La Barriere
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Le roman présente a la fois le cheminement d'un jeune aristocrate anglais qui se convertit au catholicisme et le rôle de la foi dans la formation d'un couple. Il s'agit donc des barrieres dressées par la foi, entre le croyant et son milieu ou son (futur) conjoint.

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Information

DEUXIÈME PARTIE

– Vous préviendrez madame, dès qu’elle sera rentrée, que je l’attends ici, dans mon cabinet de travail.
– Bien, monsieur.
– Je n’y suis pour personne.
M. Victor Limerel avait, en ce moment, sa physionomie normale d’homme d’affaires, laquelle différait sensiblement du masque de l’homme du monde. Sa formidable mâchoire de bouledogue portait en avant la lèvre inférieure et les incisives d’en bas, qu’on voyait, quand il parlait, solides, et blanches ; elle creusait, en se déplaçant, deux dépressions à la naissance des tempes qui étaient dégarnies ; elle constituait le trait maître de ce visage, auquel elle donnait une expression de force, d’insolence et d’opiniâtreté. Dans le monde, elle rentrait un peu ; M. Victor Limerel surveillait cette terrible charpente mobile. Les yeux s’harmonisaient avec elle ; ils étaient légèrement sortis de l’orbite, vifs, sombres, dominés par l’arc très épais des sourcils, qui se rencontraient à la naissance du nez, s’y heurtaient, et se redressaient en épi. Cet homme de cinquante ans passés, s’il avait des cheveux de moins, n’avait pas un poil blanc. Sa moustache, tombant au coin des lèvres, courte et fournie, était d’un noir nuancé de jaune par le cigare. Il avait peu de cou, les épaules larges, puis le buste s’amincissait, et les jambes, nerveuses, portaient allègrement ce corps mal fait. Le Tout Paris de l’industrie et de la finance connaissait la « Société française des filatures de laine », qui avait deux usines principales, à Lille et à Mazamet ; on la savait prospère ; on rendait justice aux rares qualités de son fondateur et président. Grand travailleur, M. Victor Limerel l’était à sa manière, qui est celle des créateurs de tout ordre : il voyait une affaire en un instant, comme s’il avait pu en faire le tour ; il jugeait de même les hommes, donnait des ordres précis, ne se reprenait jamais ; il possédait un pouvoir de combiner, de prévoir, de se souvenir, qui eût fatigué une demi-douzaine de têtes ordinaires. La sienne résistait. Elle demeurait parfaitement libre et aisée. Sorti de ses bureaux et de ses salles de conseil, dans les salons, dans la rue, au théâtre, il semblait avoir oublié, il oubliait les affaires, et défendait qu’il en fût question devant lui, mais, du même coup, il devenait banal. Il parlait bien, jamais de source. Sa conversation était faite de coupures de journaux et de réminiscences de dialogues entendus. Si on le contredisait, il affirmait plus nettement, pourvu qu’il vît quelque intérêt à soutenir son opinion. Et alors, il avait beau sourire, simuler l’empressement, l’ardente curiosité des arguments de l’adversaire, plusieurs signes, sa mâchoire avancée, ses doigts qui remuaient nerveusement, ses sourcils rapprochés, le son de sa voix, le battement et le relief des veines de ses tempes, disaient l’âpre volonté de l’homme, l’orgueil d’un succès constant, l’expérience de l’immense faiblesse des caractères. Mais, s’il avait des avis cassants, ce n’était que sur un petit nombre de sujets, et lorsque sa personne, ses goûts, sa famille, paraissaient être en jeu. Sur beaucoup d’autres questions, et des plus graves, ou des plus hautes, on était surpris de le voir, au contraire, abandonner son avis à la première objection, adopter le sentiment opposé, et s’en faire un mérite, car il appelait cela sa large tolérance. Quelques-unes de ses relations, dans le monde politique, s’expliquaient et duraient grâce à cette facilité de compromission. On le sentait indifférent à l’essentiel, ombrageux et jaloux seulement dans les questions personnelles. Beaucoup d’esprits dominateurs sont ainsi, tyrans partiels, et, pour le reste, d’une faiblesse qui est due à l’absence de passion. M. Victor Limerel avait toujours refusé de se présenter à la députation. Il passait pour conservateur, on ne sait pourquoi, mais ceux qu’il nommait ses adversaires ne s’y trompaient pas, reconnaissant, dans les critiques qu’il leur adressait, l’humeur alarmée d’un homme riche plutôt que l’opposition d’une conscience. Sa femme avait, d’ailleurs, l’ordre formel de ne négliger aucune relation, et elle observait la consigne, voyant et recevant tous ceux ou toutes celles qui pouvaient servir, de près ou de loin, – de très loin souvent, – l’une des deux ambitions de son mari : être promu officier de la Légion d’honneur, entrer dans le Conseil d’administration du Canal de Suez.
