Les aventures d'Arthur Gordon Pym de Nantucket
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Les aventures d'Arthur Gordon Pym de Nantucket

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Les aventures d'Arthur Gordon Pym de Nantucket

About this book

Les aventures d'Arthur Gordon Pym de Nantucket was written in the year 1837 by Edgar Allan Poe. This book is one of the most popular novels of Edgar Allan Poe, and has been translated into several other languages around the world.

This book is published by Booklassic which brings young readers closer to classic literature globally.

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Information

Chapitre 1 Aventuriers précoces

Mon nom est Arthur Gordon Pym. Mon pĂšre Ă©tait un respectable commerçant dans les fournitures de la marine, Ă  Nantucket, oĂč je suis nĂ©. Mon aĂŻeul maternel Ă©tait attorney, avec une belle clientĂšle. Il avait de la chance en toutes choses, et il fit plusieurs spĂ©culations trĂšs heureuses sur les fonds de l’Edgarton New Bank, lors de sa crĂ©ation. Par ces moyens et par d’autres, il rĂ©ussit Ă  se faire une fortune assez passable. Il avait plus d’affection pour moi, je crois, que pour toute autre personne au monde, et j’avais lieu d’espĂ©rer la plus grosse part de cette fortune Ă  sa mort. Il m’envoya, Ă  l’ñge de six ans, Ă  l’école du vieux M. Ricketts, brave gentleman qui n’avait qu’un bras, et de maniĂšres assez excentriques ; il est bien connu de presque toutes les personnes qui ont visitĂ© New Bedford. Je restai Ă  son Ă©cole jusqu’à l’ñge de seize ans, et je la quittai alors pour l’acadĂ©mie de M. E. Ronald, sur la montagne. LĂ  je me liai intimement avec le fils de M. Barnard, capitaine de navire, qui voyageait ordinairement pour la maison Lloyd et Vredenburg ; M. Barnard est bien connu aussi Ă  New Bedford, et il a, j’en suis sĂ»r, plusieurs parents Ă  Edgarton. Son fils s’appelait Auguste, et il Ă©tait plus ĂągĂ© que moi de deux ans Ă  peu prĂšs. Il avait fait un voyage avec son pĂšre sur le baleinier le John Donaldson, et il me parlait sans cesse de ses aventures dans l’ocĂ©an Pacifique du Sud. J’allais frĂ©quemment avec lui dans sa famille, j’y passais la journĂ©e et quelquefois toute la nuit. Nous couchions dans le mĂȘme lit, et il Ă©tait bien sĂ»r de me tenir Ă©veillĂ© presque jusqu’au jour en me racontant une foule d’histoires sur les naturels de l’üle de Tinian, et autres lieux qu’il avait visitĂ©s dans ses voyages. Je finis par prendre un intĂ©rĂȘt particulier Ă  tout ce qu’il me disait, et peu Ă  peu je conçus le plus violent dĂ©sir d’aller sur mer. Je possĂ©dais un canot Ă  voiles qui s’appelait l’Ariel, et qui valait bien soixante-quinze dollars environ, Il avait un pont coupĂ©, avec un coqueron, et il Ă©tait gréé en sloop ; j’ai oubliĂ© son tonnage, mais il aurait pu tenir dix personnes sans trop de peine. C’était avec ce bateau que nous avions l’habitude de faire les plus folles Ă©quipĂ©es du monde ; et maintenant, quand j’y pense, c’est pour moi le plus parfait des miracles que je sois encore vivant.
