
- 728 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
Ă propos de ce livre
pubOne.info thank you for your continued support and wish to present you this new edition. Dans le train en marche, comme les pelerins et les malades, entasses sur les dures banquettes du wagon de troisieme classe, achevaient l'Ave maris stella, qu'ils venaient d'entonner au sortir de la gare d'Orleans, Marie, a demi soulevee de sa couche de misere, agitee d'une fievre d'impatience, apercut les fortifications. - Ah! les fortifications! cria-t-elle d'un ton joyeux, malgre sa souffrance. Nous voici hors de Paris, nous sommes partis enfin!
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ClassicsIII
DĂšs deux heures et demie, le train blanc, qui allait quitter Lourdes Ă trois heures quarante, se trouva en gare, le long du deuxiĂšme quai. Il avait attendu trois jours, sur une voie de garage, tout formĂ©, tel qu'il Ă©tait arrivĂ© de Paris; et, depuis qu'on venait de l'amener lĂ , des drapeaux blancs flottaient sur les wagons de tĂȘte et de queue, pour l'indiquer aux pĂšlerins, dont l'embarquement d'ordinaire Ă©tait trĂšs long et fort laborieux. Les quatorze trains du pĂšlerinage national, d'ailleurs, devaient repartir ce jour-lĂ . Ă dix heures du matin, le train vert Ă©tait parti, puis le train rose, puis le train jaune; et, aprĂšs le train blanc, les autres, l'orangĂ©, le gris, le bleu suivraient. C'Ă©tait encore, pour le personnel de la gare, une journĂ©e terrible, un tumulte, une bousculade, qui affolaient les employĂ©s.
Mais le dĂ©part du train blanc Ă©tait toujours le vif intĂ©rĂȘt, la grosse Ă©motion de la journĂ©e, car il emportait les grands malades qu'il avait apportĂ©s, et parmi lesquels se trouvaient naturellement les bien-aimĂ©s de la sainte Vierge, les Ă©lus du miracle. Aussi une foule se pressait-elle sous la marquise, obstruant le vaste promenoir couvert, long d'une centaine de mĂštres. Tous les bancs Ă©taient occupĂ©s, encombrĂ©s de pĂšlerins et de paquets, qui attendaient dĂ©jĂ . Ă l'un des bouts, on avait pris d'assaut les petites tables du buffet, des hommes buvaient de la biĂšre, des femmes se faisaient servir de la limonade gazeuse; tandis que, devant la porte des Messageries, Ă l'autre bout, des brancardiers maintenaient le passage libre, pour assurer le rapide transport des malades, qu'on allait amener. Et c'Ă©tait, le long du large trottoir, une incessante promenade, un va-et-vient continu de pauvres gens effarĂ©s, de prĂȘtres courant, se prodiguant, de messieurs en redingote, curieux et paisibles, tout un entassement de cohue, la plus mĂȘlĂ©e, la plus bariolĂ©e qui se fĂ»t jamais coudoyĂ©e dans une gare. Ă trois heures, le baron Suire se dĂ©sespĂ©ra, plein d'inquiĂ©tude, parce que les chevaux manquaient, un grand arrivage inattendu de touristes ayant louĂ© les voitures pour BarĂšges, Cauterets, Gavarnie. Enfin, il se prĂ©cipita vers Berthaud et GĂ©rard qui accouraient aprĂšs avoir battu la ville; mais tout marchait Ă merveille, affirmaient-ils: ils avaient raccolĂ© les chevaux nĂ©cessaires, le transport des malades s'opĂ©rerait en d'excellentes conditions. DĂ©jĂ , dans la cour, des Ă©quipes de brancardiers, avec leurs brancards et leurs petites voitures, guettaient les fourgons, les tapissiĂšres, les vĂ©hicules de toutes sortes, recrutĂ©s pour le dĂ©mĂ©nagement de l'HĂŽpital. Une rĂ©serve de matelas et de coussins s'entassait au pied d'un bec de gaz. Et, comme les premiers malades arrivaient, le baron Suire perdit de nouveau la tĂȘte, tandis que Berthaud et GĂ©rard se hĂątaient de gagner le quai d'embarquement. Ils surveillaient, ils donnaient des ordres, au milieu de la bousculade croissante.
