Le Docteur Pascal
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Le Docteur Pascal

About this book

Le Docteur Pascal est un roman d'Émile Zola publiĂ© en 1893, le vingtiĂšme et dernier volume de la sĂ©rie des Rougon-Macquart. L'intrigue se dĂ©roule entre 1872 et 1874, autrement dit aprĂšs la chute du Second Empire, pĂ©riode qui constituait le cadre historique de l'ensemble de l'Ɠuvre. En fait, il s'agit ici de donner une conclusion Ă  l'histoire de la famille, et de dĂ©velopper les thĂ©ories sur l'hĂ©rĂ©ditĂ© que Zola a empruntĂ©es aux docteurs Prosper Lucas et BĂ©nĂ©dict Augustin Morel.

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Information

Chapitre 1

Dans la chaleur de l’ardente aprĂšs-midi de juillet, la salle, aux volets soigneusement clos, Ă©tait pleine d’un grand calme. Il ne venait, des trois fenĂȘtres, que de minces flĂšches de lumiĂšre, par les fentes des vieilles boiseries ; et c’était, au milieu de l’ombre, une clartĂ© trĂšs douce, baignant les objets d’une lueur diffuse et tendre. Il faisait lĂ  relativement frais, dans l’écrasement torride qu’on sentait au-dehors, sous le coup de soleil qui incendiait la façade.
Debout devant l’armoire, en face des fenĂȘtres, le docteur Pascal cherchait une note, qu’il y Ă©tait venu prendre. Grande ouverte, cette immense armoire de chĂȘne sculptĂ©, aux fortes et belles ferrures, datant du dernier siĂšcle, montrait sur ses planches, dans la profondeur de ses flancs, un amas extraordinaire de papiers, de dossiers, de manuscrits, s’entassant, dĂ©bordant, pĂȘle-mĂȘle. Il y avait plus de trente ans que le docteur y jetait toutes les pages qu’il Ă©crivait, depuis les notes brĂšves jusqu’aux textes complets ses grands travaux sur l’hĂ©rĂ©ditĂ©. Aussi les recherches n’y Ă©taient-elles pas toujours faciles. Plein de patience, il fouillait, et il eut un sourire, quand il trouva enfin.
Un instant encore, il demeura prĂšs de l’armoire, lisant la note, sous un rayon dorĂ© qui tombait de la fenĂȘtre du milieu. Lui-mĂȘme, dans cette clartĂ© d’aube, apparaissait, avec sa barbe et ses cheveux de neige, d’une soliditĂ© vigoureuse bien qu’il approchĂąt de la soixantaine, la face si fraĂźche, les traits si fins, les yeux restĂ©s limpides, d’une telle enfance, qu’on l’aurait pris, serrĂ© dans son veston de velours marron, pour un jeune homme aux boucles poudrĂ©es.
– Tiens ! Clotilde, finit-il par dire, tu recopieras cette note. Jamais Ramond ne dĂ©chiffrerait ma satanĂ©e Ă©criture.
Et il vint poser le papier prĂšs de la jeune fille, qui travaillait debout devant un haut pupitre, dans l’embrasure de la fenĂȘtre de droite.
– Bien, maĂźtre ! rĂ©pondit-elle.
Elle ne s’était pas mĂȘme retournĂ©e, tout entiĂšre au pastel qu’elle sabrait en ce moment de larges coups de crayon. PrĂšs d’elle, dans un vase, fleurissait une tige de roses trĂ©miĂšres, d’un violet singulier, zĂ©brĂ© de jaune. Mais on voyait nettement le profil de sa petite tĂȘte ronde, aux cheveux blonds et coupĂ©s court, un exquis et sĂ©rieux profil, le front droit, plissĂ© par l’attention, l’Ɠil bleu ciel, le nez fin, le menton ferme. Sa nuque penchĂ©e avait surtout une adorable jeunesse, d’une fraĂźcheur de lait, sous l’or des frisures folles. Dans sa longue blouse noire, elle Ă©tait trĂšs grande, la taille mince, la gorge menue, le corps souple, de cette souplesse allongĂ©e des divines figures de la Renaissance. MalgrĂ© ses vingt-cinq ans, elle restait enfantine et en paraissait Ă  peine dix-huit.
– Et, reprit le docteur, tu remettras un peu d’ordre dans l’armoire. On ne s’y retrouve plus.
– Bien, maĂźtre ! rĂ©pĂ©ta-t-elle sans lever la tĂȘte. Tout Ă  l’heure !
