I
Introduction
Nous sommes en 1901, Ă la veille du premier recensement rĂ©alisĂ© pour le Canada au XXe siĂšcle. Le gouvernement fĂ©dĂ©ral vient de distribuer Ă ses fonctionnaires chargĂ©s de sonder la nation un ensemble bien ordonnĂ© et succinct dâinstructions dont voici un extrait : [TRADUCTION] « Les diffĂ©rentes races humaines doivent ĂȘtre dĂ©signĂ©es au moyen des lettres suivantes : âbâ pour Blanc, ârâ pour Rouge, ânâ pour Noir et âjâ pour Jaune. » Il manquait la couleur brune, qui Ă©tait parfois associĂ©e Ă la race, mais qui aurait pu semer la confusion entre les diffĂ©rentes catĂ©gories puisquâil y avait dĂ©jĂ une race dĂ©signĂ©e par un « b ». Ce qui ressort clairement de ces instructions, câest que la couleur et la race, deux conceptions jumelles, Ă©taient indissociablement liĂ©es.
Advenant que les recenseurs fussent incapables dâĂ©tablir immĂ©diatement les distinctions de couleur lors de leurs dĂ©marches de porte Ă porte, ils devaient suivre les instructions que voici :
[TRADUCTION] Les Blancs sont, bien entendu, les gens de la race caucasienne, tandis que les Rouges dĂ©signent les AmĂ©rindiens, les Noirs dĂ©signent les Africains ou les NĂšgres et les Jaunes sont les Mongols (Japonais et Chinois). Cependant, seuls les Blancs de race pure seront classĂ©s dans la catĂ©gorie des Blancs ; les enfants issus dâun mariage entre un Blanc et toute personne dâune autre race seront classĂ©s comme des Rouges, des Noirs ou des Jaunes, selon le cas, et ce, peu importe lâintensitĂ© de la couleur de leur teint de peau1.
Blanc, Rouge, Noir et Jaune. Bien entendu. La locution prĂ©positive est curieusement placĂ©e juste aprĂšs les trois premiers mots dâouverture. Faut-il donc en dĂ©duire que la race est universellement identifiĂ©e par la couleur ? Hormis pour ceux qui ont franchi la barriĂšre des couleurs et seront appelĂ©s Ă recevoir une identification raciale dĂ©terminĂ©e « selon le cas » ? Que la couleur est un Ă©tat irrĂ©vocable, sauf lorsquâil est question de « puretĂ© » et dâ « intensitĂ© » ? Quâune touche de couleur autre que le blanc immaculĂ© « teinte » le classement par la couleur au-delĂ de toute discussion ? La prĂ©sĂ©ance accordĂ©e Ă la race blanche se manifeste de multiples maniĂšres Ă lâĂ©poque et ressort clairement de lâordre de ces listes oĂč la race blanche occupe la premiĂšre place. On reconnaĂźt en outre cette prĂ©dominance Ă lâemploi de lâadjectif « pure », dans la mesure oĂč il est uniquement rĂ©servĂ© Ă la race blanche. Les couleurs « rouge », « noire » et « jaune » dĂ©signent non seulement leurs pigmentations intrinsĂšques, mais englobent Ă©galement toutes les variantes dĂ©coulant de ces tons de peau.
Le barĂšme de couleurs primaires choisi par les reprĂ©sentants du gouvernement, avec ses coups de pinceau de rouge et de jaune francs, Ă©tait un choix curieux. La palette visĂ©e pour le recensement sâĂ©tend au-delĂ de ces teintes vives jusquâaux limites de la gamme des couleurs. Elle dĂ©borde littĂ©ralement du spectre jusquâaux tons de noir, lesquels reprĂ©sentent lâabsorption de toutes les couleurs de lâarc-en-ciel, tandis que les tons de blanc nâabsorbent aucune couleur. Comme la plupart des observateurs lâauraient sans doute admis si on les y avait exhortĂ©s, ces catĂ©gories sont des plus inexactes dans la mesure oĂč aucun ĂȘtre humain ne naĂźt affublĂ© de couleurs aussi nettes et primaires.