Mademoiselle Elsa Pommeau, fille de banquier, qu’il avait épousée toute jeune, lui avait apporté 45.000 livres de rente, de superbes cheveux, des épaules à l’abri du temps, et un sourire qui venait au commandement, toujours le même. Elle n’était pas nulle, surtout elle n’était pas mauvaise ; elle manquait presque entièrement de personnalité. Vingt années de visites, de dîners et soirées, l’avaient complètement farcie d’idées, d’admirations, de préjugés, de pudeurs, de formules, de goûts qui étaient ceux de son monde. Elle répétait des médisances, et elle était sans méchanceté ; elle dépensait beaucoup d’argent et de ruses mondaines pour garder un peu de fraîcheur, de brillant, d’entrain, pour compter dans l’arrière-garde des jolies femmes, et elle n’était pas coquette. Ses amies disaient : « La correcte Limerel », et elles l’aimaient toutes. Qu’elle parlât avec l’une ou avec l’autre, elle n’était pas différente, et la longueur des bavardages en faisait toute l’intimité. Madame Victor Limerel avait entendu parler trop de femmes et trop d’hommes pour qu’une sottise, un peu plus grosse que de coutume, la scandalisât. Les formes seules, quand elles étaient brutales, la choquaient. Cependant, tout opprimée qu’elle fût par son mari et par le monde, quelque chose d’elle-même, de la femme qu’elle aurait pu être, bonne, tendre et enthousiaste, subsistait, et vivait en dessous, pauvrement. Lorsqu’elle était seule, avec son mari ou son fils, il lui arrivait d’être elle-même, de penser ou de parler selon des préférences qui étaient des débris de principes et des épaves de conscience. Elle usait de phrases vagues, toujours les mêmes. Elle disait : « Je crois que vous vous trompez… Vous allez trop loin. Je n’ai pas été élevée dans ces idées-là… Non, je n’admets pas cela… Faites ce que vous voudrez, moi, je ne partage pas votre sentiment, je m’abstiens. » L’abstention était le plus grand effort de son courage. Dans les églises où elle entrait quelquefois pour attendre que l’heure sonnât d’un rendez-vous de couturière ou d’amie, elle s’inclinait profondément, et immobile, cachée sous son chapeau, elle soupirait, elle formait quelques résolutions, recommandait à Dieu les êtres qu’elle aimait, son fils surtout, un examen, un projet de mariage, une amie malade ou ruinée. Ceux qui la voyaient ainsi la jugeaient pieuse, et elle n’eût pas protesté, si on eût dit devant elle : « Vous qui êtes si pieuse, ma chère… » Elle avait la bonne foi de l’énorme ignorance.
Telle était la compagne dont M. Limerel administrait souverainement la fortune, les démarches, les conversations et la plupart des pensées. Elle redoutait la forte voix de son mari, son assurance, ses arguments, ses citations, ses objurgations, ses plaisanteries, son mépris, et, quand elle ne cédait pas, ses colères. Elle le trouvait tyrannique, et elle l’aimait. Sa timidité, l’habitude et un peu d’admiration, la faisaient céder très vite, et aisément, et sans regret. Elle n’était pas toujours convaincue, mais puisque M. Victor Limerel commandait, ne fallait-il pas obéir, maintenir la paix, au prix d’un sacrifice ? D’autres sacrifient leur plaisir ; elle sacrifiait quelques opinions, mais avec l’espérance de les voir triompher une autre fois, à la conservation du ménage.
