Lionel Lincoln
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Lionel Lincoln

About this book

Avril 1775, alors que le port de Boston est frappé d'embargo par décision du Parlement de Grande-Bretagne, une voile battant pavillon anglais s'approche. Les curieux assemblés, craignant que le vaisseau ne soit que le premier d'une flotte amenant des renforts pour une armée déja trop nombreuse, voient débarquer parmi quelques innocents passagers un jeune officier anglais et un vieillard qu'on croirait arrivé au terme le plus reculé de la vieillesse...
Avec ce roman paru en 1824, s'amorce la principale partie de l'oeuvre historique du romancier, tout a la gloire de sa patrie naissante.

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Information

Chapitre 1

Ils semblent ranimer mon ùme accablée par la fatigue, et, pleins de joie et de jeunesse, respirer un second printemps.
GRAY.
Aucun AmĂ©ricain ne peut ignorer les principaux Ă©vĂ©nements qui portĂšrent le parlement de la Grande-Bretagne, en 1774, Ă  frapper le port de Boston de ces restrictions impolitiques qui dĂ©truisirent si complĂštement le commerce de la principale ville de ses colonies occidentales. Tout AmĂ©ricain doit Ă©galement savoir avec quelle noblesse, avec quel dĂ©vouement aux grands principes de cette lutte, les habitants de Salem, ville la plus voisine de Boston, refusĂšrent de profiter de la situation de leurs compatriotes. En consĂ©quence de ces mesures impolitiques du gouvernement anglais, et de l’unanimitĂ© louable qui rĂ©gnait alors parmi les habitants de la capitale, il devint rare de voir flotter sur les eaux de la baie oubliĂ©e de Massachusetts d’autres vaisseaux que ceux qui arboraient le pavillon royal.
Cependant, vers la fin d’un jour d’avril, en 1775, les yeux de plusieurs centaines de citoyens Ă©taient fixĂ©s sur une voile Ă©loignĂ©e qu’on voyait s’élever du sein des vagues, s’avançant dans les eaux prohibĂ©es et se dirigeant vers l’entrĂ©e du port proscrit. Un rassemblement considĂ©rable de spectateurs s’étaient rĂ©unis sur Beacon-Hill, en couvraient le sommet conique et la rampe orientale, et regardaient cet objet de l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral avec cette attention et cette sollicitude profonde pour les Ă©vĂ©nements de chaque jour qui caractĂ©risaient cette Ă©poque. Cette foule nombreuse se composait pourtant de gens qui n’étaient pas tous animĂ©s par les mĂȘmes sentiments, et dont les uns formaient des vƓux diamĂ©tralement opposĂ©s Ă  ceux des autres. Tandis que le citoyen grave, sĂ©rieux, mais prudent, cherchait Ă  cacher sous l’air d’une froide indiffĂ©rence l’amertume de ses sensations, des jeunes gens, mĂȘlĂ©s dans tous les groupes, et dont le costume annonçait la profession militaire, se livraient aux transports d’une joie bruyante, et se fĂ©licitaient Ă  haute voix de la perspective qu’ils avaient de recevoir bientĂŽt des nouvelles de leur patrie lointaine et de leurs amis absents. Mais le roulement prolongĂ© des tambours qu’on battait dans la plaine voisine, et dont le son Ă©tait apportĂ© par la brise du soir, Ă©loigna bientĂŽt tous ces spectateurs oisifs, et laissa la montagne en possession de ceux qui y avaient le meilleur droit. Ce n’était pourtant pas alors une Ă©poque Ă  laquelle on pĂ»t se livrer Ă  des communications franches et sans rĂ©serve.
Longtemps avant que les vapeurs du soir eussent remplacĂ© les ombres que le soleil faisait tomber du cĂŽtĂ© de l’occident, la montagne fut entiĂšrement abandonnĂ©e, les spectateurs qui y Ă©taient restĂ©s en Ă©tant descendus chacun de leur cĂŽtĂ©, pour regagner solitairement, et dans le silence de la rĂ©flexion, les rangĂ©es de toits sombres qui s’élevaient sur la cĂŽte, le long de la partie orientale de la pĂ©ninsule.
