â « Voulez-vous nous rejouer ce Fox-blues, mademoiselle Morange ? » dit le maĂźtre de danse Ă la jeune femme assise au piano dans le petit salon dâhĂŽtel qui servait Ă cette leçon. « Et vous, mademoiselle Favy, » â il sâadressait Ă son Ă©lĂšve, â « nous reprenons ?⊠Plus vivement, cette fois. Rappelez-vous : Ne pas briser lâĂ©lan. La marche moins raide que dans le One Step. Des pas de cĂŽtĂ©, un en avant, lĂ©gĂšrement flĂ©chis, un peu Ă©lancĂ©s. Donner lâimpression dâun oiseau qui va sâenvoler. Ăa, câest bien, trĂšs bien. Ne pliez pas le genou⊠»
Et les deux jeunes gens glissaient, Ă©troitement enlacĂ©s, au rythme de la musique, â cette musique prĂ©cipitĂ©e et monotone, mĂ©lancolique et saccadĂ©e, qui caractĂ©rise les danses dâaujourdâhui. Depuis la guerre de 1914 et sa longue tragĂ©die, il y a de la frĂ©nĂ©sie et de la tristesse, Ă la fois, dans les moindres gestes dâune sociĂ©tĂ© trop profondĂ©ment Ă©branlĂ©e. MĂȘme ceux qui ne devraient, comme une sauterie dans un bal, nâĂȘtre quâun plaisir et quâune dĂ©tente, sont touchĂ©s de nĂ©vropathie. Un ruban, nouĂ© Ă la boutonniĂšre du veston ajustĂ© du maĂźtre de danse, attestait que, peu dâannĂ©es auparavant, â on Ă©tait en 1925, â il prenait part en effet Ă cette terrible guerre et sây distinguait. Ce martial Ă©pisode semblait bien absent de son visage, trĂšs viril certes dans sa joliesse, mais comment concilier de sanglants et sinistres souvenirs avec lâespĂšce de frivole ferveur quâil mettait Ă conduire les pas de son Ă©lĂšve : une jeune fille de vingt ans, souple, mince, et dont les traits dĂ©licats Ă©taient comme Ă©clairĂ©s par des prunelles bleues dâune intensitĂ© singuliĂšre ? Ce couple Ă©lĂ©gant, agile, uni dans un accord balancĂ© de tous les mouvements, allait et venait ainsi, dans le dĂ©cor banal et faussement stylisĂ© de ce salon dâun hĂŽtel de la Riviera, ouvert largement sur un lumineux et grandiose paysage.
La baie dâHyĂšres se dĂ©veloppait, encadrĂ©e dâun cĂŽtĂ© par le sombre massif des Maures, de lâautre par les montagnes de Toulon, et fermĂ©e par les Ăźles que les Grecs appelaient jadis les StĆchades, les « rangĂ©es en lignes ». Ă la pointe de lâune, celle de Porquerolles, surgissent les rĂ©cifs des MĂšdes, Mediae Rupes, â les Roches du Milieu. Ce nom justifiait celui de lâhĂŽtel, britanniquement et barbarement baptisĂ© MĂ©des-Palace. Il Ă©tait situĂ© sur une hauteur, Ă mi-chemin entre la ville dâHyĂšres et la riviĂšre du Gapeau.