Rien ne lui avait plus coûté que de voir avec quelle méconnaissance de l’autorité maternelle, sans l’avoir d’abord consultée, son mari avait pris des renseignements, fait des avances, engagé des pourparlers pour le mariage de Félicien. M. Limerel considérait cette négociation comme une affaire de premier ordre, et par conséquent, dans son esprit, réservée à lui seul. Le mariage de Félicien pouvait et devait favoriser cette ascension que M. Limerel appelait familiale parce qu’elle servait le chef de la famille. Celui-ci avait discerné, parmi les jeunes filles dont le père était influent, mademoiselle Tourette, et il avait dit à Félicien : « Je la trouve charmante. » Il aurait pu lui dire : « Je trouve que le père est très en vue. Le baron Tourette, dans les affaires, est une force. Épouse la fille. Tu me rendras service. Elle est, d’ailleurs, fort bien. » Il ne se trompait sur aucun des deux points. Mais sur un autre, qu’il n’avait prévu, il s’était trompé. Dans son calcul, il oubliait de faire entrer un élément important. Mademoiselle Tourette était une jolie fille, riche et bien apparentée, mais Félicien refusait de se laisser dicter un choix ; il priait qu’on attendit, avant de faire la moindre démarche, qu’il fût décidé à se marier. « Timidité, avait répondu M. Limerel ; crainte de ne pas plaire, je te connais, mon ami ; laisse-moi seulement te présenter : je crois être sûr de sa réponse à elle ; je suis sûr de ta réponse à toi. La petite est exquise. » De guerre lasse, Félicien avait dit : « J’irai. C’est bien. »
Et en effet, les négociations, menées discrètement, entre M. Limerel et la baronne Tourette, avaient abouti à cet accord : « Marguerite ne saura rien ; nous irons faire un tour au Salon ; à trois heures, exactement, nous serons devant la grande machine de Wambez, vous vous rappelez, où les professeurs de la Sorbonne sont représentés, faisant des effets de robe sur un escalier… Vous nous rencontrerez. Je ne sais pas si je m’abuse ; mais le voisinage de ces portraits de vieux messieurs ne doit pas nuire à Marguerite. La chère petite aura tout le loisir de causer avec votre fils, et c’est ce qu’il faut, n’est-ce pas, puisque nous pouvons faire l’occasion, mais non la sympathie. – Évidemment. – Vous y serez ? – Trois heures précises, madame. Et la suite est aisée à prévoir. »
M. Victor Limerel venait précisément d’assister à cette entrevue. Il avait tenu à aller seul avec Félicien. « Vous compromettriez tout, ma chère ; vous auriez de l’émotion sur les joues, dans la voix. Je vous reviendrai avec le vainqueur, et vous n’aurez pas de regret, quand l’affaire aura réussi, de m’avoir écouté. » Elle devait ne jamais avoir de place dans les succès diplomatiques de M. Limerel. L’habitude était prise. Il revenait donc, et, ne trouvant pas sa femme, il s’impatientait. Deux fois, il avait cru entendre le bruit de l’ascenseur s’arrêtant au premier ; deux fois, dans le cabinet de travail, tendu d’étoffe claire et qui n’avait qu’une tache sombre, la réduction en bronze du Penseroso avec plaque de cuivre et inscription : « Donné par les ouvriers des usines, » – il s’était levé, appuyé sur le coin de cuivre de la table, prêt à dire : « Ah ! vous voilà enfin ! Ce n’est pas trop tôt ! »
Le choc de l’ascenseur ébranla réellement le parquet. La belle madame Limerel, quelques secondes après, – elle avait couru, – entr’ouvrit la porte, et, avant même d’entrer :
– Eh bien ? Et mon fils ?
Elle avait jeté si vite, d’un ton si angoissé, ce cri maternel, que M. Limerel en fut ému, au point d’oublier le reproche tout préparé, et qu’il dit, levant les bras :
– Manquée, l’entrevue ! Entièrement manquée ! Et par votre faute !
– Je le pense bien. Tant que je vivrai, toutes les fautes sont à moi. Cependant, je n’y étais pas et vous y étiez. Mais peu importe… Racontez-moi d’abord… Où les avez-vous vus ?… Mon pauvre Félicien !… Comme il doit souffrir !… C’est cette péronnelle qui n’a pas voulu de lui ?
