Souvenirs entomologiques - Livre VI
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Souvenirs entomologiques - Livre VI

About this book

Ce sixiĂšme volume, comme les prĂ©cĂ©dents, est une Ă©tude scientifique du plus haut intĂ©rĂȘt sur divers insectes, agrĂ©mentĂ©e de passages sur les idĂ©es et l'histoire de l'auteur, fort intĂ©ressants, en particulier celui sur sa jeunesse et son Ă©ducation campagnarde auprĂšs d'un instituteur «fleurant bon le foin». La dĂ©marche de l'auteur y est, comme Ă  chaque fois, explicitĂ©e avec une clartĂ© remarquable. On suit parfaitement son cheminement intellectuel, ses questionnements, ses idĂ©es d'expĂ©rimentations avortĂ©es ou rĂ©ussies. Et mĂȘme ses impasses. On remarquera particuliĂšrement ses chapitres lumineux sur les aptitudes urticantes de certaines chenilles. Et tout lecteur devrait compatir avec l'auteur s'infligeant, sans prĂ©caution ni retenue, des cataplasmes d'«essence» de chenille pour comprendre si toutes sont urticantes et pourquoi elles le sont.

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Chapitre 1 LE SISYPHE – L’INSTINCT DE LA PATERNITÉ

Les devoirs de la paternitĂ© ne sont guĂšre imposĂ©s qu’aux animaux supĂ©rieurs. L’oiseau y excelle ; le vĂȘtu de poils s’en acquitte honorablement. Plus bas, indiffĂ©rence gĂ©nĂ©rale du pĂšre Ă  l’égard de la famille. Bien peu d’insectes font exception Ă  cette rĂšgle. Si tous sont d’une ardeur frĂ©nĂ©tique Ă  procrĂ©er, presque tous aussi, la passion d’un instant satisfaite, rompent sur-le-champ les relations de mĂ©nage et se retirent insoucieux de la nitĂ©e, qui se tirera d’affaire comme elle pourra.
Cette froideur paternelle, odieuse dans les rangs Ă©levĂ©s de l’animalitĂ© oĂč la faiblesse des jeunes demande assistance prolongĂ©e, a ici pour excuse la robusticitĂ© du nouveau-nĂ©, qui, sans aide, sait cueillir ses bouchĂ©es, pourvu qu’il se trouve en lieu propice. Lorsqu’il suffit Ă  la PiĂ©ride, pour la prospĂ©ritĂ© de sa race, de dĂ©poser ses Ɠufs sur les feuilles d’un chou, Ă  quoi bon la sollicitude d’un pĂšre ? L’instinct botanique de la mĂšre n’a pas besoin d’aide. À l’époque de la ponte, l’autre serait un importun. Qu’il s’en aille coqueter ailleurs ; il troublerait la grave affaire.
La plupart des insectes pratiquent pareille Ă©ducation sommaire. Ils n’ont qu’à faire choix du rĂ©fectoire oĂč s’établira la famille, aussitĂŽt Ă©close, ou bien de l’emplacement qui permettra aux jeunes de trouver d’eux-mĂȘmes les vivres Ă  leur convenance. Nul besoin du pĂšre en ces divers cas. AprĂšs la noce, le dĂ©sƓuvrĂ©, dĂ©sormais inutile, traĂźne donc quelques jours encore vie languissante et pĂ©rit enfin sans avoir donnĂ© le moindre concours Ă  l’installation des siens.
Les choses ne se passent pas toujours avec cette rudesse. Il est des tribus qui assurent une dot Ă  leur famille, qui lui prĂ©parent d’avance le vivre et le couvert. L’hymĂ©noptĂšre, notamment, est maĂźtre dans l’industrie des celliers, des jarres, des outres oĂč s’amasse la pĂątĂ©e de miel destinĂ©e aux jeunes ; il connaĂźt Ă  la perfection l’art des terriers oĂč s’empile la venaison, nourriture des vermisseaux.
Or Ă  cette Ɠuvre Ă©norme, tout Ă  la fois de construction et approvisionnement, Ă  ce labeur oĂč se dĂ©pense la vie entiĂšre, la mĂšre seule travaille, excĂ©dĂ©e de besogne, extĂ©nuĂ©e. Le pĂšre, grisĂ© de soleil aux abords du chantier, regarde faire la vaillante, et se tient quitte de toute corvĂ©e lorsqu’il a quelque peu lutinĂ© les voisines.