Par ce clair et tiĂšde matin du mois de mars, cet immense horizon Ă©tait admirable de splendeur et de grĂące. Le sombre azur de la mer, doucement mariĂ© au bleu plus lĂ©ger du ciel, sâapercevait par delĂ le floconnement argentĂ© des vastes champs dâoliviers qui dĂ©valaient jusquâau rivage, et, tout prĂšs, câĂ©tait le jardin de lâhĂŽtel, fraĂźche oasis de palmiers et dâeucalyptus entre lesquels foisonnaient des roses et des mimosas en pleine floraison. Comme ce salon servait aux leçons du danseur professionnel de lâĂ©tablissement, le milieu en Ă©tait vide. Lâanglomanie qui avait prĂ©sidĂ© Ă lâappellation du Palace se reconnaissait Ă la forme des fauteuils et des chaises, Ă©videmment commandĂ©s outre-Manche et qui plaquaient leur massif acajou contre les murs, dĂ©corĂ©s eux-mĂȘmes de gravures anglaises. Il semblait paradoxal quâil y eĂ»t Ă cette minute, dans ce coin londonien, quatre personnes de nationalitĂ© française : Mlle Morange la pianiste, le maĂźtre de danse et son Ă©lĂšve, une femme plus ĂągĂ©e enfin, qui Ă©tait la mĂšre de la jeune fille. Leur seul aspect le disait assez et cette ressemblance des physiologies qui dĂ©cĂšle une analogie profonde des natures. Chez lâune et chez lâautre, une extrĂȘme sensibilitĂ© nerveuse se reconnaissait Ă vingt petits signes identiques : Ă la finesse des linĂ©aments du visage, Ă celle des pieds et des mains, Ă la mobilitĂ© tour Ă tour et Ă la fixitĂ© de la bouche et du regard, Ă la gracilitĂ© fragile de tout lâĂȘtre. Mais la flamme de la vie Ă©tait intacte chez la jeune fille. Autrement, se serait-elle prĂȘtĂ©e avec cette ardeur gaie Ă lâenfantin plaisir de cette leçon de danse ? Mme Favy, elle, donnait, au contraire, lâidĂ©e dâun organisme usĂ©, avec la pĂąleur de son visage amaigri tachĂ© de rouge aux pommettes. Son souffle, par moments si court, et la lĂ©gĂšre saillie de ses yeux trop brillants, comme il arrive dans certaines nĂ©vroses du cĆur, dĂ©nonçaient une maladie chronique, et aussi le lĂ©ger tremblement de ses doigts, aux ongles cyanosĂ©s, qui sâoccupaient en ce moment Ă tricoter une casaque de laine, destinĂ©e sans doute Ă quelque vente de charitĂ©. Ătendue parmi des coussins, sur une chaise longue en paille, apportĂ©e pour elle du jardin, elle relevait sans cesse la tĂȘte et abaissait son ouvrage, pour se caresser avec tendresse Ă la gracieuse vision de sa charmante enfant, naĂŻvement amusĂ©e de ces tournoiements et de ces pas rythmĂ©s sous la main conductrice du maĂźtre. La musicienne, elle aussi, regardait, dans la haute glace placĂ©e au-dessus du piano, lâimage mouvante du jeune couple, avec une tout autre expression dâamertume et de dĂ©plaisir. Elle Ă©tait jolie Ă©galement, mais son masque sans jeunesse, quoiquâelle eĂ»t Ă peine vingt-sept ans, disait la mĂ©lancolie dâune destinĂ©e sans horizon, emprisonnĂ©e dans des conditions trop dures. Elle tenait, au MĂšdes-Palace lâemploi de danseuse professionnelle. Sachant lâun et lâautre un peu de musique, elle et son camarade se rendaient le service de sâaccompagner dans leurs leçons, quand ils pouvaient, afin dâĂ©pargner Ă leurs Ă©lĂšves et de sâĂ©pargner lâassourdissement du gramophone.
â « Cette fois, » dit le maĂźtre de danse, le piano Ă peine arrĂȘtĂ©, « ça y est. Vous nâavez pas fait une faute, mademoiselle Favy. »
â « Savez-vous que nous avons joliment travaillĂ© ce matin, monsieur Neyrial ? » rĂ©pondit la jeune fille, en riant, « Scottish espagnole, Paso doble, Java, et, pour finir, Fox-blues, câest quatre danses que jâai bien dans les jambes maintenant. Je continue Ă prĂ©fĂ©rer le Tango. Ces airs espagnols sont si prenants ! On les sent passer dans ses gestes. Ce nâest pas comme la Samba. »
â « Moi non plus, » fit le jeune homme, « je ne lâaime pas beaucoup. TournĂ©e, pourtant, elle a son charme. SautĂ©e, elle devient trop vite excentrique. »
â « Ă la bonne heure, » dit Mme Favy, qui se relevait de sa chaise longue, aidĂ©e par sa fille. « VoilĂ ce que jâapprĂ©cie en vous, monsieur Neyrial. Vous gardez du goĂ»t dans ces danses modernes. Elles en manquent si facilement ! »
â « Câest que je considĂšre la danse comme un art⊠» rĂ©pondit vivement Neyrial. « La danse, câest le rythme, câest la mesure, câest la beautĂ© du mouvement, ce que mademoiselle vient de dire si justement, de la musique gesticulĂ©e. »
â « Quel dommage ! » repartit Mme Favy, « que tous vos confrĂšres ne pensent pas de mĂȘme ! Je vous avoue, quand RenĂ©e mâa demandĂ© Ă prendre des leçons avec vous, jâai eu un peu peur. Pensez donc. De mon temps, nous ne connaissions que le quadrille, la polka, la valse⊠»
â « Je vous lâai dit aussitĂŽt, maman, » interjeta la jeune fille, « quâavec M. Neyrial, ces danses dâaujourdâhui, qui vous dĂ©plaisent tant, sâennoblissaient, sâidĂ©alisaient⊠»
â « Jâaime mon art, mademoiselle, » fit Neyrial en reconduisant Mme Favy et son Ă©lĂšve jusquâĂ la porte, « et, ce que lâon aime vraiment, on le respecte. »
Les deux femmes Ă©taient Ă peine sorties de la piĂšce que la pianiste, Ă demi tournĂ©e sur son tabouret, disait, avec une ironie singuliĂšre, au jeune homme en train dâallumer une cigarette :
â « Vous nâavez pas honte de lui servir de ces boniments, Ă cette pauvre petite ? »
â « Quels boniments ? » rĂ©pondit-il.
