La Joie de vivre
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La Joie de vivre

About this book

La Joie de Vivre est un roman d'Émile Zola publiĂ© en 1884, le douziĂšme volume de la sĂ©rie Les Rougon-Macquart.
Ce roman oppose le personnage de Pauline qui aime la vie mĂȘme si celle-ci ne lui apporte guĂšre de satisfactions, Ă  celui de Lazare, ĂȘtre vellĂ©itaire et indĂ©cis, rongĂ© par la peur de la mort. Il est possible que Zola ait mis une bonne partie de lui-mĂȘme dans ces deux personnages: trĂšs affectĂ© par la mort de sa mĂšre et par celle de Gustave Flaubert, il traverse une crise de doute au moment oĂč il Ă©crit le roman, et les obsessions de Lazare sont un peu les siennes (la vie est inutile, puisque la mort emporte tout); mais la confiance reprend le dessus en lui, l'Ă©nergie qu'il prĂȘte Ă  Pauline Ă©tant peut-ĂȘtre une façon d'exorciser ses propres peurs.

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Information

Chapitre 1

Comme six heures sonnaient au coucou de la salle Ă  manger, Chanteau perdit tout espoir. Il se leva pĂ©niblement du fauteuil oĂč il chauffait ses lourdes jambes de goutteux, devant un feu de coke. Depuis deux heures, il attendait madame Chanteau, qui, aprĂšs une absence de cinq semaines, ramenait ce jour-lĂ  de Paris leur petite cousine Pauline Quenu, une orpheline de dix ans, dont le mĂ©nage avait acceptĂ© la tutelle.
– C’est inconcevable, VĂ©ronique, dit-il en poussant la porte de la cuisine. Il leur est arrivĂ© un malheur.
La bonne, une grande fille de trente-cinq ans, avec des mains d’homme et une face de gendarme, Ă©tait en train d’écarter du feu un gigot qui allait ĂȘtre certainement trop cuit. Elle ne grondait pas, mais une colĂšre blĂȘmissait la peau rude de ses joues.
– Madame sera restĂ©e Ă  Paris, dit-elle sĂšchement. Avec toutes ces histoires qui n’en finissent plus et qui mettent la maison en l’air !
– Non, non, expliqua Chanteau, la dĂ©pĂȘche d’hier soir annonçait le rĂšglement dĂ©finitif des affaires de la petite
 Madame a dĂ» arriver ce matin Ă  Caen, oĂč elle s’est arrĂȘtĂ©e pour passer chez Davoine. À une heure, elle reprenait le train ; Ă  deux heures, elle descendait Ă  Bayeux ; Ă  trois heures, l’omnibus du pĂšre Malivoire la dĂ©posait Ă  Arromanches, et si mĂȘme Malivoire n’a pas attelĂ© tout de suite sa vieille berline, Madame aurait pu ĂȘtre ici vers quatre heures, quatre heures et demie au plus tard
 Il n’y a guĂšre que dix kilomĂštres d’Arromanches Ă  Bonneville.
La cuisiniĂšre, les yeux sur son gigot, Ă©coutait tous ces calculs, en hochant la tĂȘte. Il ajouta, aprĂšs une hĂ©sitation :
– Tu devrais aller voir au coin de la route, VĂ©ronique.
Elle le regarda, plus pĂąle encore de colĂšre contenue.
– Tiens ! pourquoi ?
 Puisque monsieur Lazare est dĂ©jĂ  dehors, Ă  patauger Ă  leur rencontre, ce n’est pas la peine que j’aille me crotter jusqu’aux reins.
– C’est que, murmura Chanteau doucement, je finis par ĂȘtre inquiet aussi de mon fils
 Lui non plus ne reparaĂźt pas. Que peut-il faire sur la route, depuis une heure ?
Alors, sans parler davantage, VĂ©ronique prit Ă  un clou un vieux chĂąle de laine noire, dont elle s’enveloppa la tĂȘte et les Ă©paules. Puis, comme son maĂźtre la suivait dans le corridor, elle lui dit brusquement :
– Retournez donc devant votre feu, si vous ne voulez pas gueuler demain toute la journĂ©e, avec vos douleurs.
Et, sur le perron, aprÚs avoir refermé la porte à la volée, elle mit ses sabots et cria dans le vent :
– Ah ! Dieu de Dieu ! en voilà une morveuse qui peut se flatter de nous faire tourner en bourrique !
Chanteau resta paisible. Il Ă©tait accoutumĂ© aux violences de cette fille, entrĂ©e chez lui Ă  l’ñge de quinze ans, l’annĂ©e mĂȘme de son mariage. Lorsqu’il n’entendit plus le bruit des sabots, il s’échappa comme un Ă©colier en vacances et alla se planter, Ă  l’autre bout du couloir, devant une porte vitrĂ©e qui donnait sur la mer. LĂ , il s’oublia un instant, court et ventru, le teint colorĂ©, regardant le ciel de ses gros yeux bleus Ă  fleur de tĂȘte, sous la calotte neigeuse de ses cheveux coupĂ©s ras. Il Ă©tait Ă  peine ĂągĂ© de cinquante-six ans ; mais les accĂšs de goutte dont il souffrait l’avaient vieilli de bonne heure. Distrait de son inquiĂ©tude, les regards perdus, il songeait que la petite Pauline finirait bien par faire la conquĂȘte de VĂ©ronique.
