Le Danseur mondain
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Le Danseur mondain

About this book

Renée, tombe amoureuse de Neyrial, maßtre de danse dans un hÎtel de la Riviera, qui est également tres attiré par la jeune femme... Mais ce dernier a un passé suspect. Autrefois il était employé chez un avocat,lequel était aussi un bibliophile passionné, et il a volé quelques volumes en éditions rarissimes. Le vol étant découvert, Neyrial (de son vrai nom, Pierre-Stéphane Beurtin) a du partir...

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Information

Chapitre 1

– « Voulez-vous nous rejouer ce Fox-blues, mademoiselle Morange ? » dit le maĂźtre de danse Ă  la jeune femme assise au piano dans le petit salon d’hĂŽtel qui servait Ă  cette leçon. « Et vous, mademoiselle Favy, » – il s’adressait Ă  son Ă©lĂšve, – « nous reprenons ?
 Plus vivement, cette fois. Rappelez-vous : Ne pas briser l’élan. La marche moins raide que dans le One Step. Des pas de cĂŽtĂ©, un en avant, lĂ©gĂšrement flĂ©chis, un peu Ă©lancĂ©s. Donner l’impression d’un oiseau qui va s’envoler. Ça, c’est bien, trĂšs bien. Ne pliez pas le genou
 »
Et les deux jeunes gens glissaient, Ă©troitement enlacĂ©s, au rythme de la musique, – cette musique prĂ©cipitĂ©e et monotone, mĂ©lancolique et saccadĂ©e, qui caractĂ©rise les danses d’aujourd’hui. Depuis la guerre de 1914 et sa longue tragĂ©die, il y a de la frĂ©nĂ©sie et de la tristesse, Ă  la fois, dans les moindres gestes d’une sociĂ©tĂ© trop profondĂ©ment Ă©branlĂ©e. MĂȘme ceux qui ne devraient, comme une sauterie dans un bal, n’ĂȘtre qu’un plaisir et qu’une dĂ©tente, sont touchĂ©s de nĂ©vropathie. Un ruban, nouĂ© Ă  la boutonniĂšre du veston ajustĂ© du maĂźtre de danse, attestait que, peu d’annĂ©es auparavant, – on Ă©tait en 1925, – il prenait part en effet Ă  cette terrible guerre et s’y distinguait. Ce martial Ă©pisode semblait bien absent de son visage, trĂšs viril certes dans sa joliesse, mais comment concilier de sanglants et sinistres souvenirs avec l’espĂšce de frivole ferveur qu’il mettait Ă  conduire les pas de son Ă©lĂšve : une jeune fille de vingt ans, souple, mince, et dont les traits dĂ©licats Ă©taient comme Ă©clairĂ©s par des prunelles bleues d’une intensitĂ© singuliĂšre ? Ce couple Ă©lĂ©gant, agile, uni dans un accord balancĂ© de tous les mouvements, allait et venait ainsi, dans le dĂ©cor banal et faussement stylisĂ© de ce salon d’un hĂŽtel de la Riviera, ouvert largement sur un lumineux et grandiose paysage.
La baie d’HyĂšres se dĂ©veloppait, encadrĂ©e d’un cĂŽtĂ© par le sombre massif des Maures, de l’autre par les montagnes de Toulon, et fermĂ©e par les Ăźles que les Grecs appelaient jadis les StƓchades, les « rangĂ©es en lignes ». À la pointe de l’une, celle de Porquerolles, surgissent les rĂ©cifs des MĂšdes, Mediae Rupes, – les Roches du Milieu. Ce nom justifiait celui de l’hĂŽtel, britanniquement et barbarement baptisĂ© MĂ©des-Palace. Il Ă©tait situĂ© sur une hauteur, Ă  mi-chemin entre la ville d’HyĂšres et la riviĂšre du Gapeau.