â « Jâaime mon art⊠Tout ce quâon aime, on le respecte⊠»
Son accent se faisait de plus en plus railleur pour répéter les paroles de son camarade en contrefaisant son accent, et elle insistait :
â « Voyons. Nous nous sommes mis danseurs mondains, vous et moi, dans les hĂŽtels, parce que nous savions bien danser et que nous nâavions pas le sou. Vous en profitez pour avoir des histoires de femmes. Tant quâil sâagit de personnes qui ont de la dĂ©fense, rien Ă dire ; mais bourrer le crĂąne Ă une jeune fille, quand on ne peut pas lâĂ©pouser, ce nâest pas propre, et vous ne pouvez pas lâĂ©pouser. Jamais le colonel Favy, professeur Ă lâĂcole de guerre et qui sera demain gĂ©nĂ©ral, ne donnera sa fille Ă un danseur dâhĂŽtel. Il nâest venu ici que peur vingt-quatre heures. De le voir passer mâa suffi pour le juger. Ă vous aussi. Rappelez-vous. Il y avait un thĂ©-dansant ce soir-lĂ . La petite et sa mĂšre nâen manquent pas un. Ont-elles paru ? Non. Ă cause du pĂšre Ă©videmment⊠»
â « Vous voilĂ encore jalouse », dit Neyrial. « Vous nâen avez pourtant pas le droit. RĂ©pondez ai-je Ă©tĂ© loyal avec vous ? »
â « TrĂšs loyal, » fit-elle sur un ton de dĂ©pit qui ne sâaccordait que trop avec la subite contraction de son visage aigu.
â « Quand vous mâavez rapportĂ©, » continua Neyrial, « cette conversation, entendue par hasard, qui calomniait nos rapports, vous ai-je offert, oui ou non, de rompre mon engagement ici, et dâaller, Ă Tamaris, Ă lâEden oĂč jâavais, oĂč jâai encore une offre ? Vous mâavez priĂ© de rester, en me disant que votre sympathie pour moi vous rendrait cette sĂ©paration pĂ©nible. Vous mâavez, Ă ce propos, fait cette dĂ©claration trĂšs nette, je vous en ai estimĂ©e, quâune fille, dans votre profession, ne devait pas se laisser courtiser. Jâentends encore vos mots : le mariage ou rien. Nous avons convenu alors quâil nây aurait jamais entre nous quâune bonne et franche amitiĂ©. Il exclut la jalousie, ce pacte, et câest si propre, pour employer votre mot de tout Ă lâheure, une relation comme la nĂŽtre, ce compagnonnage de deux artistes qui aiment profondĂ©ment leur art⊠Vous allez encore parler de boniments⊠»
â « Dans ce moment-ci, non, » rĂ©pondit-elle. « Ăa nâempĂȘche pas que jâavais raison tout Ă lâheure, et vous le savez bien⊠Mais voilĂ miss Oliver qui vient pour sa leçon. »
â « Vous nâallez pas de nouveau ĂȘtre jalouse ? Sinon⊠»
Il avait jetĂ© cette phrase de taquinerie, en riant, cette fois, du rire dâun homme qui ne veut pas prendre au sĂ©rieux les sentimentalismes dâune femme quâil nâaime pas. Ce fut de nouveau dâun accent trĂšs sĂ©rieux que Mlle Morange lui rĂ©pondit :
â « Elle est bien belle, mais elle ne vous regarde pas comme lâautre, ni vous non plus⊠»
