GESELLSCHAFT
Globalisation et exclusion sociale :
Cette intervention a été faite lors d’un séminaire international organisé à Lisbonne dans le cadre du projet InformAge le 11 février 2000 avec le thème : « Jeunesse, dynamiques d’exclusion, parcours d’insertion »
J’ai été prié de répondre à trois questions lors de mon intervention :
- Y a-t-il un lien entre le processus de globalisation et l’exclusion sociale?
- Dans quelle mesure l’évolution technologique influence-t-elle la politique d’emploi des jeunes?
- Quelles seront les mesures de politique sociale qui doivent être mises en place pour influencer positivement la cohésion sociale?
Les réponses à ces questions sont complexes et si elles étaient faciles, je ne serais pas ici aujourd’hui. D’autant plus que je ne suis pas un expert : Je suis ni sociologue, ni économiste, ni spéculant en bourse, ni décideur politique. Mais en travaillant avec des enfants et des jeunes en difficulté, je me suis posé des questions sur le système dans lequel je travaille, quels sont les mécanismes qui font que des enfants, des jeunes et des familles entières sont marginalisés, discriminés, exclus. A première vue, ces mécanismes semblent se soustraire de tout contrôle politique. Ils sont souvent vécus par leurs victimes comme des fatalités auxquelles on ne peut échapper. Les décideurs politiques au niveau national haussent les épaules : les responsables se trouvent ailleurs. Mais de plus en plus, les acteurs de la société civile au niveau local et au niveau associatif essayent de développer des stratégies contre les effets néfastes de la globalisation : les protestations en France contre la « malbouffe », le fast food qui inonde le secteur de la restauration, les démonstrations à Seattle et à Davos, l’échec du sommet de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) à Seattle montrent qu’il y a une prise de conscience à différents niveaux politiques. Partout, des associations politiques se créent qui ont pour objet la lutte contre le « turbo-capitalisme ».
A Davos les grands du monde se sont rencontrés au Forum économique mondial. « Dans leur plaidoyer en faveur du libre commerce, Tony Blair et Bill Clinton ont trouvé des alliés inattendus, à commencer par le président mexicain, Ernesto Zedillo, qui s’est livré à un violent réquisitoire contre les adversaires de l’OMC. Mettant en cause « une étrange alliance née dernièrement, qui va de l’extrême gauche à l’extrême droite en passant par les écologistes, les syndicats des pays développés et quelques représentants autoproclamés de la société civile », il s’en est pris au « globalophobes », dont les arguments, selon lui, cachent un protectionnisme malvenu. »26
400 milliardaires sont aussi riches que la moitié de la population mondiale. Cette constatation montre dans quelle mesure le processus de « globalisation » de l’économie mondiale est déjà une réalité. Presque chaque jour, les médias nous annoncent de nouvelles fusions d’entreprises. L’augmentation du chiffre d’affaires va souvent de pair avec la diminution du personnel. Les entreprises créent de nouveaux emplois dans les pays, où la main d’oeuvre est bon marché. La spéculation sur le marché des devises génère des profits énormes et précipite dans la misère des peuples entiers. Dans les pays industrialisés, les conditions de vie des gens changent : la sécurité de l’emploi, les revenus garantis, la sécurité sociale, les retraites et un grand nombre d’autres « acquis » du 20e siècle semblent remis en question.
La sécurité sociale a été « inventée » et réalisée d’abord dans les pays européens et de nos jours, elle n’est pas encore une réalité dans les pays du tiers monde. Au contraire, l’argument de la « compétitivité » est utilisé par le patronat européen pour mettre en question les différents systèmes de protection sociale et de continuer à exploiter sauvagement la main d’oeuvre dans les pays « en voie de développement ».
Le contexte économique, social et culturel en Europe a en effet changé radicalement : L’augmentation de l’espérance de vie et la baisse de la natalité font diminuer d’une manière dramatique le taux de la population active. Le déficit démographique est compensé par l’immigration de main d’oeuvre en provenance des pays de l’est et de l’Afrique du Nord ce qui crée des tensions sociales. La tertiairisation de l’économie par contre crée de nouveau le chômage. La productivité augmente, mais pas le pouvoir d’achat. Les inégalités entre les salaires augmentent. Les décideurs politiques se trouvent de plus en plus dans des situations sans issue, des alternatives infernales.
Mais de plus en plus de gens se mobilisent contre ces tendances : l’échec du sommet de Seattle et les démonstrations à Davos le montrent bien.
