Les Essais - Livre II
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Les Essais - Livre II

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« Ce ne sont mes gestes que j'escris; c'est moy, c'est mon essence. Je tien qu'il faut estre prudent a estimer de soy, et pareillement conscientieux a en tesmoigner: soit bas, soit haut, indifferemment. Si je me sembloy bon et sage tout a fait, je l'entonneroy a pleine teste. De dire moins de soy, qu'il n'y en a, c'est sottise, non modestie: se payer de moins, qu'on ne vaut, c'est lascheté et pusillanimité selon Aristote. Nulle vertu ne s'ayde de la fausseté: et la verité n'est jamais matiere d'erreur. De dire de soy plus qu'il n'en y a, ce n'est pas tousjours presomption, c'est encore souvent sottise. Se complaire outre mesure de ce qu'on est, en tomber en amour de soy indiscrete, est a mon advis la substance de ce vice. Le supreme remede a le guarir, c'est faire tout le rebours de ce que ceux icy ordonnent, qui en defendant le parler de soy, defendent par consequent encore plus de penser a soy. L'orgueil gist en la pensée: la langue n'y peut avoir qu'une bien legere part. »

Livre II, chapitre VI.

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Chapitre 1 De l'inconstance de nos actions

CEUX qui s'exerçent à contreroller les actions humaines, ne se trouvent en aucune partie si empeschez, qu'à les r'apiesser et mettre à mesme lustre : car elles se contredisent communément de si estrange façon, qu'il semble impossible qu'elles soient parties de mesme boutique. Le jeune Marius se trouve tantost fils de Mars, tantost fils de Venus. Le Pape Boniface huictiesme, entra, dit-on, en sa charge comme un renard, s'y porta comme un lion, et mourut comme un chien. Et qui croiroit que ce fust Neron, cette vraye image de cruauté, comme on luy presentast à signer, suyvant le stile, la sentence d'un criminel condamné, qui eust respondu : Pleust à Dieu que je n'eusse jamais sceu escrire : tant le coeur luy serroit de condamner un homme à mort. Tout est si plein de tels exemples, voire chacun en peut tant fournir à soy-mesme, que je trouve estrange, de voir quelquefois des gens d'entendement, se mettre en peine d'assortir ces pieces : veu que l'irresolution me semble le plus commun et apparent vice de nostre nature ; tesmoing ce fameux verset de Publius le farseur,
Malum consilium est, quod mutari non potest.
Il y a quelque apparence de faire jugement d'un homme, par les plus communs traicts de sa vie ; mais veu la naturelle instabilité de nos moeurs et opinions, il m'a semblé souvent que les bons autheurs mesmes ont tort de s'opiniastrer à former de nous une constante et solide contexture. Ils choisissent un air universel, et suyvant cette image, vont rengeant et interpretant toutes les actions d'un personnage, et s'ils ne les peuvent assez tordre, les renvoyent à la dissimulation. Auguste leur est eschappé : car il se trouve en cest homme une varieté d'actions si apparente, soudaine, et continuelle, tout le cours de sa vie, qu'il s'est faict lácher entier et indeçis, aux plus hardis juges. Je croy des hommes plus mal aisément la constance que toute autre chose, et rien plus aisément que l'inconstance. Qui en jugeroit en detail et distinctement, piece à piece, rencontreroit plus souvent à dire vray.
En toute l'ancienneté il est malaisé de choisir une douzaine d'hommes, qui ayent dressé leur vie à un certain et asseuré train, qui est le principal but de la sagesse : Car pour la comprendre tout en un mot, dit un ancien, et pour embrasser en une toutes les reigles de nostre vie, c'est vouloir, et ne vouloir pas tousjours mesme chose : Je ne daignerois, dit-il, adjouster, pourveu que la volonté soit juste : car si elle n'est juste, il est impossible qu'elle soit tousjours une. De vray, j'ay autrefois appris, que le vice, n'est que des-reglement et faute de mesure ; et par consequent, il est impossible d'y attacher la constance. C'est un mot de Demosthenes, dit-on, que le commencement de toute vertu, c'est consultation et deliberation, et la fin et perfection, constance. Si par discours nous entreprenions certaine voye, nous la prendrions la plus belle, mais nul n'y a pensé,
Quod petiit, spernit, repetit quod nuper omisit,
Æstuat, et vitæ disconvenit ordine toto
.