Une jeune fille entrait maintenant, qui offrait un type accompli de la beautĂ© anglaise grande, Ă©nergique, assouplie par le sport, son teint de rousse fouettĂ© par la brise de la mer. Ses cheveux coupĂ©s « Ă la Jeanne dâArc » ou « Ă la typhoĂŻde », comme disent indiffĂ©remment les coiffeurs dâaujourdâhui, lui donnaient un air garçonnier que son verbe haut et trop direct accusait encore. Sa jupe courte dĂ©couvrait des mollets vigoureux comme ceux dâun coureur, et son corsage, presque sans manches, des bras tannĂ©s par le soleil, dont un boxeur eĂ»t enviĂ© la musculature. Quel contraste avec la frĂȘle et mince Française qui sâessayait, dix minutes auparavant, Ă ce Fox-blues quâelle dansait si finement, et, tout de suite, lâarrivante dit avec un accent, qui rendait plus excentriques les termes dâargot quâelle croyait devoir employer pour « ĂȘtre Ă la page », â parlons comme elle :
â « Pas de Tango, nâest-ce pas, monsieur Neyrial. Câest moche, le Tango, vous ne trouvez pas ?⊠Un Two-steps dâabord, puis une Samba, mais sautĂ©e, pour gigolos tortillards. Que ce mot exprime bien la chose, pas ?⊠»
Et sâadressant Ă Mlle Morange qui attaquait le morceau demandĂ© :
â « Parfait, mademoiselle. Rien que cet air me donne des fourmis dans les pieds⊠»
Les doigts de la pianiste continuaient de courir sur les touches, et plus allĂšgrement, en effet, plus brutalement, comme gagnĂ©s par la vitalitĂ© de la jeune Anglaise. Celle-ci virevoltait aux bras de Neyrial, qui, lui aussi, avait changĂ©. Son allure, Ă prĂ©sent, se faisait aussi alerte, aussi trĂ©pidante quâelle Ă©tait rĂ©servĂ©e et mesurĂ©e tout Ă lâheure. Si la danse est un art, comme il disait, elle est Ă©galement un sport. Il y a de lâathlĂ©tisme dans le mĂ©tier de gymnaste que le jeune homme exerçait au bĂ©nĂ©fice de cet hĂŽtel, et câĂ©tait le sportsman qui dansait maintenant. Un tĂ©moin de deux leçons successives en fĂ»t demeurĂ© saisi. Ă la façon dont il enserrait le corps de cette crĂ©ature animalement robuste, Ă la pression de sa main appuyĂ©e sur cette taille presque carrĂ©e, il Ă©tait visible quâil se plaisait Ă partager sa fougue, comme tout Ă lâheure le nervosisme un peu miĂšvre de RenĂ©e Favy, et pas plus maintenant quâalors, il ne cessait de garder au fond des yeux un je ne sais quoi de distant, de lointain, comme sâil assistait aux divers Ă©pisodes de son Ă©trange vie, sans se donner tout Ă fait Ă chacun. Mais quâil sây prĂȘtait complaisamment ! Comme il semblait ne faire quâun avec sa vĂ©hĂ©mente partenaire, tandis quâils attaquaient tour Ă tour la Samba demandĂ©e aprĂšs le Two-steps, un Shimmy aprĂšs une Huppa-huppa, toujours plus fĂ©brilement, sans que lâAnglaise prononçùt dâautres paroles que des So nice et des Fascinating, jusquâĂ un moment oĂč lâapparition, sur le seuil de la porte, dâun jeune homme en vĂȘtements de tennis, une raquette Ă la main, la fit arrĂȘter son danseur !
â « Eh bien ! monsieur Favy », demanda-t-elle, « quel est le score ? »
â « Six deux, six quatre, » rĂ©pondit lâarrivant.
â « All right ! » fit-elle gaiement, â et serrant les mains alentour avec une Ă©nergie presque masculine : â « Merci, mademoiselle Morange. Merci, monsieur Neyrial. Je vous retrouve au Golf cet aprĂšs-midi, monsieur Favy ?⊠Je me sauve. Nous avons des personnes un peu formal au lunch. Il faut que je monte mâhabiller plus vieux jeu. »
Et, riant de toutes ses belles dents, elle sortit de la piĂšce, suivie de Mlle Morange, Ă qui la seule prĂ©sence du frĂšre de RenĂ©e avait rendu son expression mĂ©contente dâauparavant.