Alors, sur ce quai, le pĂšre Fourcade qui se promenait le long du train, au bras du pĂšre Massias, s'arrĂȘta, en voyant venir le docteur Bonamy. â Ah ! docteur, je suis heureux... Le pĂšre Massias, qui va partir, me parlait encore Ă l'instant de la faveur extraordinaire dont la sainte Vierge a comblĂ© cette jeune fille si intĂ©ressante, mademoiselle Marie de Guersaint. VoilĂ des annĂ©es qu'un miracle si Ă©clatant n'avait eu lieu. C'est une insigne fortune pour nous tous, c'est une bĂ©nĂ©diction qui doit fĂ©conder le fruit de nos efforts... Toute la chrĂ©tientĂ© en sera illuminĂ©e, rĂ©confortĂ©e, enrichie.
Il rayonnait d'aise, et le docteur, immĂ©diatement, exulta lui aussi, avec sa face rasĂ©e, aux gros traits paisibles, aux yeux las d'habitude. â C'est prodigieux, prodigieux, mon rĂ©vĂ©rend pĂšre ! J'Ă©crirai une brochure, jamais guĂ©rison ne s'est produite par les voies surnaturelles d'une façon plus authentique... Oh ! quel tapage cela va faire !
Puis, comme tous les trois s'Ă©taient remis Ă marcher, il s'aperçut que le pĂšre Fourcade traĂźnait la jambe davantage, en s'appuyant fortement au bras de son compagnon. â Est-ce que votre accĂšs de goutte s'est aggravĂ©, mon rĂ©vĂ©rend pĂšre ? demanda-t-il. Vous paraissez beaucoup souffrir. â Oh ! ne m'en parlez pas, je n'ai pu fermer l'Ćil de la nuit. Est-ce ennuyeux, cette crise qui m'a pris, le jour de mon arrivĂ©e ici ? Elle aurait bien dĂ» attendre... Mais il n'y a rien Ă faire, n'en parlons pas. Je suis trop content des rĂ©sultats de cette annĂ©e. â Ah ! oui, oui ! dit Ă son tour le pĂšre Massias, d'une voix tremblante de ferveur, nous pouvons ĂȘtre fiers, nous pouvons nous en aller le cĆur dĂ©bordant d'enthousiasme et de reconnaissance. En dehors de cette jeune fille, que d'autres prodiges ! Les miracles ne se comptent plus, des sourdes et des muettes guĂ©ries, des faces rongĂ©es de plaies redevenues lisses comme la main, des phtisiques moribondes qui mangent, qui dansent, ressuscitĂ©es ! Ce n'est plus un train de malades, c'est un train de rĂ©surrection, un train de gloire que j'emmĂšne avec moi !
Il avait cessĂ© de voir les malades autour de lui, il s'en allait en plein triomphe divin, dans l'aveuglement de sa foi. Et tous les trois continuĂšrent leur lente promenade, le long des wagons dont les compartiments commençaient Ă se remplir, souriant aux pĂšlerins qui les saluaient, s'arrĂȘtant de nouveau parfois pour dire une bonne parole Ă quelque triste femme qui passait, pĂąle et grelottante, sur un brancard. Ils dĂ©claraient qu'elle avait bien meilleure mine, qu'elle s'en tirerait sĂ»rement.
Mais le chef de gare, trĂšs affairĂ©, passa, en criant d'une voix aiguĂ«: â N'encombrez pas le quai ! n'encombrez pas le quai !
Puis, comme Berthaud lui faisait observer qu'il fallait pourtant poser les brancards, avant de monter les malades, il se fĂącha. â Voyons, est-ce raisonnable ? Regardez, lĂ -bas, la petite voiture qui est restĂ©e en travers de cette voie... J'attends dans quelques minutes le train de Toulouse. Voulez-vous donc qu'on vous Ă©crase votre monde ?
