Science, on coupe !
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Chercheurs muselés et aveuglement volontaire : bienvenue au Canada de Stephen Harper

Chris Turner, Hervé Juste

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Chercheurs muselés et aveuglement volontaire : bienvenue au Canada de Stephen Harper

Chris Turner, Hervé Juste

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Le gouvernement canadien annonce la fermeture des bases scientifiques dans l'Arctique au moment même où commencent les forages pétroliers. Un important centre de recherches océanographiques et halieutiques fait l'objet de compressions budgétaires quand le même gouvernement procède au démantèlement de la réglementation de la pêche. Coïncidences? Au contraire... Chris Turner montre comment les attaques du gouvernement Harper contre la recherche fondamentale et la diffusion du savoir constituent ni plus ni moins qu'une guerre à la science et à l'esprit des Lumières. Depuis son arrivée au pouvoir en 2006, ce gouvernement est activement engagé dans la destruction systématique de la longue tradition scientifique au Canada.La seule « vérité » qu'il reconnaît, ce n'est pas celle qui découle d'une recherche scientifique indépendante et de haut niveau, mais celle que lui dicte son idéologie de droite crypto-évangéliste. Pourquoi s'encombrer des faits quand ils vont à l'encontre de ses convictions? Mais il y a péril en la demeure: en bloquant ainsi l'accès des citoyens au savoir, à la connaissance, c'est la démocratie même que ce gouvernement est en train de détruire.