â « Ă deux heures, monsieur Neyrial, nâest-ce pas ? » avait-elle dit, en repliant sa musique et fermant le piano, « pour notre numĂ©ro. »
Pas un mot, pas un geste de tĂȘte Ă lâĂ©gard du nouveau venu, qui demanda, une fois les deux jeunes gens seuls :
â « Quâest-ce que peut avoir contre moi Mlle Morange ? Je suis toujours correct avec elle, et quand il nous arrive de danser ensemble, je sens son antipathie. Vous me lâavez dit un jour, je me rappelle, et câest si juste ça ne trompe pas, la danse. Rien ne rĂ©vĂšle davantage le caractĂšre des gens et ce quâils pensent les uns des autres. »
â « Elle est un peu sauvage, » rĂ©pondit Neyrial. « Elle nâest pas contente de sa vie. Ăa se comprend. Son pĂšre tenait un gros commerce. Il sâest ruinĂ©. On lâavait Ă©levĂ©e pour devenir une dame. Elle a besoin de gagner son pain, comme moi. Elle a pris le mĂ©tier quâelle a trouvĂ©. Il y a deux diffĂ©rences entre nous. Elle a sa mĂšre, Ă qui elle peut donner du bien-ĂȘtre, au lieu que moi, je nâai plus de famille. Et puis, jâaime mon mĂ©tier et elle subit le sien. Il est vrai que, pour une femme, ce mĂ©tier est moins amusant. Nous, les hommes, nous ne sommes guĂšre intĂ©ressants Ă Ă©tudier, tandis que chaque danseuse, câest un petit monde. »
â « Et quelquefois mieux⊠» rĂ©pondit Gilbert Favy, â et sur une protestation de lâautre : â « Mais oui, mais ouiâŠ, » insista-t-il, « joli garçon, comme vous ĂȘtes, distinguĂ©, vous devez en avoir eu des aventures !⊠Surtout quâune femme dans un hĂŽtel, câest libre. Le mari est loin. On ne se retrouvera pas. Donc, pas de chaĂźne. Le caprice, dans toute sa fantaisie et sa sĂ©curitĂ©. Il suffit de causer avec vous, deux ou trois fois, pour constater que vous nâĂȘtes pas bavard. »
â « Et câest pour cela que vous voudriez me faire parler ? Le futur diplomate sâexerce Ă son mĂ©tier, qui consiste Ă surprendre les secrets des autres, en flattant leur vanitĂ©. »
â « Vous dĂ©sirez bien tout de mĂȘme que lâon sache que vous ĂȘtes un monsieur et que votre famille ne vous destinait pas Ă enseigner la valse-hĂ©sitation dans les palaces ?⊠Mais, pardon, » â et il eut un geste caressant, â « me voilĂ en train de vous froisser, et, jugez si je suis un mauvais diplomate, au moment oĂč jâai un service Ă vous demander⊠»
â « JâespĂšre que ce nâest pas le mĂȘme que celui de lâautre jour ? »
« â Eh bien ! si, » rĂ©pondit Gilbert Favy.
Une expression dâanxiĂ©tĂ©, presque dâangoisse, contractait ses traits, tandis quâil continuait :
â « Vous ne savez pas ce que je traverse, depuis ces trois jours !⊠»
â « Vous avez encore jouĂ© ? » interrogea Neyrial. « JâespĂ©rais que non, en vous voyant passer ces derniĂšres soirĂ©es dans le hall, en compagnie de madame votre mĂšre et de Mlle RenĂ©e⊠»
â « Câest dimanche que ça mâest arrivĂ©.
JâĂ©tais allĂ© au Casino, pour le concert, simplement. Dâavoir dĂ» vous emprunter de lâargent, une fois dĂ©jĂ , mâavait Ă©tĂ© si pĂ©nible ! Ăa mâest si pĂ©nible, en ce moment, de vous parler comme je vous parle Un AmĂ©ricain tenait la banque et perdait tout ce quâil voulait. La tentation me prend. Je me rappelle ma chance de la semaine derniĂšre, qui mâa permis de vous rendre ce que je vous devais, aussitĂŽt⊠Je risque vingt francs dâabord⊠»
â « Et puis vingt autres, et puis cent, et câest vous qui perdez tout ce que vous ne voulez pas, » interromp...