Et il repartit en courant, pour poster des hommes d'Ă©quipe, qui Ă©carteraient des voies le troupeau effarĂ© des pĂšlerins, piĂ©tinant au hasard. Beaucoup, des vieux, des simples, ne reconnaissaient mĂȘme pas la couleur de leur train; et c'Ă©tait pourquoi tous portaient au cou une carte de couleur appareillĂ©e, afin qu'on les dirigeĂąt, qu'on les embarquĂąt, comme du bĂ©tail marquĂ© et parquĂ©. Mais quelle alerte continue, ces quatorze dĂ©parts de trains supplĂ©mentaires, sans que la circulation des trains habituels s'arrĂȘtĂąt !
Pierre, sa valise Ă la main, arriva, eut dĂ©jĂ de la peine Ă gagner le quai. Il Ă©tait seul, Marie avait tĂ©moignĂ© l'ardent dĂ©sir de s'agenouiller une fois encore Ă la Grotte, pour que, jusqu'aux minutes derniĂšres, son Ăąme brĂ»lĂąt de reconnaissance, devant la sainte Vierge; et il avait laissĂ© M. de Guersaint l'y conduire, pendant que lui rĂ©glait Ă l'hĂŽtel. D'ailleurs, il leur avait fait promettre de prendre ensuite une voiture, ils allaient ĂȘtre sĂ»rement lĂ avant un quart d'heure. En les attendant, sa premiĂšre idĂ©e fut de chercher leur wagon et de s'y dĂ©barrasser de sa valise. Mais ce n'Ă©tait pas une besogne facile, il ne le reconnut enfin qu'Ă la pancarte qui s'y balançait depuis trois jours, sous le soleil et les orages, un carrĂ© de papier fort, portant les noms de madame de JonquiĂšre, de sĆur Hyacinthe et de sĆur Claire des Anges. C'Ă©tait bien lui: il revoyait en souvenir les compartiments pleins de ses compagnons de route; des coussins marquaient dĂ©jĂ le coin de M. Sabathier; et il retrouvait mĂȘme, sur la banquette oĂč Marie avait tant souffert, une entaille laissĂ©e dans le bois par une ferrure du chariot. Puis, lorsqu'il eut posĂ© sa valise Ă sa place, il resta sur le quai, patientant, regardant, un peu surpris de ne pas apercevoir le docteur Chassaigne, qui lui avait promis de venir l'embrasser, au dĂ©part.
Maintenant que Marie Ă©tait debout, Pierre avait abandonnĂ© ses bretelles de brancardier, et il ne portait plus sur sa soutane que la croix rouge des pĂšlerins. Cette gare, entrevue seulement sous le petit jour livide, dans l'angoisse du terrible matin de l'arrivĂ©e, le surprenait par ses vastes trottoirs, ses larges dĂ©gagements, sa gaietĂ© claire. On ne voyait pas les montagnes; mais, de l'autre cĂŽtĂ©, en face des salles d'attente, montaient des coteaux verdoyants, d'un charme dĂ©licieux. Et, cette aprĂšs-midi-lĂ , le temps Ă©tait d'une infinie douceur, un fin duvet de nuages avait voilĂ© le soleil, dans un ciel d'une blancheur de lait, d'oĂč ne tombait qu'une grande lumiĂšre diffuse, comme une poussiĂšre nacrĂ©e de perles. Un temps de demoiselle, ainsi que disent les bonnes gens.
Trois heures venaient de sonner, et Pierre regardait la grande horloge, lorsqu'il vit arriver madame DĂ©sagneaux et madame Volmar, que suivaient madame de JonquiĂšre et sa fille. Ces dames, qu'un landau amenait de l'HĂŽpital, cherchĂšrent, elles aussi, leur wagon tout de suite. Ce fut Raymonde qui reconnut le compartiment de premiĂšre classe, dans lequel elle Ă©tait venue. â Maman, maman ! par ici, le voilĂ !... Reste un peu avec nous, tu as le temps d'aller t'installer avec tes malades, puisqu'ils ne sont pas lĂ encore.