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Información

Año
2014
ISBN
9782764643211
1

La marche des blouses blanches

Du labo à la rue
Printemps-été 2012
La marche de protestation qui serpente à travers Ottawa, ce matin du 10 juillet 2012, ressemble par certains côtés à un classique du genre : manifestants brandissant des pancartes et scandant des slogans, défilé d’orateurs aux discours exaltés, police redirigeant la circulation tout en veillant au grain. Sous un ciel d’un bleu éclatant, les protestataires s’élancent du centre des congrès et longent le Château Laurier pour atteindre la Colline du Parlement, piquant la curiosité des rares touristes et des badauds. Dans l’ensemble, ils battent le pavé de la capitale avec discipline, calme et détermination.
Les seuls signes qui font de cette marche un événement unique dans l’histoire de la vie publique canadienne sont les blouses blanches qu’ont revêtues des dizaines de manifestants et le détournement, version professeur Tournesol, d’un slogan bien connu :
« Que voulons-nous ?
La science !
Quand la voulons-nous ?
Après une révision par les pairs ! »
Une jeune femme armée d’une faux et arborant la toge noire à capuche de la Grande Faucheuse ouvre le cortège, suivie par un groupe de porteurs tenant un cercueil factice sur leurs épaules. La manifestation, baptisée « Marche funèbre pour la preuve », est organisée par des scientifiques et composée principalement de chercheurs — sur le terrain et en laboratoire — et d’étudiants de deuxième et troisième cycle. De mémoire de protestataire, c’est la toute première fois que des scientifiques se rassemblent pour manifester sur la Colline du Parlement.
Par vocation et par tradition, et souvent aussi par nature, les scientifiques sont des gens prudents et réservés. Ils accordent la plus haute valeur à l’argumentation raisonnée et à l’étude menée à huis clos, convaincus au tréfonds d’eux-mêmes que la preuve scientifique, recueillie objectivement et analysée avec impartialité, doit toujours primer sur l’opinion, le débat et le slogan vociféré dans l’établissement de ce qui est vrai et raisonnable et dans le choix des orientations qui servent le mieux l’intérêt général. Lorsqu’ils s’expriment publiquement, ils s’efforcent d’adopter le langage méticuleux et technique des publications scientifiques révisées par des pairs. Que les scientifiques d’Ottawa aient porté leur discours dans la rue, qu’ils l’aient amplifié, réduit aux accents grossièrement simplificateurs d’un slogan, en dit long sur le déclin catastrophique de l’harmonie qui caractérise leur dialogue habituel avec le gouvernement du Canada.
Dans la vie publique canadienne, une sorte d’entente tacite a régné pendant des générations entre scientifiques et politiciens, entre ceux qui recueillent et analysent les données et ceux qui exploitent les études, livres blancs, énoncés de principe et témoignages devant les comités qui en découlent, dans le but de légiférer. Les choses se passaient grosso modo comme ceci : législateurs fédéraux et décideurs politiques se fondaient systématiquement sur la meilleure preuve existante. Même si tous les points de vue et idéologies pouvaient être représentés à des degrés divers dans le discours public — socialistes enragés et libertaires convaincus, capitalistes rapaces et gauchistes au cœur saignant, conservateurs et libéraux, verts et néo-démocrates —, la preuve scientifique existait en dehors de cette arène cacophonique d’opinions opposées. Les paramètres de l’ensemble du débat étaient fixés par la réalité observable, vérifiable et révisable par des pairs, et non par l’opportunisme politique ou par un avantage stratégique. Et même si ce contrat social fondé sur la preuve n’était pas toujours honoré parfaitement, il n’était jamais renié unilatéralement. Les politiciens pouvaient, au nom d’un gain à court terme, éluder des faits embarrassants ou omettre des détails problématiques, mais on n’admettait pas qu’ils nient la pertinence de la méthode scientifique elle-même dans la formulation d’une politique. À un moment donné, il fallait se rendre à l’évidence des faits, non ?
Depuis que les conservateurs de Stephen Harper ont formé leur premier gouvernement, en 2006, le pacte entre la preuve scientifique et la politique s’est érodé, émietté, puis a fini par s’effondrer à un niveau fondamental — ce qui a amené les scientifiques à enfiler leurs blouses blanches et à marcher sur la Colline du Parlement. Le processus a été lent et sporadique au début : des compressions de programmes ésotériques ici et là, des experts et leurs études placés sous la tutelle de conseillers en communication, leurs conclusions manipulées de manière à corroborer les argumentaires dictés par le Cabinet du premier ministre. La campagne s’est intensifiée par à-coups pendant les années de gouvernement minoritaire, plusieurs mesures suscitant le mécontentement : rejet de certaines preuves scientifiques ; abolition du Bureau du conseiller national des sciences sous le regard impuissant d’experts réduits au silence ; suppression de la version détaillée du formulaire de recensement ; dépôt d’un projet de loi radical sur la criminalité, allant à l’encontre de décennies de recherche.
