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Nouveaux essais de littérature appliquée

Jean Larose

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  1. 194 páginas
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Nouveaux essais de littérature appliquée

Jean Larose

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Dans cet ouvrage qui fait suite aux Essais de littérature appliquée publiés au printemps 2015, Jean Larose réunit de nouveau plus d'une vingtaine de ses écrits des dernières années inspirés par l'état du monde actuel ou, plus précisément, par l'expérience à la fois fascinée et « hystérique » que peut réserver à un esprit formé par la littérature et la pensée modernes le monde dans lequel nous voici maintenant tenus de vivre. Un monde entièrement remodelé par l'oubli du passé, la dévastation euphorique de la culture héritée et, d'une certaine manière, la réinvention radicale de l'humanité, une humanité enfin innocente, débarrassée du poids de la mémoire et du désir contrarié, et tout entière livrée au bonheur sans ombre que lui fabriquent chaque jour les puissances effrénées de la technique et du commerce. Tableau général de notre époque, une époque dans laquelle, si vous interrogez Google à propos de Varlam Chalamov, l'auteur des « Récits de la Kolyma », le « moteur de recherche » vous renseigne sur le « goulag » et vous offre en même temps des vacances en Sibérie, ce livre éclaire aussi ce que deviennent dans un tel contexte, tout près de nous, l'éducation, la sexualité, la politique, la culture, la poésie même, et le Québec notre patrie.Cet éclairage est d'autant plus vaste et pénétrant, d'autant plus pathétique et drôle à la fois, qu'il n'est pas le fait d'un sociologue ou d'un historien, qu'il ne se veut ni « impartial » ni « objectif », mais est porté au contraire par une seule chose: l'inquiétude d'un esprit profondément interloqué, secoué par ce qui se produit autour de lui, et qui cherche à la fois à en prendre acte et à se sauver, grâce aux seules armes qui lui restent: une lucidité passionnée, une franchise absolue et la prose française.