Et pourtant, la dĂ©signation raciale au moyen de la couleur Ă©tait omniprĂ©sente en ce dĂ©but du XXe siĂšcle au Canada. Quâil sâagisse des romanciers, des poĂštes, des politiciens, des commentateurs ou des historiens, tous dĂ©crivaient couramment les peuples racialisĂ©s en termes de teintes selon la palette de couleurs dĂ©terminĂ©e par les responsables du recensement. MalgrĂ© le caractĂšre artificiel inhĂ©rent Ă une classification des gens Ă lâaide de couleurs nâayant quâune trĂšs vague ressemblance avec leur vĂ©ritable teinte de peau, le recensement suivit son cours sans faire de vagues. En 1901, les registres officiels crĂ©Ă©s Ă partir du recensement dĂ©peignent donc la composition raciale du Canada selon une gamme de couleurs de teintes vives, quoique inĂ©gale. Les Blancs constituent la vaste majoritĂ© de la population officielle avec un pourcentage de 96,2. Les Rouges reprĂ©sentent 2,4, les Jaunes 0,41 et les Noirs 0,32 pour cent. Les quelques personnes que les recenseurs sont incapables de cataloguer avec certitude sont dĂ©signĂ©es comme des gens « dâorigines diverses » et de race « indĂ©terminĂ©e », reprĂ©sentant un total de 0,66 pour cent2.
Un demi-siĂšcle plus tard, les questions de race et de couleur seront dĂ©crites de maniĂšre beaucoup plus nuancĂ©e ; on cessera de se rĂ©fĂ©rer Ă la palette de couleurs franches que sont le blanc, le rouge, le noir et le jaune. Les recenseurs avaient pour instruction de poser aux gens des questions sur leur « origine ». Dans le rapport du recensement de 1951, on concĂšde que les rĂ©sultats dâun sondage de cette nature rĂ©vĂšlent des renseignements qui tiennent « en partie de la culture, de la biologie et de la gĂ©ographie ». Dans le rapport, on reconnaĂźt que les mĂ©thodes de classification ont changĂ© au fil du temps en ajoutant, pour rassurer la population canadienne, que les objectifs gĂ©nĂ©raux du recensement, eux, sont demeurĂ©s les mĂȘmes :
[TRADUCTION] Au cours du passĂ©, le terme « origine » a Ă©tĂ©, dans la terminologie propre aux recensements, diffĂ©remment qualifiĂ© par des attributs tels que « raciale » et « ethnique », mais le but de cette enquĂȘte est demeurĂ© essentiellement le mĂȘme. Il sâagit, en bref, de sâefforcer de distinguer les groupes qui, au sein de la population, ont des caractĂ©ristiques culturelles semblables, fondĂ©es sur un hĂ©ritage commun3.
Et les donnĂ©es du recensement demeurĂšrent en majeure partie identiques. Les personnes « dâorigine europĂ©enne », quâon nommait anciennement les « Blancs », reprĂ©sentent 96,95 pour cent de la population canadienne. Ceux et celles qui dĂ©crivent leurs origines comme Ă©tant « Autochtones et Esquimaux » totalisent 1,18 pour cent. Les personnes dâorigine asiatique, dĂ©sormais dĂ©crites comme des « Chinois », des « Japonais » et « autres Asiatiques », reprĂ©sentent 0,52 pour cent. Les « Noirs » constituent 0,13 pour cent. Le seul groupe de non-Blancs dont le nombre sâest accru pendant la premiĂšre moitiĂ© du siĂšcle, dĂ©crit de maniĂšre indĂ©finie comme « autre origine et pas de rĂ©ponse », totalise 1,22 pour cent. Dans leur tentative pour expliquer cette augmentation, on peut lire dans le rapport du recensement que ce groupe comprend [TRADUCTION] « les personnes ayant dĂ©clarĂ© quâen raison de leur ascendance mixte ou pour dâautres motifs, elles ignoraient Ă quel groupe dâorigine elles appartenaient ». Le rapport poursuit en annonçant quâil [TRADUCTION] « faudra sâattendre Ă ce que ce problĂšme gagne en importance4⊠».