Très vite, au cours de la première année du mandat majoritaire de Harper, les inquiétudes de la communauté scientifique cèdent le pas à l’indignation. Tout au long du printemps 2012, il ne se passe pas deux jours sans qu’on annonce une nouvelle compression budgétaire ou la fermeture d’un centre de recherche, gracieusetés de C-38, le projet de loi budgétaire omnibus présenté au triple galop par les conservateurs. Sous couvert de nécessité financière, ce texte semble avoir pour but de réécrire la totalité du contrat passé entre scientifiques et décideurs.
« C’était hallucinant, se souvient Jeffrey Hutchings, professeur de biologie à l’Université Dalhousie. On aurait dit que chaque semaine apportait une nouvelle annonce. Au point que, au sein de la communauté scientifique canadienne, non seulement nous nous demandions quelle serait la prochaine décision, mais, devant cette avalanche de mauvaises nouvelles, nous ne savions plus trop comment réagir. Nous nous sentions comme ces boxeurs soûlés de coups qui ont tout juste la force de se tenir debout. »
Le 10 juillet, Hutchings décide de faire front. Il se trouve alors à Ottawa pour assister à un congrès consacré à la biologie de l’évolution, événement coparrainé par la Société canadienne d’écologie et d’évolution. Président de la société, Hutchings est l’hôte conjoint du colloque et, à ce titre, se doit d’assister aux nombreuses activités prévues en salle de conférence. Mais les organisateurs de la Marche funèbre pour la preuve ont pris contact avec lui et le pressent d’y participer. Ce n’est pas une décision facile à prendre. Hutchings craint que sa présence ne soit interprétée comme un appui politique ou comme la recherche d’un profit personnel. « Je ne veux être l’avocat d’aucune autre cause que celle de la communication de la science, dit-il. C’est pourquoi j’étais un peu réticent. »
Une discussion avec un journaliste, quelques jours à peine avant la marche, a finalement raison de ses hésitations. Le matin du jour dit, Hutchings quitte le centre des congrès et sort sur la promenade Colonel-By, revêtu de son impeccable blouse de labo. Puis il se fond dans les rangs, aux côtés de ses confrères en blanc, tous réunis en un geste de solidarité pour défendre une simple affirmation : la preuve scientifique est sacro-sainte, et les arbitres suprêmes de la vérité œuvrent non pas à la Chambre des communes, mais dans les laboratoires. Groupés par pancartes, l’écho des slogans résonnant à leurs oreilles, les plus éminents biologistes évolutionnistes du pays entament leur marche vers la Colline du Parlement.
Les pancartes elles-mêmes résument l’enjeu de façon lapidaire. L’une d’elles, près de la tête du cortège, arbore la devise officieuse de la manifestation : « Pas de science/Pas de preuve/Pas de vérité/Pas de démocratie. » Une autre exprime les choses plus crûment : « Halte à la guerre anti-science de Harper. »
Les protestataires commencent par se rassembler devant le centre des congrès, car bon nombre d’entre eux, à l’instar de Jeffrey Hutchings, se sont déplacés dans la capitale pour assister au Premier Congrès conjoint en biologie de l’évolution, un de ces événements universitaires très fermés où les titres des présentations garantissent l’exclusion de toute personne qui ne fait pas partie des purs initiés : Les symbiotes influentiels : maîtres manipulateurs du comportement adaptatif de l’hôte ; Évolution des génomes et spéciation : la « génomique nouvelle génération » du parallélisme et de la convergence. Lorsque des scientifiques échangent entre eux, tel est leur langage favori : technique et fondé sur l’analyse de données, impartial et étayé par des références.
Des autobus remplis de maîtres assistants et d’étudiants de deuxième et troisième cycle de McGill, Queen’s et Waterloo, ainsi qu’une poignée de militants plus aguerris mobilisés par le Conseil des Canadiens, sont venus gonfler les rangs des protestataires. Mais pour la plupart de ceux qui, ce jour-là, emboîtent le pas à la Grande Faucheuse sur la promenade Colonel-By, cette marche de contestation est une première.