Pascal Ă©tait revenu s’asseoir Ă  son bureau, Ă  l’autre bout de la salle, devant la fenĂȘtre de gauche. C’était une simple table de bois noir, encombrĂ©e, elle aussi, de papiers, de brochures de toutes sortes. Et le silence retomba, cette grande paix Ă  demi obscure, dans l’écrasante chaleur du dehors. La vaste piĂšce, longue d’une dizaine de mĂštres, large de six, n’avait d’autres meubles, avec l’armoire, que deux corps de bibliothĂšque, bondĂ©s de livres. Des chaises et des fauteuils antiques traĂźnaient Ă  la dĂ©bandade ; tandis que, pour tout ornement, le long des murs, tapissĂ©s d’un ancien papier de salon Empire, Ă  rosaces, se trouvaient clouĂ©s des pastels de fleurs, aux colorations Ă©tranges, qu’on distinguait mal. Les boiseries des trois portes, Ă  double battant, celle de l’entrĂ©e, sur le palier, et les deux autres, celle de la chambre du docteur et celle de la chambre de la jeune fille, aux deux extrĂ©mitĂ©s de la piĂšce, dataient de Louis XV, ainsi que la corniche du plafond enfumĂ©.
Une heure se passa, sans un bruit, sans un souffle. Puis, comme Pascal, par distraction Ă  son travail, venait de rompre la bande d’un journal oubliĂ© sur sa table, le Temps, il eut une lĂ©gĂšre exclamation.
– Tiens ! ton pĂšre qui est nommĂ© directeur de l’Époque, le journal rĂ©publicain Ă  grand succĂšs, oĂč l’on publie les papiers des Tuileries !
Cette nouvelle devait ĂȘtre pour lui inattendue, car il riait d’un bon rire, Ă  la fois satisfait et attristĂ© ; et, Ă  demi-voix, il continuait :
– Ma parole ! on inventerait les choses, qu’elles seraient moins belles
 La vie est extraordinaire
 Il y a lĂ  un article trĂšs intĂ©ressant.
Clotilde n’avait pas rĂ©pondu, comme Ă  cent lieues de ce que disait son oncle. Et il ne parla plus, il prit des ciseaux, aprĂšs avoir lu l’article, le dĂ©coupa, le colla sur une feuille de papier, oĂč il l’annota de sa grosse Ă©criture irrĂ©guliĂšre. Puis, il revint vers l’armoire, pour y classer cette note nouvelle. Mais il dut prendre une chaise, la planche du haut Ă©tait si haute qu’il ne pouvait l’atteindre, malgrĂ© sa grande taille.
Sur cette planche Ă©levĂ©e, toute une sĂ©rie d’énormes dossiers s’alignaient en bon ordre, classĂ©s mĂ©thodiquement. C’étaient des documents divers, feuilles manuscrites, piĂšces sur papier timbrĂ©, articles de journaux dĂ©coupĂ©s, rĂ©unis dans des chemises de fort papier bleu, qui chacune portait un nom Ă©crit en gros caractĂšres. On sentait ces documents tenus Ă  jour avec tendresse, repris sans cesse et remis soigneusement en place ; car, de toute l’armoire, ce coin-lĂ  seul Ă©tait en ordre.
Lorsque Pascal, montĂ© sur la chaise, eut trouvĂ© le dossier qu’il cherchait, une des chemises les plus bourrĂ©es, oĂč Ă©tait inscrit le nom de « Saccard », il y ajouta la note nouvelle, puis replaça le tout Ă  sa lettre alphabĂ©tique. Un instant encore, il s’oublia, redressa complaisamment une pile qui s’effondrait. Et, comme il sautait enfin de la chaise :
– Tu entends ? Clotilde, quand tu rangeras, ne touche pas aux dossiers, là-haut.
– Bien, maĂźtre ! rĂ©pondit-elle pour la troisiĂšme fois, docilement.
Il s’était remis Ă  rire, de son air de gaietĂ© naturelle.
– C’est dĂ©fendu !
– Je le sais, maütre !
Et il referma l’armoire d’un vigoureux tour de clef, puis il jeta la clef au fond d’un tiroir de sa table de travail. La jeune fille Ă©tait assez au courant de ses recherches pour mettre un peu d’ordre dans ses manuscrits ; et il l’employait volontiers aussi Ă  titre de secrĂ©taire, il lui faisait recopier ses notes, lorsqu’un confrĂšre et un ami, comme le docteur Ramond, lui demandait la communication d’un document. Mais elle n’était point une savante, il lui dĂ©fendait simplement de lire ce qu’il jugeait inutile qu’elle connĂ»t.
