Le roseau pensotant
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Le roseau pensotant

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Le roseau pensotant

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Cet essai fait la part belle a la dérision, a l'humour caustique et sarcastique dans nos vies quotidiennes.

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Information

NÈGRES, RÉFLÉCHISSEZ !

NÚgres, réfléchissez ! Il est temps encore.
Depuis quelques annĂ©es, vous manifestez Ă©nergiquement l’intention d’entrer dans le grand courant de la civilisation moderne et de nous rattraper sur la Route du ProgrĂšs. Les coups de trique de quelques Blancs dĂ©daigneux, grossiers et imprĂ©voyants vous ont rĂ©veillĂ©s ; et, maintenant, avec un lĂ©gitime orgueil, vous refusez de reconnaĂźtre l’infĂ©rioritĂ© de la race noire. S’il faut en croire les journaux, vous voulez, Ă  votre tour, fonder un État puissant qui aura sa religion officielle, son Parlement, son armĂ©e formidable, sa marine, ses monuments historiques, ses Ă©coles innombrables et ses douaniers. Eh bien, NĂšgres, croyez-moi : tout cela ne fait pas le bonheur.
Vous pouvez m’écouter sans dĂ©fiance, car je n’ai aucun orgueil de race. Je vous crois capables de faire tout ce que nous avons fait. En y mettant le temps, vous donnerez Ă  l’humanitĂ© de grands savants et de grands artistes. Votre musique a dĂ©jĂ  beaucoup de succĂšs dans le monde oĂč l’on danse. Vos poings noirs ont laissĂ© des marques bleues sur les visages blancs de nos meilleurs boxeurs. Vous portez le smoking avec autant d’aisance que nos commis de banque les plus distinguĂ©s. Et c’est l’un des vĂŽtres qui, naguĂšre a remportĂ© le prix Goncourt [6]. Je le rĂ©pĂšte : votre prĂ©tention de nous Ă©galer n’a rien d’absurde a priori. Si je vous conseille de rĂ©flĂ©chir avant de vous lancer dans la grande aventure qui fut la nĂŽtre, c’est que nous ne sommes pas heureux. Nous nous sommes peut-ĂȘtre affreusement trompĂ©s.
Le matin, quand je vais travailler, je vois dans les rues des centaines de jeunes filles, dactylographes, modistes ou vendeuses, qui se hĂątent vers la prison oĂč elles resteront enfermĂ©es tout le jour. Elles se dĂ©fraĂźchiront prĂ©maturĂ©ment en accomplissant leur besogne invariable. La civilisation – notre civilisation – n’est possible que si presque tous les humains se transforment en machines.
NĂšgres, observez-nous attentivement ; notre vie est laide. Jules LemaĂźtre, dans ses Petites Orientales, vous a adressĂ© ces vers que vous n’avez sans doute jamais lus :
 
Puisque c’est un chemin sans bout
Que nous ouvre l’étude austĂšre,
Plus heureux par l’oubli de tout,
Vivez la vie élémentaire [7].
 