Je raconterai l’une de ces aventures, en matiĂšre d’introduction Ă  un rĂ©cit plus long et plus important. Un soir, il y avait du monde chez M. Barnard, et Ă  la fin de la soirĂ©e, Auguste et moi, nous Ă©tions passablement gris. Comme je faisais d’ordinaire en pareil cas, au lieu de retourner chez moi, je prĂ©fĂ©rai partager son lit. Il s’endormit fort tranquillement, je le crus du moins (il Ă©tait Ă  peu prĂšs une heure du matin quand la sociĂ©tĂ© se sĂ©para), et sans dire un mot sur son sujet favori. Il pouvait bien s’ĂȘtre Ă©coulĂ© une demi-heure depuis que nous Ă©tions au lit, et j’allais justement m’assoupir, quand il se rĂ©veilla soudainement et jura, avec un terrible juron, qu’il ne consentirait pas Ă  dormir, pour tous les Arthur Pym de la chrĂ©tientĂ©, quand soufflait une si belle brise du sud-ouest. Jamais de ma vie je ne fus si Ă©tonnĂ©, ne sachant pas ce qu’il voulait dire, et pensant que les vins et les liqueurs qu’il avait absorbĂ©s l’avaient mis absolument hors de lui. Il se mit nĂ©anmoins Ă  causer trĂšs tranquillement, disant qu’il savait bien que je le croyais ivre, mais qu’au contraire il n’avait jamais de sa vie Ă©tĂ© plus calme. Il Ă©tait seulement fatiguĂ©, ajouta-t-il, de rester au lit comme un chien par une nuit aussi belle, et il Ă©tait rĂ©solu Ă  se lever, Ă  s’habiller, et Ă  faire une partie en canot. Je ne saurais dire ce qui s’empara de moi ; mais Ă  peine ces mots Ă©taient-ils sortis de sa bouche, que je sentis le frisson de l’excitation, la plus grande ardeur au plaisir, et je trouvai que sa folle idĂ©e Ă©tait une des plus dĂ©licieuses et des plus raisonnables choses du monde. La brise qui soufflait Ă©tait presque une tempĂȘte, et le temps Ă©tait trĂšs froid ; nous Ă©tions dĂ©jĂ  assez avant en octobre. Je sautai du lit, toutefois, dans une espĂšce de dĂ©mence, et je lui dis que j’étais aussi brave que lui, aussi fatiguĂ© que lui de rester au lit comme un chien, et aussi prĂȘt Ă  faire toutes les parties de plaisir du monde que tous les Auguste Barnard de Nantucket.
Nous mĂźmes nos habits en toute hĂąte, et nous nous prĂ©cipitĂąmes vers le canot. Il Ă©tait amarrĂ© au vieux quai ruinĂ© prĂšs du chantier de construction de Pankey et Compagnie, battant affreusement de son bordage les solives raboteuses. Auguste entra dedans et se mit Ă  le vider, car il Ă©tait Ă  moitiĂ© plein d’eau. Cela fait, nous hissĂąmes le foc et la grande voile, nous portĂąmes plein, et nous nous Ă©lançùmes avec audace vers le large.
Le vent, comme je l’ai dit, soufflait frais du sud-ouest. La nuit Ă©tait claire et froide. Auguste avait pris la barre, et je m’étais installĂ© prĂšs du mĂąt sur le pont de la cabine. Nous filions tout droit avec une grande vitesse, et nous n’avions ni l’un ni l’autre soufflĂ© un mot depuis que nous avions dĂ©tachĂ© le canot du quai. Je demandai alors Ă  mon camarade quelle route il prĂ©tendait tenir, et Ă  quel moment il croyait que nous reviendrions Ă  terre. Il siffla pendant quelques minutes, et puis dit d’un ton hargneux :
– Moi, je vais en mer ; quant à vous, vous pouvez bien aller à la maison si vous le jugez à propos !