Par ce clair et tiĂšde matin du mois de mars, cet immense horizon Ă©tait admirable de splendeur et de grĂące. Le sombre azur de la mer, doucement mariĂ© au bleu plus lĂ©ger du ciel, s’apercevait par delĂ  le floconnement argentĂ© des vastes champs d’oliviers qui dĂ©valaient jusqu’au rivage, et, tout prĂšs, c’était le jardin de l’hĂŽtel, fraĂźche oasis de palmiers et d’eucalyptus entre lesquels foisonnaient des roses et des mimosas en pleine floraison. Comme ce salon servait aux leçons du danseur professionnel de l’établissement, le milieu en Ă©tait vide. L’anglomanie qui avait prĂ©sidĂ© Ă  l’appellation du Palace se reconnaissait Ă  la forme des fauteuils et des chaises, Ă©videmment commandĂ©s outre-Manche et qui plaquaient leur massif acajou contre les murs, dĂ©corĂ©s eux-mĂȘmes de gravures anglaises. Il semblait paradoxal qu’il y eĂ»t Ă  cette minute, dans ce coin londonien, quatre personnes de nationalitĂ© française : Mlle Morange la pianiste, le maĂźtre de danse et son Ă©lĂšve, une femme plus ĂągĂ©e enfin, qui Ă©tait la mĂšre de la jeune fille. Leur seul aspect le disait assez et cette ressemblance des physiologies qui dĂ©cĂšle une analogie profonde des natures. Chez l’une et chez l’autre, une extrĂȘme sensibilitĂ© nerveuse se reconnaissait Ă  vingt petits signes identiques : Ă  la finesse des linĂ©aments du visage, Ă  celle des pieds et des mains, Ă  la mobilitĂ© tour Ă  tour et Ă  la fixitĂ© de la bouche et du regard, Ă  la gracilitĂ© fragile de tout l’ĂȘtre. Mais la flamme de la vie Ă©tait intacte chez la jeune fille. Autrement, se serait-elle prĂȘtĂ©e avec cette ardeur gaie Ă  l’enfantin plaisir de cette leçon de danse ? Mme Favy, elle, donnait, au contraire, l’idĂ©e d’un organisme usĂ©, avec la pĂąleur de son visage amaigri tachĂ© de rouge aux pommettes. Son souffle, par moments si court, et la lĂ©gĂšre saillie de ses yeux trop brillants, comme il arrive dans certaines nĂ©vroses du cƓur, dĂ©nonçaient une maladie chronique, et aussi le lĂ©ger tremblement de ses doigts, aux ongles cyanosĂ©s, qui s’occupaient en ce moment Ă  tricoter une casaque de laine, destinĂ©e sans doute Ă  quelque vente de charitĂ©. Étendue parmi des coussins, sur une chaise longue en paille, apportĂ©e pour elle du jardin, elle relevait sans cesse la tĂȘte et abaissait son ouvrage, pour se caresser avec tendresse Ă  la gracieuse vision de sa charmante enfant, naĂŻvement amusĂ©e de ces tournoiements et de ces pas rythmĂ©s sous la main conductrice du maĂźtre. La musicienne, elle aussi, regardait, dans la haute glace placĂ©e au-dessus du piano, l’image mouvante du jeune couple, avec une tout autre expression d’amertume et de dĂ©plaisir. Elle Ă©tait jolie Ă©galement, mais son masque sans jeunesse, quoiqu’elle eĂ»t Ă  peine vingt-sept ans, disait la mĂ©lancolie d’une destinĂ©e sans horizon, emprisonnĂ©e dans des conditions trop dures. Elle tenait, au MĂšdes-Palace l’emploi de danseuse professionnelle. Sachant l’un et l’autre un peu de musique, elle et son camarade se rendaient le service de s’accompagner dans leurs leçons, quand ils pouvaient, afin d’épargner Ă  leurs Ă©lĂšves et de s’épargner l’assourdissement du gramophone.
– « Cette fois, » dit le maĂźtre de danse, le piano Ă  peine arrĂȘtĂ©, « ça y est. Vous n’avez pas fait une faute, mademoiselle Favy. »
– « Savez-vous que nous avons joliment travaillĂ© ce matin, monsieur Neyrial ? » rĂ©pondit la jeune fille, en riant, « Scottish espagnole, Paso doble, Java, et, pour finir, Fox-blues, c’est quatre danses que j’ai bien dans les jambes maintenant. Je continue Ă  prĂ©fĂ©rer le Tango. Ces airs espagnols sont si prenants ! On les sent passer dans ses gestes. Ce n’est pas comme la Samba. »
– « Moi non plus, » fit le jeune homme, « je ne l’aime pas beaucoup. TournĂ©e, pourtant, elle a son charme. SautĂ©e, elle devient trop vite excentrique. »
– « À la bonne heure, » dit Mme Favy, qui se relevait de sa chaise longue, aidĂ©e par sa fille. « VoilĂ  ce que j’apprĂ©cie en vous, monsieur Neyrial. Vous gardez du goĂ»t dans ces danses modernes. Elles en manquent si facilement ! »
– « C’est que je considĂšre la danse comme un art
 » rĂ©pondit vivement Neyrial. « La danse, c’est le rythme, c’est la mesure, c’est la beautĂ© du mouvement, ce que mademoiselle vient de dire si justement, de la musique gesticulĂ©e. »
– « Quel dommage ! » repartit Mme Favy, « que tous vos confrĂšres ne pensent pas de mĂȘme ! Je vous avoue, quand RenĂ©e m’a demandĂ© Ă  prendre des leçons avec vous, j’ai eu un peu peur. Pensez donc. De mon temps, nous ne connaissions que le quadrille, la polka, la valse
 »
– « Je vous l’ai dit aussitĂŽt, maman, » interjeta la jeune fille, « qu’avec M. Neyrial, ces danses d’aujourd’hui, qui vous dĂ©plaisent tant, s’ennoblissaient, s’idĂ©alisaient
 »
– « J’aime mon art, mademoiselle, » fit Neyrial en reconduisant Mme Favy et son Ă©lĂšve jusqu’à la porte, « et, ce que l’on aime vraiment, on le respecte. »
Les deux femmes Ă©taient Ă  peine sorties de la piĂšce que la pianiste, Ă  demi tournĂ©e sur son tabouret, disait, avec une ironie singuliĂšre, au jeune homme en train d’allumer une cigarette :
– « Vous n’avez pas honte de lui servir de ces boniments, Ă  cette pauvre petite ? »
– « Quels boniments ? » rĂ©pondit-il.