Quoi, bons NĂšgres, restez en Afrique : asseyez-vous par terre, Ă  l’ombre d’un catalpa, au milieu de vos petits nĂ©grillons, cachĂ©s dans l’herbe fleurie. Restez dans votre fertile Afrique oĂč poussent, sans que l’on s’en occupe, l’arbre Ă  pain, l’arbre Ă  lait, l’arbre Ă  viande, l’arbre Ă  fromage et l’arbre Ă  feuilles de vigne. Ne vous Ă©loignez pas de la bonne Nature.
Mais que dis-je ! C’est trop tard. Les Blancs vous ont volĂ© l’Afrique de vos ancĂȘtres et ils ne vous la rendront pas. Ils ont besoin de votre caoutchouc, de votre cafĂ© et de tout le reste. Les affaires sont les affaires. Si vous insistez, on vous tirera dessus.
Le problĂšme Ă  rĂ©soudre est donc plus difficile que je ne le croyais. Essayez quand mĂȘme, NĂšgres. TĂąchez de ne pas refaire la bĂȘtise que nous avons faite. Profitez de la leçon. Ce qui nous excuse, c’est que nous ne savions pas oĂč nous allions. Sur la Route du ProgrĂšs, il n’y avait pas de poteaux indicateurs.
Il n’y a peut-ĂȘtre rien Ă  faire. Celui qui veut sortir de l’animalitĂ© est peut-ĂȘtre condamnĂ© Ă  perdre irrĂ©vocablement son insouciance et sa gaĂźtĂ©. Mais cela n’est pas encore tout Ă  fait sĂ»r. Qui sait si, instruits par notre triste exemple, vous ne parviendrez pas, NĂšgres, Ă  conserver, en vous civilisant, une Ăąme sereine ? Cherchez : cela en vaut la peine. Et quand vous connaĂźtrez la vĂ©ritĂ©, envoyez-nous des missionnaires. Nous ne les mangerons pas.


À LA GARE

Le roseau pensant, dont parle Pascal, est un roseau dĂ©racinĂ©. Il peut se promener librement Ă  la surface du globe (Ă  moins, bien entendu, que le Syndicat International des Consuls ne lui refuse un passeport). C’est dire que l’homme est un pense-partout. Je n’avais donc pas tort, avant-hier, en me rendant Ă  la gare pour y faire ma provision hebdomadaire de « pensĂ©es ».
Les humains qu’on voit dans les gares sont plus charnus, moins abstraits que ces types qui sĂšchent depuis trĂšs longtemps dans les vieux livres. Spinoza, si mes professeurs ne m’ont pas trompĂ©, a Ă©crit un TraitĂ© sur les Passions. Je ne l’ai jamais lu. Mais, l’autre jour, j’ai entendu le cri horrible de cette mĂšre, qui, au moment oĂč son train se mettait en marche, constatait la disparition de son carton Ă  chapeaux. Pour Ă©tudier le cƓur humain, on est aussi bien sur le quai d’une gare que sur les bancs de l’UniversitĂ©.
Les chefs de gare m’ont toujours intimidĂ©. Lorsque je dois m’adresser Ă  l’un de ces personnages fondamentaux, je sais d’avance qu’il va trouver ma question idiote. Car, cette question, on la lui a dĂ©jĂ  posĂ©e dix mille fois. « Pardon, Monsieur, c’est bien devant le Quai I que s’arrĂȘtera l’express de GenĂšve ? – Oui, c’est devant le Quai I. » Si je m’étais donnĂ© la peine de lire l’affiche, je le saurais.
Pour les employĂ©s des chemins de fer, si admirablement renseignĂ©s sur les heures de dĂ©part, les heures d’arrivĂ©e et tant d’autres choses difficiles, les voyageurs sont des Ă©lĂšves incorrigibles qui entendent vingt ans de suite les mĂȘmes explications sans faire aucun progrĂšs.
Mais, quand je ne suis plus sur son terrain, le Chef de gare ne m’inspire que de la pitiĂ©. Parce qu’il a une casquette galonnĂ©e toute neuve et parce que c’est un homme tout-puissant, de belles voyageuses inquiĂštes prennent un ton trĂšs aimable pour lui demander quelque renseignement essentiel. Et, ainsi, il se laisse quotidiennement troubler par des ĂȘtres charmants qui, dix minutes plus tard, s’en iront pour toujours. Car il lui est formellement interdit de prendre le train.
Le Chef de gare est un malheureux qui ne voit que des gens qui partent. Il en voit d’autres qui arrivent, direz-vous, sans doute, mais ceux-là ne restent pas à la gare : ils s’en vont aussi.
J’ai sĂ»rement tort de prĂȘter aux chefs de gare mon sentimentalisme ridicule. Tristan Bernard a dit que, pour eux, le voyageur n’est rien de plus qu’un colis pensant. Il doit avoir raison. Dans les moments de grande cohue, lorsque les quais sont envahis par des centaines d’ahuris qui ont peur de manquer leur train ou de perdre un de leurs mioches, il importe que le Chef, les Sous-Chefs et les Aspirants restent froids et lucides. S’ils se laissaient gagner par l’émotion gĂ©nĂ©rale, de grands malheurs pourraient en rĂ©sulter.
C’est Ă©vident : celui qui, depuis plusieurs annĂ©es, vingt fois par jour, assiste Ă  la scĂšne dĂ©chirante des Adieux a dĂ©finitivement perdu le sens du tragique. Pour lui, la gesticulation des voyageurs Ă©mus n’est que l’un des mouvements qui se produisent toujours lorsqu’un train se met en marche. Quant au tamponnement de deux ballots humains qui se lancent l’un contre l’autre lorsqu’ils se revoient aprĂšs une longue sĂ©paration, il n’est pas dangereux et il n’exige aucune surveillance.