Que ne lui vient-il en aide ? Ce serait le cas ou jamais. Que ne prend-il exemple sur le mĂ©nage des hirondelles, apportant l’une et l’autre sa paille, sa motte de mortier Ă  l’édifice, son moucheron Ă  la couvĂ©e ? Il n’en fera rien, allĂ©guant peut-ĂȘtre pour excuse sa faiblesse relative. Mauvaise raison : dĂ©couper une rondelle de feuille, ratisser du coton sur une plante veloutĂ©e, cueillir une parcelle de ciment aux lieux fangeux, ce n’est pas lĂ  travail au-dessus de ses forces. Il pourrait trĂšs bien collaborer, au moins comme manƓuvre, bon Ă  cueillir ce que la mĂšre, mieux entendue, mettrait en place. Le vĂ©ritable motif de son inaction, c’est l’ineptie.
Chose Ă©trange : l’hymĂ©noptĂšre, le mieux douĂ© des insectes industrieux, ne connaĂźt pas le travail paternel. Lui, en qui les exigences des jeunes sembleraient devoir dĂ©velopper de hautes aptitudes, il reste aussi bornĂ© qu’un papillon, dont la famille coĂ»te si peu Ă  Ă©tablir. Le don de l’instinct Ă©chappe Ă  nos prĂ©visions les mieux fondĂ©es.
Il nous Ă©chappe si bien, qu’à notre extrĂȘme surprise se trouve, chez le manipulateur de fiente, la noble prĂ©rogative dont le mellifĂšre est privĂ©. Divers bousiers pratiquent les allĂ©gements du mĂ©nage et connaissent la puissance du travail Ă  deux. Rappelons-nous le couple de GĂ©otrupe prĂ©parant de concert le patrimoine de la larve ; remettons-nous en mĂ©moire le pĂšre qui prĂȘte Ă  sa compagne le concours de sa robuste presse dans la fabrication des boudins comprimĂ©s. MƓurs familiales superbes, bien Ă©tonnantes au milieu de l’isolement gĂ©nĂ©ral.
À cet exemple, unique jusqu’ici, des recherches continuĂ©es dans cette voie me permettent aujourd’hui d’en adjoindre trois autres, d’intĂ©rĂȘt non moindre ; et tous les trois nous sont encore fournis par la corporation des bousiers. Je vais les exposer, mais en abrĂ©geant, car bien des points rĂ©pĂ©teraient l’histoire du ScarabĂ©e sacrĂ©, du Copris espagnol et des autres.
Le premier nous vient du Sisyphe (Sisyphus SchƓfferi Lin.), le plus petit et le plus zĂ©lĂ© de nos rouleurs de pilules. Nul ne l’égale en vive prestesse, gauches culbutes et soudaines dĂ©gringolades sur des voies impossibles oĂč son entĂȘtement le ramĂšne toujours. En souvenir de cette gymnastique effrĂ©nĂ©e, Latreille a donnĂ© Ă  l’insecte le nom de Sisyphe, cĂ©lĂ©britĂ© des antiques enfers. Le malheureux terriblement peine, ahane pour hisser au sommet d’une montagne un rocher Ă©norme qui chaque fois lui Ă©chappe au moment d’atteindre la cime et revient au bas de la pente. Recommence, pauvre Sisyphe, recommence encore, recommence toujours : ton supplice ne se terminera que lorsque le bloc sera lĂ -haut, solidement assis.
Ce mythe me plaĂźt. C’est un peu l’histoire de beaucoup d’entre nous, non odieux scĂ©lĂ©rats, dignes d’éternels tourments, mais gens de bien, laborieux, utiles au prochain. Un seul crime leur est Ă  expier : la pauvretĂ©. Un demi-siĂšcle et plus, pour mon compte, j’ai laissĂ© des lambeaux saignants aux angles de l’ñpre montĂ©e ; j’ai suĂ© toutes mes moelles, tari mes veines, dĂ©pensĂ© sans compter mes rĂ©serves d’énergie pour hisser lĂ -haut, en lieu sĂ»r, mon Ă©crasant fardeau, le pain de chaque jour ; et la miche Ă  peine Ă©quilibrĂ©e, la voilĂ  qui glisse, se prĂ©cipite, s’abĂźme. Recommence, pauvre Sisyphe, recommence jusqu’à ce que le bloc, retombant une derniĂšre fois, te fracasse la tĂȘte et te dĂ©livre enfin.