Cependant, l’attention profonde oĂč il la sentait absorbĂ©e, finissait par le surprendre.
– Qu’as-tu donc à ne plus desserrer les lùvres ? La copie de ces fleurs te passionne à ce point !
C’était encore lĂ  un des travaux qu’il lui confiait souvent, des dessins, des aquarelles, des pastels, qu’il joignait ensuite comme planches Ă  ses ouvrages. Ainsi, depuis cinq ans, il faisait des expĂ©riences trĂšs curieuses sur une collection de roses trĂ©miĂšres, toute une sĂ©rie de nouvelles colorations, obtenues par des fĂ©condations artificielles. Elle apportait, dans ces sortes de copies, une minutie, une exactitude de dessin et de couleur extraordinaire ; Ă  ce point qu’il s’émerveillait toujours d’une telle honnĂȘtetĂ©, en lui disant qu’elle avait « une bonne petite caboche ronde, nette et solide ».
Mais, cette fois, comme il s’approchait pour regarder par-dessus son Ă©paule, il eut un cri de comique fureur.
– Ah ! va te faire fiche ! te voilĂ  partie pour l’inconnu !
 Veux-tu bien me dĂ©chirer ça tout de suite !
Elle s’était redressĂ©e, le sang aux joues, les yeux flambants de la passion de son Ɠuvre, ses doigts minces tachĂ©s de pastel, du rouge et du bleu qu’elle avait Ă©crasĂ©s.
– Oh ! maütre !
Et dans ce « maĂźtre », si tendre, d’une soumission si caressante, ce terme de complet abandon dont elle l’appelait pour ne pas employer les mots d’oncle ou de parrain, qu’elle trouvait bĂȘtes, passait pour la premiĂšre fois une flamme de rĂ©volte, la revendication d’un ĂȘtre qui se reprend et qui s’affirme.
Depuis prĂšs de deux heures, elle avait repoussĂ© la copie exacte et sage des roses trĂ©miĂšres, et elle venait de jeter, sur une autre feuille, toute une grappe de fleurs imaginaires, des fleurs de rĂȘve, extravagantes et superbes. C’était ainsi parfois, chez elle, des sautes brusques, un besoin de s’échapper en fantaisies folles, au milieu de la plus prĂ©cise des reproductions. Tout de suite elle se satisfaisait, retombait toujours dans cette floraison extraordinaire, d’une fougue, d’une fantaisie telles que jamais elle ne se rĂ©pĂ©tait, crĂ©ant des roses au cƓur saignant, pleurant des larmes de soufre, des lis pareils Ă  des urnes de cristal, des fleurs mĂȘme sans forme connue, Ă©largissant des rayons d’astre, laissant flotter des corolles ainsi que des nuĂ©es. Ce jour-lĂ , sur la feuille sabrĂ©e Ă  grands coups de crayon noir, c’était une pluie d’étoiles pĂąles, tout un ruissellement de pĂ©tales infiniment doux ; tandis que, dans un coin, un Ă©panouissement innomĂ©, un bouton aux chastes voiles, s’ouvrait.
– Encore un que tu vas me clouer lĂ  ! reprit le docteur en montrant le mur, oĂč s’alignaient dĂ©jĂ  des pastels aussi Ă©tranges. Mais qu’est-ce que ça peut bien reprĂ©senter, je te le demande ?
Elle resta trùs grave, se recula pour mieux voir son Ɠuvre.
– Je n’en sais rien, c’est beau.
À ce moment, Martine entra, l’unique servante, devenue la vraie maĂźtresse de la maison, depuis prĂšs de trente ans qu’elle Ă©tait au service du docteur. Bien qu’elle eĂ»t dĂ©passĂ© la soixantaine, elle gardait un air jeune, elle aussi, active et silencieuse, dans son Ă©ternelle robe noire et sa coiffe blanche, qui la faisait ressembler Ă  une religieuse, avec sa petite figure blĂȘme et reposĂ©e, oĂč semblaient s’ĂȘtre Ă©teints ses yeux couleur de cendre.
Elle ne parla pas, alla s’asseoir Ă  terre devant un fauteuil, dont la vieille tapisserie laissait passer le crin par une dĂ©chirure ; et, tirant de sa poche une aiguille et un Ă©cheveau de laine, elle se mit Ă  la raccommoder. Depuis trois jours, elle attendait d’avoir une heure, pour faire cette rĂ©paration qui la hantait.