Nostre façon ordinaire c'est d'aller apres les inclinations de nostre appetit, à gauche, à dextre, contre-mont, contre-bas, selon que le vent des occasions nous emporte : Nous ne pensons ce que nous voulons, qu'à l'instant que nous le voulons : et changeons comme cest animal, qui prend la couleur du lieu, où on le couche. Ce que nous avons à cett'heure proposé, nous le changeons tantost, et tantost encore retournons sur nos pas : ce n'est que branle et inconstance :
Ducimur ut nervis alienis mobile lignum.
Nous n'allons pas, on nous emporte : comme les choses qui flottent, ores doucement, ores avecques violence, selon que l'eau est ireuse ou bonasse.
nonne videmus
Quid sibi quisque velit nescire, et quærere semper,
Commutare locum quasi onus deponere possit ?
Chaque jour nouvelle fantasie, et se meuvent nos humeurs avecques les mouvemens du temps.
Tales sunt hominum mentes, quali pater ipse
Juppiter auctifero lustravit lumine terras
.
Nous flottons entre divers advis : nous ne voulons rien librement, rien absoluëment, rien constamment.
A qui auroit prescript et estably certaines loix et certaine police en sa teste, nous verrions tout par tout en sa vie reluire une equalité de moeurs, un ordre, et une relation infallible des unes choses aux autres. (Empedocles remarquoit ceste difformité aux Agrigentins, qu'ils s'abandonnoyent aux delices, comme s'ils avoyent l'endemain à mourir : et bastissoyent, comme si jamais ils ne devoyent mourir)
Le discours en seroit bien aisé à faire. Comme il se voit du jeune Caton : qui en a touché une marche, a tout touché : c'est une harmonie de sons tres-accordans, qui ne se peut démentir. A nous au rebours, autant d'actions, autant faut-il de jugemens particuliers : Le plus seur, à mon opinion, seroit de les rapporter aux circonstances voisines, sans entrer en plus longue recherche, et sans en conclurre autre consequence.
Pendant les débauches de nostre pauvre estat, on me rapporta, qu'une fille de bien pres de là où j'estoy, s'estoit precipitée du haut d'une fenestre, pour éviter la force d'un belitre de soldat son hoste : elle ne s'estoit pas tuée à la cheute, et pour redoubler son entreprise, s'estoit voulu donner d'un cousteau par la gorge, mais on l'en avoit empeschée : toutefois apres s'y estre bien fort blessée, elle mesme confessoit que le soldat ne l'avoit encore pressée que de requestes, sollicitations, et presens, mais qu'elle avoit eu peur, qu'en fin il en vinst à la contrainte : et là dessus les parolles, la contenance, et ce sang tesmoing de sa vertu, à la vraye façon d'une autre Lucrece. Or j'ay sçeu à la verité, qu'avant et depuis ell' avoit esté garse de non si difficile composition. Comme dit le compte, tout beau et honneste que vous estes, quand vous aurez failly vostre pointe, n'en concluez pas incontinent une chasteté inviolable en vostre maistresse : ce n'est pas à dire que le muletier n'y trouve son heure.
