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21 jours en octobre
Magali Favre
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- 152 Seiten
- French
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21 jours en octobre
Magali Favre
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« Vers 4 heures, cette nuit, le gouvernement a pris des dispositions exceptionnelles. Il a proclamé la Loi sur les mesures de guerre⊠» Nous sommes à Montréal, en octobre 1970. Dans cette période troublée de l'histoire du Québec, entre l'usine, le chÎmage, la démolition d'un quartier, la révolte des petites gens, et aussi une belle rencontre amoureuse, voici une tranche de vie passionnante, et une tranche d'Histoire.
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Information
Verlag
Editions du BoréalJahr
2017ISBN
9782764640692
1
Ă la barre du jour
Les machines font un bruit infernal. Une poussiĂšre humide et cotonneuse envahit ses poumons. Il tousse et sent une dĂ©chirure au fond de sa gorge. La cadence de la fileuse rĂ©sonne dans sa tĂȘte. Une chaleur moite lui colle Ă la peau.
La sirĂšne hurle enfin. Sa premiĂšre semaine de travail est terminĂ©e. Un garçon Ă peine plus vieux que lui vient le remplacer. Celui-ci vĂ©rifie dâun coup dâĆil expert si les fils sont bien tendus et les barils de laine bien garnis. LâĂ©norme fileuse, elle, garde la cadence, indiffĂ©rente.
GaĂ©tan traverse lâimmense salle qui vibre au rythme de cinquante machines. Il rejoint les ouvriers qui se massent dans les escaliers, leur boĂźte Ă lunch vide au bout du bras. Il descend trois paliers et se retrouve en file devant la sortie.
Ă son tour, il prend sa carte et la glisse dans la fente de la pointeuse. Il est sept heures du matin, le 16 octobre 1970. Il sort. Le vrombissement des machines cesse enfin.
Le soleil nâest pas encore levĂ©, et la ville baigne dans une lueur bleutĂ©e. Le garçon aime cet instant de la journĂ©e oĂč tout est encore neuf, oĂč tout semble encore possible. Il marche Ă pas lents vers la rue Notre-Dame et respire Ă grandes goulĂ©es lâair vif de lâaube. Il sâamuse Ă faire de la buĂ©e avec sa bouche en attendant lâautobus. Un lĂ©ger frimas couvre les voitures. Les derniĂšres feuilles tombent des arbres.
Le bus arrive bondĂ©, comme chaque matin. Les usines le long du canal ont toutes les mĂȘmes quarts de travail, et les vieux autobus bruns qui se traĂźnent le long des rues peinent Ă contenir les centaines de travailleurs qui retournent chez eux. GaĂ©tan arrive Ă se faufiler juste avant la fermeture des portes. Il en a pour une heure Ă se faire brasser, jusquâau coin de la rue Wolfe, dans son quartier du Faubourg Ă mâlasse, tout prĂšs du port.
Debout, appuyĂ© au poteau, il commence Ă ĂȘtre fatiguĂ©. Ses paupiĂšres sont lourdes, il somnole. RĂ©veillĂ© par une secousse, il entrouvre les yeux et aperçoit le clocher de la basilique Notre-Dame. Enfin, il va bientĂŽt arriver. Il nâa quâune hĂąte : plonger dans son lit. Mais avant, il veut passer chez Luc.
Il descend du bus et longe lâimmense terrain vague oĂč monte un peu plus haut chaque jour la nouvelle tour de Radio-Canada. Il songe aux interminables parties de hockey quâil y a disputĂ©es avec ses amis. Cette portion du quartier tombĂ©e sous les pics des dĂ©molisseurs Ă©tait devenue avec le temps un immense terrain de jeu. AprĂšs lâĂ©cole, tous les garçons sây retrouvaient ; lâĂ©cole Plessis contre lâĂ©cole Garneau.
Aujourdâhui, des palissades en interdisent lâaccĂšs, et les grues sont dĂ©jĂ en pleine action. De toute façon, GaĂ©tan nâa plus le temps de traĂźner, ni au terrain vague ni dans les ruelles. Il ne verra plus sa mĂšre surgir sur le balcon pour crier que le souper est prĂȘt.