– « J’aime mon art
 Tout ce qu’on aime, on le respecte
 »
Son accent se faisait de plus en plus railleur pour répéter les paroles de son camarade en contrefaisant son accent, et elle insistait :
– « Voyons. Nous nous sommes mis danseurs mondains, vous et moi, dans les hĂŽtels, parce que nous savions bien danser et que nous n’avions pas le sou. Vous en profitez pour avoir des histoires de femmes. Tant qu’il s’agit de personnes qui ont de la dĂ©fense, rien Ă  dire ; mais bourrer le crĂąne Ă  une jeune fille, quand on ne peut pas l’épouser, ce n’est pas propre, et vous ne pouvez pas l’épouser. Jamais le colonel Favy, professeur Ă  l’École de guerre et qui sera demain gĂ©nĂ©ral, ne donnera sa fille Ă  un danseur d’hĂŽtel. Il n’est venu ici que peur vingt-quatre heures. De le voir passer m’a suffi pour le juger. À vous aussi. Rappelez-vous. Il y avait un thĂ©-dansant ce soir-lĂ . La petite et sa mĂšre n’en manquent pas un. Ont-elles paru ? Non. À cause du pĂšre Ă©videmment
 »
– « Vous voilĂ  encore jalouse », dit Neyrial. « Vous n’en avez pourtant pas le droit. RĂ©pondez ai-je Ă©tĂ© loyal avec vous ? »
– « TrĂšs loyal, » fit-elle sur un ton de dĂ©pit qui ne s’accordait que trop avec la subite contraction de son visage aigu.
– « Quand vous m’avez rapportĂ©, » continua Neyrial, « cette conversation, entendue par hasard, qui calomniait nos rapports, vous ai-je offert, oui ou non, de rompre mon engagement ici, et d’aller, Ă  Tamaris, Ă  l’Eden oĂč j’avais, oĂč j’ai encore une offre ? Vous m’avez priĂ© de rester, en me disant que votre sympathie pour moi vous rendrait cette sĂ©paration pĂ©nible. Vous m’avez, Ă  ce propos, fait cette dĂ©claration trĂšs nette, je vous en ai estimĂ©e, qu’une fille, dans votre profession, ne devait pas se laisser courtiser. J’entends encore vos mots : le mariage ou rien. Nous avons convenu alors qu’il n’y aurait jamais entre nous qu’une bonne et franche amitiĂ©. Il exclut la jalousie, ce pacte, et c’est si propre, pour employer votre mot de tout Ă  l’heure, une relation comme la nĂŽtre, ce compagnonnage de deux artistes qui aiment profondĂ©ment leur art
 Vous allez encore parler de boniments
 »
– « Dans ce moment-ci, non, » rĂ©pondit-elle. « Ça n’empĂȘche pas que j’avais raison tout Ă  l’heure, et vous le savez bien
 Mais voilĂ  miss Oliver qui vient pour sa leçon. »
– « Vous n’allez pas de nouveau ĂȘtre jalouse ? Sinon
 »
Il avait jetĂ© cette phrase de taquinerie, en riant, cette fois, du rire d’un homme qui ne veut pas prendre au sĂ©rieux les sentimentalismes d’une femme qu’il n’aime pas. Ce fut de nouveau d’un accent trĂšs sĂ©rieux que Mlle Morange lui rĂ©pondit :
– « Elle est bien belle, mais elle ne vous regarde pas comme l’autre, ni vous non plus
 »
Une jeune fille entrait maintenant, qui offrait un type accompli de la beautĂ© anglaise grande, Ă©nergique, assouplie par le sport, son teint de rousse fouettĂ© par la brise de la mer. Ses cheveux coupĂ©s « Ă  la Jeanne d’Arc » ou « Ă  la typhoĂŻde », comme disent indiffĂ©remment les coiffeurs d’aujourd’hui, lui donnaient un air garçonnier que son verbe haut et trop direct accusait encore. Sa jupe courte dĂ©couvrait des mollets vigoureux comme ceux d’un coureur, et son corsage, presque sans manches, des bras tannĂ©s par le soleil, dont un boxeur eĂ»t enviĂ© la musculature. Quel contraste avec la frĂȘle et mince Française qui s’essayait, dix minutes auparavant, Ă  ce Fox-blues qu’elle dansait si finement, et, tout de suite, l’arrivante dit avec un accent, qui rendait plus excentriques les termes d’argot qu’elle croyait devoir employer pour « ĂȘtre Ă  la page », – parlons comme elle :
– « Pas de Tango, n’est-ce pas, monsieur Neyrial. C’est moche, le Tango, vous ne trouvez pas ?