Antigonus ayant pris en affection un de ses soldats, pour sa vertu et vaillance, commanda à ses medecins de le penser d'une maladie longue et interieure, qui l'avoit tourmenté long temps : et s'apperçevant apres sa guerison, qu'il alloit beaucoup plus froidement aux affaires, luy demanda qui l'avoit ainsi changé et encoüardy : Vous mesmes, Sire, luy respondit-il, m'ayant deschargé des maux, pour lesquels je ne tenois compte de ma vie. Le soldat de Lucullus ayant esté dévalisé par les ennemis, fit sur eux pour se revencher une belle entreprise : quand il se fut remplumé de sa perte, Lucullus l'ayant pris en bonne opinion, l'emploioit à quelque exploict hazardeux, par toutes les plus belles remonstrances, dequoy il se pouvoit adviser :
Verbis quæ timido quoque possent addere mentem :
Employez y, respondit-il, quelque miserable soldat dévalisé :
quantumvis rusticus ibit,
Ibit eo, quo vis, qui zonam perdidit, inquit
.
et refuse resoluëment d'y aller.
Quand nous lisons, que Mahomet ayant outrageusement rudoyé Chasan chef de ses Janissaires, de ce qu'il voyoit sa troupe enfoncée par les Hongres, et luy se porter laschement au combat, Chasan alla pour toute responce se ruer furieusement seul en l'estat qu'il estoit, les armes au poing, dans le premier corps des ennemis qui se presenta, où il fut soudain englouti : ce n'est à l'adventure pas tant justification, que radvisement : ny tant prouësse naturelle, qu'un nouveau despit.
Celuy que vous vistes hier si avantureux, ne trouvez pas estrange de le voir aussi poltron le lendemain : ou la cholere, ou la necessité, ou la compagnie, ou le vin, ou le son d'une trompette, luy avoit mis le coeur au ventre ; ce n'est pas un coeur ainsi formé par discours : ces circonstances le luy ont fermy : ce n'est pas merveille, si le voyla devenu autre par autres circonstances contraires.
Ceste variation et contradiction qui se void en nous, si souple, a faict qu'aucuns nous songent deux ames, d'autres deux puissances, qui nous accompaignent et agitent chacune à sa mode, vers le bien l'une, l'autre vers le mal : une si brusque diversité ne se pouvant bien assortir à un subjet simple.
Non seulement le vent des accidens me remue selon son inclination : mais en outre, je me remue et trouble moy mesme par l'instabilité de ma posture ; et qui y regarde primement, ne se trouve guere deux fois en mesme estat. Je donne à mon ame tantost un visage, tantost un autre, selon le costé où je la couche. Si je parle diversement de moy, c'est que je me regarde diversement. Toutes les contrarietez s'y trouvent, selon quelque tour, et en quelque façon : Honteux, insolent, chaste, luxurieux, bavard, taciturne, laborieux, delicat, ingenieux, hebeté, chagrin, debonnaire, menteur, veritable, sçavant, ignorant, et liberal et avare et prodigue : tout cela je le vois en moy aucunement, selon que je me vire : et quiconque s'estudie bien attentifvement, trouve en soy, voire et en son jugement mesme, ceste volubilité et discordance. Je n'ay rien à dire de moy, entierement, simplement, et solidement, sans confusion et sans meslange, ny en un mot. Distinguo, est le plus universel membre de ma Logique.
Encore que je sois tousjours d'advis de dire du bien le bien, et d'interpreter plustost en bonne part les choses qui le peuvent estre, si est-ce que l'estrangeté de nostre condition, porte que nous soyons souvent par le vice mesme poussez à bien faire, si le bien faire ne se jugeoit par la seule intention. Parquoy un fait courageux ne doit pas conclurre un homme vaillant : celuy qui le seroit bien à poinct, il le seroit tousjours, et à toutes occasions : Si c'estoit une habitude de vertu, et non une saillie, elle rendroit un homme pareillement resolu à tous accidens : tel seul, qu'en compagnie : tel en camp clos, qu'en une bataille : car quoy qu'on die, il n'y a pas autre vaillance sur le pavé et autre au camp. Aussi courageusement porteroit il une maladie en son lict, qu'une blessure au camp : et ne craindroit non plus la mort en sa maison qu'en un assaut. Nous ne verrions pas un mesme homme, donner dans la bresche d'une brave asseurance, et se tourmenter apres, comme une femme, de la perte d'un procez ou d'un fils.