Le Sisyphe des naturalistes ignore ces amertumes. AllĂšgre, insoucieux des rampes escarpĂ©es, il trimbale son bloc, tantĂŽt pain Ă  lui, tantĂŽt pain de ses fils. Il est trĂšs rare ici ; je ne serais jamais parvenu Ă  me procurer le nombre de sujets convenable Ă  mes desseins, sans un auxiliaire qu’il est opportun de prĂ©senter au lecteur, car il interviendra plus d’une fois dans ces rĂ©cits.
C’est mon fils, petit Paul, garçonnet de sept ans. Assidu compagnon de mes chasses, il connaĂźt comme pas un de son Ăąge les secrets de la Cigale, du Criquet, du Grillon et surtout du Bousier, sa grande joie. À vingt pas de distance, son clair regard distingue des amas fortuits, le vrai monceau des terriers ; son oreille fine entend la subtile stridulation de la Sauterelle qui pour moi est silence. Il me prĂȘte sa vue, il me prĂȘte son ouĂŻe ; en Ă©change, je lui livre l’idĂ©e, qu’il accueille attentif, en levant vers moi ses grands yeux bleus interrogateurs.
Oh ! l’adorable chose que la premiĂšre floraison intellectuelle ; le bel Ăąge que celui oĂč la candide curiositĂ© s’éveille, s’informant de tout ! Donc petit Paul a sa voliĂšre oĂč le ScarabĂ©e lui confectionne des poires ; son jardinet, grand comme un mouchoir, oĂč germent des haricots, dĂ©terrĂ©s souvent pour voir si la radicule s’allonge ; sa plantation forestiĂšre oĂč se dressent quatre chĂȘnes hauts d’un pan, munis encore sur le cĂŽtĂ© du gland nourricier Ă  double mamelle. Cela fait diversion Ă  l’aride grammaire, qui n’en marche pas plus mal.
Que de belles et bonnes choses l’histoire naturelle pourrait loger dans les tĂȘtes enfantines, si la science daignait se faire aimable avec les petits ; si nos casernes universitaires s’avisaient d’adjoindre Ă  l’étude morte des livres l’étude vivante des champs ; si le lacet des programmes, chers aux bureaucrates, n’étranglait toute initiative de bonne volontĂ© ! Petit Paul, mon ami, Ă©tudions autant que possible Ă  la campagne, parmi les romarins et les arbousiers. Nous y gagnerons vigueur du corps et vigueur de l’esprit ; nous y trouverons le beau et le vrai mieux que dans les bouquins.
Aujourd’hui le tableau noir chĂŽme ; c’est fĂȘte. On s’est levĂ© matin en vue de l’expĂ©dition projetĂ©e, si matin qu’il te faut partir Ă  jeun. Sois tranquille : l’appĂ©tit venu, on fera halte Ă  l’ombre, et tu trouveras dans mon sac le viatique habituel, pomme et morceau de pain. Le mois de mai s’approche ; le Sisyphe doit avoir paru. Il s’agit maintenant d’explorer, aux pieds de la montagne, les maigres pelouses oĂč les troupeaux ont passĂ© ; nous aurons Ă  casser entre les doigts, une Ă  une, les brioches du mouton cuites par le soleil et conservant encore un noyau de mie sous leur croĂ»te. Nous y trouverons le Sisyphe, blotti et attendant lĂ  aubaine plus fraĂźche que fournira le pacage du soir.
EndoctrinĂ© sur ce secret que m’avaient rĂ©vĂ©lĂ© les trouvailles fortuites d’antan, petit Paul passe aussitĂŽt maĂźtre dans l’art d’énuclĂ©er le crottin. Il y met tant de zĂšle, tant de flair des bons morceaux, qu’en un petit nombre de sĂ©ances je suis approvisionnĂ© au-delĂ  de mes ambitions. Me voici possesseur de six couples de Sisyphes, richesse inouĂŻe, sur laquelle j’étais bien loin de compter.