Puis, Ă©tait-ce sa faute ? Quand ce notaire de Paris lui avait Ă©crit que son cousin Quenu, veuf depuis six mois, venait de mourir Ă  son tour en le chargeant par testament de la tutelle de sa fille, il ne s’était pas senti la force de refuser. Sans doute on ne se voyait guĂšre, la famille se trouvait dispersĂ©e, le pĂšre de Chanteau avait jadis créé Ă  Caen un commerce de bois du Nord, aprĂšs avoir quittĂ© le Midi et battu toute la France, comme simple ouvrier charpentier, tandis que le petit Quenu, dĂšs la mort de sa mĂšre, Ă©tait dĂ©barquĂ© Ă  Paris, oĂč un autre de ses oncles lui avait plus tard cĂ©dĂ© une grande charcuterie, en plein quartier des Halles. Et on s’était Ă  peine rencontrĂ© deux ou trois fois, lorsque Chanteau, forcĂ© par ses douleurs de quitter son commerce, avait fait des voyages Ă  Paris, afin de consulter les cĂ©lĂ©britĂ©s mĂ©dicales. Seulement, les deux hommes s’estimaient, le mourant rĂȘvait peut-ĂȘtre pour sa fille l’air salubre de la mer. Celle-ci d’ailleurs, hĂ©ritant de la charcuterie, serait loin d’ĂȘtre une charge. Enfin, madame Chanteau avait acceptĂ©, mĂȘme si vivement, qu’elle avait voulu Ă©viter Ă  son mari la fatigue dangereuse d’un voyage, partant seule, battant le pavĂ©, rĂ©glant les affaires, avec son continuel besoin d’activitĂ© ; et il suffisait Ă  Chanteau que sa femme fĂ»t contente.
Mais pourquoi n’arrivaient-elles pas toutes les deux ? Ses craintes le reprenaient, en face du ciel livide, oĂč le vent d’ouest emportait de grands nuages noirs, comme des haillons de suie, dont les dĂ©chirures traĂźnaient au loin dans la mer. C’était une de ces tempĂȘtes de mars, lorsque les marĂ©es de l’équinoxe battent furieusement les cĂŽtes. Le flot, qui commençait seulement Ă  monter, ne mettait encore sur l’horizon qu’une barre blanche, une Ă©cume mince et perdue ; et la plage, si largement dĂ©couverte ce jour-lĂ , cette lieue de rochers et d’algues sombres, cette plaine rase, salie de flaques, tachĂ©e de deuil, prenait une mĂ©lancolie affreuse, sous le crĂ©puscule tombant de la fuite Ă©pouvantĂ©e des nuages.
– Peut-ĂȘtre bien que le vent les a chavirĂ©es dans un fossĂ©, murmura Chanteau.
Un besoin de voir le poussait. Il ouvrit la porte vitrĂ©e, risqua ses chaussons de lisiĂšres sur le gravier de la terrasse, qui dominait le village. Quelques gouttes de pluie volant dans l’ouragan lui cinglĂšrent le visage, un souffle terrible fit claquer son veston de grosse laine bleue. Mais il s’entĂȘtait, sans casquette, le dos arrondi ; et il vint s’accouder au parapet, pour surveiller la route, en bas. Cette route dĂ©valait entre deux falaises, on aurait dit un coup de hache dans le roc, une fente qui avait laissĂ© couler les quelques mĂštres de terre, oĂč se trouvaient plantĂ©es les vingt-cinq Ă  trente masures de Bonneville. Chaque marĂ©e semblait devoir les Ă©craser contre la rampe, sur leur lit Ă©troit de galets. À gauche, il y avait un petit port d’échouage, une bande de sable, oĂč des hommes hissaient Ă  cris rĂ©guliers une dizaine de barques. Ils n’étaient pas deux cents habitants, ils vivaient de la mer, fort mal, collĂ©s Ă  leur rocher avec un entĂȘtement stupide de mollusques. Et, au-dessus des misĂ©rables toits, dĂ©foncĂ©s chaque hiver par les vagues, on ne voyait sur les falaises, Ă  demi-pente, que l’église Ă  droite, et que la maison des Chanteau Ă  gauche, sĂ©parĂ©es par le ravin de la route. C’était lĂ  tout Bonneville.
– Hein ? quel fichu temps ! cria une voix.
Ayant levĂ© les yeux, Chanteau reconnut le curĂ©, l’abbĂ© Horteur, un homme trapu, Ă  encolure de paysan, dont les cinquante ans n’avaient pas encore pĂąli les cheveux roux. Devant l’église, sur le terrain du cimetiĂšre, le prĂȘtre s’était rĂ©servĂ© un potager ; et il Ă©tait lĂ , regardant ses premiĂšres salades, en serrant sa soutane entre ses cuisses, pour que l’ouragan ne la lui mĂźt pas sur la tĂȘte. Chanteau, qui ne pouvait parler et se faire entendre contre le vent, dut se contenter de saluer de la main.
– Je crois qu’ils n’ont pas tort de retirer les barques, continua le curĂ© Ă  plein gosier. Vers dix heures, ils danseront.
Et, comme dĂ©cidĂ©ment une rafale le coiffait de sa soutane, il disparut derriĂšre l’église.
