Big Data: faut-il avoir peur de son nombre?
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Big Data: faut-il avoir peur de son nombre?

Cybernétique, dataveillance et néolibéralisme: des armes contre la société

Pierre Henrichon

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Big Data: faut-il avoir peur de son nombre?

Cybernétique, dataveillance et néolibéralisme: des armes contre la société

Pierre Henrichon

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Nous le constatons tous les jours: la nouvelle économie numérique qui carbure aux algorithmes et aux mégadonnées (Big Data) pose des défis de plus en plus préoccupants à nos sociétés, surtout en ce qui a trait à la protection de la vie privée, au travail ou au vivre-ensemble. Au-delà des promesses de progrès et de liberté que nous chantent ses principaux laudateurs, dont Google, Amazon et Facebook, quelles logiques, quels intérêts se cachent dans la lumière de nos écrans? Qui possède nos donnée? Quels dangers recèle la rencontre de l'automatisation du travail, de la cybernétique, de la quantification et du néolibéralisme à travers le Big Data?

Ces logiques numériques capitalistes participent à l'amenuisement, voire à la suppression de l'espace politique, à l'érosion de la pertinence économique et sociale du travail humain et à la destruction de la société comme lieu de mutualisation des activités, des projets et des risques. Les moindres aspects de nos existences sont paramétrés en données, c'est-à-dire en marchandises ou en outils de surveillance. Il s'agit de tout mesurer, de numériser le réel et de réduire la vie à des indicateurs: seul ce qui est compté compte. Qui plus est, ces dynamiques accélèrent la mise en place d'oligopoles de la donnée d'une puissance financière et technologique sans précédent. En un mot, elles menacent ni plus ni moins nos sociétés de dissolution.

Pierre Henrichon déploie une analyse percutante des dynamiques sous-jacentes à ce véritable complexe sociotechnique et financier qu'est le phénomène du Big Data, mais offre également un vibrant plaidoyer contre cette tendance à réduire l'humain à une forme de capital dont il faut uniquement mesurer le rendement.

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Información

Editorial
Écosociété
Año
2020
ISBN
9782897196103
CHAPITRE 1

Aux sources de la marchandisation totale

Parmi les conceptions qui composent l’occidentalisme, il en est une qui prend ou, plutôt, reprend aujourd’hui une extrême vigueur: c’est celle qui fait du marché le modèle unique des rapports humains.
– Christian Laval15
LES DÉNONCIATIONS DE LA MAINMISE toujours plus grande des impératifs économiques sur la conduite de nos sociétés ne datent pas d’hier. Au fil de ces critiques pionnières, on trouve l’analyse des monopoles et du colonialisme à laquelle se sont ajoutées par la suite celles de l’impérialisme, de l’État bourgeois, de la propriété privée des moyens de production et de la pensée libérale. À ces dénonciations se greffent, depuis bientôt 40 ans, les prises de parole sur la mondialisation, le rétrécissement de l’État-providence, le consensus de Washington16. Ces prises de position critiques ne sont pas restées uniquement livresques, comme en attestent les nombreuses mobilisations et luttes ayant soulevé des enjeux primordiaux sur tous les fronts: éducation, santé, pouvoir d’achat, droits sociaux, protection de l’environnement, privatisation de biens et services publics.
Or, malgré tous ces écrits, toutes ces paroles, toutes ces mobilisations – essentielles, et devant persister –, cette domination de l’économique sur tous les volets de nos existences ne cesse de s’affirmer17. Pourquoi? Comment expliquer que, en dépit des maux connus de cette omnipotence, celle-ci persiste? Serait-il possible que nos écrits, manifestes et slogans, bien que nommant le «tout au marché» de nos sociétés, ratent la cible? Concurremment, notre histoire recèlerait-elle des représentations si bien ancrées que nous ne serions plus à même de déterrer les racines de notre société de marché? Savons-nous d’ailleurs comment le marché est devenu synonyme de société?