Plusieurs questions se posent :
- Est-ce que la globalisation est une fatalité qui en plus serait irréversible?
- Quels sont les possibilités des décideurs politiques?
- Quels sont les groupes de personnes les plus touchées par les effets de la globalisation?
- Quel est le rôle des pays de l’Union Européenne?
- L’innovation technologique est-elle productrice ou destructrice d’emplois?
- Que peuvent faire les associations, la société civile face aux problèmes de l’exclusion?
La globalisation et l’économie mondiale
Selon les auteurs allemands Hans-Peter Martin et Harald Schumann27, la globalisation de l’économie n’est pas une fatalité mais a été provoquée délibérément par les décideurs politiques et économiques : la libre circulation des capitaux et des marchandises, l’ouverture des marchés des devises, l’extension des marchés intérieurs uniques comme celui de l’Union Européenne, les accords de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), traité par traité, loi par loi.
L’idéologie néo-libérale domine les politiques économiques : dérégulation des contrôles étatiques, libéralisation des marchés et de la circulation du capital, privatisation des entreprises publiques. Mais ce « turbo-capitalisme » est en train de saboter les bases mêmes de son existence : les institutions démocratiques et la stabilité de la société. En se laissant guider uniquement par les soi disantes contraintes économiques, les gouvernements mettent en péril les institutions démocratiques. « La globalisation devient un piège pour la démocratie »28. Des millions de citoyens insécurisés contribuent au succès des mouvements racistes, xénophobes et populistes comme le montre bien l’accession au pouvoir de Jörg Haider en Autriche.
Jean Ziegler29 fait lui aussi une description pertinente de la globalisation :
« La réalisation de la loi des coûts comparatifs de production et de distribution, formulée par…David Ricardo au début du XIXe siècle, se généralise. Tout bien, tout service sera produit là où ses coûts seront les plus bas. »30
Le « Killerkapitalismus » (capitalisme de tueurs), comme il le nomme, fonctionne de la manière suivante :
- Les états du tiers monde se battent entre eux pour attirer des investissements et réduisent les coûts salariaux et les libertés syndicales
- Les pays industrialisés, en particulier l’Europe, délocalisent leurs installations de production et obligent ainsi les Etats à sacrifier la protection sociale sur l’autel de la « compétitivité »
- Les travailleurs des différents pays entrent en compétition les uns avec les autres ; c’est la mort du syndicalisme
- A l’intérieur des démocraties européennes, ceux qui ont du travail se battent contre ceux qui n’en ont plus. Les jalousies entre le secteur public et le secteur privé grandissent, la xénophobie et le racisme s’installent.31
En 1997, 37 000 sociétés transnationales (surtout européennes, américaines et japonaises) dominent l’économie mondiale. 172 sur 200 des plus grandes entreprises transnationales sont localisées dans 5 pays avec une part de presque 30% au produit mondial brut. Aujourd’hui, aucune force sociale ou politique ne semble plus en mesure de contrecarrer leurs ambitions »32
Les entreprises multinationales ont d’innombrables possibilités pour éviter de payer leurs impôts : Outre les pratiquent qui occupent de plus en plus les tribunaux dans beaucoup de pays, des pratiques « légales » s’installent qui constituent une « atteinte à la pudeur du contribuable » selon Martin et Schumann33. La méthode la plus simple en termes d’experts est le « transfer pricing » : Des filiales organisées dans un réseau international organisent un marché de produits intermédiaires, de services et de licences qui autorisent les firmes à se présenter à ellesmêmes des factures à la limite illicites. Malgré les complaintes des sociétés, l’imposition effective des entreprises en Allemagne à baissé en moyenne de 37 à 25% entre 1980 et 1994.
Et la concentration continue : Chaque semaine, on apprend de nouvelles fusions d’entreprises, toujours accompagnées des mesures de « restructuration », c.à.d. de licenciements!
La globalisation et le développement technologique
Selon Ankie Hoogvelt34, le processus de l’expansion du capitalisme mondial est achevé, la phase de la globalisation correspondrait plutôt à l’approfondissement (deepening) de l’intégration capitaliste.
Par le processus de la globalisation politique et économique, le monde est « comprimé ». Notre façon de vivre de ce côté du globe a des conséquences immédiates pour les habitants du côté opposé.
Le développement technologique sert d’abord les riches : En développant la cartographie pendant la Renaissance, les propri...