Leur Ă©ducation n’exige pas la voliĂšre. La cloche en toile mĂ©tallique suffit, avec lit de sable et vivres de leur goĂ»t. Ils sont si petits, Ă  peine un noyau de cerise ! Curieux de forme malgrĂ© tout. Corps trapu, attĂ©nuant son arriĂšre en ogive ; pattes trĂšs longues, imitant, Ă©talĂ©es, celles de l’araignĂ©e : les postĂ©rieures dĂ©mesurĂ©es et courbes, excellentes pour enlacer, enserrer la pilule.
La pariade se fait vers le commencement de mai, Ă  la surface du sol, parmi les reliefs du gĂąteau dont on vient de festoyer. BientĂŽt vient le moment d’établir la famille. D’un zĂšle Ă©gal, les deux conjoints prennent part Ă  la fois au pĂ©trissage, au charroi, Ă  l’enfournement du pain des fils. Avec le couperet des pattes antĂ©rieures, un lopin de grosseur convenable est taillĂ© dans le bloc mis Ă  leur disposition. PĂšre et mĂšre, de concert, manipulent le morceau, le tapent Ă  petits coups, le compriment, le façonnent en une bille du volume d’un gros pois.
Ainsi que cela se passe dans les ateliers du ScarabĂ©e, la configuration exactement ronde est obtenue sans l’intervention mĂ©canique du roulis. Avant de changer de place, avant mĂȘme d’ĂȘtre Ă©branlĂ© sur son point d’appui, le lopin est modelĂ© en sphĂšre. Encore un gĂ©omĂštre versĂ© dans la forme la mieux appropriĂ©e Ă  la longue durĂ©e des conserves alimentaires.
La boule est bientĂŽt prĂȘte. Il faut maintenant lui faire acquĂ©rir, par un vĂ©hĂ©ment roulage, la croĂ»te qui protĂ©gera la mie d’une Ă©vaporation trop prompte. La mĂšre, reconnaissable Ă  sa taille un peu plus forte, s’attelle Ă  la place d’honneur, en avant. Les longues pattes postĂ©rieures sur le sol, les antĂ©rieures sur la bille, elle tire Ă  elle en reculant. Le pĂšre pousse Ă  l’arriĂšre dans une position inverse, la tĂȘte en bas. C’est exactement la mĂ©thode du ScarabĂ©e, travaillant Ă  deux, mais dans un autre but. L’attelage du Sisyphe vĂ©hicule la dot d’une larve ; celui du grand pilulaire fait charroi pour un gueuleton que consommeront sous terre les deux associĂ©s de rencontre.
Voilà le couple parti, sans but déterminé, à travers les accidents quelconques du terrain, impossibles à éviter dans cette marche à reculons. Du reste, ces obstacles seraient-ils aperçus que le Sisyphe ne chercherait pas à les contourner, témoin son opiniùtreté à vouloir gravir le treillage de la cloche.
Entreprise rude, impraticable. S’agriffant des pattes postĂ©rieures aux mailles de la toile mĂ©tallique, la mĂšre tire Ă  elle, entraĂźne le faix ; puis elle enlace le globe, le tient suspendu. Le pĂšre, manquant d’appui, se cramponne Ă  la pilule, s’y incruste pour ainsi dire, ajoute son poids Ă  celui de la masse et laisse faire. L’effort est trop grand pour durer. La bille et l’incrustĂ©, bloc unique, tombent. D’en haut, la mĂšre regarde un instant, surprise, et tout aussitĂŽt se laisse choir pour reprendre la pilule et recommencer l’essai de l’impossible escalade. AprĂšs chutes et rechutes, l’ascension est abandonnĂ©e.
Le charroi en plaine ne se fait pas non plus sans encombre. À tout instant, sur le monticule d’un gravier, la charge verse, et l’attelage culbute, gigote, le ventre en l’air. Ce n’est rien, moins que rien. On se relĂšve, on se remet en posture, toujours allĂšgre. Ces dĂ©gringolades qui projettent si souvent le Sisyphe sur l’échine ne donnent pas souci ; on dirait mĂȘme qu’elles sont recherchĂ©es. Ne faut-il pas mĂ»rir la pilule, lui donner consistance ? Et dans ces conditions heurts, chocs, chutes, cahots, entrent dans le programme. Ce fol trimbalement dure des heures et des heures.