MalgrĂ© cette apparence d’apathie, la renommĂ©e, qui, dans les temps de grand intĂ©rĂȘt, trouve toujours le moyen de faire entendre un lĂ©ger murmure quand elle n’ose parler Ă  haute voix, s’empressait de faire circuler la nouvelle dĂ©sagrĂ©able que le vaisseau qu’on venait d’apercevoir n’était que le premier d’une flotte qui amenait des renforts Ă  une armĂ©e dĂ©jĂ  trop nombreuse et trop fiĂšre de sa force pour respecter les lois. Nul bruit, nul tumulte ne succĂ©da Ă  cette fĂącheuse annonce ; mais on ferma sur-le-champ toutes les portes des maisons et tous les volets des fenĂȘtres, comme si l’on eĂ»t voulu seulement exprimer le sentiment gĂ©nĂ©ral par ces preuves silencieuses de mĂ©contentement.
Pendant ce temps le vaisseau Ă©tait arrivĂ© Ă  l’entrĂ©e rocailleuse du havre, et s’y trouvant abandonnĂ© par la brise avec la marĂ©e contraire, il fut obligĂ© de s’arrĂȘter, comme s’il eĂ»t pressenti le mauvais accueil qui lui Ă©tait dĂ». Les habitants de Boston s’étaient pourtant exagĂ©rĂ© le danger ; car ce navire, au lieu de prĂ©senter l’attroupement dĂ©sordonnĂ© d’une soldatesque licencieuse qui aurait couvert le tillac d’un bĂątiment de transport, n’offrait que trĂšs-peu de monde ; le meilleur ordre rĂ©gnait sur le pont, et il ne s’y trouvait rien qui pĂ»t gĂȘner les passagers qu’il portait. Toutes les apparences extĂ©rieures auraient annoncĂ© Ă  l’Ɠil d’un observateur que ce vaisseau amenait quelques personnages d’un rang distinguĂ©, ou qui possĂ©daient les moyens de faire contribuer largement les autres Ă  leur bien-ĂȘtre.
Le petit nombre de marins nĂ©cessaires Ă  la manƓuvre Ă©taient assis ou couchĂ©s de diffĂ©rents cĂŽtĂ©s, regardant, avec un air d’indolence, tantĂŽt la voile qui battait contre le mĂąt comme une aile fatiguĂ©e, tantĂŽt les eaux tranquilles de la baie, tandis que plusieurs domestiques en livrĂ©e entouraient un jeune homme qui faisait des questions au pilote, descendu Ă  bord du navire Ă  la hauteur de l’endroit nommĂ© les SĂ©pulcres[5]. Les vĂȘtements de ce jeune homme Ă©taient d’une propretĂ© recherchĂ©e, et, d’aprĂšs les peines excessives qu’il prenait pour les ajuster, on pouvait Ă©videmment conclure que, dans l’opinion de celui qui les portait, ils Ă©taient le nec plus ultrĂ  de la mode du jour. Depuis l’endroit oĂč Ă©tait ce groupe, prĂšs du grand mĂąt, une grande partie du gaillard d’arriĂšre Ă©tait dĂ©serte ; mais prĂšs du marin qui tenait nonchalamment la barre du gouvernail, on voyait un ĂȘtre jetĂ© dans un moule tout Ă  fait diffĂ©rent.
C’était un homme qui aurait paru arrivĂ© au terme le plus reculĂ© de la vieillesse, si sa marche agile et ferme, et les regards rapides de ses yeux brillants, tandis qu’il se promenait de temps en temps sur le pont, n’avaient paru dĂ©mentir les indices ordinaires d’un Ăąge avancĂ©. Il avait la taille voĂ»tĂ©e, et sa maigreur Ă©tait extrĂȘme ; le peu de cheveux qui tombaient sur son front Ă©taient d’une blancheur qui semblait annoncer au moins quatre-vingts hivers ; de profondes rides, semblables Ă  des sillons tracĂ©s par le temps et de longs soucis, avaient flĂ©tri ses joues creuses, et rendaient encore plus remarquables des traits empreints de noblesse et de dignitĂ©. Il portait un habit simple et modeste de drap gris, qui paraissait lui avoir rendu d’assez longs services, et qui laissait apercevoir des traces visibles de la nĂ©gligence de son maĂźtre. Quand il dĂ©tournait du rivage ses regards perçants, il marchait Ă  grands pas sur le gaillard d’arriĂšre, oĂč il Ă©tait seul, et semblait entiĂšrement occupĂ© de ses propres pensĂ©es, ses lĂšvres s’agitant rapidement, quoique aucun son ne sortĂźt d’une bouche qui Ă©tait silencieuse par habitude.