 Un Two-steps d’abord, puis une Samba, mais sautĂ©e, pour gigolos tortillards. Que ce mot exprime bien la chose, pas ?
 »
Et s’adressant Ă  Mlle Morange qui attaquait le morceau demandĂ© :
– « Parfait, mademoiselle. Rien que cet air me donne des fourmis dans les pieds
 »
Les doigts de la pianiste continuaient de courir sur les touches, et plus allĂšgrement, en effet, plus brutalement, comme gagnĂ©s par la vitalitĂ© de la jeune Anglaise. Celle-ci virevoltait aux bras de Neyrial, qui, lui aussi, avait changĂ©. Son allure, Ă  prĂ©sent, se faisait aussi alerte, aussi trĂ©pidante qu’elle Ă©tait rĂ©servĂ©e et mesurĂ©e tout Ă  l’heure. Si la danse est un art, comme il disait, elle est Ă©galement un sport. Il y a de l’athlĂ©tisme dans le mĂ©tier de gymnaste que le jeune homme exerçait au bĂ©nĂ©fice de cet hĂŽtel, et c’était le sportsman qui dansait maintenant. Un tĂ©moin de deux leçons successives en fĂ»t demeurĂ© saisi. À la façon dont il enserrait le corps de cette crĂ©ature animalement robuste, Ă  la pression de sa main appuyĂ©e sur cette taille presque carrĂ©e, il Ă©tait visible qu’il se plaisait Ă  partager sa fougue, comme tout Ă  l’heure le nervosisme un peu miĂšvre de RenĂ©e Favy, et pas plus maintenant qu’alors, il ne cessait de garder au fond des yeux un je ne sais quoi de distant, de lointain, comme s’il assistait aux divers Ă©pisodes de son Ă©trange vie, sans se donner tout Ă  fait Ă  chacun. Mais qu’il s’y prĂȘtait complaisamment ! Comme il semblait ne faire qu’un avec sa vĂ©hĂ©mente partenaire, tandis qu’ils attaquaient tour Ă  tour la Samba demandĂ©e aprĂšs le Two-steps, un Shimmy aprĂšs une Huppa-huppa, toujours plus fĂ©brilement, sans que l’Anglaise prononçùt d’autres paroles que des So nice et des Fascinating, jusqu’à un moment oĂč l’apparition, sur le seuil de la porte, d’un jeune homme en vĂȘtements de tennis, une raquette Ă  la main, la fit arrĂȘter son danseur !
– « Eh bien ! monsieur Favy », demanda-t-elle, « quel est le score ? »
– « Six deux, six quatre, » rĂ©pondit l’arrivant.
– « All right ! » fit-elle gaiement, – et serrant les mains alentour avec une Ă©nergie presque masculine : – « Merci, mademoiselle Morange. Merci, monsieur Neyrial. Je vous retrouve au Golf cet aprĂšs-midi, monsieur Favy ?
 Je me sauve. Nous avons des personnes un peu formal au lunch. Il faut que je monte m’habiller plus vieux jeu. »
Et, riant de toutes ses belles dents, elle sortit de la piĂšce, suivie de Mlle Morange, Ă  qui la seule prĂ©sence du frĂšre de RenĂ©e avait rendu son expression mĂ©contente d’auparavant.