GaĂ©tan longe lâinterminable palissade. Chaque jour, de nouveaux graffiti sâajoutent sur les panneaux : FLQ vaincra ! « Celui-lĂ a certainement Ă©tĂ© peint pendant la nuit », se dit le garçon en haussant les Ă©paules, avant de tourner sur la rue de la Visitation, oĂč habite son ami. De plusieurs annĂ©es son aĂźnĂ©, Luc travaille lui aussi Ă la Dominion ; il y est depuis deux ans. Câest grĂące Ă Luc que GaĂ©tan a trouvĂ© ce travail, en mentant sur son Ăąge.
Deux jeunes garçons, leur sac dâĂ©cole Ă la main, passent Ă cĂŽtĂ© de lui en courant et bousculent le facteur, qui poursuit sa tournĂ©e comme si de rien nâĂ©tait.
â Envoyez ! DĂ©pĂȘchez-vous, les flos ! LâĂ©cole est commencĂ©e ! leur crie GaĂ©tan en riant.
Pour la premiĂšre fois, cette annĂ©e, il nâest pas retournĂ© Ă lâĂ©cole. Ă quinze ans, il sâest dit que le temps Ă©tait venu pour lui de sauter dans la vraie vie. De toute façon, ses parents ont besoin de lâargent quâil rapporte Ă la maison.
Justement, aujourdâhui, il a sa premiĂšre paye en poche. GaĂ©tan donne un coup de pied dans un gros tas de feuilles mortes.
â Ă câtâheure, je suis dans les ligues majeures ! se dit-il fiĂšrement.
Il passe par la ruelle et grimpe quatre Ă quatre les marches de lâescalier en colimaçon qui monte jusquâau troisiĂšme. Il pousse la porte et se retrouve dans la cuisine, devant un Luc Ă peine sorti du lit.
â Excuse ! Jâarrive trop tĂŽt ?
â Câest pas grave. De toute façon, jâai une rĂ©union syndicale avant la job. Pis, ta premiĂšre semaine ?
â Câest pas mal tofe, le travail de nuit. Le bruit, la chaleur⊠Je suis crevĂ© !
â Câest fini, se pogner le beigne sur les bancs dâĂ©cole ! Envoye, je tâinvite Ă prendre une Mol Ă la taverne.
â Ă neuf heures du matin ? Si ma mĂšre lâapprendâŠ
â Crains pas ! Ăa va avec la job. Si tu peux travailler, tu peux boire !
Luc retourne dans sa chambre pour sâhabiller. GaĂ©tan admire ce jeune homme dĂ©terminĂ© qui ne se laisse pas marcher sur les pieds. Luc a dĂ©crochĂ© un poste au shipping Ă la Dominion. Un travail moins dur quâĂ la production, mĂȘme sâil faut transporter des boĂźtes Ă longueur de jour. Il nâest pas fils de dĂ©bardeur pour rien. Il connaĂźt le mĂ©tier. « Le plus fatiguant, explique Luc, câest de supporter le foreman qui aboie ses ordres en anglais. »
Des coups violents retentissent soudain Ă la porte.
â Va voir câest qui ! lance Luc de la chambre. Jâarrive !
GaĂ©tan jette un coup dâĆil par la fenĂȘtre du petit salon. Deux hommes qui portent un chapeau et un pardessus gris se tiennent droits comme des piquets devant la porte.
â Je les connais pas. En tout cas, ils ont des faces de bĆufs !
Avant mĂȘme que Luc ait le temps de rĂ©pondre, un fracas de vitre brisĂ©e retentit dans la cuisine. Deux policiers pĂ©nĂštrent brusquement dans lâappartement et vont ouvrir aux hommes, qui attendaient toujours devant lâentrĂ©e.
â Luc Maheu ? demande lâun dâeux.
â Lui-mĂȘme ! Quâest-ce que vous faites chez moi ? Câest quoi, le problĂšme ?
â On vient te rendre une petite visite matinale, comme tu vois.
Un policier vide déjà les tiroirs de la chambre et fouille les armoires.
â Avez-vous un mandat ? demande Luc, abasourdi, en boutonnant rapidement sa chemise.
â Mon gars, tu sauras que depuis quatre heures Ă matin on peut faire ce quâon veut. Nos dĂ©putĂ©s ont fait de lâovertime. La loi des ...