– Pendant que vous y ĂȘtes, Martine, s’écria Pascal plaisamment, en prenant dans ses deux mains la tĂȘte rĂ©voltĂ©e de Clotilde, recousez-moi donc aussi cette caboche-lĂ , qui a des fuites.
Martine leva ses yeux pñles, regarda son maütre de son air habituel d’adoration.
– Pourquoi Monsieur me dit-il cela ?
– Parce que, ma brave fille, je crois bien que c’est vous qui avez fourrĂ© lĂ -dedans, dans cette bonne petite caboche ronde, nette et solide, des idĂ©es de l’autre monde, avec toute votre dĂ©votion.
Les deux femmes Ă©changĂšrent un regard d’intelligence.
– Oh ! Monsieur, la religion n’a jamais fait de mal Ă  personne
 Et, quand on n’a pas les mĂȘmes idĂ©es, il vaut mieux n’en pas causer, bien sĂ»r.
Il se fit un silence gĂȘnĂ©. C’était la seule divergence qui, parfois, amenait des brouilles, entre ces trois ĂȘtres si unis, vivant d’une vie si Ă©troite. Martine n’avait que vingt-neuf ans, un an de plus que le docteur, quand elle Ă©tait entrĂ©e chez lui, Ă  l’époque oĂč il dĂ©butait Ă  Plassans comme mĂ©decin, dans une petite maison claire de la ville neuve. Et, treize annĂ©es plus tard, lorsque Saccard, un frĂšre de Pascal, lui envoya de Paris sa fille Clotilde, ĂągĂ©e de sept ans, Ă  la mort de sa femme et au moment de se remarier, ce fut elle qui Ă©leva l’enfant, la menant Ă  l’église, lui communiquant un peu de la flamme dĂ©vote dont elle avait toujours brĂ»lĂ©, tandis que le docteur, d’esprit large, les laissait aller Ă  leur joie de croire, car il ne se sentait pas le droit d’interdire Ă  personne le bonheur de la foi. Il se contenta ensuite de veiller sur l’instruction de la jeune fille, de lui donner en toutes choses des idĂ©es prĂ©cises et saines. Depuis prĂšs de dix-huit ans qu’ils vivaient ainsi tous les trois, retirĂ©s Ă  la Souleiade, une propriĂ©tĂ© situĂ©e dans un faubourg de la ville, Ă  un quart d’heure de Saint-Saturnin, la cathĂ©drale, la vie avait coulĂ© heureuse, occupĂ©e Ă  de grands travaux cachĂ©s, un peu troublĂ©e pourtant par un malaise qui grandissait, le heurt de plus en plus violent de leurs croyances.
Pascal se promena un instant, assombri. Puis, en homme qui ne mĂąchait pas ses mots :
– Vois-tu, chĂ©rie, toute cette fantasmagorie du mystĂšre a gĂątĂ© ta jolie cervelle
 Ton bon Dieu n’avait pas besoin de toi, j’aurais dĂ» te garder pour moi tout seul, et tu ne t’en porterais que mieux.
Mais Clotilde, frĂ©missante, ses clairs regards hardiment fixĂ©s sur les siens, lui tenait tĂȘte.
– C’est toi, maütre, qui te porterais mieux, si tu ne t’enfermais pas dans tes yeux de chair
 Il y a autre chose, pourquoi ne veux-tu pas voir ?
Et Martine vint Ă  son aide, en son langage.
– C’est bien vrai, Monsieur, que vous qui ĂȘtes un saint, comme je le dis partout, vous devriez nous accompagner Ă  l’église
 SĂ»rement, Dieu vous sauvera. Mais, Ă  l’idĂ©e que vous pourriez ne pas aller droit en paradis, j’en ai tout le corps qui tremble.
Il s’était arrĂȘtĂ©, il les avait devant lui toutes deux, en pleine rĂ©bellion, elles si dociles, Ă  ses pieds d’habitude, d’une tendresse de femmes conquises par sa gaietĂ© et sa bontĂ©. DĂ©jĂ , il ouvrait la bouche, il allait rĂ©pondre rudement, lorsque l’inutilitĂ© de la discussion lui apparut.
– Tenez ! fichez-moi la paix. Je ferai mieux d’aller travailler
 Et, surtout, qu’on ne me dĂ©range pas !
D’un pas leste, il gagna sa chambre, oĂč il avait installĂ© une sorte de laboratoire, et il s’y enferma. La dĂ©fense d’y entrer Ă©tait formelle. C’était lĂ  qu’il se livrait Ă  des prĂ©parations spĂ©ciales, dont il ne parlait Ă  personne. Presque tout de suite, on entendit le bruit rĂ©gulier et lent d’un pilon dans un mortier.