Tournant mes yeux vers lui, je m’aperçus tout de suite que, malgrĂ© son insouciance affectĂ©e, il Ă©tait en proie Ă  une forte agitation. Je pouvais le voir distinctement Ă  la clartĂ© de la lune : son visage Ă©tait plus pĂąle que du marbre, et sa main tremblait si fort qu’à peine pouvait-elle retenir la barre. Je vis qu’il Ă©tait arrivĂ© quelque chose de grave, et je devins sĂ©rieusement inquiet. À cette Ă©poque, je n’étais pas trĂšs fort sur la manƓuvre, et je me trouvais complĂštement Ă  la merci de la science nautique de mon ami. Le vent venait aussi de fraĂźchir tout Ă  coup, car nous Ă©tions vigoureusement poussĂ©s loin de la cĂŽte ; cependant j’étais honteux de laisser voir la moindre crainte, et pendant prĂšs d’une heure je gardai rĂ©solument le silence. Toutefois, je ne pus pas supporter cette situation plus longtemps, et je parlai Ă  Auguste de la nĂ©cessitĂ© de revenir Ă  terre. Comme prĂ©cĂ©demment, il resta prĂšs d’une minute sans me rĂ©pondre et sans faire attention Ă  mon conseil.
– Tout à l’heure, dit-il enfin, 
 nous avons le temps
 chez nous
 tout à l’heure.
Je m’attendais bien Ă  une rĂ©ponse de ce genre, mais il y avait dans l’accent de ses paroles quelque chose qui me remplit d’une sensation de crainte inexprimable. Je le considĂ©rai de nouveau attentivement. Ses lĂšvres Ă©taient absolument livides, et ses genoux tremblaient si fort l’un contre l’autre qu’il semblait ne pouvoir qu’à peine se tenir debout.
– Pour l’amour de Dieu ! Auguste, criai-je, complĂštement effrayĂ© cette fois, qu’avez-vous ? qu’y a-t-il ? que dĂ©cidez-vous ?
– Qu’y a-t-il ! balbutia Auguste avec toute l’apparence d’un grand Ă©tonnement, lĂąchant en mĂȘme temps la barre du gouvernail et se laissant tomber en avant dans le fond du canot, qu’y a-t-il ! mais rien
 rien du tout
 Ă  la maison
 nous y allons, que diable !
 ne le voyez-vous pas ?
Alors toute la vĂ©ritĂ© m’apparut. Je m’élançai vers lui et le relevai. Il Ă©tait ivre, bestialement ivre ; il ne pouvait plus ni se tenir, ni parler, ni voir. Ses yeux Ă©taient absolument vitreux. Dans l’excĂšs de mon dĂ©sespoir, je le lĂąchai, et il roula comme une bĂ»che dans l’eau du fond du canot d’oĂč je l’avais tirĂ©. Il Ă©tait Ă©vident que, pendant la soirĂ©e, il avait bu beaucoup plus que je n’avais soupçonnĂ©, et que sa conduite au lit Ă©tait le rĂ©sultat d’une de ces ivresses profondĂ©ment concentrĂ©es, qui, comme la folie, donnent souvent Ă  la victime la facultĂ© d’imiter l’allure des gens en parfaite possession de leurs sens. L’atmosphĂšre froide de la nuit avait produit bientĂŽt son effet accoutumé ; l’énergie spirituelle avait cĂ©dĂ© Ă  son influence, et la perception confuse que sans aucun doute il avait eue alors de notre pĂ©rilleuse situation n’avait servi qu’à hĂąter la catastrophe. Maintenant il Ă©tait absolument inerte, et il n’y avait aucune probabilitĂ© pour qu’il fĂ»t autrement avant quelques heures.