Et Pierre, alors, se retrouva en face de madame Volmar. Leurs regards se rencontrĂšrent. Mais il ne la reconnaissait pas, elle eut Ă peine un lĂ©ger battement de cils. C'Ă©tait de nouveau la femme vĂȘtue de noir, lente, indolente, d'une modestie effacĂ©e, heureuse de disparaĂźtre. Le brasier de ses larges yeux Ă©tait mort, se ravivant par instants d'une Ă©tincelle sous leur voile d'indiffĂ©rence, une moire d'ombre qui semblait les Ă©teindre. â Oh ! une migraine atroce ! rĂ©pĂ©tait-elle Ă madame DĂ©sagneaux. Vous voyez, je n'ai pas encore ma pauvre tĂȘte Ă moi... C'est le voyage qui me donne ça. Tous les ans, je suis sĂ»re de mon affaire.
Plus vive, plus rose, plus Ă©bouriffĂ©e que jamais, l'autre s'agitait. â Ma chĂšre, pour le moment, j'en ai autant Ă votre service. Oui, ça m'a prise ce matin, une nĂ©vralgie Ă tout casser... Seulement...
Elle se pencha, poursuivit Ă voix basse: â Seulement, je crois que ça y est. Oui ! ce bĂ©bĂ©, que je dĂ©sire tant, qui ne veut pas pousser... J'ai suppliĂ© la sainte Vierge, et j'ai Ă©tĂ© malade, oh ! malade, Ă mon rĂ©veil ! Enfin, tous les signes !... Voyez-vous la tĂȘte de mon mari, qui m'attend Ă Trouville ! Sera-t-il heureux !
TrĂšs sĂ©rieuse, madame Volmar Ă©coutait. Puis, de son air tranquille: â Eh bien ! moi, ma chĂšre, je connais une personne qui ne voulait plus avoir d'enfants... Elle est venue ici, elle n'en a plus fait.
Mais GĂ©rard et Berthaud, ayant aperçu ces dames, se hĂątĂšrent d'accourir. Le matin, Ă l'HĂŽpital de Notre-Dame des Douleurs, les deux hommes s'Ă©taient prĂ©sentĂ©s, et madame de JonquiĂšre les avait reçus dans un petit bureau, voisin de la lingerie. LĂ , trĂšs correctement, en s'excusant avec une bonhomie souriante de cette dĂ©marche un peu bousculĂ©e, Berthaud avait demandĂ© la main de mademoiselle Raymonde pour son cousin GĂ©rard. Tout de suite, on s'Ă©tait senti Ă l'aise, la mĂšre avait eu un attendrissement, en disant que Lourdes porterait bonheur au jeune mĂ©nage. De sorte que le mariage se trouva ainsi conclu en quelques paroles, au milieu de la satisfaction gĂ©nĂ©rale. MĂȘme on prit rendez-vous, le quinze septembre, au chĂąteau de Berneville, prĂšs de Caen, une propriĂ©tĂ© de l'oncle, le diplomate, que Berthaud connaissait et chez lequel il promit de mener GĂ©rard. Puis, Raymonde, appelĂ©e, avait rougi de plaisir, en mettant ses deux petites mains dans celles de son fiancĂ©.
Ce dernier s'empressait, demandait Ă la jeune fille: â Voulez-vous des oreillers pour la nuit ? Ne vous gĂȘnez pas, je puis vous en donner, ainsi qu'Ă ces dames qui vous accompagnent.
Raymonde refusa gaiement. â Non, non ! nous ne sommes pas si douillettes. Il faut rĂ©server ça aux pauvres malades.
D'ailleurs, ces dames parlaient toutes Ă la fois. Madame de JonquiĂšre dĂ©clarait qu'elle Ă©tait si fatiguĂ©e, si fatiguĂ©e, qu'elle ne se sentait plus vivre; et elle se montrait pourtant bien heureuse, ses regards riaient en couvant sa fille et le jeune homme, pendant qu'ils causaient ensemble. Mais Berthaud ne pouvait rester lĂ , son service le rĂ©clamait, ainsi que GĂ©rard. Tous deux prirent congĂ©, aprĂšs avoir rappelĂ© le rendez-vous. N'est-ce pas, le quinze septembre, au chĂąteau de Berneville ? Oui, oui, c'Ă©tait chose entendue ! Et il y eut encore des rires, des poignĂ©es de main, tandis que les yeux, des yeux de caresse et de ravissement, achevaient ce qu'on n'osait dire tout haut, au milieu de cette foule. â Comment ! s'Ă©cria la petite madame DĂ©sagneaux, vous allez le quinze Ă Berneville. Mais si nous restons Ă Trouville jusqu'au vingt, comme mon mari le dĂ©sire, nous irons vous voir !