Chanteau s’était retournĂ©, gonflant les Ă©paules, tenant le coup. Les yeux pleins d’eau, il jetait un regard sur son jardin brĂ»lĂ© par la mer, et sur la maison de briques, aux deux Ă©tages de cinq fenĂȘtres, dont les persiennes, malgrĂ© les clavettes d’arrĂȘt, menaçaient d’ĂȘtre arrachĂ©es. Lorsque la rafale eut passĂ©, il se pencha de nouveau sur la route ; mais VĂ©ronique revenait, en agitant les bras.
– Comment ! vous ĂȘtes sorti ?
 Voulez-vous bien vite rentrer, monsieur !
Elle le rattrapa dans le corridor, le gourmanda ainsi qu’un enfant pris en faute. N’est-ce pas ? quand il souffrirait le lendemain, ce serait encore elle qui serait obligĂ©e de le soigner !
– Tu n’as rien vu ? demanda-t-il d’un ton soumis.
– Bien sĂ»r, non, que je n’ai rien vu
 Madame est certainement Ă  l’abri quelque part.
Il n’osait lui dire qu’elle aurait dĂ» pousser plus loin. Maintenant, c’était l’absence de son fils qui le tourmentait surtout.
– J’ai vu, reprit la bonne, que tout le pays est en l’air. Ils ont peur d’y rester, cette fois
 DĂ©jĂ , en septembre, la maison des Cuche a Ă©tĂ© fendue du haut en bas, et Prouane, qui montait sonner l’angĂ©lus, vient de me jurer qu’elle serait par terre demain.
Mais, Ă  ce moment, un grand garçon de dix-neuf ans franchit d’une enjambĂ©e les trois marches du perron. Il avait un front large, des yeux trĂšs clairs, avec un fin duvet de barbe chĂątaine, qui encadrait sa face longue.
– Ah ! tant mieux ! voici Lazare ! dit Chanteau soulagĂ©. Comme tu es mouillĂ©, mon pauvre enfant !
Le jeune homme accrochait, dans le vestibule, un caban trempé par les ondées.
– Eh bien ? demanda de nouveau le pùre.
– Eh bien ! personne ! rĂ©pondit Lazare. Je suis allĂ© jusqu’à Verchemont, et lĂ  j’ai attendu sous le hangar de l’auberge, les yeux sur la route, qui est un vrai fleuve de boue. Personne !
 Alors, j’ai craint de t’inquiĂ©ter, je suis revenu.
Il avait quittĂ© le lycĂ©e de Caen au mois d’aoĂ»t, aprĂšs avoir passĂ© son baccalaurĂ©at, et depuis huit mois il battait les falaises, ne se dĂ©cidant point Ă  choisir une occupation, passionnĂ© seulement de musique, ce qui dĂ©sespĂ©rait sa mĂšre. Elle Ă©tait partie fĂąchĂ©e, car il avait refusĂ© de l’accompagner Ă  Paris, oĂč elle rĂȘvait de lui trouver une position. Toute la maison s’en allait Ă  la dĂ©bandade, dans une aigreur involontaire que la vie commune du foyer aggravait encore.
– Maintenant que te voilĂ  prĂ©venu, reprit le jeune homme, j’ai envie de pousser jusqu’à Arromanches.
– Non, non, la nuit tombe, s’écria Chanteau. Il est impossible que ta mĂšre nous laisse sans nouvelle. J’attends une dĂ©pĂȘche
 Tiens ! on dirait une voiture.
Véronique avait rouvert la porte.
– C’est le cabriolet du docteur Cazenove, annonça-t-elle. Est-ce qu’il devait venir, monsieur ?
 Ah ! mon Dieu ! mais c’est Madame !
Tous descendirent vivement le perron. Un gros chien de montagne croisĂ© de terre-neuve, qui dormait dans un coin du vestibule, s’élança avec des abois furieux. À ce vacarme, une petite chatte blanche, l’air dĂ©licat, parut aussi sur le seuil ; mais, devant la cour boueuse, sa queue eut un lĂ©ger tremblement de dĂ©goĂ»t, et elle s’assit proprement, en haut des marches, pour voir.
Cependant, une dame de cinquante ans environ avait sautĂ© du cabriolet avec une souplesse de jeune fille. Elle Ă©tait petite et maigre, les cheveux encore trĂšs noirs, le visage agrĂ©able, gĂątĂ© par un grand nez d’ambitieuse. D’un bond, le chien lui avait posĂ© les pattes sur les Ă©paules, pour l’embrasser ; et elle se fĂąchait.
– Voyons, Mathieu, veux-tu me lĂącher ?
 Grosse bĂȘte ! as-tu fini ?
Lazare, derriĂšre le chien, traversait la cour. Il cria, pour demander :
– Pas de malheur, maman ?
– Non, non, rĂ©pondit madame Chanteau.
– Mon Dieu ! nous Ă©tions d’une inquiĂ©tude ! dit le pĂšre qui avait suivi son fils, malgrĂ© le vent. Qu’est-il donc arrivĂ© ?
– Oh ! des ennuis tout le temps, expliqua-t-elle. D’abord, les chemins sont si mauvais, qu’il a fallu prĂšs de deux heures pour venir de Bayeux. Puis, Ă  Arromanches, voilĂ  qu’un cheval de Malivoire se casse une patte ; et il n’a pu nous en donner un autre, j’ai vu le moment qu’il nous faudrait coucher chez lui
 Enfin, le docteur a eu l’obligeance de nous prĂȘter son cabriolet. Ce brave Martin nous a conduites

