De la couleur des lois
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De la couleur des lois

Constance Backhouse

  1. 594 pages
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De la couleur des lois

Constance Backhouse

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MalgrĂ© l'ouverture proclamĂ©e des Canadiens face Ă  la diversitĂ© ethnique et culturelle, l'histoire canadienne n'en est pas moins marquĂ©e par la discrimination systĂ©matique. Cet ouvrage expose la tĂ©nacitĂ© juridique de cette discrimination par l'entremise d'un examen de six arrĂȘts judiciaires dĂ©terminants entre 1900 et 1950 qui dĂ©montrent comment le systĂšme juridique canadien fut complice de la discrimination raciale. Les cas retenus font exemples des diverses façons dont le racisme a opĂ©rĂ© dans les diffĂ©rents environnements juridiques du Canada. On y retrouve ceux d'Eliza Sero, qui a prĂ©sentĂ© en 1921 une revendication Ă  la souverainetĂ© Mohawk, de Wanduta, un Heyoka de la nation Dakota, qui visait Ă  faire reconnaĂźtre son droit de cĂ©lĂ©brer la traditionnelle danse des herbes sacrĂ©es en 1903, d'Ira Johnson, qui a eu Ă  subir le courroux du Ku Klux Klan en raison de son dĂ©sir de contracter un mariage mixte en 1930, de Yee Clun, un restaurateur canadien d'origine chinoise Ă  qui l'on avait refusĂ© le droit d'employer des femmes blanches en 1924 et de Viola Desmond, qui avait Ă©tĂ© empĂȘchĂ©e par le personnel d'un cinĂ©ma de s'asseoir dans une section rĂ©servĂ©e aux Blancs en 1946. De la couleur des lois illustre l'ambiguĂŻtĂ© opĂ©rationnelle ainsi que l'Ă©tonnante et sournoise persĂ©vĂ©rance du racisme Ă  l'oeuvre dans le systĂšme juridique canadien. De la couleur des lois est la traduction française de Colour-Coded: A Legal History of Racism in Canada (University of Toronto Press, 1999), qui a Ă©tĂ© gagnant du prix Joseph Brant en 2002.

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Information

I
Introduction
Nous sommes en 1901, Ă  la veille du premier recensement rĂ©alisĂ© pour le Canada au XXe siĂšcle. Le gouvernement fĂ©dĂ©ral vient de distribuer Ă  ses fonctionnaires chargĂ©s de sonder la nation un ensemble bien ordonnĂ© et succinct d’instructions dont voici un extrait : [TRADUCTION] « Les diffĂ©rentes races humaines doivent ĂȘtre dĂ©signĂ©es au moyen des lettres suivantes : “b” pour Blanc, “r” pour Rouge, “n” pour Noir et “j” pour Jaune. » Il manquait la couleur brune, qui Ă©tait parfois associĂ©e Ă  la race, mais qui aurait pu semer la confusion entre les diffĂ©rentes catĂ©gories puisqu’il y avait dĂ©jĂ  une race dĂ©signĂ©e par un « b ». Ce qui ressort clairement de ces instructions, c’est que la couleur et la race, deux conceptions jumelles, Ă©taient indissociablement liĂ©es.
Advenant que les recenseurs fussent incapables d’établir immĂ©diatement les distinctions de couleur lors de leurs dĂ©marches de porte Ă  porte, ils devaient suivre les instructions que voici :
[TRADUCTION] Les Blancs sont, bien entendu, les gens de la race caucasienne, tandis que les Rouges dĂ©signent les AmĂ©rindiens, les Noirs dĂ©signent les Africains ou les NĂšgres et les Jaunes sont les Mongols (Japonais et Chinois). Cependant, seuls les Blancs de race pure seront classĂ©s dans la catĂ©gorie des Blancs ; les enfants issus d’un mariage entre un Blanc et toute personne d’une autre race seront classĂ©s comme des Rouges, des Noirs ou des Jaunes, selon le cas, et ce, peu importe l’intensitĂ© de la couleur de leur teint de peau1.