Il Ă©tait sous l’influence d’une de ces impulsions soudaines qui font partager au corps l’activitĂ© de l’esprit, quand un jeune homme monta de la cabane sur le tillac, et se rangea parmi les curieux qui avaient les yeux fixĂ©s sur la terre. Son Ăąge pouvait ĂȘtre d’environ vingt-cinq ans ; il portait un manteau militaire jetĂ© nonchalamment sur ses Ă©paules, et ce qui paraissait de ses habits annonçait suffisamment que sa profession Ă©tait celle des armes. Tout son extĂ©rieur avait un air d’aisance et de bon ton, quoique sa physionomie expressive parĂ»t quelquefois comme obscurcie par un air de mĂ©lancolie, pour ne pas dire de tristesse. En arrivant sur le pont, il rencontra les yeux du vieillard infatigable qui continuait Ă  s’y promener ; il le salua poliment, et dĂ©tourna ensuite les yeux pour les porter sur les cĂŽtes, et examiner les beautĂ©s qui Ă©taient sur le point de s’éclipser.
Les montagnes rondes de Dorchester brillaient encore des derniers rayons de l’astre qui venait de disparaĂźtre derriĂšre elles : des bandes d’une lumiĂšre plus pĂąle jouaient encore sur les eaux, et doraient le sommet verdoyant des groupes d’üles qui se trouvent Ă  l’entrĂ©e de la baie. On voyait dans le lointain les clochers de la ville de Boston, s’élançant du sein des ombres qui couvraient la ville, et dont les girouettes Ă©tincelaient encore, tandis que quelques rayons d’une plus vive lumiĂšre s’échappaient irrĂ©guliĂšrement du sombre fanal Ă©levĂ© sur le pic conique de Beacon-Hill. Plusieurs grands vaisseaux Ă©taient Ă  l’ancre entre les Ăźles et en face de la ville, et devenaient moins distincts de moment en moment, au milieu des vapeurs du soir, quoique le sommet de leurs mĂąts brillĂąt encore de la clartĂ© du jour ; de chacun de ces vaisseaux, des fortifications qui s’élĂšvent Ă  peu de hauteur sur une petite Ăźle enfoncĂ©e dans la baie, et de divers postes dans la partie la plus Ă©levĂ©e de la ville, on voyait flotter au grĂ© du vent le pavillon anglais. Tandis que le jeune officier contemplait cette scĂšne, il entendit le bruit des canons qui annonçaient, la fin du jour ; et, tandis qu’il suivait des yeux la descente des symboles superbes du pouvoir britannique, il sentit son bras pressĂ© d’une maniĂšre expressive par la main de son vieux compagnon de voyage.
– Le jour n’arrivera-t-il jamais, lui dit le vieillard Ă  voix basse, oĂč nous verrons ce pavillon s’abaisser pour ne jamais se relever sur cet hĂ©misphĂšre ?
Le jeune homme tourna les yeux avec vivacité sur celui qui lui parlait ainsi, mais les baissa sur-le-champ pour éviter les regards perçants de son vieux compagnon. Un assez long silence, un silence qui semblait pénible au jeune officier, succéda à cette observation. Enfin il dit en lui montrant la terre :
– Dites-moi, vous qui ĂȘtes de Boston, et qui devez connaĂźtre cette ville depuis longtemps, quels sont les noms de tous les beaux endroits que je vois ?
– N’ĂȘtes-vous pas aussi de Boston ?
– Il est vrai que j’y suis nĂ©, mais je suis Anglais par les habitudes et l’éducation.