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Información

Año
2015
ISBN
9782764643907
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J’ai regardé avec mon fils Night at the Museum : Battle of the Smithsonian. L’histoire est à la fois très simple et très compliquée : le « plus grand musée du monde » a acquis récemment la momie du pharaon Kahmunrah et sa « tablette magique ». Or, imaginez-vous donc que, grâce à la tablette, la nuit venue, Kahmunrah ressuscite ! D’ailleurs, tout renaît dans le musée, au commandement du iPad hiéroglyphique. Les mannequins s’animent et sortent des vitrines pour prendre part au combat immémorial du Bien et du Mal. En effet, Kahmunrah est reparti à la conquête du monde, une obsession chez lui. Il est assisté dans cette entreprise antidémocratique par le trio démoniaque que forment Ivan le Terrible, Al Capone et Napoléon (toujours un méchant pour les Anglos). Heureusement, contre ces affreux conquérants, dans le camp du Bien se dresse le sympathique Larry, gardien de nuit. Un gars bien ordinaire mais qui tient son bout. Ses fidèles alliés – mon fils les reconnaît, pour avoir fait leur connaissance dans le premier Night at the Museum – sont le président Teddy Roosevelt, Attila le Hun, Octavius le centurion romain et Jedediah le cow-boy. Je n’ai pas compris pourquoi Attila était un gentil, et Ivan un méchant. Attila ferait-il plus ethnique-autre-ouvert, moins occidental-même-fermé (ou seulement moins russe) ? Toujours est-il que les gentils en arrachent, on voit le moment où le pharaon à tablette magique va conquérir le monde et abolir les droits de la personne. Mais le gars des vues s’en mêle et Le Penseur de Rodin se jette dans la bagarre – quel athlète, celui-là, quand il arrête de penser ! Et puis, l’aviatrice Amelia Earhart trouve Larry à son goût et débarque de son coucou pour lui donner un coup de main. La lutte est terrible, le sort balance, l’univers est en haleine. Enfin le Bien triomphe, grâce au colosse Abraham Lincoln, qui sort de sa niche du Memorial pour distribuer aux conquérants des taloches bien méritées.
Je n’en reviens pas…
Lou m’entraîne ensuite devant son ordinateur pour une partie de Civilization. Le but du jeu, comme de raison, est de conquérir le monde. Je retrouve Abraham Lincoln en président d’Athènes. Les Athéniens sont une tribu préhistorique qui vit habituellement en Mongolie, mais qui s’est récemment lancée à la conquête de l’Amazonie. L’Amazonie, comme chacun le sait, est une province de la Chine, entre le Danemark et la Gaspésie. La partie est rude. Les Athéniens de Lincoln lancent des missiles Tomahawk contre les troupes du shogun qui se battent pour le compte de Charles Quint, roi de Tasmanie1.
Je suis sidéré, flabbergasté, comme dirait Marcotte ! On en est rendu là !
Voyons, papa, Civilization, c’est juste un jeu. Oui. Bien sûr. Et Night at the Museum, juste un film. Y a rien là. Pourquoi ces libertés prises avec l’histoire me scandalisent-elles ?
Je repense à ce que j’ai entendu à Radio-Canada, l’autre soir. Une présentation du roman de Jean Echenoz, 14 : « Cette guerre-là, savez-vous, 14-18, j’avoue que je ne la connaissais pas. J’ai fait une recherche. Savez-vous que 14-18, ç’a été épouvantable ! »
Scène vécue : un jeune professeur expose aux étudiants de son séminaire le concept de présentisme, de François Hartog. D’après cet auteur, le présentisme serait le régime d’historicité de notre époque. Les étudiants réagissent en se félicitant de vivre à une époque libre des préjugés sexistes et racistes du passé. Ils ont compris présentisme comme signifiant le contraire de passéisme. Ils n’ont pas saisi la signification critique du concept. Pour eux, être présentiste, c’est être jeune, vivant, intense, actuel, tolérant. Un présentiste, c’est quelqu’un d’ouvert, qui n’est pas comme ces gens bornés qui trouvent toujours que « c’était mieux avant ».
Le professeur semble un peu surpris que ses étudiants soient présentistes au point de ne pas comprendre que le présentisme est un aveuglement idéologique, un chauvinisme du présent. Que le terme désigne justement l’étroitesse d’esprit qui consiste à croire que le présent est forcément un progrès par rapport au passé. Pris au dépourvu, le professeur hésite. Osera-t-il détromper ses élèves ? Il laisse dire d’énormes bêtises avec un sourire compréhensif. Craint-il qu’on le juge passéiste ? Ou qu’on lui donne une mauvaise note quand les étudiants évalueront son enseignement ?