Blanc, Rouge, Noir et Jaune. Bien entendu. La locution prĂ©positive est curieusement placĂ©e juste aprĂšs les trois premiers mots d’ouverture. Faut-il donc en dĂ©duire que la race est universellement identifiĂ©e par la couleur ? Hormis pour ceux qui ont franchi la barriĂšre des couleurs et seront appelĂ©s Ă  recevoir une identification raciale dĂ©terminĂ©e « selon le cas » ? Que la couleur est un Ă©tat irrĂ©vocable, sauf lorsqu’il est question de « puretĂ© » et d’ « intensitĂ© » ? Qu’une touche de couleur autre que le blanc immaculĂ© « teinte » le classement par la couleur au-delĂ  de toute discussion ? La prĂ©sĂ©ance accordĂ©e Ă  la race blanche se manifeste de multiples maniĂšres Ă  l’époque et ressort clairement de l’ordre de ces listes oĂč la race blanche occupe la premiĂšre place. On reconnaĂźt en outre cette prĂ©dominance Ă  l’emploi de l’adjectif « pure », dans la mesure oĂč il est uniquement rĂ©servĂ© Ă  la race blanche. Les couleurs « rouge », « noire » et « jaune » dĂ©signent non seulement leurs pigmentations intrinsĂšques, mais englobent Ă©galement toutes les variantes dĂ©coulant de ces tons de peau.
Le barĂšme de couleurs primaires choisi par les reprĂ©sentants du gouvernement, avec ses coups de pinceau de rouge et de jaune francs, Ă©tait un choix curieux. La palette visĂ©e pour le recensement s’étend au-delĂ  de ces teintes vives jusqu’aux limites de la gamme des couleurs. Elle dĂ©borde littĂ©ralement du spectre jusqu’aux tons de noir, lesquels reprĂ©sentent l’absorption de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, tandis que les tons de blanc n’absorbent aucune couleur. Comme la plupart des observateurs l’auraient sans doute admis si on les y avait exhortĂ©s, ces catĂ©gories sont des plus inexactes dans la mesure oĂč aucun ĂȘtre humain ne naĂźt affublĂ© de couleurs aussi nettes et primaires.
Et pourtant, la dĂ©signation raciale au moyen de la couleur Ă©tait omniprĂ©sente en ce dĂ©but du XXe siĂšcle au Canada. Qu’il s’agisse des romanciers, des poĂštes, des politiciens, des commentateurs ou des historiens, tous dĂ©crivaient couramment les peuples racialisĂ©s en termes de teintes selon la palette de couleurs dĂ©terminĂ©e par les responsables du recensement. MalgrĂ© le caractĂšre artificiel inhĂ©rent Ă  une classification des gens Ă  l’aide de couleurs n’ayant qu’une trĂšs vague ressemblance avec leur vĂ©ritable teinte de peau, le recensement suivit son cours sans faire de vagues. En 1901, les registres officiels crĂ©Ă©s Ă  partir du recensement dĂ©peignent donc la composition raciale du Canada selon une gamme de couleurs de teintes vives, quoique inĂ©gale. Les Blancs constituent la vaste majoritĂ© de la population officielle avec un pourcentage de 96,2. Les Rouges reprĂ©sentent 2,4, les Jaunes 0,41 et les Noirs 0,32 pour cent. Les quelques personnes que les recenseurs sont incapables de cataloguer avec certitude sont dĂ©signĂ©es comme des gens « d’origines diverses » et de race « indĂ©terminĂ©e », reprĂ©sentant un total de 0,66 pour cent2.