Enfin la mĂšre, jugeant la chose bonifiĂ©e Ă  point, s’écarte un peu Ă  la recherche d’un emplacement favorable. Le pĂšre garde, accroupi sur le trĂ©sor. Si l’absence de sa compagne se prolonge, il se distrait de ses ennuis en faisant rapidement tourner sa pilule entre ses jambes postĂ©rieures, dressĂ©es en l’air. Il jongle en quelque sorte avec la chĂšre bille ; il en Ă©prouve la perfection sous les branches courbes de son compas. À le voir se trĂ©mousser dans cette joyeuse pose, qui mettrait en doute sa vive satisfaction du pĂšre de famille assurĂ© de l’avenir des siens ? C’est moi, semble-t-il dire, c’est moi qui l’ai pĂ©tri, ce pain mollet si rond ; c’est moi qui l’ai boulangĂ© pour mes fils. Et il exhausse, en vue de tous, ce magnifique certificat de laborieux.
Cependant la mĂšre a fait choix de l’emplacement. Une dĂ©pression est creusĂ©e, simple amorce du terrier en projet. La pilule est amenĂ©e Ă  proximitĂ©. Le pĂšre, gardien vigilant, ne s’en dessaisit pas, tandis que la mĂšre fouille des pattes et du chaperon. BientĂŽt la fossette est suffisante pour recevoir la bille, chose sacrĂ©e dont le contact immĂ©diat s’impose : l’insecte doit la sentir osciller en arriĂšre, sur son dos, Ă  l’abri des parasites, pour se dĂ©cider Ă  creuser plus avant. Il redoute ce qui pourrait arriver au petit pain abandonnĂ© sur le seuil du terrier jusqu’à l’achĂšvement de la demeure. Aphodies et moucherons ne manquent pas, qui s’en empareraient. Surveiller et se mĂ©fier est prudent.
La pilule est donc introduite, Ă  demi incluse dans l’ébauche de cuvette. La mĂšre, en dessous, enlace et tire ; le pĂšre, en dessus, modĂšre les secousses et prĂ©vient les Ă©boulements. Tout va bien. La fouille est reprise, et la descente se continue, toujours avec la mĂȘme prudence, l’un des Sisyphes entraĂźnant la piĂšce, l’autre rĂ©glant la chute et dĂ©blayant ce qui pourrait gĂȘner la manƓuvre. Encore quelques efforts, et la pilule disparaĂźt sous terre avec les deux mineurs. Ce qui suit ne peut ĂȘtre, un certain temps encore, que la rĂ©pĂ©tition de ce que nous venons de voir. Attendons une demi-journĂ©e environ.
Si notre surveillance ne s’est pas lassĂ©e, nous verrons le pĂšre reparaĂźtre seul Ă  la surface et se blottir dans le sable non loin du terrier. Retenue lĂ -bas par des soins oĂč son compagnon ne lui serait d’aucun secours, la mĂšre retarde habituellement sa sortie jusqu’au lendemain. Enfin elle se montre. Le pĂšre sort de la cachette oĂč il somnolait, et la rejoint. Le couple, de nouveau rĂ©uni, va au monceau de vivres, s’y restaure, puis y taille un second lopin, auquel tous les deux collaborent encore, tant pour le modelage que pour le charroi et la mise en silo.
Cette fidĂ©litĂ© conjugale m’agrĂ©e. Est-elle bien la rĂšgle ? Je n’oserais l’affirmer. Il doit y avoir lĂ  des volages qui, dans la mĂȘlĂ©e sous un large gĂąteau, oublient la premiĂšre boulangĂšre dont ils ont Ă©tĂ© les mitrons, et se vouent au service d’une autre, rencontrĂ©e par hasard ; il doit y avoir des mĂ©nages temporaires, divorçant aprĂšs une simple pilule. N’importe : le peu que j’ai vu me donne haute estime des mƓurs familiales du Sisyphe.
