă©taient culbutĂ©s. Les vĂȘtements qu’HĂ©lĂšne jetait sur le dossier d’un fauteuil en se couchant, avaient glissĂ© Ă  terre et barraient le tapis. Le docteur, ayant marchĂ© sur un corset, le ramassa pour ne plus le rencontrer sous ses pieds. Une odeur de verveine montait du lit dĂ©fait et de ces linges Ă©pars. C’était toute l’intimitĂ© d’une femme violemment Ă©talĂ©e. Le docteur alla lui-mĂȘme chercher la cuvette, trempa un linge, l’appliqua sur les tempes de Jeanne.
– Madame, vous allez prendre froid, dit Rosalie qui grelottait. On pourrait peut-ĂȘtre fermer la fenĂȘtre
 L’air est trop vif.
– Non, non, cria HĂ©lĂšne, laissez la fenĂȘtre ouverte
 N’est-ce pas, monsieur ?
De petits souffles de vent entraient, soulevant les rideaux. Elle ne les sentait pas. Pourtant le chĂąle Ă©tait complĂštement tombĂ© de ses Ă©paules, dĂ©couvrant la naissance de la gorge. Par-derriĂšre, son chignon dĂ©nouĂ© laissait pendre des mĂšches folles jusqu’à ses reins. Elle avait dĂ©gagĂ© ses bras nus, pour ĂȘtre plus prompte, oublieuse de tout, n’ayant plus que la passion de son enfant. Et, devant elle, affairĂ©, le mĂ©decin ne songeait pas davantage Ă  son veston ouvert, Ă  son col de chemise que Jeanne venait d’arracher.
– Soulevez-la un peu, dit-il. Non, pas ainsi
 Donnez-moi votre main.
Il lui prit la main, la posa lui-mĂȘme sous la tĂȘte de l’enfant, Ă  laquelle il voulait faire reprendre une cuillerĂ©e de potion. Puis, il l’appela prĂšs de lui. Il se servait d’elle comme d’un aide, et elle Ă©tait d’une obĂ©issance religieuse, en voyant que sa fille semblait plus calme.
– Venez
 Vous allez lui appuyer la tĂȘte sur votre Ă©paule, pendant que j’écouterai.
HĂ©lĂšne fit ce qu’il ordonnait. Alors, lui, se pencha au-dessus d’elle, pour poser son oreille sur la poitrine de Jeanne. Il avait effleurĂ© de la joue son Ă©paule nue, et en Ă©coutant le cƓur de l’enfant, il aurait pu entendre battre le cƓur de la mĂšre. Quand il se releva, son souffle rencontra le souffle d’HĂ©lĂšne.
– Il n’y a rien de ce cĂŽtĂ©-lĂ , dit-il tranquillement, pendant qu’elle se rĂ©jouissait. Recouchez-la, il ne faut pas la tourmenter davantage.
Mais un nouvel accĂšs se produisit. Il fut beaucoup moins grave. Jeanne laissa Ă©chapper quelques paroles entrecoupĂ©es. Deux autres accĂšs avortĂšrent, Ă  de courts intervalles. L’enfant Ă©tait tombĂ©e dans une prostration qui parut de nouveau inquiĂ©ter le mĂ©decin. Il l’avait couchĂ©e la tĂȘte trĂšs haute, la couverture ramenĂ©e sous le menton, et pendant prĂšs d’une heure il demeura lĂ , Ă  la veiller, paraissant attendre le son normal de la respiration. De l’autre cĂŽtĂ© du lit, HĂ©lĂšne attendait Ă©galement, sans bouger.
Peu Ă  peu, une grande paix s...

Table of contents

  1. Titre
  2. Partie 1
  3. Partie 2
  4. Partie 3
  5. Partie 4
  6. Partie 5
  7. À propos de cette Ă©dition Ă©lectronique