Un demi-siĂšcle plus tard, les questions de race et de couleur seront dĂ©crites de maniĂšre beaucoup plus nuancĂ©e ; on cessera de se rĂ©fĂ©rer Ă  la palette de couleurs franches que sont le blanc, le rouge, le noir et le jaune. Les recenseurs avaient pour instruction de poser aux gens des questions sur leur « origine ». Dans le rapport du recensement de 1951, on concĂšde que les rĂ©sultats d’un sondage de cette nature rĂ©vĂšlent des renseignements qui tiennent « en partie de la culture, de la biologie et de la gĂ©ographie ». Dans le rapport, on reconnaĂźt que les mĂ©thodes de classification ont changĂ© au fil du temps en ajoutant, pour rassurer la population canadienne, que les objectifs gĂ©nĂ©raux du recensement, eux, sont demeurĂ©s les mĂȘmes :
[TRADUCTION] Au cours du passĂ©, le terme « origine » a Ă©tĂ©, dans la terminologie propre aux recensements, diffĂ©remment qualifiĂ© par des attributs tels que « raciale » et « ethnique », mais le but de cette enquĂȘte est demeurĂ© essentiellement le mĂȘme. Il s’agit, en bref, de s’efforcer de distinguer les groupes qui, au sein de la population, ont des caractĂ©ristiques culturelles semblables, fondĂ©es sur un hĂ©ritage commun3.
Et les donnĂ©es du recensement demeurĂšrent en majeure partie identiques. Les personnes « d’origine europĂ©enne », qu’on nommait anciennement les « Blancs », reprĂ©sentent 96,95 pour cent de la population canadienne. Ceux et celles qui dĂ©crivent leurs origines comme Ă©tant « Autochtones et Esquimaux » totalisent 1,18 pour cent. Les personnes d’origine asiatique, dĂ©sormais dĂ©crites comme des « Chinois », des « Japonais » et « autres Asiatiques », reprĂ©sentent 0,52 pour cent. Les « Noirs » constituent 0,13 pour cent. Le seul groupe de non-Blancs dont le nombre s’est accru pendant la premiĂšre moitiĂ© du siĂšcle, dĂ©crit de maniĂšre indĂ©finie comme « autre origine et pas de rĂ©ponse », totalise 1,22 pour cent. Dans leur tentative pour expliquer cette augmentation, on peut lire dans le rapport du recensement que ce groupe comprend [TRADUCTION] « les personnes ayant dĂ©clarĂ© qu’en raison de leur ascendance mixte ou pour d’autres motifs, elles ignoraient Ă  quel groupe d’origine elles appartenaient ». Le rapport poursuit en annonçant qu’il [TRADUCTION] « faudra s’attendre Ă  ce que ce problĂšme gagne en importance4
 ».
LA NOUVELLE DÉFINITION DU CONCEPT DE « RACE »
ET LA CONSTANCE HISTORIQUE DU « RACISME »
La signification du mot « race » a profondĂ©ment changĂ© au cours des derniers siĂšcles. Ce concept, dont l’origine remonte aussi loin que le siĂšcle des lumiĂšres, avait au dĂ©but pour objectif de marquer les diffĂ©rences de classes au sein de la sociĂ©tĂ© europĂ©enne. Au cours des XVIIIe et XIXe siĂšcles, lorsque des empires furent crĂ©Ă©s aux quatre coins du globe, les EuropĂ©ens commencĂšrent Ă  exploiter l’idĂ©e de « race » comme justification commode au droit qu’ils s’étaient arrogĂ© de dominer les peuples « primitifs », bĂątissant ainsi les assises des hiĂ©rarchies coloniales qu’ils Ă©taient en train d’instaurer. Avec l’essor de la « science » surgie dans la foulĂ©e de la RĂ©volution industrielle, les nouvelles disciplines telles que l’ethnologie, l’anthropologie, l’eugĂ©nisme, la psychologie et la sociologie servirent d’adjuvants « professionnels » pour favoriser la rĂ©alisation de cet objectif.