RĂ©sumons ces mƓurs avant d’en venir au contenu du terrier. Tout autant que la mĂšre, le pĂšre travaille Ă  l’extraction et au modelage de la piĂšce qui sera la dot d’une larve ; il prend part au charroi, avec un rĂŽle secondaire il est vrai ; il veille sur le pain lorsque la mĂšre s’absente Ă  la recherche du point oĂč se creusera le caveau ; il prĂȘte assistance aux travaux de fouille ; il voiture au dehors les dĂ©blais de la crypte, enfin, pour couronner ces qualitĂ©s, il est, dans une large mesure, fidĂšle Ă  son Ă©pousĂ©e.
Le ScarabĂ©e nous montre quelques-uns de ces traits. Il pratique assez volontiers la manipulation de la pilule Ă  deux, il connaĂźt le charroi par double attelage en sens inverse. Mais, rĂ©pĂ©tons-le, cette mutualitĂ© de services a pour mobile l’égoĂŻsme : les deux collaborateurs travaillent et vĂ©hiculent la piĂšce Ă  leur seule intention. C’est pour eux tourte de festin et rien autre. En son ouvrage concernant la famille, la mĂšre ScarabĂ©e n’a pas d’auxiliaire. Seule elle conglobe sa sphĂšre, l’extrait du tas, la roule Ă  reculons, dans la posture renversĂ©e qu’adopte le mĂąle du couple Sisyphe ; seule elle creuse le terrier, seule elle emmagasine. Oublieux de la pondeuse et de la nitĂ©e, l’autre sexe ne concourt en rien Ă  l’extĂ©nuante besogne. Quelle diffĂ©rence avec le pilulaire nain !
L’heure est venue de visiter le terrier. C’est, Ă  une mĂ©diocre profondeur, une niche Ă©troite, juste suffisante aux Ă©volutions de la mĂšre autour de son ouvrage. Par son exiguĂŻtĂ©, le logis nous apprend que le pĂšre ne peut y prolonger son sĂ©jour. L’atelier prĂȘt, il doit se retirer pour laisser Ă  la modeleuse libertĂ© de mouvements. Nous l’avons vu, en effet, remonter Ă  la surface bien avant la mĂšre.
Le contenu de la crypte consiste en une seule piĂšce, chef-d’Ɠuvre de plastique. C’est une mignonne rĂ©duction de la poire du ScarabĂ©e, rĂ©duction qui, par sa petitesse, fait mieux valoir le poli des surfaces et la gracieusetĂ© des courbures. Son grand diamĂštre oscille entre douze et dix-huit millimĂštres. L’art des Bousiers a lĂ  son produit le plus Ă©lĂ©gant.
Mais cette perfection est de brĂšve durĂ©e. BientĂŽt la gentille poire se couvre d’excroissances noueuses, noires, contournĂ©es, qui la dĂ©parent de leurs verrues. Une partie de la surface, intacte du reste, disparaĂźt voilĂ©e par un amas informe. L’origine de ces disgracieuses nodositĂ©s m’a tout d’abord dĂ©routĂ©. Je soupçonnais quelque vĂ©gĂ©tation cryptogamique, quelque sphĂ©riacĂ©e, par exemple, reconnaissable Ă  son encroĂ»tement noir et mamelonnĂ©. La larve m’a tirĂ© d’erreur.
C’est, comme de rĂšgle, un ver courbĂ© en crochet, porteur sur le dos d’une ample poche ou gibbositĂ©, signe d’un prompt fienteur. Comme celui du ScarabĂ©e, il excelle, en effet, Ă  boucher les pertuis accidentels de sa coque avec un jet instantanĂ© de ciment stercoral, toujours en rĂ©serve dans la besace. Il pratique, en outre, un art de vermicellerie inconnu des pilulaires, sauf du ScarabĂ©e Ă  large cou, qui d’ailleurs en fait rarement usage.
Les larves des divers bousiers utilisent les rĂ©sidus digestifs Ă  crĂ©pir de stuc leur loge, qui, par son ampleur, se prĂȘte Ă  ce mode de dĂ©barras, sans qu’il soit nĂ©cessaire d’ouvrir des fenĂȘtres momentanĂ©es par oĂč s’expulsera l’ordure. Soit pour cause de large insuffisant, soit pour d’autres motifs qui m’échappent, la larve du Sisyphe, la part faite Ă  l’enduit rĂ©glementaire de l’intĂ©rieur, Ă©vacue au dehors l’excĂ©dent de ses produits.