Il n’est guĂšre possible de se figurer toute l’étendue de mon effroi. Les fumĂ©es du vin s’étaient Ă©vaporĂ©es, et me laissaient doublement timide et irrĂ©solu. Je savais que j’étais absolument incapable de manƓuvrer le bateau et qu’une brise furieuse avec un fort reflux nous prĂ©cipitait vers la mort. Une tempĂȘte s’amassait Ă©videmment derriĂšre nous ; nous n’avions ni boussole ni provisions, et il Ă©tait clair que, si nous tenions notre route actuelle, nous perdrions la terre de vue avant le point du jour. Ces pensĂ©es et une foule d’autres, Ă©galement terribles, traversĂšrent mon esprit avec une Ă©blouissante rapiditĂ©, et pendant quelques instants elles me paralysĂšrent au point de m’îter la possibilitĂ© de faire le moindre effort. Le canot fuyait en plein devant le vent ; il piquait dans l’eau et filait avec une terrible vitesse – sans un ris dans le foc ni dans la grande voile, et plongeant complĂštement son avant dans l’écume. C’était le miracle des miracles qu’il ne masquĂąt pas, Auguste ayant lĂąchĂ© la barre, comme je l’ai dit, et j’étais, quant Ă  moi, trop agitĂ© pour penser Ă  m’en emparer. Mais, par bonheur, le canot se tint devant le vent, et peu Ă  peu je recouvrai en partie ma prĂ©sence d’esprit. Le vent augmentait toujours d’une maniĂšre furieuse, et quand, aprĂšs avoir plongĂ© de l’avant, nous nous relevions, la lame retombait, Ă©crasante sur notre arriĂšre, et nous inondait d’eau. Et puis j’étais si absolument glacĂ© dans tous mes membres que je n’avais presque pas conscience de mes sensations. Enfin j’invoquai la rĂ©solution du dĂ©sespoir, et, me prĂ©cipitant sur la grande voile, je larguai tout. Comme je pouvais m’y attendre, elle fila par-dessus l’avant, et submergĂ©e par l’eau, elle emporta net le mĂąt par-dessus le bord. Ce fut ce dernier accident qui me sauva d’une destruction imminente. Avec le foc seulement, je pouvais maintenant fuir devant le vent, embarquant de temps Ă  autre de gros paquets de mer par l’arriĂšre, mais soulagĂ© de la terreur d’une mort immĂ©diate. Je me saisis de la barre, et je respirai avec un peu plus de libertĂ©, voyant qu’il nous restait encore une derniĂšre chance de salut. Auguste gisait toujours anĂ©anti dans le fond du canot ; et, comme il Ă©tait en danger imminent d’ĂȘtre noyĂ© (il y avait presque un pied d’eau Ă  l’endroit oĂč il Ă©tait tombĂ©), je m’ingĂ©niai Ă  le soulever un peu, et, pour le maintenir dans la position d’un homme assis, je lui passai autour de la taille une corde que j’attachai Ă  un anneau sur le pont de la cabine. Ayant ainsi arrangĂ© toutes choses du mieux que je pouvais, glacĂ© et agitĂ© comme je l’étais, je me recommandai Ă  Dieu, et je me rĂ©solus Ă  supporter tout ce qui m’arriverait avec toute la bravoure dont j’étais capable.
À peine m’étais-je affermi dans ma rĂ©solution, que soudainement un grand, long cri, un hurlement, comme jaillissant des gosiers de mille dĂ©mons, sembla courir Ă  travers l’espace et passer par-dessus notre bateau. Jamais, tant que je vivrai, je n’oublierai l’intense agonie de terreur que j’éprouvai en ce moment. Mes cheveux se dressĂšrent roides sur ma tĂȘte, je sentis mon sang se congeler dans mes veines, mon cƓur cessa entiĂšrement de battre, et, sans mĂȘme lever une fois les yeux pour voir la cause de ma terreur, je tombai, la tĂȘte la premiĂšre, comme un poids inerte, sur le corps de mon camarade.
Je me trouvai, quand je revins Ă  moi, dans la chambre d’un grand navire baleinier, Le Pingouin, Ă  destination de Nantucket. Quelques individus se penchaient sur moi, et Auguste, plus pĂąle que la mort, s’ingĂ©niait activement Ă  me frictionner les mains. Quand il me vit ouvrir les yeux, ses exclamations de gratitude et de joie excitĂšrent alternativement le rire et les larmes parmi les hommes au rude visage qui nous entouraient. Le mystĂšre de notre conservation me fut bientĂŽt expliquĂ©.