Bon nombre de scientifiques, de diverses disciplines, tous blancs, entreprirent la tĂąche complexe consistant Ă  dĂ©finir des catĂ©gories « raciales » et Ă  extrapoler, Ă  partir des donnĂ©es sur les « races », les multiples distinctions entre les ĂȘtres humains. La pigmentation de la peau n’était qu’un facteur parmi d’autres dans la longue liste des variables humaines Ă©numĂ©rĂ©es ; on retrouvait Ă©galement la stature, la forme de la tĂȘte, la capacitĂ© crĂąnienne, la couleur et la texture des cheveux, la forme des yeux, l’indice nasal et diverses autres caractĂ©ristiques faciales. Et pourtant, aucun de ces aspects du physique humain n’est en soi intrinsĂšquement si manifeste qu’il justifie qu’on en fasse une catĂ©gorie Ă  part. On peut mĂȘme s’étonner qu’ils ne soient pas allĂ©s jusqu’à diviser les ĂȘtres humains en races caractĂ©risĂ©es par des grandes oreilles et celles qui en ont des petites. Cependant, malgrĂ© la multitude des caractĂ©ristiques physiques servant Ă  fixer les classifications raciales, certains cas demeuraient inclassables. Certains individus qui avaient « l’air » d’ĂȘtre de race blanche disaient appartenir Ă  des groupes victimes d’oppression raciale ou Ă©taient classĂ©s comme tels par d’autres personnes. Afin de remĂ©dier Ă  ces incohĂ©rences, on avait ajoutĂ© Ă  la liste des Ă©lĂ©ments d’identification « raciale », les caractĂ©ristiques telles que la langue, la religion, la rĂ©sidence gĂ©ographique, la maniĂšre de se vĂȘtir, les habitudes alimentaires, l’intelligence, la rĂ©putation et le nom5.
La classification raciale fonctionnait comme un prĂ©texte facile, Ă  portĂ©e de main, pour nombre de groupes disparates qui cherchaient Ă  justifier le fait qu’ils dĂ©tiennent davantage de ressources, de pouvoir et un statut supĂ©rieur par rapport aux autres. On sait Ă  quel point l’adoption de la notion de « race » a permis de justifier l’esclavage des Noirs. Il est tout aussi manifeste que l’idĂ©ologie « raciale » a servi de prĂ©texte pour s’emparer des terres des PremiĂšres Nations. Le concept de « race » a servi d’explication dĂ©finitive pour infliger un traitement punitif aux immigrants d’origine asiatique Ă  la fin du XIXe siĂšcle. La terminologie « raciale » a Ă©galement Ă©tĂ© employĂ©e afin de rationaliser le phĂ©nomĂšne de l’exploitation entre Blancs eux-mĂȘmes. Des distinctions « raciales » ont historiquement Ă©tĂ© Ă©tablies entre les communautĂ©s saxonne, celte, normande, irlandaise, Ă©cossaise et anglaise. En AmĂ©rique du Nord, on rĂ©futait facilement les revendications d’appartenance Ă  la race blanche prĂ©sentĂ©es par les immigrants en provenance d’Europe du Sud et de l’Est, de Syrie, d’ArmĂ©nie, d’Arabie, d’Inde et des Philippines. Le traitement discriminatoire rĂ©servĂ© aux Franco-Canadiens, aux personnes affiliĂ©es Ă  des religions autres que le protestantisme ainsi qu’aux groupes d’immigrants en provenance de l’Europe du Sud et de l’Est a Ă©galement Ă©tĂ© idĂ©ologiquement rattachĂ© aux notions de « race »6.
Les historiens spĂ©cialisĂ©s dans l’étude des thĂ©ories intellectuelles entourant le concept de « race » ont soutenu que les revirements majeurs dans la façon de penser sont survenus durant la premiĂšre moitiĂ© du XXe siĂšcle. Selon leurs recherches, la communautĂ© scientifique blanche aurait atteint, au cours de ces deux premiĂšres dĂ©cennies, une sorte d’apogĂ©e dans l’évaluation, la quantification et la description des distinctions physiques existant entre les « races ». Dans les annĂ©es 1930, une nouvelle gĂ©nĂ©ration d’anthropologues entreprit de dĂ©construire la pyramide de connaissances prĂ©cĂ©demment Ă©difiĂ©e en vue de parvenir Ă  un ensemble de donnĂ©es et de conclusions uniformes.