DÉFENDONS NOTRE ECTOPLASME

Depuis bien des années déjà, les psychologues nous répÚtent que notre « moi » est une illusion.
Leur affirmation m’a toujours paru suspecte, car je constate que ces gaillards qui nient la rĂ©alitĂ© de leur moi avalent quotidiennement des viandes juteuses, remplissent leur tire-lire et recherchent des sinĂ©cures au profit d’un personnage essentiel et permanent qui est en eux et qu’ils appellent familiĂšrement : Bibi.
Et puis, leur hypothĂšse est dangereuse pour la morale. Quand je ne serai plus sĂ»r de l’existence de mon moi, pourrai-je prendre au sĂ©rieux mes vertus, mes principes et mes devoirs ?
Mais mes objections n’ont aucune valeur philosophique et il se peut que les psychologues aient raison. Une chose devrait, d’ailleurs, me rassurer ; c’est que les personnes au milieu desquelles je vis m’attribuent un « moi » constant qu’ils ne confondent jamais avec celui d’un autre. Si, au cours d’une conversation, je prononce dix fois le mot je, mon interlocuteur croit, les dix fois, que c’est le mĂȘme individu conscient qui s’exprime. Il est trompĂ© par l’invariabilitĂ© de ma voix, de mes lunettes bleues, de ma longue barbe rouge et de toute mon apparence physique. Je constate aussi avec plaisir que c’est toujours Ă  moi que le facteur apporte les lettres chargĂ©es qui me sont adressĂ©es. Quant au percepteur des impĂŽts, j’essaierais vainement de lui prouver que je n’existe pas. Les psychologues peuvent donc nous enlever notre individualitĂ© morale sans rien changer Ă  nos rapports avec notre prochain.
Les mĂ©tapsychistes sont infiniment plus dangereux : c’est notre intĂ©gritĂ© corporelle qu’ils menacent. Lorsqu’un mĂ©tapsychiste s’est procurĂ©, pour un prix modique, un chĂŽmeur confiant, il l’enferme dans une salle obscure, l’endort et, par des moyens que je ne veux pas dire, il parvient Ă  faire sortir du corps de ce « medium » sans dĂ©fense un ĂȘtre vaporeux, faiblement lumineux, qui, dans les cas de parfaite rĂ©ussite, prend peu Ă  peu la forme humaine. Ce personnage impressionnant n’est pas autre chose que l’ectoplasme du chĂŽmeur endormi. La Revue des Deux Mondes du 15 dĂ©cembre 1922 nous apprend que l’ectoplasme est « une substance solide ou gazeuse qui sort du medium par toute la surface du corps, mais spĂ©cialement par les orifices naturels, ou par le flanc ». Elle nous dit encore que cette portion de l’organisme qui s’extĂ©riorise est parfois considĂ©rable (la moitiĂ© du poids du patient, dans certains cas).
L’ectoplasme a l’habitude de rentrer dans le medium, Ă  la fin de l’expĂ©rience. Il a raison. Tout cela est tout de mĂȘme trĂšs inquiĂ©tant ; car le mĂ©tapsychiste, peu Ă  peu, s’enhardira. Jusqu’à prĂ©sent il n’a opĂ©rĂ© que sur des mediums complaisants. Mais qui sait si, devenu plus habile, il ne profitera pas, demain, de notre sommeil pour nous extorquer, Ă  distance, notre alter ego fidĂšle, notre frĂšre ectoplasmique ?
Et puis, ce n’est que le premier ectoplasme qui coĂ»te. Chaque contribuable est peut-ĂȘtre une collection d’ectoplasmes bien tassĂ©s. Dans les premiers temps, ces prisonniers libĂ©rĂ©s n’oseront pas s’éloigner beaucoup de leur quartier gĂ©nĂ©ral. Puis leur timiditĂ© diminuera et ils prendront l’habitude de rentrer tard. Le soir, si nous sentons un vide en nous, nous devrons faire l’appel avant de nous coucher. Ce sera gai.
Je le rĂ©pĂšte : je suis inquiet. Mes ectoplasmes se mettront sans doute Ă  lire les journaux. Et, un beau jour, comme de simples Ukrainiens, ils rĂ©clameront le droit de disposer d’eux-mĂȘmes. Ils s’en iront tous ensemble. Et je prĂ©vois dĂ©jĂ  l’affliction des miens lorsque, en pĂ©nĂ©trant dans ma chambre, ils apercevront sur une chaise ma peau vide, soigneusement pliĂ©e, comme ces chemises qui reviennent de chez la blanchisseuse.