– Maudites soient ces habitudes ! Et combien doit ĂȘtre nĂ©gligĂ©e l’éducation qui apprend Ă  un enfant Ă  oublier le pays qui l’a vu naĂźtre !
Le vieillard se dĂ©tourna en murmurant ces mots Ă  demi-voix, et, se remettant Ă  marcher Ă  grands pas, il s’avança vers le gaillard d’avant.
Le jeune officier resta quelques minutes comme absorbĂ© dans ses rĂ©flexions, et, semblant se rappeler tout Ă  coup le motif qui l’avait fait monter sur le tillac, il appela Ă  haute voix : – Meriton !
Au son de sa voix, le groupe de curieux qui Ă©tait rassemblĂ© autour du pilote se dispersa, et le jeune homme vĂȘtu avec prĂ©tention, dont nous avons dĂ©jĂ  parlĂ©, s’approcha de lui d’une maniĂšre qui offrait un singulier mĂ©lange de familiaritĂ© prĂ©somptueuse et de profond respect. Cependant le jeune officier, sans y faire attention et sans mĂȘme l’honorer d’un regard, continua en ces termes :
– Je vous ai chargĂ© de retenir la barque qui a amenĂ© le pilote pour me conduire Ă  terre : voyez si elle est prĂȘte Ă  partir.
Le valet courut exĂ©cuter les ordres de son maĂźtre, et revint presque au mĂȘme instant lui dire que tout Ă©tait prĂȘt.
– Mais, Monsieur, ajouta-t-il, vous ne voudriez pas partir dans cette barque, j’en suis parfaitement assurĂ©.
– Votre assurance, monsieur Meriton, n’est pas la moindre de vos recommandations ; mais pourquoi ne le voudrais-je pas ?
– Ce vieil Ă©tranger, cet homme dĂ©sagrĂ©able avec ses haillons d’habits, s’y est dĂ©jĂ  Ă©tabli.
– Eh bien ! il faudrait pour me retenir un inconvĂ©nient beaucoup plus grave que celui d’avoir la sociĂ©tĂ© du seul homme de bonne compagnie qui se trouve sur ce vaisseau.
– Juste ciel ! s’écria Meriton en levant les yeux d’un air Ă©tonnĂ© ; sĂ»rement, Monsieur, quant aux maniĂšres, vous ĂȘtes plus en Ă©tat que personne d’en juger, mais pour les habits

– Il suffit, il suffit, dit son maĂźtre d’un ton un peu brusque ; sa compagnie me convient. Si vous ne la trouvez pas digne de votre mĂ©rite, je vous permets de rester Ă  bord jusqu’à demain matin. Je puis fort bien, pour une nuit, me passer de la prĂ©sence d’un fat.
Sans faire attention Ă  l’air mortifiĂ© de son valet dĂ©concertĂ©, il s’avança sur le tillac jusqu’à l’endroit oĂč la barque l’attendait. Le mouvement gĂ©nĂ©ral qui eut lieu Ă  l’instant parmi tout l’équipage, et le respect avec lequel le capitaine le suivit jusqu’à l’échelle, prouvaient suffisamment que, malgrĂ© sa jeunesse, c’était principalement par Ă©gard pour lui qu’on avait maintenu un ordre si admirable dans toutes les parties du vaisseau. Cependant, tandis que tout ce qui l’entourait s’empressait de lui faciliter les moyens de descendre dans la barque, le vieil Ă©tranger s’y Ă©tait assis Ă  la meilleure place, avec un air de distraction, sinon de froide indiffĂ©rence. Il ne fit aucune attention Ă  l’avis que lui donna indirectement Meriton, qui avait pris le parti de suivre son maĂźtre, qu’il ferait bien de lui cĂ©der cette place, et le jeune officier s’assit Ă  cĂŽtĂ© du vieillard avec un air de simplicitĂ© que son valet trouvait souverainement dĂ©placĂ©. Comme si cette humiliation n’eĂ»t pas suffi, le jeune officier, voyant que les rameurs restaient dans l’inaction, se tourna vers son compagnon et lui demanda poliment s’il Ă©tait prĂȘt Ă  partir. Le vieillard ne rĂ©pondit que par un signe affirmatif, et sur-le-champ toutes les rames furent en mouvement pour avancer vers la terre, tandis que le vaisseau manƓuvrait pour aller jeter l’ancre Ă  la hauteur de Nantasket.