Quand estant lasche à l'infamie, il est ferme à la pauvreté : quand estant mol contre les rasoirs des barbiers, il se trouve roide contre les espées des adversaires : l'action est loüable, non pas l'homme.
Plusieurs Grecs, dit Cicero, ne peuvent veoir les ennemis, et se trouvent constants aux maladies. Les Cimbres et Celtiberiens tout au rebours. Nihil enim potest esse æquabile, quod non à certa ratione proficiscatur.
Il n'est point de vaillance plus extreme en son espece, que celle d'Alexandre : mais elle n'est qu'en espece, ny assez pleine par tout, et universelle. Toute incomparable qu'elle est, si a elle encores ses taches. Qui faict que nous le voyons se troubler si esperduement aux plus legers soupçons qu'il prent des machinations des siens contre sa vie : et se porter en ceste recherche, d'une si vehemente et indiscrete injustice, et d'une crainte qui subvertit sa raison naturelle : La superstition aussi dequoy il estoit si fort attaint, porte quelque image de pusillanimité. Et l'exces de la penitence, qu'il fit, du meurtre de Clytus, est aussi tesmoignage de l'inegalité de son courage.
Nostre faict ce ne sont que pieces rapportées, et voulons acquerir un honneur à fauces enseignes. La vertu ne veut estre suyvie que pour elle mesme ; et si on emprunte par fois son masque pour autre occasion, elle nous l'arrache aussi tost du visage. C'est une vive et forte teinture, quand l'ame en est une fois abbreuvée, et qui ne s'en va qu'elle n'emporte la piece. Voyla pourquoy pour juger d'un homme, il faut suivre longuement et curieusement sa trace : si la constance ne s'y maintient de son seul fondement, Cui vivendi via considerata atque provisa est, si la varieté des occurences luy faict changer de pas, (je dy de voye : car le pas s'en peut ou haster, ou appesantir) laissez le courre : celuy la s'en va avau le vent, comme dict la devise de nostre-Talebot.
Ce n'est pas merveille, dict un ancien, que le hazard puisse tant sur nous, puis que nous vivons par hazard. A qui n'a dressé en gros sa vie à une certaine fin, il est impossible de disposer les actions particulieres. Il est impossible de renger les pieces, à qui n'a une forme du total en sa teste. A quoy faire la provision des couleurs, à qui ne sçait ce qu'il a à peindre ? Aucun ne fait certain dessein de sa vie, et n'en deliberons qu'à parcelles. L'archer doit premierement sçavoir où il vise, et puis y accommoder la main, l'arc, la corde, la flesche, et les mouvemens. Nos conseils fourvoyent, par ce qu'ils n'ont pas d'adresse et de but. Nul vent fait pour celuy qui n'a point de port destiné. Je ne suis pas d'advis de ce jugement qu'on fit pour Sophocles, de l'avoir argumenté suffisant au maniement des choses domestiques, contre l'accusation de son fils, pour avoir veu l'une de ses tragoedies.
Ny ne trouve la conjecture des Pariens envoyez pour reformer les Milesiens, suffisante à la consequence qu'ils en tirerent. Visitants l'isle, ils remarquoyent les terres mieux cultivees, et maisons champestres mieux gouvernées : Et ayants enregistré le nom des maistres d'icelles, comme ils eurent faict l'assemblée des citoyens en la ville, ils nommerent ces maistres la, pour nouveaux gouverneurs et magistrats : jugeants que soigneux de leurs affaires privées, ils le seroyent des publiques.