Mégaphone au poing, une petite brunette s’est postée au bord de l’avenue et regarde anxieusement passer les marcheurs. Katie Gibbs achève dans quelques semaines un doctorat en biologie à l’Université d’Ottawa. La jeune femme est l’un des rares scientifiques présents à posséder une expérience réelle dans l’art de la politique sans ménagement. Militante depuis plusieurs années au sein du Parti vert, elle a coorganisé la Marche funèbre pour la preuve. L’idée de cette manifestation sur la Colline du Parlement lui est venue quelques semaines auparavant, dans un pub d’Ottawa où elle partageait quelques bières avec des collègues. Ces derniers, qui jusque-là voyaient dans ses prises de position à l’emporte-pièce l’expression d’un travers étrange et potentiellement dangereux, étaient enfin prêts à admettre que le gouvernement conservateur dirigé par Stephen Harper ne leur laissait pas d’autre choix pour exprimer leur désaccord. « C’était fascinant, dit-elle, de voir leur état d’esprit évoluer, au point où ils semblaient se rendre compte que, si nous ne nous levions pas pour défendre la science, personne d’autre ne le ferait. »
Tandis que ses pairs défilent devant elle, ce matin-là, Katie Gibbs tend le cou pour tenter d’apercevoir les derniers rangs. Elle s’est fait un sang d’encre à propos du nombre de participants. S’il en venait 500, au moins elle n’aurait pas à rougir. Elle en espère 1 000, mais quand on s’est fait les dents dans les rangs du Parti vert, on n’est pas assez téméraire pour croire que les meilleurs scénarios vont se réaliser. Pourtant, à mesure que le cortège avance, son angoisse fait place à l’excitation. Les minutes passent et, incroyable, elle n’arrive toujours pas à distinguer la queue de la manifestation. Les protestataires n’en finissent pas d’affluer.
À l’avant du cortège, aux côtés des porteurs, un orchestre improvisé de jazz dixieland enchaîne les mesures syncopées de When the Saints Go Marching In, donnant une cadence enjouée aux marcheurs. Il y a là des jeunes et des moins jeunes, des chauves et des chevelus, certains tirés à quatre épingles et d’autres portant short et sandales. Ici, un couple âgé arbore des chapeaux de chanvre Tilley, là, un jeune couple déambule avec un bébé calé contre la hanche de sa mère et un autre dans une poussette. Les blouses blanches de laboratoire côtoient les tee-shirts noirs et les robes d’été. Certains groupes de participants, tout sourire sous leur chapeau estival, appareil photo en bandoulière, pourraient passer pour des touristes en excursion à peine descendus de quelque autocar surdimensionné. Katie Gibbs crie de temps à autre dans son mégaphone pour inciter les marcheurs néophytes à garder les rangs. Quelqu’un a fixé un télescope sur son casque de vélo. Une femme en blouse blanche brandit un écriteau sur lequel on peut lire : « Nous ne sommes pas des radicaux. » Une autre pancarte arbore ces simples mots : « [citation requise] » (sic). Par centaines et centaines, ils continuent de passer. La GRC estimera finalement le nombre de manifestants à 2 000, mais Katie Gibbs est persuadée qu’ils étaient beaucoup plus. Et si cette foule n’a rien d’une cohue bruyante et indisciplinée, elle n’en déborde pas moins d’enthousiasme.
« Parmi ceux qui participaient réellement, explique Katie Gibbs, il y avait une majorité de scientifiques, dont c’était souvent la première activité militante ou campagne publique. Et je pense que la plupart manifestait dans la rue pour la première fois. D’où cette espèce d’excitation indescriptible qui s’empare de vous quand vous faites quelque chose avec un grand nombre de gens. »
L’un des premiers protestataires à atteindre les marches de l’emblématique édifice du Centre est Diane Orihel, doctorante en biologie aquatique à l’Université de l’Alberta. Elle doit s’adresser à la foule quand celle-ci sera complètement rassemblée sur la vaste esplanade qui s’étend à ses pieds. Comme Katie Gibbs, elle n’en revient pas du nombre de participants. « J’étais abasourdie par le nombre de personnes venues nous soutenir, dit-elle. Je me revois plantée sur les marches de la Colline du Parlement, contemplant cette foule qui déferlait sur l’esplanade, et il en arrivait encore et encore et encore. Très vite, la place a été bondée, et la GRC a dû laisser les protestataires empiéter sur la pelouse. »
Pour Diane Orihel, l’aventure a commencé six semaines plus tôt, dans un mélange de perplexité, de fureur et de désespoir. Le matin du 17 mai, elle arrive comme d’habitude à son bureau de l’Institut des eaux douces de Winnipeg quand elle apprend par un collègue qu’on vient de convoquer tout le personnel pour une réunion d’urgence. « Ce ne doit pas être une bonne nouvelle », ajoute le collègue.
Au printemps 2012, aucun scientifique travaillant sur un projet financé par le gouvernement fédéral ne peut tenir pour acquis son emploi, surtout si son domaine a trait aux sciences de l’environnement. Le projet de loi C-38 a déclenché une attaque en règle contre la communauté canadienne des chercheurs en environnement. Déposé aux Communes six semaines auparavant, il a provoqué une vague de fermetures et de « lettres d’employé touché » (avis de mise à pied possible ou imminente) dans les instituts de recherche, les stations de surveillance et les laboratoires fédéraux aux quatre coins du pays, dont l’Institut Maurice-Lamontagne, de Mont-Joli, l’un des principaux centres francophones de recherche en sciences de la mer au monde. « [L’]ampleur et la portée du projet de loi, écrit Andrew Coyne dans le National Post, se situent à un niveau jamais vu, ni jamais toléré, auparavant. »