Nulle voix n’interrompit le bruit cadencĂ© des rames, tandis que, combattant la marĂ©e contraire, la barque traversait les nombreux dĂ©troits formĂ©s par diffĂ©rentes Ăźles ; mais quand on fut Ă  la hauteur du chĂąteau[6], l’obscuritĂ© cĂ©da Ă  l’influence de la nouvelle lune ; les objets qui les environnaient commençant Ă  devenir plus distincts, le vieil Ă©tranger se mit Ă  parler avec cette vĂ©hĂ©mence qui lui semblait naturelle, et il rendit compte Ă  son compagnon de toutes les localitĂ©s avec le ton passionnĂ© d’un enthousiaste, et en homme qui en connaissait depuis longtemps toutes les beautĂ©s. Mais il retomba dans le silence quand on s’approcha des quais nĂ©gligĂ©s et abandonnĂ©s, et il s’appuya d’un air sombre sur les bancs de la barque, comme s’il n’eĂ»t osĂ© se fier Ă  sa voix pour parler des malheurs de sa patrie.
LaissĂ© Ă  ses propres pensĂ©es, le jeune officier regardait avec le plus vif intĂ©rĂȘt les longs rangs de bĂątiments qui devenaient visibles Ă  ses yeux, et que la lune couvrait d’un cĂŽtĂ© d’une douce lumiĂšre, tandis que de l’autre le contraste de ses rayons Ă©paississait les ombres. On ne voyait dans le port que quelques bĂątiments dĂ©mĂątĂ©s. La forĂȘt de mĂąts qui le couvrait autrefois avait disparu. On n’y entendait plus ce bruit de roues, ce mouvement actif qui auraient dĂ» faire distinguer Ă  cette heure le grand marchĂ© de toutes les colonies. Les seuls sons qui frappassent l’oreille Ă©taient le bruit Ă©loignĂ© d’une musique martiale, les cris dĂ©sordonnĂ©s des soldats qui s’enivraient dans les cabarets situĂ©s sur le bord de la mer, et la voix farouche des sentinelles placĂ©es sur les vaisseaux de guerre, qui arrĂȘtaient dans leur marche le petit nombre de barques que les habitants conservaient encore pour la pĂȘche ou le commerce cĂŽtier.
– Quel changement ! s’écria le jeune officier en jetant les yeux sur cette scĂšne de dĂ©solation ; quel spectacle diffĂ©rent me retracent mes souvenirs, quelque imparfaits qu’ils soient, quelque loin qu’ils remontent !
Le vieillard ne rĂ©pondit rien ; mais un sourire, dont l’expression Ă©tait singuliĂšre, se peignit sur ses joues amaigries, et donna Ă  tous ses traits un caractĂšre doublement remarquable. Le jeune officier n’en dit pas davantage, et tous deux gardĂšrent le silence jusqu’au moment oĂč la barque, Ă©tant arrivĂ©e au bout du long quai, jadis si vivant, et oĂč il ne se trouvait alors qu’une sentinelle qui le parcourait Ă  pas mesurĂ©s, s’avança vers le rivage, et s’arrĂȘta au lieu ordinaire du dĂ©barquement.
Quels que pussent ĂȘtre les sentiments des deux passagers, en atteignant en sĂ»retĂ© le but d’un voyage long et pĂ©nible, ils ne les exprimĂšrent point par des paroles. Le vieillard dĂ©couvrit ses cheveux blancs, et, plaçant son chapeau devant son visage, il sembla rendre au ciel en esprit des actions de grĂąces de se trouver Ă  la fin de ses fatigues, tandis que son jeune compagnon marchait avec l’air d’un homme que ses Ă©motions occupaient trop pour qu’il pĂ»t songer Ă  les peindre.