– Mais non, ma chère, c’est lui, c’est lui ! Comment pouvez-vous supposer ? Ah ! je vous reconnais bien là : un échec vous enlève tout jugement !
– Mais racontez donc ! Racontez ! Vous voyez que je ne puis pas supporter le retard. Où étiez-vous ?
– Tournant le dos au tableau de ce peintre, vous savez bien, la Sorbonne, dans la grande galerie. J’avais l’air de m’intéresser à une mer démontée, qui se trouvait là ; mais, du coin de l’œil, en expliquant à Félicien mon admiration qu’il ne partageait pas, je guettais. À trois heures quatre, les Tourette surgissent du grand escalier, au complet. Ils viennent. Ils vont passer tout près de nous. Je me rapproche encore de l’entrée, les mains au-dessus des yeux, de l’air d’un homme qui veut éviter un faux jour. Ils nous aperçoivent : « C’est vous, mon cher Limerel ? Quelle bonne surprise !… »
– Comment disait-il cela ?
– Essoufflé, mais très courtois, cordial même. Je suis sûr qu’il désirait ce mariage-là. Un air qui ne trompe pas. J’ai l’habitude des hommes.
– La mère ?
– Très digne toujours. Mais elle était venue, malgré la migraine.
– Et mademoiselle Marguerite ?
– La plus jolie Parisienne de toutes celles qui étaient là, vivantes ou dans les cadres d’or, un Greuze coiffé à la mousquetaire, un petit nez relevé, sablé d’un peu de rousseur, des lèvres spirituelles et éclatantes, des yeux vifs sous des paupières langoureuses : vous la connaissez. Elle savait tout. Pas une émotion. Elle est très forte. Tout de suite une liberté, un entrain, des mots drôles. Elle emmène Félicien : « Je suis chez moi, au Salon, monsieur, venez par ici. » Nous suivons. D’un commun accord, tacite, nous nous laissons distancer. Elle causait beaucoup ; son joli bras, armé de l’ombrelle, se levait quelquefois ; Félicien parlait peu ; nous pensions : « Cela va normalement, » mais nous ne pouvions pas nous le dire encore…
M. Limerel continuait le récit de l’entrevue. Et, sans doute, il exagérait le rôle de la personne qu’il aimait le mieux, et de beaucoup ; cependant, il ne parlait pas que de lui-même, de ses habiletés, de ses réflexions, de ses reparties. Par exception, il s’efforçait de raconter ce qu’avaient dit ou fait les autres. L’attention passionnée de madame Limerel, l’interrogation pressante, continue, de ce regard fixe, de cette bouche entr’ouverte, de tout ce visage tendu en avant, agissaient sur l’homme le moins indulgent qui fût à ce qu’il appelait le romanesque des mères. Cette mère-là, les yeux creusés, assise dans la bergère près de la cheminée, ployée en deux, sans égard pour le corset neuf, ni pour la robe qu’elle froissait, la voilette relevée d’un geste brusque et roulée en bourrelet, le chapeau de fleurs déplacé, n’était plus la belle madame Limerel, la blonde régulière et fade qu’il était accoutumé de dominer, mais un être en qui vivait et s’exprimait une force primitive : la pitié pour l’enfant.
– Oui, dit-elle, je vois bien la promenade, et vos haltes, et leurs gestes à eux ; mais la fin ? la fin ?
– Quand j’ai eu pris congé du baron et de la baronne Tourette, en bas, dans le hall, après trois quarts d’heure, – j’avais peur d’abuser, n’est-ce pas ? – ils ont fait, pour la forme, le tour de deux ou trois statues, puis ils ont quitté le Grand Palais. J’ai demandé à Félicien : « Qu’en penses-tu ? » Il m’a répondu, j’ai toutes les syllabes gravées dans le cerveau : « Délicieuse pour un autre, mon père : moi, je n’épouse pas. Je vous avais prévenu. – Et la raison, s’il te plaît ? – Je pourrais en dire plusieurs. Je préfère ne vous en donner qu...

Table of contents

  1. Titre
  2. PREMIÈRE PARTIE
  3. DEUXIÈME PARTIE
  4. TROISIÈME PARTIE
  5. À propos de cette édition électronique