Une morale fondée sur le calcul

Il nous faut remonter au XVIIIe siècle, alors que philosophes et moralistes – tels que Hobbes, Smith, Locke18, Rousseau, Bentham, pour ne nommer que ceux-là – tentent d’expliquer comment la société pourrait être conduite d’une manière qui ne reproduise plus les régimes absolutistes qui s’étaient imposés jusque-là, pour voir les premières inflexions dans la pensée qui allait finir par justifier que la condition humaine soit comprise comme étant essentiellement économique. On cherchait alors dans la «nature humaine» les origines des mécanismes marchands, sur le point de devenir les principaux engrenages de l’encore mystérieuse machine de la civilisation matérielle des hommes. La conduite de la société, qui relève de la philosophie politique et du droit, et celle des hommes, dictée par la morale, devaient s’harmoniser, l’absence d’adéquation entre les deux ne pouvant mener qu’à la tyrannie, à la déchéance et au chaos. Un même principe devait donc présider au fonctionnement de la société et régir le comportement des humains. Et ce principe ne pouvait plus être importé d’un ordre divin, l’histoire ayant montré que cela entraîne inévitablement violences et guerres. Aucun concept transcendant ne pouvait non plus s’accorder au déploiement des marchés qui commençaient à s’étendre aux quatre coins du globe, enrichissaient la nouvelle classe propriétaire de fabriques, et transformaient la terre en rente et les activités nécessaires à la subsistance en travail salarié.
Comment donc élaborer cette adéquation entre bonne marche de la société et bonne conduite des humains? On affirme depuis des temps antiques que l’Homme se distingue de l’animal par la faculté de la raison19. Le comportement des individus suit les voies que lui trace sa compréhension rationnelle de ses intérêts. En effet, qui pourrait, hors le fou, l’illuminé ou le dépravé, adopter de manière autre que provisoire, égaré par ses passions ou trompé par autrui, des conduites contraires à ses intérêts? Au Siècle des Lumières, la raison s’affranchit des passions antiques et de la foi chrétienne. Non pas que les passions soient niées ni la foi reniée, mais l’Homme est convaincu que par la raison il peut saisir le monde de la même manière que le calcul mathématique a ordonné le Cosmos.
On avance alors, suivant les traces de Jeremy Bentham, que les humains agissent sous une double ordonnance naturelle et rationnelle: éviter la peine, rechercher le plaisir20. Et dans le contexte d’une production multipliée de biens, d’une division du travail élargie qui exige l’échange par l’entremise d’un équivalent universel, la monnaie, dont la valeur est de plus en plus garantie, et d’une urbanisation, encore balbutiante, mais accélérée, qui centralise les lieux de consommation, les plaisirs se centrent sur la consommation non seulement des denrées nécessaires à la subsistance, mais aussi d’articles dont la possession mime la richesse. On l’aura compris: cette quête soutenue de plaisirs, cet évitement espéré des peines ont l’individu pour seul protagoniste.
La société entière est alors prise dans un jeu de calcul d’équivalences au sein duquel les prix, autrefois souvent fixés par décrets princiers ou locaux, fluctuent au gré de facteurs qu’on attribue à un mécanisme qu’on ne saurait voir. Cette désormais célèbre «main invisible» a aussi pour moteur l’intérêt individuel rationnellement compris comme promesse de bien-être collectif. La fable est bien connue: chaque boulanger veut vendre son pain. Si le boulanger A vend son pain plus cher que le boulanger B sans qu’il soit de meilleure qualité, ses clients le délaisseront. S’il vend son pain au même prix, mais que sa qualité est moindre, les clients lui préféreront toujours le boulanger B. Ainsi, si l’entrepreneur A veut voir son entreprise éviter la faillite et prospérer, il a intérêt à vendre un produit de la meilleure qualité possible à un prix socialement acceptable et commercialement viable. L’intérêt général est servi par l’intérêt particulier bien compris et bien géré.
La fluctuation des prix relève aussi d’autres calculs, ceux reliés au temps. Temps de travail (combien d’heures ou de jours pour tisser un drap), décision ou non de stocker des denrées pour profiter d’une offre diminuée en temps de pénurie, temps et risques de transport (aléas météorologiques, flibusteries, jacqueries), durée des prêts.