Nous avions Ă©tĂ© coulĂ©s par le baleinier, qui gouvernait au plus prĂšs et louvoyait vers Nantucket avec toute la toile qu’il pouvait risquer par un pareil temps ; consĂ©quemment, il courait sur nous presque Ă  angle droit. Quelques hommes Ă©taient de vigie Ă  l’avant ; mais il n’aperçurent notre bateau que quand il Ă©tait impossible d’éviter la rencontre : leurs cris d’alarme Ă©taient ce qui m’avait tellement terrifiĂ©. Le vaste navire, me dit-on, avait passĂ© sur nous avec autant de facilitĂ© que notre petit bateau aurait glissĂ© sur une plume, et sans le moindre dĂ©rangement dans sa marche. Pas un cri ne s’éleva du pont du canot martyrisé ; il y eut seulement un lĂ©ger bruit, comme d’un dĂ©chirement, qui se mĂȘla au mugissement du vent et de l’eau, quand la barque fragile, dĂ©jĂ  engloutie, fut rabotĂ©e par la quille de son bourreau, mais ce fut tout. Pensant que notre bateau (dĂ©mĂątĂ©, on se le rappelle) n’était qu’une Ă©pave de rebut, le capitaine (capitaine E. T. V. Block, de New London) allait continuer sa route sans s’inquiĂ©ter autrement de l’aventure. Par bonheur, deux des hommes qui Ă©taient en vigie jurĂšrent positivement qu’ils avaient aperçu quelqu’un Ă  la barre et dirent qu’il Ă©tait encore possible de le sauver. Une discussion s’ensuivit ; mais Block se mit en colĂšre et dit au bout d’un instant que « ce n’était pas son mĂ©tier de veiller Ă©ternellement Ă  toutes les coquilles d’Ɠuf ; que le navire ne virerait certainement pas de bord pour une pareille bĂȘtise, et que s’il y avait un homme englouti, c’était bien sa faute ; qu’il ne s’en prĂźt qu’à lui-mĂȘme ; qu’il pouvait bien se noyer et s’en aller au diable ! » ou quelque autre discours dans le mĂȘme sens. Henderson, le second, reprit la question, justement indignĂ©, comme tout l’équipage d’ailleurs, d’un discours qui trahissait une telle cruautĂ©, une telle absence de cƓur. Il parla fort nettement, se sentant soutenu par les matelots – dit au capitaine qu’il le considĂ©rait comme un sujet digne du gibet, et que, pour lui, il dĂ©sobĂ©irait Ă  ses ordres, quand mĂȘme il devrait ĂȘtre pendu pour cela au moment oĂč il toucherait terre. Il courut Ă  l’arriĂšre en bousculant Block (qui devint trĂšs pĂąle et ne rĂ©pondit pas un mot), et, s’emparant de la barre, cria d’une voix ferme : la barre toute sous le vent ! Les hommes coururent Ă  leurs postes, et le navire vira rondement. Tout cela avait pris Ă  peu prĂšs cinq minutes, et il paraissait Ă  peine possible maintenant de sauver l’individu qu’on croyait avoir vu Ă  bord du canot. Cependant, comme le lecteur le sait, Auguste et moi nous avions Ă©tĂ© repĂȘchĂ©s, et notre salut semblait ĂȘtre le rĂ©sultat d’un de ces merveilleux bonheurs que les gens sages et pieux attribuent Ă  l’intervention spĂ©ciale de la Providence.