Ces scientifiques de la nouvelle mouture avancĂšrent l’idĂ©e que les distinctions raciales manquaient d’une structure dĂ©finie. Bien qu’ils ne reniassent pas complĂštement l’existence des races, ils introduisirent le concept d’ « ethnicitĂ© » en soutenant qu’il Ă©tait plus aisĂ© d’expliquer les diffĂ©rences humaines Ă  l’aide de facteurs sociaux, politiques, Ă©conomiques et gĂ©ographiques que par la biologie uniquement. On peut observer un revirement dans le mode de pensĂ©e Ă  la lecture du recensement canadien de 1951, oĂč les rĂ©fĂ©rences Ă  la « culture » et Ă  la « gĂ©ographie » sont combinĂ©es Ă  celles de la « biologie » Ă  titre de caractĂ©ristiques dĂ©finissant l’organisation humaine. Comme le rapport du recensement de 1951 le souligne, cependant, le changement est davantage de nature sĂ©mantique que substantive. La croyance voulant que l’humanitĂ© soit rĂ©partie en groupes distincts et qu’il est possible de diffĂ©rencier ces groupes au moyen de caractĂ©ristiques prĂ©cises demeure, on le constate, inĂ©branlable7.
À la fin des annĂ©es 1930 et au dĂ©but des annĂ©es 1940, on admet en gĂ©nĂ©ral que la thĂ©orie des races atteint son apogĂ©e avec la philosophie « arienne » de la race supĂ©rieure sur laquelle se fonde le nazisme prĂŽnĂ© par Hitler. Avec un retard notable, les forces alliĂ©es ont fini par reconnaĂźtre certaines des consĂ©quences atroces de la discrimination raciale. Sous l’égide des Nations unies, organisation crĂ©Ă©e Ă  la fin des annĂ©es 1940, les gouvernements des pays occidentaux adoptĂšrent un ensemble de politiques affirmant leur intention d’éliminer la discrimination fondĂ©e sur la race. Mais encore une fois, cette rĂ©forme fut de nature plus thĂ©orique que pratique. La plupart des actes de discrimination raciale demeurĂšrent impunis, la seule diffĂ©rence Ă©tant qu’il n’était plus de bon ton de passer pour un raciste8.
Est-il possible de parler d’histoire « raciale » compte tenu de la nature fugace de la « race » ?
L’étude du concept de la « race » Ă  travers le temps illustre, au-delĂ  de la controverse, que la notion mĂȘme a Ă©tĂ© Ă©difiĂ©e sur des sables mouvants. La nature Ă©phĂ©mĂšre et changeante de la « race » ne nous paraĂźt jamais aussi manifeste que lorsqu’on l’examine avec le passĂ© pour toile de fond. S’ensuit-il pour autant que toute enquĂȘte menĂ©e sur l’histoire « raciale » est vouĂ©e Ă  l’échec dĂšs le dĂ©but ? Étant donnĂ© le caractĂšre artificiel des dĂ©signations raciales, peut-on quand mĂȘme se permettre d’étudier les rĂ©percussions historiques de la notion de « race » ? D’aucuns soutiennent qu’il est quasiment impossible, pour ces raisons, de procĂ©der Ă  des Ă©valuations crĂ©dibles au sujet de l’ampleur du racisme Ă  travers l’histoire et qu’il faudrait rejeter tout dĂ©bat concernant les catĂ©gories raciales. Cette attitude radicale serait, Ă  mon avis, la plus grave des erreurs. La « race » est une conception mythique, ce qui n’est pas le cas du « racisme ».
L’histoire canadienne se fonde sur les distinctions, hypothĂšses, lois et mesures de nature raciale, aussi fictif le concept de « race » puisse-t-il ĂȘtre. En omettant de scruter avec rigueur les registres de notre passĂ© pour en extraire les principes profondĂ©ment enracinĂ©s de l’idĂ©ologie et de la pratique racistes, on en viendrait Ă  abonder dans les sens de la mĂ©prise rĂ©pandue au Canada selon laquelle notre pays ne saurait vraiment ĂȘtre accusĂ© d’avoir exercĂ© une exploitation raciale systĂ©mique, alors que rien ne saurait ĂȘtre plus manifestement erronĂ©.