Le temps du risque devient une ressource à exploiter

Le futur est le lieu de rendez-vous de tous les aléas: épidémies, naufrages, actes de piraterie, guerres, mauvaises récoltes. Projeter des activités marchandes dans le futur et financer de tels projets commandent une évaluation des risques. Promesses de gains et probabilités de pertes deviennent dès lors des objets de calculs et des biens marchands. Pour que ces mutations soient possibles, les marchands doivent être en mesure de transformer le temps en ressource en l’intégrant au calcul du risque. Mais l’Église considère que le temps appartient à Dieu. Le prêt contre intérêt, l’usure, est condamné du fait que sa pratique permet à des hommes de s’enrichir en dérobant à Dieu ce qui lui appartient. L’usure permet en effet d’engranger un profit sans aucune dépense d’énergie, sans travail. Cet enrichissement ne saurait être chrétien, car il repose sur la seule durée du prêt. Mais les pratiques commerciales s’élargissant, la pratique de l’usure s’étend, faisant ainsi pression sur les autorités ecclésiastiques. C’est ainsi qu’au XIIIe siècle, l’Église commence à tempérer ses condamnations du prêt contre intérêt, ouvrant ainsi la porte à un élargissement sans précédent des entreprises commerciales, rendu possible par la légitimité – et la grande profitabilité – des activités bancaires et assurancielles. Cette nouvelle tolérance aura des effets bouleversants. Elle transforme le regard que l’on porte sur l’accumulation de biens matériels. L’enrichissement personnel n’est plus vu comme le chemin le plus sûr vers la damnation éternelle. «À la fin du XIVe siècle, nous rappelle Christian Laval, l’Église enseigne même que la richesse peut être un état auquel Dieu a appelé certains hommes. Et elle ferme les yeux sur la rémunération des capitaux déposés dans les compagnies financières, quand elle ne les approuve pas21
L’internationalisation et la diversification du négoce, le dynamisme de la production de biens, assis sur les nouvelles puissances et cadences du machinisme, transforment les marchands en forces sociales dominantes. Maîtres du temps, dont ils ont fait une source de profit, ils imposent l’idée que le moteur de l’existence est l’intérêt. Les comptables du temps montrent aussi que chaque homme est le comptable de sa propre vie (dont la durée est comptée). La vie est alors conçue comme un bien privé qu’il convient de valoriser, c’est-à-dire que la vie est source de valeur. En fait, l’utilité des humains tend à se résumer à ce qu’ils sont en mesure de produire et de consommer, dans l’obligation souvent de produire pour avoir la possibilité de consommer ne serait-ce que ce dont ils besoin pour survivre.

La conduite morale encadrée par le marché

Concurremment, la morale s’affranchit de contraintes reposant sur la peur, la puissance épiscopale ou la superstition pour ne tenir compte que des conséquences des actes perçus en termes de peine ou de plaisir. Peine et plaisir pour soi surtout. Les maximes du comportement moralement souhaité et acceptable cèdent la place à un calcul fondé sur l’intérêt, étranger à la vertu. Cette individualisation de la déontologie rencontre le marché:
Il faut donc trouver le biais expérimental qui permettra de mesurer le plaisir et la douleur escomptés par un individu dans le choix de ses actions. Or ce biais expérimental est déjà donné dans l’existence sociale des hommes, et très précisément sur le marché économique: chaque chose se vend à son prix, et chacun sait mesurer la valeur comparée de deux marchandises. C’est donc par le biais du prix que l’on est disposé à payer pour un plaisir qu’il est possible de mesurer la valeur de ce plaisir. Et pour un même prix, nous choisissons entre divers plaisirs celui qui est le plus grand22.
C’est ainsi que nous arrivons à un moment tournant dans notre représentation du monde et de soi: tant la société que l’individu obéissent à un même principe – l’intérêt – et sont soumis à une même mesure de l’utilité – le prix. Cette concorde entre les deux grandes machines calculatrices achève l’économicisation totale du monde matériel et du monde humain23. La quête calculante du bonheur par l’individu rejoint le rêve de la production toujours exponentiellement en croissance de l’industriel, comme le suggère Hobbes dans son Léviathan:
[C]elui dont les désirs ont atteint leur terme ne peut pas davantage vivre que celui chez qui les sensations et les imaginations sont arrêtées. La félicité est une continuelle marche en avant du désir, d’un objet à un autre, la saisie du premier n’étant encore que la route qui mène au second24.
La quête du bonheur participe donc d’une consommation sans fin que la société, entendue comme marché, a pour fonction de satisfaire et, surtout, de perpétuer.
Sur le socle de telles représentations, il deviendra facile de nous convaincre qu’un sujet libre – seul responsable de la définition de son intérêt – doit, pour s’assumer, être immergé dans un environnement où seul l’intérêt est reconnu comme source de bien commun. Cette appréhension de la société comme étant la somme, spontanée, mais structurante, d’une multitude diversifiée d’intérêts individuels ne nous permet pas de définir le bien commun autrement que comme l’effet général de la poursuite, que l’on déclare rationnelle, de ces mêmes intérêts. Les institutions centrales de la société, l’État et le Droit qu’il édicte et dont il garantit le respect sont ainsi mis au service de la poursuite des intérêts individuels. Les prérogatives de l’État devront donc être limitées: elles ne sauraient contrer la poursuite des intérêts propres des citoyens; au con...

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