Allez-y donc, un beau jour, à l’université. Prenez un pupitre au fond d’une classe, pour avoir vue sur la cascade d’écrans descendant vers l’estrade. On se croirait dans un avion où chaque passager regarde un film différent. On envoie des messages, on joue, on lit le journal (pas trop), on regarde une vidéo sur YouTube, on magasine sur Amazon, on écrit sur Facebook à la copine de la rangée de derrière, on retourne sur YouTube, on répond au copain de la rangée de devant… (J’exagère. On écoute aussi le professeur, et certains étudiants prennent des notes.) On a beaucoup parlé de ce phénomène. Cela s’appelle le multitasking. On s’épate du « recâblage cérébral » qui permet aux « jeunes » de faire tant de choses en même temps. Une mutation de l’espèce humaine2. Michel Serres est en admiration3.
L’idéologie présentiste admet tout naturellement que le multitasking est un progrès du cerveau. Aujourd’hui, on pense mieux, dans les deux sens : plus démocratiquement et plus efficacement. Avec plus d’efficience et plus de résilience que les gens d’autrefois. Le respect pour la différence exclut les différences du passé et des autres cultures, l’infinie variété des époques et des pays. Comme si la haute technologie était le sceau des révolutions et abolissait à rebours jusqu’à la nécessité de connaître les différences historiques. Le présentiste ne marche pas inquiet dans les ténèbres, comme ses grands-parents accablés par trop de modernité. Il surfe, comme dans certaines piscines, sur une vague stationnaire toujours renouvelée.
Ce n’est pas mon propos de refaire le constat, le procès ou le deuil de la modernité déchue, exaltée ou démultipliée en postmodernité, non-modernité ou hypermodernité (et je n’y comprends rien). La destruction de la tradition a libéré des forces inouïes de possibilités qui se découvrent chaque jour dans les ruines de la culture. Le présentisme n’est cependant pas une nouvelle post-postmodernité qui exploiterait autrement le trésor éclaté de la tradition moderne. Il en est le figement – en avant !
En régime présentiste, le passé n’est pas absent de la culture, mais désymbolisé et recodé dans le flux symbolique de chaque jour – il faudrait dire désensé et resensé –, pour un usage spectaculaire et rentable. La pauvreté symbolique à laquelle le marché réduit la paix entre les nations autorise la désymbolisation de tous les symboles, noms de famille, d’œuvres, de lieux, mais aussi d’événements historiques, et leur combinaison avec n’importe quoi, littéralement et dans tous les sens. Recoder n’est pas resymboliser.
J’interrogeais dernièrement Google au sujet de Varlam Chalamov, l’auteur des Récits de la Kolyma, déporté au goulag en 1937. Je clique sur un lien qui semble intéressant. Il ne conduit qu’à une biographie sommaire, rien qui vaille. Comme j’allais revenir en arrière, je remarque une annonce, en bleu, dans la marge : « Photos de Sibérie. Contemplez. Rêvez. Partez ! »
Je n’en crois pas mes yeux : on profite de Chalamov pour essayer de me vendre des vacances en Sibérie ! Rêvez ! L’enfer des camps soviétiques, les peines interminables, la mort abjecte de millions d’hommes ! Contemplez ! Du haut des miradors, peut-être ? Je suis stupéfait, bouleversé, écœuré.
Au fait que cela me scandalise, on me reconnaîtra pour un homme du passé. Comme le soir où j’ai vu Inglourious Basterds choqué noir, parmi les spectateurs ravis. Homme du passé aussi à cette manie, terriblement datée, de suspecter l’inconscient de Google. Lui qui sait tout, pourquoi ignore-t-il qu’il n’y avait pas, qu’il n’y aura jamais de vacances possibles au goulag ? On me dit : voyons, Google ne peut pas renoncer à vendre la Sibérie comme destination de voyage, ses eaux jaillissantes, ses aurores boréales. Le commerce, c’est la paix entre les nations. Et la paix du marché, la paix des mémoires. Google ne juge pas, il indexe. C’est du bon monde. L’empire du Bien. Don’t be evil. Et si on sait s’y prendre avec lui, on le verra bon serviteur. D’ailleurs, il indexe aussi les horreurs de l’histoire ainsi que les auteurs qui en ont parlé, et même, Amazon aidant, à quel prix on peut se procurer leurs livres, neufs ou d’occasion.
Non. Je n’ai pas été élevé comme ça. Neutraliser le mot goulag n’est pas neutre, c’est prendre parti pour Staline. Et ce n’est pas moi, c’est l’humanité même, en moi, qui trouve écœurant d’ignorer le sort de millions d’hommes pour refaire une beauté au pays qui les a vus crever ! Neutraliser le goulag, en faire spectacle, c’est tuer une seconde fois. À la Kolyma, le printemps recrache-t-il toujours des moraines d’ossements au dégel des fusillés ? La végétation a sans doute recouvert les baraques des déportés, mais dans mon idée le printemps et la verdure ne referont jamais une beauté à la Sibérie.
Refaire une beauté – et si c’était la question ? Est-ce qu’au XXe siècle on n’a pas plus d’une fois refait une beauté au monde détruit ? Pas exactement. L’art et la littérature n’ont pas refait une beauté au monde détruit, ils ont fait de la beauté avec la destruction. Redéfini la beauté sur mesure de désastre. Sur démesure de désastre.
Je repense tout à coup à « la beauté sera convulsive ou ne...

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