– C’est ici que nous devons nous sĂ©parer, Monsieur, dit enfin ce dernier ; mais Ă  prĂ©sent que nos relations communes sont terminĂ©es, j’espĂšre que la connaissance que nous devons au hasard se prolongera au-delĂ  du terme de notre voyage.
– Un homme dont les jours sont aussi avancĂ©s que les miens, rĂ©pondit le vieillard, ne doit pas prĂ©sumer de la libĂ©ralitĂ© de Dieu au point de faire des promesses dont l’accomplissement dĂ©pend du temps. Vous voyez en moi un homme qui revient d’un triste, d’un bien triste pĂšlerinage sur l’autre hĂ©misphĂšre, pour laisser ses dĂ©pouilles mortelles dans son pays natal ; mais si le ciel daigne m’accorder assez de vie pour cela, vous entendrez encore parler de celui que vos bontĂ©s et votre politesse ont si grandement obligĂ©.
L’officier fut affectĂ© du ton grave et solennel de son compagnon, et rĂ©pondit en lui serrant sa main :
– Ne l’oubliez pas ! je vous le demande comme une faveur spĂ©ciale. Je ne sais pourquoi ; mais vous avez obtenu sur mes sentiments un empire que nul autre n’a jamais possĂ©dĂ© ; c’est un mystĂšre pour moi, c’est comme un songe ; mais j’éprouve pour vous, non seulement du respect, mais de l’amitiĂ©.
Le vieillard fit un pas en arriĂšre, sans quitter la main du jeune homme, le regarda fixement quelques instants, et lui dit en levant lentement une main vers le firmament :
– Ce sentiment vient du ciel ; il est dans les desseins de la Providence ; ne cherchez pas Ă  l’étouffer, jeune homme ; conservez-le prĂ©cieusement dans votre cƓur.
La rĂ©ponse, qu’allait lui faire le jeune officier fut interrompue par des cris subits et violents qui rompirent le silence gĂ©nĂ©ral, et dont l’accent plaintif leur glaça le sang dans les veines. Le bruit de coups de courroies se joignait aux plaintes de celui qui les recevait, et Ă©tait accompagnĂ© de jurements et d’exĂ©crations que profĂ©raient des voix qui ne paraissaient pas Ă  une grande distance. Un mouvement commun les entraĂźna tous du cĂŽtĂ© d’oĂč venait le tumulte, et ils y coururent avec rapiditĂ©. Lorsqu’ils approchĂšrent des bĂątiments, ils virent un groupe rassemblĂ© autour d’un jeune homme, dont les cris troublaient la tranquillitĂ© du soir, et dont les plaintes n’excitaient que la dĂ©rision. Ceux qui Ă©taient spectateurs de ses souffrances encourageaient ceux qui les lui in...

Table of contents

  1. Titre
  2. PRÉFACE DE LA NOUVELLE ÉDITION DE LIONEL LINCOLN
  3. DÉDICACE À WILLIAM JAY, ESQ., DE BEDFORD, WEST-CHESTER.
  4. PRÉFACE DES LÉGENDES DES TREIZE RÉPUBLIQUES
  5. PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION DE LIONEL LINCOLN
  6. Chapitre 1
  7. Chapitre 2
  8. Chapitre 3
  9. Chapitre 4
  10. Chapitre 5
  11. Chapitre 6
  12. Chapitre 7
  13. Chapitre 8
  14. Chapitre 9
  15. Chapitre 10
  16. Chapitre 11
  17. Chapitre 12
  18. Chapitre 13
  19. Chapitre 14
  20. Chapitre 15
  21. Chapitre 16
  22. Chapitre 17
  23. Chapitre 18
  24. Chapitre 19
  25. Chapitre 20
  26. Chapitre 21
  27. Chapitre 22
  28. Chapitre 23
  29. Chapitre 24
  30. Chapitre 25
  31. Chapitre 26
  32. Chapitre 27
  33. Chapitre 28
  34. Chapitre 29
  35. Chapitre 30
  36. Chapitre 31
  37. Chapitre 32
  38. Chapitre 33
  39. Chapitre 34
  40. À propos de cette Ă©dition Ă©lectronique
  41. Notes de bas de page