LA NOUVELLE DĂFINITION DU CONCEPT DE « RACE »
ET LA CONSTANCE HISTORIQUE DU « RACISME »
La signification du mot « race » a profondĂ©ment changĂ© au cours des derniers siĂšcles. Ce concept, dont lâorigine remonte aussi loin que le siĂšcle des lumiĂšres, avait au dĂ©but pour objectif de marquer les diffĂ©rences de classes au sein de la sociĂ©tĂ© europĂ©enne. Au cours des XVIIIe et XIXe siĂšcles, lorsque des empires furent crĂ©Ă©s aux quatre coins du globe, les EuropĂ©ens commencĂšrent Ă exploiter lâidĂ©e de « race » comme justification commode au droit quâils sâĂ©taient arrogĂ© de dominer les peuples « primitifs », bĂątissant ainsi les assises des hiĂ©rarchies coloniales quâils Ă©taient en train dâinstaurer. Avec lâessor de la « science » surgie dans la foulĂ©e de la RĂ©volution industrielle, les nouvelles disciplines telles que lâethnologie, lâanthropologie, lâeugĂ©nisme, la psychologie et la sociologie servirent dâadjuvants « professionnels » pour favoriser la rĂ©alisation de cet objectif.
Bon nombre de scientifiques, de diverses disciplines, tous blancs, entreprirent la tĂąche complexe consistant Ă dĂ©finir des catĂ©gories « raciales » et Ă extrapoler, Ă partir des donnĂ©es sur les « races », les multiples distinctions entre les ĂȘtres humains. La pigmentation de la peau nâĂ©tait quâun facteur parmi dâautres dans la longue liste des variables humaines Ă©numĂ©rĂ©es ; on retrouvait Ă©galement la stature, la forme de la tĂȘte, la capacitĂ© crĂąnienne, la couleur et la texture des cheveux, la forme des yeux, lâindice nasal et diverses autres caractĂ©ristiques faciales. Et pourtant, aucun de ces aspects du physique humain nâest en soi intrinsĂšquement si manifeste quâil justifie quâon en fasse une catĂ©gorie Ă part. On peut mĂȘme sâĂ©tonner quâils ne soient pas allĂ©s jusquâĂ diviser les ĂȘtres humains en races caractĂ©risĂ©es par des grandes oreilles et celles qui en ont des petites. Cependant, malgrĂ© la multitude des caractĂ©ristiques physiques servant Ă fixer les classifications raciales, certains cas demeuraient inclassables. Certains individus qui avaient « lâair » dâĂȘtre de race blanche disaient appartenir Ă des groupes victimes dâoppression raciale ou Ă©taient classĂ©s comme tels par dâautres personnes. Afin de remĂ©dier Ă ces incohĂ©rences, on avait ajoutĂ© Ă la liste des Ă©lĂ©ments dâidentification « raciale », les caractĂ©ristiques telles que la langue, la religion, la rĂ©sidence gĂ©ographique, la maniĂšre de se vĂȘtir, les habitudes alimentaires, lâintelligence, la rĂ©putation et le nom5.
La classification raciale fonctionnait comme un prĂ©texte facile, Ă portĂ©e de main, pour nombre de groupes disparates qui cherchaient Ă justifier le fait quâils dĂ©tiennent davantage de ressources, de pouvoir et un statut supĂ©rieur par rapport aux autres. On sait Ă quel point lâadoption de la notion de « race » a permis de justifier lâesclavage des Noirs. Il est tout aussi manifeste que lâidĂ©ologie « raciale » a servi de prĂ©texte pour sâemparer des terres des PremiĂšres Nations. Le concept de « race » a servi dâexplication dĂ©finitive pour infliger un traitement punitif aux immigrants dâorigine asiatique Ă la fin du XIXe siĂšcle. La terminologie « raciale » a Ă©galement Ă©tĂ© employĂ©e afin de rationaliser le phĂ©nomĂšne de lâexploitation entre Blancs eux-mĂȘmes. Des distinctions « raciales » ont historiquement Ă©tĂ© Ă©tablies entre les communautĂ©s saxonne, celte, normande, irlandaise, Ă©cossaise et anglaise. En AmĂ©rique du Nord, on rĂ©futait facilement les revendications dâappartenance Ă la race blanche prĂ©sentĂ©es par les immigrants en provenance dâEurope du Sud et de lâEst, de Syrie, dâArmĂ©nie, dâArabie, dâInde et des Philippines. Le traitement discriminatoire rĂ©servĂ© aux Franco-Canadiens, aux personnes affiliĂ©es Ă des religions autres que le protestantisme ainsi quâaux groupes dâimmigrants en provenance de lâEurope du Sud et de lâEst a Ă©galement Ă©tĂ© idĂ©ologiquement rattachĂ© aux notions de « race »6.