LE VÉRITABLE ESPÉRANTO

Les hommes de bonne volontĂ© continuent Ă  fabriquer des langues internationales. J’ai sous la main une petite brochure, parue en 1918, oĂč sont exposĂ©s les principes grammaticaux de la parlamento. Si je ne me trompe, cet idiome nouveau est analytique, synthĂ©tique, s...

Table of contents

  1. Titre
  2. PRÉFACE
  3. NOS OREILLES N’ONT PAS DE PAUPIÈRES
  4. LA RÈGLE DE TROIS
  5. PITIÉ POUR LES GRANDS
  6. LES VITAMINES
  7. ILS NE VEULENT PLUS ÊTRE PAUVRES
  8. « FERMEZ DONC CETTE PORTE ! »
  9. NE JETEZ PAS VOS BOUTS D’IDÉES
  10. LE PARAPLUIE
  11. J’AI LE POUCE « OPPOSABLE »
  12. MON CALEPIN
  13. LES PRÉNOMS
  14. LES PARASITES
  15. LES NOUVELLES PATRIES
  16. À LA RECHERCHE DE MON « MOI »
  17. UN FAIRE-PART
  18. LA MANIÈRE MODERNE
  19. LA JAMBE
  20. UN PROBLÈME HISTORIQUE
  21. CE QUI SE PORTE
  22. LE CHIEN
  23. CONFIANCE
  24. RIEN N’ARRIVE
  25. LE TOURNIS UNIVERSEL
  26. LE CINÉMA ET L’ABSTRACTION
  27. LA PERVERSITÉ DES CHOSES
  28. DEMI-AVIATION
  29. POUR LES ANIMAUX
  30. AU SECOURS DE LA LIGNE DROITE
  31. RÉHABILITATION DE LA FEMME
  32. UN LONGÉVITISTE
  33. UN CONGRÈS DE POMOLOGIE
  34. LES COUPLES
  35. FAUT-IL FÊTER LE NOUVEL AN ?
  36. NÈGRES, RÉFLÉCHISSEZ !
  37. À LA GARE
  38. DÉFENDONS NOTRE ECTOPLASME
  39. LE VÉRITABLE ESPÉRANTO
  40. AUTREFOIS ET AUJOURD’HUI
  41. NOS VERTUS ET LA TEMPÉRATURE
  42. LES BONS PRÉCEPTES
  43. OÙ ALLONS-NOUS ?
  44. Notes de bas de page