Et elle se tourna vers madame Volmar, silencieuse. â Venez donc aussi, vous. Ce serait si drĂŽle de se retrouver toutes lĂ -bas !
La jeune femme eut un geste lent, en rĂ©pondant de son air d'indiffĂ©rence lasse: â Oh ! moi, c'est fini, le plaisir. Je rentre.
Ses yeux, de nouveau, se rencontrÚrent avec ceux de Pierre, qui était resté prÚs de ces dames; et il crut la voir se troubler une seconde, tandis qu'une expression d'indicible souffrance passait sur sa face morte.
Les sĆurs de l'Assomption arrivaient, ces dames les rejoignirent devant le fourgon de la cantine. Ferrand, venu en voiture avec les religieuses, y monta d'abord, puis aida sĆur Saint-François Ă franchir le haut marchepied; et il resta debout, au seuil de ce fourgon, transformĂ© en cuisine, oĂč se trouvaient les provisions pour le voyage, du pain, du bouillon, du lait, du chocolat; pendant que sĆur Hyacinthe et sĆur Claire des Anges, demeurĂ©es sur le trottoir, lui passaient sa petite pharmacie, ainsi que d'autres paquets, de menus bagages. â Vous avez bien tout ? lui demanda sĆur Hyacinthe. Bon ! maintenant, vous n'avez qu'Ă vous coucher dans votre coin et Ă dormir, puisque vous vous plaignez qu'on ne vous utilise pas.
Ferrand se mit Ă rire doucement. â Ma sĆur, je vais aider sĆur Saint-François... J'allumerai le fourneau Ă pĂ©trole, je laverai les tasses, je porterai les portions aux heures d'arrĂȘt, marquĂ©es sur le tableau qui est lĂ ... Et, tout de mĂȘme, si vous avez besoin de mĂ©decin, vous viendrez me chercher.
SĆur Hyacinthe s'Ă©tait aussi mise Ă rire. â Mais nous n'avons plus besoin de mĂ©decin, puisque toutes nos malades sont guĂ©ries !
Et, les yeux dans les siens, de son air calme et fraternel: â Adieu, monsieur Ferrand.
Il sourit encore, tandis qu'une Ă©motion infinie mouillait ses yeux. Le son tremblĂ© de sa voix dit l'inoubliable voyage, la joie de l'avoir revue, le souvenir d'Ă©ternelle et divine tendresse qu'il emportait. â Adieu, ma sĆur.
Madame de JonquiĂšre parlait d'aller Ă son wagon avec sĆur Claire des Anges et sĆur Hyacinthe. Mais celle-ci lui assura que rien ne pressait, puisqu'on amenait Ă peine les malades. Elle la quitta, emmena l'autre sĆur, promit de veiller Ă tout; et mĂȘme elle voulut absolument la dĂ©barrasser de son petit sac, en lui disant qu'elle le retrouverait Ă sa place. De sorte que ces dames continuĂšrent Ă se promener, Ă causer gaiement entre elles, sur le large trottoir, oĂč il faisait si doux.
Cependant, Pierre, qui, les yeux sur la grande horloge, regardait marcher les minutes, commençait Ă ĂȘtre surpris de ne pas voir Marie arriver avec son pĂšre. Pourvu que M. de Guersaint ne se perdĂźt pas en route ! Et il guettait, lorsqu'il aperçut M. Vigneron exaspĂ©rĂ©, poussant furieusement devant lui sa femme et le petit Gustave. â Oh ! monsieur l'abbĂ©, je vous en prie, dites-moi oĂč est notre wagon, aidez-moi Ă y fourrer mes bagages et cet enfant... Je perds la tĂȘte, ils m'ont jetĂ© hors de mon caractĂšre...