Coyne récapitule ainsi les implications extrabudgétaires du projet de loi :
« Il modifie quelque 60 lois différentes, en abroge une demi-douzaine et en ajoute trois, dont une Loi canadienne sur l’évaluation environnementale entièrement réécrite. Il va bien au-delà des préoccupations budgétaires traditionnelles à propos de la taxation et des dépenses, introduisant des changements de politique dans une série de domaines […] Les chapitres consacrés à l’environnement sont les plus extraordinaires. »
Dans une tribune libre du Guelph Mercury, Cynthia Bragg soutient que « le gouvernement fédéral assène un coup de massue à la protection environnementale au Canada ». En vérité, cela ressemble plutôt à une centaine de coups de bistouri rageurs, dont l’un a complètement amputé le programme de la Région des lacs expérimentaux (RLE ; en anglais ELA), le réseau de cinquante-huit petits lacs du nord de l’Ontario sur lequel Diane Orihel et ses collègues de l’Institut des eaux douces mènent des recherches.
L’annonce qui leur est faite à la réunion d’urgence de l’institut est dévastatrice. « Tout le monde, raconte Diane Orihel, a reçu une lettre d’employé touché ou une notification suggérant un changement de lieu de travail : en gros, le personnel s’est fait dire qu’il devait se rendre dans la RLE, retirer son matériel des lacs, enlever son équipement des labos et ramasser ses affaires, et qu’aucune nouvelle recherche ne serait entreprise. On nous a également bien spécifié que nous n’étions pas autorisés à communiquer avec les médias ni avec le public à propos de la RLE. »
La RLE n’est pas un laboratoire au sens classique, mais plutôt une sorte de biosphère close, où certaines expériences peuvent porter sur une modification de l’équilibre biochimique fondamental de tout un lac, voire de plusieurs, pendant des années d’affilée. C’est sans doute l’un des centres de recherche sur l’eau douce les plus importants de la planète, et ses chercheurs — en particulier le cofondateur du projet, David Schindler, de l’Université de l’Alberta — y ont fait des découvertes de portée mondiale, notamment en dévoilant les mécanismes par lesquels les pluies acides contaminent les écosystèmes aquatiques et par lesquels les rejets industriels de phosphore nuisent à l’équilibre chimique de l’eau douce. Vu l’ampleur et la durée de chaque expérience menée dans le cadre de la RLE, les ordres tombés d’Ottawa revenaient à demander à des agriculteurs d’abandonner leur ferme (avec une récolte exceptionnelle encore sur pied, et en pleine disette mondiale).
Étudiante au doctorat, et non salariée de l’Institut des eaux douces, Diane Orihel est l’un des rares spécialistes de la RLE à pouvoir réagir librement. Elle ne tarde pas à devenir l’attachée de presse de facto des défenseurs du projet. Comme elle n’a jamais rédigé de communiqué de presse de sa vie, on doit lui expliquer quelle est la longueur souhaitée, où placer les coordonnées à l’intention des médias, et comment ajouter le symbole de fin « -30- » en vieille routière des relations de presse. « Le lendemain, raconte-t-elle, j’étais littéralement assaillie par les journalistes, et j’ai pris conscience que je me devais d’être le visage de ce projet aux yeux de l’opinion publique puisqu’on avait muselé tous mes collègues. Travaillant pour la RLE depuis dix ans, je représentais l’interface idéale par où l’information pouvait sortir. Pendant une décennie, j’avais entretenu des liens étroits avec les chercheurs, anciens et actuels. J’étais donc parfaitement au diapason de leurs idées pour les incarner aux yeux du public. Et j’étais celle qui avait le moins à perdre puisqu’on ne pouvait pas me congédier. »
Le lendemain de ses premiers pas comme attachée de presse, elle crée une association communautaire, qu’elle baptise « Coalition Sauvez ELA », et fait circuler une pétition. Début juin, forte de 1 700 signatures, elle s’envole vers Ottawa pour présenter la pétition au Parlement. Elle organise quatre conférences de presse à l’Amphithéâtre national de la presse, faisant appel à des scientifiques et à des députés de l’opposition pour défendre le bilan de la RLE. C’est à cette occasion qu’elle rencontre une autre doctorante, une dénommée Katie Gibbs, qui planifie alors une manifestation sur la Colline du Parlement.
À la Marche funèbre pour la preuve, Diane Orihel porte une longue robe noire, comme il sied à des funérailles. La tête à demi couverte par un fichu noir et les yeux dissimulés sous des lunettes fumées, elle contemple la foule qui s’étire depuis les marches de l’édifice du C...

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