Suivons de prĂšs une poire lorsque la recluse est dĂ©jĂ  grandelette. Un moment ou l’autre, il nous arrivera de voir un point quelconque de la surface s’humecter, se ramollir, s’amincir ; puis, Ă  travers l’écran sans consistance, un jet d’un vert sombre s’élĂšvera, s’affaissant sur lui-mĂȘme, se tire-bouchonnant. Une verrue de plus est formĂ©e. Elle deviendra noire par la dessiccation.
Que s’est-il donc passĂ© ? Dans la paroi de sa coque, la larve a ouvert une brĂšche temporaire ; et, par le soupirail oĂč reste encore un mince voile, elle a expulsĂ© l’excĂšs de ciment dont elle ne pouvait faire emploi chez elle. Elle a fientĂ© Ă  travers la muraille. La lucarne volontairement pratiquĂ©e ne trouble en rien la sĂ©curitĂ© du ver, car elle est aussitĂŽt bouchĂ©e, et de façon hermĂ©tique, avec la base du jet, que comprime un coup de truelle. Avec un bouchon si prestement mis en place, les vivres se conserveront frais malgrĂ© de frĂ©quentes trouĂ©es Ă  la panse de la poire. Nul risque de l’afflux de l’air sec.
Le Sisyphe paraĂźt aussi au courant du pĂ©ril auquel s’exposerait plus tard, en temps de canicule, sa poire si petite et si peu profondĂ©ment enterrĂ©e. Il est trĂšs prĂ©coce. Il travaille en avril et mai, alors que l’atmosphĂšre est clĂ©mente. DĂšs la premiĂšre quinzaine de juillet, avant que soient venus les terribles jours caniculaires, sa famille rompt les coques et se met en recherche du monceau qui lui fournira le vivre et le couvert pendant la brĂ»lante saison. Viendront aprĂšs les courtes liesses de l’automne, la retraite sous terre pour la torpeur ...

Table of contents

  1. Titre
  2. Chapitre 1 - LE SISYPHE – L’INSTINCT DE LA PATERNITÉ
  3. Chapitre 2 - LE COPRIS LUNAIRE – L’ONITIS BISON
  4. Chapitre 3 - L’ATAVISME
  5. Chapitre 4 - MON ÉCOLE
  6. Chapitre 5 - LES BOUSIERS DES PAMPAS
  7. Chapitre 6 - LA COLORATION
  8. Chapitre 7 - LES NÉCROPHORES. – L’ENTERREMENT
  9. Chapitre 8 - LES NÉCROPHORES. – EXPÉRIENCES
  10. Chapitre 9 - LE DECTIQUE À FRONT BLANC. – LES MƒURS
  11. Chapitre 10 - LE DECTIQUE À FRONT BLANC. – LA PONTE. L’ÉCLOSION
  12. Chapitre 11 - LE DECTIQUE À FRONT BLANC. – L’APPAREIL SONORE
  13. Chapitre 12 - LA SAUTERELLE VERTE
  14. Chapitre 13 - LE GRILLON – LE TERRIER – L’ƒUF
  15. Chapitre 14 - LE GRILLON – LE CHANT – LA PARIADE
  16. Chapitre 15 - LES ACRIDIENS – LEUR RÔLE – L’APPAREIL SONORE
  17. Chapitre 16 - LES ACRIDIENS – LA PONTE
  18. Chapitre 17 - LES ACRIDIENS – LA DERNIÈRE MUE
  19. Chapitre 18 - LA PROCESSIONNAIRE DU PIN – LA PONTE – L’ÉCLOSION
  20. Chapitre 19 - LA PROCESSIONNAIRE DU PIN – LE NID – LA SOCIÉTÉ
  21. Chapitre 20 - LA PROCESSIONNAIRE DU PIN – LA PROCESSION
  22. Chapitre 21 - LA PROCESSIONNAIRE DU PIN – LA MÉTÉOROLOGIE
  23. Chapitre 22 - LA PROCESSIONNAIRE DU PIN – LE PAPILLON
  24. Chapitre 23 - LA PROCESSIONNAIRE DU PIN – L’URTICATION
  25. Chapitre 24 - LA CHENILLE DE L’ARBOUSIER
  26. Chapitre 25 - UN VIRUS DES INSECTES
  27. À propos de cette Ă©dition Ă©lectronique
  28. Notes de bas de page