– « À deux heures, monsieur Neyrial, n’est-ce pas ? » avait-elle dit, en repliant sa musique et fermant le piano, « pour notre numĂ©ro. »
Pas un mot, pas un geste de tĂȘte Ă  l’égard du nouveau venu, qui demanda, une fois les deux jeunes gens seuls :
– « Qu’est-ce que peut avoir contre moi Mlle Morange ? Je suis toujours correct avec elle, et quand il nous arrive de danser ensemble, je sens son antipathie. Vous me l’avez dit un jour, je me rappelle, et c’est si juste ça ne trompe pas, la danse. Rien ne rĂ©vĂšle davantage le caractĂšre des gens et ce qu’ils pensent les uns des autres. »
– « Elle est un peu sauvage, » rĂ©pondit Neyrial. « Elle n’est pas contente de sa vie. Ça se comprend. Son pĂšre tenait un gros commerce. Il s’est ruinĂ©. On l’avait Ă©levĂ©e pour devenir une dame. Elle a besoin de gagner son pain, comme moi. Elle a pris le mĂ©tier qu’elle a trouvĂ©. Il y a deux diffĂ©rences entre nous. Elle a sa mĂšre, Ă  qui elle peut donner du bien-ĂȘtre, au lieu que moi, je n’ai plus de famille. Et puis, j’aime mon mĂ©tier et elle subit le sien. Il est vrai que, pour une femme, ce mĂ©tier est moins amusant. Nous, les hommes, nous ne sommes guĂšre intĂ©ressants Ă  Ă©tudier, tandis que chaque danseuse, c’est un petit monde. »
– « Et quelquefois mieux
 » rĂ©pondit Gilbert Favy, – et sur une protestation de l’autre : – « Mais oui, mais oui
, » insista-t-il, « joli garçon, comme vous ĂȘtes, distinguĂ©, vous devez en avoir eu des aventures !
 Surtout qu’une femme dans un hĂŽtel, c’est libre. Le mari est loin. On ne se retrouvera pas. Donc, pas de chaĂźne. Le caprice, dans toute sa fantaisie et sa sĂ©curitĂ©. Il suffit de causer avec vous, deux ou trois fois, pour constater que vous n’ĂȘtes pas bavard. »
– « Et c’est pour cela que vous voudriez me faire parler ? Le futur diplomate s’exerce Ă  son mĂ©tier, qui consiste Ă  surprendre les secrets des autres, en flattant leur vanitĂ©. »
– « Vous dĂ©sirez bien tout de mĂȘme que l’on sache que vous ĂȘtes un monsieur et que votre famille ne vous destinait pas Ă  enseigner la valse-hĂ©sitation dans les palaces ?
 Mais, pardon, » – et il eut un geste caressant, – « me voilĂ  en train de vous froisser, et, jugez si je suis un mauvais diplomate, au moment oĂč j’ai un service Ă  vous demander
 »
– « J’espĂšre que ce n’est pas le mĂȘme que celui de l’autre jour ? »
« – Eh bien ! si, » rĂ©pondit Gilbert Favy.
Une expression d’anxiĂ©tĂ©, presque d’angoisse, contractait ses traits, tandis qu’il continuait :
– « Vous ne savez pas ce que je traverse, depuis ces trois jours !
 »
– « Vous avez encore jouĂ© ? » interrogea Neyrial. « J’espĂ©rais que non, en vous voyant passer ces derniĂšres soirĂ©es dans le hall, en compagnie de madame votre mĂšre et de Mlle RenĂ©e
 »
– « C’est dimanche que ça m’est arrivĂ©.
J’étais allĂ© au Casino, pour le concert, simplement. D’avoir dĂ» vous emprunter de l’argent, une fois dĂ©jĂ , m’avait Ă©tĂ© si pĂ©nible ! Ça m’est si pĂ©nible, en ce moment, de vous parler comme je vous parle Un AmĂ©ricain tenait la banque et perdait tout ce qu’il voulait. La tentation me prend. Je me rappelle ma chance de la semaine derniĂšre, qui m’a permis de vous rendre ce que je vous devais, aussitĂŽt
 Je risque vingt francs d’abord
 »
– « Et puis vingt autres, et puis cent, et c’est vous qui perdez tout ce que vous ne voulez pas, » interromp...

Table of contents

  1. Titre
  2. Chapitre 1
  3. Chapitre 2
  4. Chapitre 3
  5. Chapitre 4
  6. Chapitre 5
  7. Chapitre 6
  8. Chapitre 7
  9. Chapitre 8
  10. Chapitre 9
  11. Chapitre 10
  12. Chapitre 11
  13. Chapitre 12
  14. Notes de bas de page