Le cocher, un vieil homme Ă  jambe de bois, un ancien matelot opĂ©rĂ© autrefois par le chirurgien de marine Cazenove, et restĂ© plus tard Ă  son service, Ă©tait en train d’attacher le cheval. Madame Chanteau s’était interrompue, pour lui dire :
– Martin, aidez donc la petite à descendre.
Personne n’avait encore songĂ© Ă  l’enfant. Comme la capote du cabriolet tombait trĂšs bas, on ne voyait que sa jupe de deuil et ses petites mains gantĂ©es de noir. Du reste, elle n’attendit pas que le cocher l’aidĂąt, elle sauta lĂ©gĂšrement Ă  son tour. Une bourrasque soufflait, ses vĂȘtements claquĂšrent, des mĂšches de cheveux bruns s’envolĂšrent, sous le crĂȘpe de son chapeau.
Et elle avait l’air trĂšs fort pour ses dix ans, les lĂšvres grosses, la figure pleine et blanche, de cette blancheur des fillettes Ă©levĂ©es dans les arriĂšre-boutiques de Paris. Tous la regardaient. VĂ©ronique, qui arrivait pour saluer sa maĂźtresse, s’était arrĂȘtĂ©e Ă  l’écart, la face glacĂ©e et jalouse. Mais Mathieu n’imitait pas cette rĂ©serve, il s’élança entre les bras de l’enfant, et lui dĂ©barbouilla le visage d’un coup de langue.
– N’aie pas peur ! cria madame Chanteau, il n’est pas mĂ©chant.
– Oh ! je n’ai pas peur, rĂ©pondit doucement Pauline. J’aime bien les chiens.
En effet, elle Ă©tait toute tranquille, au milieu des rudes accolades de Mathieu. Sa petite figure grave s’éclaira d’un sourire, dans son deuil ; puis, elle posa un gros baiser sur le museau du terre-neuve.
– Et les gens, tu ne les embrasses pas ? reprit madame Chanteau. Tiens ! voici ton oncle, puisque tu m’appelles ta tante
 Et voici ton cousin alors, un grand galopin qui est moins sage que toi.
L’enfant n’éprouvait aucune gĂȘne. Elle embrassa tout le monde, elle trouva un mot pour chacun, avec une grĂące de petite Parisienne, dĂ©jĂ  rompue aux politesses.
– Mon oncle, je vous remercie bien de me prendre chez vous
 Vous verrez, mon cousin, nous ferons bon mĂ©nage