Nous sommes tous de lopins, et d'une contexture si informe et diverse, que chaque piece, chaque moment, faict son jeu. Et se trouve autant de difference de nous à nous mesmes, que de nous à autruy. Magnam rem puta, unum hominem agere. Puis que l'ambition peut apprendre aux hommes, et la vaillance, et la temperance, et la liberalité, voire et la justice : puis que l'avarice peut planter au courage d'un garçon de boutique, nourri à l'ombre et à l'oysiveté, l'asseurance de se jetter si loing du foyer domestique, à la mercy des vagues et de Neptune courroucé dans un fraile bateau, et qu'elle apprend encore la discretion et la prudence : et que Venus mesme fournit de resolution et de hardiesse la jeunesse encore soubs la discipline et la verge ; et gendarme le tendre coeur des pucelles au giron de leurs meres :
Hac duce custodes furtim transgressa jacentes
Ad juvenem tenebris sola puella venit
.
Ce n'est pas tour de rassis entendement, de nous juger simplement par nos actions de dehors : il faut sonder jusqu au dedans, et voir par quels ressors se donne le bransle. Mais d'autant que c'est une hazardeuse et haute entreprinse, je voudrois que moins de gens s'en meslassent.

Chapitre 2 De l'yvrongnerie

LE monde n'est que varieté et dissemblance. Les vices sont tous pareils en ce qu'ils sont tous vices : et de cette façon l'entendent à l'adventure les Stoiciens : mais encore qu'ils soyent également vices, ils ne sont pas égaux vices : Et que celuy qui a franchi de cent pas les limites,
Quos ultra citráque nequit consistere rectum,
ne soit de pire condition, que celuy qui n'en est qu'à dix pas, il n'est pas croyable : et que le sacrilege ne soit pire que le larrecin d'un chou de nostre jardin :
Nec vincet ratio, tantumdem ut peccet, idemque,
Qui teneros caules alieni fregerit horti,
Et qui nocturnus divum sacra legerit
.
Il y a autant en cela de diversité qu'en aucune autre chose.
La confusion de l'ordre et mesure des pechez, est dangereuse : Les meurtriers, les traistres, les tyrans, y ont trop d'acquest : ce n'est pas raison que leur conscience se soulage, sur ce que tel autre ou est oisif, ou est lascif, ou moins assidu à la devotion : Chacun poise sur le peché de son compagnon, et esleve le sien. Les instructeurs mesmes les rangent souvent mal à mon gré.
Comme Socrates disoit, que le principal office de la sagesse estoit, distinguer les biens et les maux. Nous autres, à qui le meilleur est tousjours en vice, devons dire de mesme de la science de distinguer les vices : sans laquelle, bien exacte, le vertueux et le meschant demeurent meslez et incognus.
Or l'yvrongnerie entre les autres, me semble un vice grossier et brutal. L'esprit a plus de part ailleurs : et il y a des vices, qui ont je ne sçay quoy de genereux, s'il le faut ainsi dire. Il y en a où la science se mesle, la diligence, la vaillance, la prudence, l'addresse et la finesse : cestuy-cy est tout corporel et terrestre. Aussi la plus grossiere nation de celles qui sont aujourd'huy, c'est celle là seule qui le tient en credit. Les autres vices alterent l'entendement, cestuy-cy le renverse, et estonne le corps.
cum vini vis penetravit,
Consequitur gravitas membrorum, præpediuntur
Crura vacillanti, tardescit lingua, madet mens,
Nant oculi, clamor, singultus, jurgia gliscunt
:
Le pire estat de l'homme, c'est où il pert la connoissance et gouvernement de soy.
Et en dit on entre autres choses, que comme le moust bouillant dans un vaisseau, pousse à mont tout ce qu'il y a dans le fonds, aussi le vin faict desbonder les plus intimes secrets, à ceux qui en ont pris outre mesure.
tu sapientium
Curas, et arcanum jocoso
Consilium retegis Lyæo
.