Pendant que le navire Ă©tait toujours en panne, le second fit amener le canot et sauta dedans, je crois, avec les deux hommes qui prĂ©tendaient m’avoir vu Ă  la barre. Ils venaient justement de quitter le bord de dessous le vent (la lune Ă©tait toujours trĂšs claire), quand le navire donna un fort et long coup de roulis du cĂŽtĂ© du vent, et Henderson, au mĂȘme instant, se dressant sur son banc, cria Ă  ses hommes de nager Ă  culer. Il ne disait pas autre chose, criant toujours avec impatience : « Nagez Ă  culer ! nagez Ă  culer ! » Ils nageaient aussi vivement que possible ; mais pendant ce temps le navire avait tournĂ© et commençait Ă  aller de l’avant, bien que tous les bras Ă  bord s’employassent Ă  diminuer la toile. MalgrĂ© le danger de la tentative, le second se cramponna aux grands porte-haubans, aussitĂŽt qu’ils furent Ă  sa portĂ©e. Une nouvelle grosse embardĂ©e jeta alors le cĂŽtĂ© de tribord hors de l’eau presque jusqu’à la quille, et enfin la cause de son anxiĂ©tĂ© devint visible. Le corps d’un homme apparaissait, attachĂ© de la maniĂšre la plus singuliĂšre au fond poli et brillant (Le Pingouin Ă©tait doublĂ© et chevillĂ© en cuivre), et battait violemment contre le navire Ă  chaque mouvement de la coque. AprĂšs quelques efforts inefficaces, renouvelĂ©s Ă  chaque embardĂ©e du navire, au risque d’écraser le canot, je fus enfin dĂ©gagĂ© de ma pĂ©rilleuse situation et hissĂ© Ă  bord, car ce corps, c’était moi. Il paraĂźt que l’une des chevilles de la charpente, qui Ă©tait ressortie et s’était frayĂ© une voie Ă  travers le cuivre, m’avait arrĂȘtĂ© pendant que je passais sous le navire, et m’avait ainsi de la maniĂšre la plus singuliĂšre attachĂ© au fond. La tĂȘte de la cheville avait percĂ© le collet de ma veste de gros drap et la partie postĂ©rieure de mon cou et s’était enfoncĂ©e entre deux tendons, juste sous l’oreille droite. On m’avait mis immĂ©diatement au lit, bien que la vie parĂ»t tout Ă  fait Ă©teinte en moi. Il n’y avait pas de mĂ©decin Ă  bord. Le capitaine nĂ©anmoins me traita avec toute sorte d’attentions, sans doute pour faire amende aux yeux de son Ă©quipage de son atroce conduite dans la premiĂšre partie de l’aventure.
Cependant Henderson s’était de nouveau Ă©loignĂ© du navire, bien que le vent alors tournĂąt presque Ă  l’ouragan. Au bout de quelques minutes, il tomba sur quelques dĂ©bris de notre bateau, et peu aprĂšs l’un de ses hommes lui affirma qu’il distinguait de temps en temps un cri Ă  travers le mugissement de la tempĂȘte. Cela poussa les courageux matelots Ă  persĂ©vĂ©rer dans leurs recherches plus d’une demi-heure, malgrĂ© les signaux rĂ©pĂ©tĂ©s du capitaine Block qui leur enjoignait de revenir, et bien que chaque minute dans cette frĂȘle embarcation fĂ»t pour eux un danger mortel et imminent. Il est vraiment difficile de concevoir comment leur petit canot a pu Ă©chapper Ă  la destruction seulement une minute. Il Ă©tait d’ailleurs construit pour le service de la pĂȘche Ă  la baleine et muni, comme j’ai pu le vĂ©rifier depuis lors, de cavitĂ©s Ă  air, Ă  l’instar de quelques canots de sauvetage sur la cĂŽte du pays de Galles.