Des termes tels que « Blanc », « Esquimau », « Indien », « Chinois », etc., posent bien entendu problĂšme dans l’optique de la construction sociale et prĂ©caire, sur le plan historique, du concept de « race ». MalgrĂ© la nature artificielle de cette terminologie, cependant, de telles dĂ©signations raciales Ă©taient communĂ©ment employĂ©es au Canada au cours de la premiĂšre moitiĂ© du XXe siĂšcle. Qui plus est, les concepts de race avaient des retombĂ©es importantes sur les plans Ă©conomique, social et politique pour les personnes qui Ă©tablissaient ces distinctions. Explorer les significations rattachĂ©es Ă  ces dĂ©signations raciales fait donc partie intĂ©grante de la tĂąche dĂ©volue Ă  l’historien des races.
Tout au long de cette pĂ©riode, ce qui ressort avec la plus grande constance, c’est l’hypothĂšse prĂ©dominante selon laquelle, quelle que fĂ»t la maniĂšre dont on la dĂ©crivait, la dĂ©finissait ou l’utilisait, la race constituait un attribut distinct qui permettait de diffĂ©rencier les ĂȘtres humains. Face aux classifications arbitraires et aux thĂ©ories intellectuelles susceptibles de fluctuer de façon radicale, la vaste majoritĂ© des observateurs provenant des milieux universitaire, gouvernemental, juridique, de la presse et du grand public demeuraient inĂ©branlables. Ils refusaient de revenir sur leur sentiment que les distinctions raciales constituaient un fait avĂ©rĂ©. Les textes de doctrine influents continuaient de dĂ©peindre les races en termes de couleurs « noire », « rouge » et « jaune » jusqu’au milieu des annĂ©es 1960 et au dĂ©but des annĂ©es 1970. Lorsqu’on poussait les gens Ă  dĂ©finir la maniĂšre dont ils concevaient la race, il leur arrivait de rester embourbĂ© dans des paroxysmes de confusion. Mais tout un chacun Ă©tait convaincu de savoir reconnaĂźtre, « instinctivement », une race aussitĂŽt qu’il en rencontrait une9.
Les Canadiens Ă©taient fermement persuadĂ©s que la race Ă©tait, quelle que fussent les diffĂ©rentes raisons qui les poussaient Ă  le croire, une classification valable et fondĂ©e. Il arrivait que certains groupes se dĂ©placent d’une communautĂ© raciale Ă  une autre, en fonction de diffĂ©rents facteurs tels que la classe sociale, le lieu gĂ©ographique, la langue, le comportement, la culture ou les caractĂ©ristiques physiques. Les groupements raciaux pouvaient Ă©voluer et changer au fil du temps. À la fin de cette pĂ©riode, certains commencĂšrent Ă  parler des « origines » plutĂŽt que de « race » ou de « couleur ». Ce qui demeurait cependant constant, c’est l’emploi de la notion de « race » Ă  titre de caractĂ©ristique pour diffĂ©rencier les peuples. Et le « racisme » – soit l’utilisation de catĂ©gories raciales en vue de crĂ©er, d’expliquer et de perpĂ©tuer les inĂ©galitĂ©s – demeurait de façon rĂ©currente statique. L’omniprĂ©sence du racisme justifie en soit que l’on mĂšne des recherches sur les questions raciales, aussi terriblement vides de sens ces catĂ©gories raciales fussent-elles.
DÉFINITION DES TERMES « RACE » ET « RACISME »
Les termes que j’ai choisis pour dĂ©crire les diffĂ©rents groupes racialisĂ©s citĂ©s dans ces causes...

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Backhouse, C. (2010) De la couleur des lois. [edition unavailable]. Les Presses de l’UniversitĂ© d’Ottawa. Available at: https://www.perlego.com/book/666690/de-la-couleur-des-lois-pdf (Accessed: 14 October 2022).

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Backhouse, Constance. De La Couleur Des Lois. [edition unavailable]. Les Presses de l’UniversitĂ© d’Ottawa, 2010. Web. 14 Oct. 2022.