Josephe recite qu'il tira le ver du nez à un certain ambassadeur que les ennemis luy avoient envoyé, l'ayant fait boire d'autant. Toutesfois Auguste s'estant fié à Lucius Piso, qui conquit la Thrace, des plus privez affaires qu'il eust, ne s'en trouva jamais mesconté : ny Tyberius de Cossus, à qui il se deschargeoit de tous ses conseils : quoy que nous les sçachions avoir esté si fort subjects au vin, qu'il en a fallu rapporter souvent du Senat, et l'un et l'autre yvre,
Externo inflatum venas de more Lyæo.
Et commit on aussi fidelement qu'à Cassius beuveur d'eauë, à Cimber le dessein de tuer Cesar : quoy qu'il s'enyvrast souvent : D'où il respondit plaisamment, Que je portasse un tyran, moy, qui ne puis porter le vin ! Nous voyons nos Allemans noyez dans le vin, se souvenir de leur quartier, du mot, et de leur rang.
nec facilis victoria de madidis, et
Blæsis, atque mero titubantibus
.
Je n'eusse pas creu d'yvresse si profonde, estoufée, et ensevelie, si je n'eusse leu cecy dans les histoires : Qu'Attalus ayant convié à souper pour luy faire une notable indignité, ce Pausanias, qui sur ce mesme subject, tua depuis Phlippus Roy de Macedoine (Roy portant par ces belles qualitez tesmoignage de la nourriture, qu'il avoit prinse en la maison et compagnie d'Epaminondas) il le fit tant boire, qu'il peust abandonner sa beauté, insensiblement, comme le corps d'une putain buissonniere, aux muletiers et nombre d'abjects serviteurs de sa maison.
Et ce que m'aprint une dame que j'honnore et prise fort, que pres de Bordeaux, vers Castres, où est sa maison, une femme de village, veufve, de chast...

Table of contents

  1. Titre
  2. Chapitre 1 - De l'inconstance de nos actions
  3. Chapitre 2 - De l'yvrongnerie
  4. Chapitre 3 - Coustume de l'Isle de Cea
  5. Chapitre 4 - A demain les affaires
  6. Chapitre 5 - De la conscience
  7. Chapitre 6 - De l'exercitation
  8. Chapitre 7 - Des recompenses d'honneur
  9. Chapitre 8 - De l'affection des peres aux enfans
  10. Chapitre 9 - Des armes des Parthes
  11. Chapitre 10 - Des livres
  12. Chapitre 11 - De la cruauté
  13. Chapitre 12 - Apologie de Raimond de Sebonde
  14. Chapitre 13 - De juger de la mort d'autruy
  15. Chapitre 14 - Comme nostre esprit s'empesche soy-mesmes
  16. Chapitre 15 - Que nostre desir s'accroist par la malaisance
  17. Chapitre 16 - De la gloire
  18. Chapitre 17 - De la presumption
  19. Chapitre 18 - Du desmentir
  20. Chapitre 19 - De la liberté de conscience
  21. Chapitre 20 - Nous ne goustons rien de pur
  22. Chapitre 21 - Contre la faineantise
  23. Chapitre 22 - Des postes
  24. Chapitre 23 - Des mauvais moyens employez à bonne fin
  25. Chapitre 24 - De la grandeur romaine
  26. Chapitre 25 - De ne contrefaire le malade
  27. Chapitre 26 - Des pouces
  28. Chapitre 27 - New Chapter
  29. Chapitre 28 - Toutes choses ont leur saison
  30. Chapitre 29 - De la vertu
  31. Chapitre 30 - D'un enfant monstrueux
  32. Chapitre 31 - De la cholere
  33. Chapitre 32 - Defence de Seneque et de Plutarque
  34. Chapitre 33 - L'histoire de Spurina
  35. Chapitre 34 - Observation sur les moyens de faire la guerre, de Julius Cæsar
  36. Chapitre 35 - De trois bonnes femmes
  37. Chapitre 36 - Des plus excellens hommes
  38. Chapitre 37 - De la ressemblance des enfans aux peres