Les historiens spĂ©cialisĂ©s dans lâĂ©tude des thĂ©ories intellectuelles entourant le concept de « race » ont soutenu que les revirements majeurs dans la façon de penser sont survenus durant la premiĂšre moitiĂ© du XXe siĂšcle. Selon leurs recherches, la communautĂ© scientifique blanche aurait atteint, au cours de ces deux premiĂšres dĂ©cennies, une sorte dâapogĂ©e dans lâĂ©valuation, la quantification et la description des distinctions physiques existant entre les « races ». Dans les annĂ©es 1930, une nouvelle gĂ©nĂ©ration dâanthropologues entreprit de dĂ©construire la pyramide de connaissances prĂ©cĂ©demment Ă©difiĂ©e en vue de parvenir Ă un ensemble de donnĂ©es et de conclusions uniformes.
Ces scientifiques de la nouvelle mouture avancĂšrent lâidĂ©e que les distinctions raciales manquaient dâune structure dĂ©finie. Bien quâils ne reniassent pas complĂštement lâexistence des races, ils introduisirent le concept dâ « ethnicitĂ© » en soutenant quâil Ă©tait plus aisĂ© dâexpliquer les diffĂ©rences humaines Ă lâaide de facteurs sociaux, politiques, Ă©conomiques et gĂ©ographiques que par la biologie uniquement. On peut observer un revirement dans le mode de pensĂ©e Ă la lecture du recensement canadien de 1951, oĂč les rĂ©fĂ©rences Ă la « culture » et Ă la « gĂ©ographie » sont combinĂ©es Ă celles de la « biologie » Ă titre de caractĂ©ristiques dĂ©finissant lâorganisation humaine. Comme le rapport du recensement de 1951 le souligne, cependant, le changement est davantage de nature sĂ©mantique que substantive. La croyance voulant que lâhumanitĂ© soit rĂ©partie en groupes distincts et quâil est possible de diffĂ©rencier ces groupes au moyen de caractĂ©ristiques prĂ©cises demeure, on le constate, inĂ©branlable7.
Ă la fin des annĂ©es 1930 et au dĂ©but des annĂ©es 1940, on admet en gĂ©nĂ©ral que la thĂ©orie des races atteint son apogĂ©e avec la philosophie « arienne » de la race supĂ©rieure sur laquelle se fonde le nazisme prĂŽnĂ© par Hitler. Avec un retard notable, les forces alliĂ©es ont fini par reconnaĂźtre certaines des consĂ©quences atroces de la discrimination raciale. Sous lâĂ©gide des Nations unies, organisation crĂ©Ă©e Ă la fin des annĂ©es 1940, les gouvernements des pays occidentaux adoptĂšrent un ensemble de politiques affirmant leur intention dâĂ©liminer la discrimination fondĂ©e sur la race. Mais encore une fois, cette rĂ©forme fut de nature plus thĂ©orique que pratique. La plupart des actes de discrimination raciale demeurĂšrent impunis, la seule diffĂ©rence Ă©tant quâil nâĂ©tait plus de bon ton de passer pour un raciste8.
Est-il possible de parler dâhistoire « raciale » compte tenu de la nature fugace de la « race » ?
LâĂ©tude du concept de la « race » Ă travers le temps illustre, au-delĂ de la controverse, que la notion mĂȘme a Ă©tĂ© Ă©difiĂ©e sur des sables mouvants. La nature Ă©phĂ©mĂšre et changeante de la « race » ne nous paraĂźt jamais aussi manifeste que lorsquâon lâexamine avec le passĂ© pour toile de fond. Sâensuit-il pour autant que toute enquĂȘte menĂ©e sur lâhistoire « raciale » est vouĂ©e Ă lâĂ©chec dĂšs le dĂ©but ? Ătant donnĂ© le caractĂšre artificiel des dĂ©signations raciales, peut-on quand mĂȘme se permettre dâĂ©tudier les rĂ©percussions historiques de la notion de « race » ? Dâaucuns soutiennent quâil est quasiment impossible, pour ces raisons, de procĂ©der Ă des Ă©valuations crĂ©dibles au sujet de lâampleur du racisme Ă travers lâhistoire et quâil faudrait rejeter tout dĂ©bat concernant les catĂ©gories raciales. Cette attitude radicale serait, Ă mon avis, la plus grave des erreurs. La « race » est une conception mythique, ce qui nâest pas le cas du « racisme ».