AprĂšs qu’ils eurent vainement cherchĂ© pendant tout le temps que j’ai dit, ils se dĂ©terminĂšrent Ă  retourner Ă  bord. Ils avaient Ă  peine pris cette rĂ©solution, qu’un faible cri s’éleva d’un objet noir qui passait rapidement auprĂšs d’eux. Ils se mirent Ă  la poursuite de la chose et l’attrapĂšrent. C’était le pont de l’Ariel et sa cabine. Auguste se dĂ©battait auprĂšs, comme dans sa suprĂȘme agonie. En s’emparant de lui, on vit qu’il Ă©tait attachĂ© par une corde Ă  la charpente flottante. Cette corde, on se le rappelle, c’était moi qui la lui avais passĂ©e autour de la taille et l’avais fixĂ©e Ă  un anneau, pour le maintenir dans une bonne position ; et, en faisant ainsi, j’avais finalement, Ă  ce qu’il paraĂźt, pourvu au moyen de lui sauver la vie. L’Ariel Ă©tait lĂ©gĂšrement construit, et toute sa charpente, en plongeant, s’était brisĂ©e ; le pont de la cabine, tout naturellement, fut soulevĂ© par la force de l’eau qui s’y prĂ©cipitait, se dĂ©tacha complĂštement de la membrure et se mit Ă  flotter, avec d’autres fragments sans doute, Ă  la surface ; Auguste flottait avec, et avait ainsi Ă©chappĂ© Ă  une mort terrible.
Ce ne fut que plus d’une heure aprĂšs avoir Ă©tĂ© dĂ©posĂ© Ă  bord du Pingouin qu’il put donner signe de vie et comprendre la nature de l’accident qui Ă©tait survenu Ă  notre bateau. À la longue, il se rĂ©veilla complĂštement et parla longuement de ses sensations quand il Ă©tait dans l’eau. À peine avait-il repris un peu conscience de lui-mĂȘme qu’il s’était trouvĂ© au-dessous du niveau de l’eau, tournant, tournant avec une inconcevable rapiditĂ©, et se sentant une corde Ă©troitement serrĂ©e et roulĂ©e deux ou trois fois autour du cou. Un instant aprĂšs, il s’était senti remonter rapidement, quand, sa tĂȘte heurtant violemment contre une matiĂšre dure, lui Ă©tait retombĂ© dans son insensibilitĂ©. En revenant Ă  lui de nouveau, il s’était senti plus maĂźtre de sa raison ; cependant elle Ă©tait encore singuliĂšrement confuse et obscurcie. Il comprit alors qu’il Ă©tait arrivĂ© quelque accident et qu’il Ă©tait dans l’eau, bien que sa bouche fĂ»t au-dessus de la surface et qu’il pĂ»t respirer avec quelque libertĂ©. Peut-ĂȘtre en ce moment la cabine filait rapidement devant le vent et l’entraĂźnait ainsi, lui flottant et couchĂ© sur le dos. Aussi longtemps qu’il aurait pu garder cette position, il eĂ»t Ă©tĂ© presque impossible qu’il fĂ»t noyĂ©. Un coup de lame le jeta alors tout Ă  fait en travers du pont ; il s’efforça de garder cette position nouvelle, criant par intervalles : « Au Secours ! » Juste avant d’ĂȘtre enfin dĂ©couvert par M. Henderson, il avait Ă©tĂ© obligĂ© de lĂącher prise par suite de son Ă©puisement, et, retombant dans la mer, il s’était cru perdu. Pendant tout le temps qu’avait durĂ© cette lutte, il ne lui Ă©tait pas revenu le plus lĂ©ger souvenir de l’Ariel ni d’aucune chose ayant rapport Ă  l’origine de la catastrophe. Un vague sentiment de terreur et de dĂ©sespoir avait pris possession de toutes ses facultĂ©s. Quand finalement il fut repĂȘchĂ©, toute sa raison l’avait abandonné ; et, comme je l’ai dĂ©jĂ  dit, ce ne fut guĂšre qu’une heure aprĂšs avoir Ă©tĂ© pris Ă  bord du Pingouin qu’il eut pleinement conscience de sa situation. En ce qui me concerne, je fus tirĂ© d’un Ă©tat trĂšs voisin de la mort (et seulement aprĂšs trois heures et demie, pendant lesquelles tous les moyens furent employĂ©s) par de vigoureuses frictions de flanelle trempĂ©e dans l’huile chaude, procĂ©dĂ© qui fut suggĂ©rĂ© par Auguste. La blessure de mon cou, quoique d’une assez affreuse apparence, n’avait pas une grande gravitĂ©, et j’en guĂ©ris bien vite.