– Allons, dit Clotilde en souriant, le voilà à sa cuisine du diable, comme dit grand-mùre.
Et elle se remit posément à copier la tige de roses trémiÚres. Elle en serrait le dessin avec une précision mathématique, elle trouvait le ton juste des pétales violets, zébrés de jaune, jusque dans la décoloration la plus délicate des nuances.
– Ah ! murmura au bout d’un moment Martine, de nouveau par terre, en train de raccommoder le fauteuil, quel malheur qu’un saint homme pareil perde son Ăąme Ă  plaisir !
 Car, il n’y a pas Ă  dire, voici trente ans que je le connais, et jamais il n’a fait seulement de la peine Ă  personne. Un vrai cƓur d’or, qui s’îterait les morceaux de la bouche
 Et gentil avec ça, et toujours bien portant, et toujours gai, une vraie bĂ©nĂ©diction !
 C’est un meurtre qu’il ne veuille pas faire sa paix avec le bon Dieu. N’est-ce pas ? mademoiselle, il faudra le forcer.
Clotilde, surprise de lui en entendre dire si long à la fois, donna sa parole, l’air grave.
– Certainement, Martine, c’est jurĂ©. Nous le forcerons.
Le silence recommençait, lorsqu’on entendit le tintement de la sonnette fixĂ©e, en bas, Ă  la porte d’entrĂ©e. On l’avait mise lĂ , afin d’ĂȘtre averti, dans cette maison trop vaste pour les trois personnes qui l’habitaient. La servante sembla Ă©tonnĂ©e et grommela des paroles sourdes : qui pouvait venir par une chaleur pareille ? Elle s’était levĂ©e, elle ouvrit la porte, se pencha au-dessus de la rampe, puis reparut en disant :
– C’est Mme FĂ©licitĂ©.
Vivement la vieille Mme Rougon entra. MalgrĂ© ses quatre-vingts ans, elle venait de monter l’escalier avec une lĂ©gĂšretĂ© de jeune fille ; et elle restait la cigale brune, maigre et stridente d’autrefois. TrĂšs Ă©lĂ©gante maintenant, vĂȘtue de soie noire, elle pouvait encore ĂȘtre prise, par-derriĂšre, grĂące Ă  la finesse de sa taille, pour quelque amoureuse, quelque ambitieuse courant Ă  sa passion. De face, dans son visage sĂ©chĂ©, ses yeux gardaient leur flamme, et elle souriait d’un joli sourire, quand elle le voulait bien.
– Comment, c’est toi, grand-mĂšre ! s’écria Clotilde, en marchant Ă  sa rencontre. Mais il y a de quoi ĂȘtre cuit, par ce terrible soleil !
Félicité, qui la baisait au front, se mit à rire.
– Oh ! le soleil, c’est mon ami !
Puis, trottant à petits pas rapides, elle alla tourner l’espagnolette d’un des volets.
– Ouvrez donc un peu ! c’est trop triste, de vivre ainsi dans le noir
 Chez moi, je laisse le soleil entrer.
Par l’entrebĂąillement, un jet d’ardente lumiĂšre, un flot de braises dansantes pĂ©nĂ©tra. Et l’on aperçut, sous le ciel d’un bleu violĂątre d’incendie, la vaste campagne brĂ»lĂ©e, comme endormie et morte dans cet anĂ©antissement de fournaise ; tandis que, sur la droite, au-dessus des toitures roses, se dressait le clocher de Saint-Saturnin, une tour dorĂ©e, aux arĂȘtes d’os blanchis, dans l’aveuglante clartĂ©.
– Oui, continuait FĂ©licitĂ©, j’irai sans doute tout Ă  l’heure aux Tulettes, et je voulais savoir si vous aviez Charles, afin de l’y mener avec moi
 Il n’est pas ici, je vois ça. Ce sera pour un autre jour.
Mais, tandis qu’elle donnait ce prĂ©texte Ă  sa visite, ses yeux fureteurs ...

Table of contents

  1. Titre
  2. Chapitre 1
  3. Chapitre 2
  4. Chapitre 3
  5. Chapitre 4
  6. Chapitre 5
  7. Chapitre 6
  8. Chapitre 7
  9. Chapitre 8
  10. Chapitre 9
  11. Chapitre 10
  12. Chapitre 11
  13. Chapitre 12
  14. Chapitre 13
  15. Chapitre 14
  16. À propos de cette Ă©dition Ă©lectronique