Lâhistoire canadienne se fonde sur les distinctions, hypothĂšses, lois et mesures de nature raciale, aussi fictif le concept de « race » puisse-t-il ĂȘtre. En omettant de scruter avec rigueur les registres de notre passĂ© pour en extraire les principes profondĂ©ment enracinĂ©s de lâidĂ©ologie et de la pratique racistes, on en viendrait Ă abonder dans les sens de la mĂ©prise rĂ©pandue au Canada selon laquelle notre pays ne saurait vraiment ĂȘtre accusĂ© dâavoir exercĂ© une exploitation raciale systĂ©mique, alors que rien ne saurait ĂȘtre plus manifestement erronĂ©.
Des termes tels que « Blanc », « Esquimau », « Indien », « Chinois », etc., posent bien entendu problĂšme dans lâoptique de la construction sociale et prĂ©caire, sur le plan historique, du concept de « race ». MalgrĂ© la nature artificielle de cette terminologie, cependant, de telles dĂ©signations raciales Ă©taient communĂ©ment employĂ©es au Canada au cours de la premiĂšre moitiĂ© du XXe siĂšcle. Qui plus est, les concepts de race avaient des retombĂ©es importantes sur les plans Ă©conomique, social et politique pour les personnes qui Ă©tablissaient ces distinctions. Explorer les significations rattachĂ©es Ă ces dĂ©signations raciales fait donc partie intĂ©grante de la tĂąche dĂ©volue Ă lâhistorien des races.
Tout au long de cette pĂ©riode, ce qui ressort avec la plus grande constance, câest lâhypothĂšse prĂ©dominante selon laquelle, quelle que fĂ»t la maniĂšre dont on la dĂ©crivait, la dĂ©finissait ou lâutilisait, la race constituait un attribut distinct qui permettait de diffĂ©rencier les ĂȘtres humains. Face aux classifications arbitraires et aux thĂ©ories intellectuelles susceptibles de fluctuer de façon radicale, la vaste majoritĂ© des observateurs provenant des milieux universitaire, gouvernemental, juridique, de la presse et du grand public demeuraient inĂ©branlables. Ils refusaient de revenir sur leur sentiment que les distinctions raciales constituaient un fait avĂ©rĂ©. Les textes de doctrine influents continuaient de dĂ©peindre les races en termes de couleurs « noire », « rouge » et « jaune » jusquâau milieu des annĂ©es 1960 et au dĂ©but des annĂ©es 1970. Lorsquâon poussait les gens Ă dĂ©finir la maniĂšre dont ils concevaient la race, il leur arrivait de rester embourbĂ© dans des paroxysmes de confusion. Mais tout un chacun Ă©tait convaincu de savoir reconnaĂźtre, « instinctivement », une race aussitĂŽt quâil en rencontrait une9.
Les Canadiens Ă©taient fermement persuadĂ©s que la race Ă©tait, quelle que fussent les diffĂ©rentes raisons qui les poussaient Ă le croire, une classification valable et fondĂ©e. Il arrivait que certains groupes se dĂ©placent dâune communautĂ© raciale Ă une autre, en fonction de diffĂ©rents facteurs tels que la classe sociale, le lieu gĂ©ographique, la langue, le comportement, la culture ou les caractĂ©ristiques physiques. Les groupements raciaux pouvaient Ă©voluer et changer au fil du temps. Ă la fin de cette pĂ©riode, certains commencĂšrent Ă parler des « origines » plutĂŽt que de « race » ou de « couleur ». Ce qui demeurait cependant constant, câest lâemploi de la notion de « race » Ă titre de caractĂ©ristique pour diffĂ©rencier les peuples. Et le « racisme » â soit lâutilisation de catĂ©gories raciales en vue de crĂ©er, dâexpliquer et de perpĂ©tuer les inĂ©galitĂ©s â demeurait de façon rĂ©currente statique. LâomniprĂ©sence du racisme justifie en soit que lâon mĂšne des recherches sur les questions raciales, aussi terriblement vides de sens ces catĂ©gories raciales fussent-elles.
DĂFINITION DES TERMES « RACE » ET « RACISME »
Les termes que jâai choisis pour dĂ©crire les diffĂ©rents groupes racialisĂ©s citĂ©s dans ces causes...