– Mais elle est trĂšs gentille ! s’écria Chanteau ravi.
Lazare la regardait avec surprise, car il se l’était imaginĂ©e plus petite, d’une niaiserie effarouchĂ©e de gamine.
– Oui, oui, trĂšs gentille, rĂ©pĂ©tait la vieille dame. Et brave, vous n’avez pas idĂ©e !
 Le vent nous prenait de face, dans cette voiture, et nous aveuglait de poussiĂšre d’eau. Vingt fois j’ai cru que la capote, qui craquait comme une voile, allait se fendre. Eh bien ! elle s’amusait, elle trouvait ça drĂŽle
 Mais qu’est-ce que nous faisons lĂ  ? Il est inutile de nous mouiller davantage, voici la pluie qui recommence.
Elle se tournait, cherchant VĂ©ronique. Lorsqu’elle l’aperçut Ă  l’écart, la mine revĂȘche, elle lui dit ironiquement :
– Bonjour, ma fille, comment te portes-tu ?
 En attendant que tu me demandes de mes nouvelles, tu vas monter une bouteille pour Martin, n’est-ce pas ?
 Nous n’avons pu prendre nos malles, Malivoire les apportera demain de bonne heure

Elle s’interrompit, elle retourna vers la voiture, bouleversĂ©e.
– Et mon sac !
 J’ai eu une peur ! j’ai craint qu’il ne fĂ»t tombĂ© sur la route.
C’était un gros sac de cuir noir, dĂ©jĂ  blanchi aux angles par l’usure, et quelle refusa absolument de confier Ă  son fils. Enfin, tous se dirigeaient vers la maison, lorsqu’une nouvelle bourrasque les arrĂȘta, l’haleine coupĂ©e, devant la porte. La chatte, assise d’un air curieux, les regardait lutter contre le vent ; et madame Chanteau voulut savoir si Minouche s’était bien conduite pendant son absence. Ce nom de Minouche fit encore sourire Pauline, de sa bouche grave. Elle se baissa, elle caressa la chatte, qui vint aussitĂŽt se frotter contre sa jupe, la queue en l’air. Mathieu s’était remis Ă  aboyer violemment, pour sonner le retour au gĂźte, en voyant la famille monter le perron et se mettre enfin Ă  l’abri, dans le vestibule.
– Ah ! on est bien ici, dit la mùre. Je finissais par croire que nous n’arriverions jamais
 Oui, Mathieu, tu es un bon chien, mais laisse-nous tranquilles. Oh ! je t’en prie, Lazare, fais-le taire : il m’entre dans les oreilles !
Le chien s’entĂȘtait, la rentrĂ©e des Chanteau dans leur salle Ă  manger s’opĂ©ra aux Ă©clats de cette musique d’allĂ©gresse. Devant eux, ils poussaient Pauline, la nouvelle enfant de la maison ; et, derriĂšre, venait Mathieu, toujours aboyant, suivi lui-mĂȘme de la Minouche, dont le poil nerveux frĂ©missait au milieu de ce tapage.
DĂ©jĂ , dans la cuisine, Martin avait bu deux verres de vin coup sur coup, et il s’en allait, tapant le carreau de sa jambe de bois, criant le bonsoir Ă  tout le monde. VĂ©ronique venait de rapprocher du feu son gigot, qui Ă©tait froid. Elle parut, elle demanda :
– Est-ce qu’on mange ?
– Je crois bien, il est sept heures, dit Chanteau. Seulement, ma fille, il faudrait attendre que Madame et la petite se fussent changĂ©es.
– Mais je n’ai pas la malle pour Pauline, fit remarquer madame Chanteau. Heureusement que nous ne sommes pas mouillĂ©es dessous
 Ôte ton manteau et ton chapeau, ma chĂ©rie. DĂ©barrasse-la donc, VĂ©ronique
 Et dĂ©chausse-la, n’est-ce pas ? J’ai ici ce qu’il faut.
La bonne dut s’agenouiller devant l’enfant, qui s’était assise...

Table of contents

  1. Titre
  2. Chapitre 1
  3. Chapitre 2
  4. Chapitre 3
  5. Chapitre 4
  6. Chapitre 5
  7. Chapitre 6
  8. Chapitre 7
  9. Chapitre 8
  10. Chapitre 9
  11. Chapitre 10
  12. Chapitre 11
  13. À propos de cette Ă©dition Ă©lectronique