Le Pingouin entra au port Ă  neuf heures du matin, aprĂšs avoir eu Ă  lutter contre une des brises les plus carabinĂ©es qui aient jamais soufflĂ© au large de Nantucket. Auguste et moi, nous nous arrangeĂąmes pour paraĂźtre chez M. Barnard Ă  l’heure du dĂ©jeuner, qui, heureusement, se trouvait un peu retardĂ©e Ă  cause de la soirĂ©e prĂ©cĂ©dente. Je suppose que toutes les personnes prĂ©sentes Ă  table Ă©taient trop fatiguĂ©es elles-mĂȘmes pour remarquer notre physionomie harassĂ©e, car il n’eĂ»t pas fallu une bien grande attention pour s’en apercevoir. D’ailleurs les Ă©coliers sont capables d’accomplir des miracles en fait de tromperie, et je ne crois pas qu’il soit venu Ă  l’esprit d’un seul de nos amis de Nantucket que la terrible histoire que racontĂšrent en ville quelques marins : qu’ils avaient coulĂ© un navire en mer et noyĂ© trente ou quarante pauvres diables, pĂ»t avoir trait Ă  l’Ariel, Ă  mon camarade ou Ă  moi. Lui et moi, nous avons depuis lors causĂ© plus d’une fois de l’aventure, mais jamais sans un frisson. Dans une de nos conversations, Auguste me confessa franchement que de toute sa vie il n’avait jamais Ă©prouvĂ© une si atroce sensation d’effroi que quand, sur notre petit bateau, il avait tout d’un coup dĂ©couvert toute l’étendue de son ivresse, et qu’il s’était senti Ă©crasĂ© par elle.

Chapitre 2 La cachette

En toute histoire de simple dommage ou danger, nous ne pouvons tirer de conclusions certaines, pour ou contre, mĂȘme des donnĂ©es les plus simples. On supposera peut-ĂȘtre qu’une catastrophe comme celle que je viens de raconter devait refroidir efficacement ma passion naissante pour la mer. Tout au contraire, je n’éprouvai jamais un si ardent dĂ©sir de connaĂźtre les Ă©tranges aventures qui accidentent la vie d’un navigateur qu’une semaine aprĂšs notre miraculeuse dĂ©livrance. Ce court espace ...

Table of contents

  1. Titre
  2. Préface
  3. Chapitre 1 - Aventuriers précoces
  4. Chapitre 2 - La cachette
  5. Chapitre 3 - Tigre enragé
  6. Chapitre 4 - Révolte et massacre
  7. Chapitre 5 - La lettre de sang
  8. Chapitre 6 - Lueur d’espoir
  9. Chapitre 7 - Plan de délivrance
  10. Chapitre 8 - Le revenant
  11. Chapitre 9 - La pĂȘche aux vivres
  12. Chapitre 10 - Le brick mystérieux
  13. Chapitre 11 - La bouteille de porto
  14. Chapitre 12 - La courte paille
  15. Chapitre 13 - Enfin !
  16. Chapitre 14 - Albatros et pingouins
  17. Chapitre 15 - Les Ăźles introuvables
  18. Chapitre 16 - Explorations vers le pĂŽle
  19. Chapitre 17 - Terre !
  20. Chapitre 18 - Hommes nouveaux
  21. Chapitre 19 - Klock-Klock
  22. Chapitre 20 - Enterrés vivants !
  23. Chapitre 21 - Cataclysme artificiel
  24. Chapitre 22 - Tekeli-li !
  25. Chapitre 23 - Le labyrinthe
  26. Chapitre 24 - L'évasion
  27. Chapitre 25 - Le géant blanc
  28. Chapitre 26 - Conjectures
  29. Notes de bas de page