Puis, devant le compartiment de seconde classe, il Ă©clata, saisissant les mains du prĂȘtre, au moment oĂč celui-ci allait monter le petit malade. â Vous imaginez-vous cela ! ils veulent que je parte, ils m'ont rĂ©pondu que, si j'attendais Ă demain, mon billet de retour ne serait plus valable !... J'ai eu beau leur conter l'accident. N'est-ce pas ? ce n'est dĂ©jĂ pas si drĂŽle de rester avec cette morte, pour la veiller, la mettre en biĂšre, l'emmener demain, dans les dĂ©lais voulus... Eh bien ! ils prĂ©tendent que ça ne les regarde pas, qu'ils font dĂ©jĂ d'assez grosses rĂ©ductions sur les billets de pĂšlerinage, sans entrer dans les histoires des gens qui meurent.
Madame Vigneron, tremblante, l'Ă©coutait, pendant que Gustave, oubliĂ©, chancelant de fatigue sur sa bĂ©quille, levait sa pauvre face d'agonisant curieux. â Enfin, je le leur ai criĂ© sur tous les tons, il y a cas de force majeure... Que veulent-ils que je fasse de ce corps ? Je ne puis pas le prendre sous mon bras et le leur apporter aujourd'hui comme bagage. Je suis donc bien forcĂ© de rester... Non ! ce qu'il y a des gens bĂȘtes et mĂ©chants ! â Est-ce que vous avez parlĂ© au chef de gare ? demanda Pierre. â Ah ! oui, le chef de gare ! Il est par lĂ , dans la bousculade. On n'a jamais pu me le trouver. Comment voulez-vous que les choses se fassent proprement, au milieu d'une pĂ©taudiĂšre pareille ?... Mais il faut que je le dĂ©terre, il faut que je lui dise ma façon de penser !
Et, avisant sa femme figĂ©e, immobile: â Qu'est-ce que tu fais lĂ ? Monte donc, pour qu'on te passe les bagages et le petit.
Alors, ce fut un engouffrement, il la poussa, il lui jeta des paquets, pendant que le prĂȘtre soulevait Gustave dans ses bras. Le pauvre ĂȘtre, d'une lĂ©gĂšretĂ© d'oiseau, semblait avoir maigri encore, dĂ©vorĂ© de plaies, si douloureux, qu'il eut un faible cri. â Oh ! mon mignon ! est-ce que je t'ai fait du mal ? â Non, non ! monsieur l'abbĂ©, on m'a remuĂ© beaucoup, je suis trĂšs fatiguĂ©, ce soir.
Il souriait, de son air fin et si triste. Il s'enfonça dans son coin, ferma les yeux, achevĂ© par ce mortel voyage. â Vous comprenez, reprit M. Vigneron, ça ne m'amuse guĂšre de me morfondre ici, tandis que ma femme et mon fils vont rentrer Ă Paris sans moi. Il le faut bien, la vie n'est plus tenable Ă l'hĂŽtel; et, d'ailleurs, me voyez-vous forcĂ© de repayer trois places, s'ils ne veulent pas entendre raison... Avec ça, ma femme n'a pas beaucoup de tĂȘte. Jamais elle ne saura se dĂ©brouiller.
Alors, dans un dernier essoufflement, il accabla madame Vigneron des observations les plus minutieuses, et ce qu'elle devait faire pendant le voyage, et de quelle façon elle rentrerait dans leur appartement, et comment elle soignerait Gustave, s'il avait une crise. Docile, un peu effarĂ©e, elle rĂ©pondait Ă chaque phrase: â Oui, oui, mon ami... Sans doute, mon ami...
Mais il fut repris d'une brusque colĂšre. â DĂ©finitivement, oui ou non, sera-t-il valable, mon billet de retour ? Je veux le savoir pourtant... Il faut qu'on me le trouve, ce chef de gare !
Il se lançait de nouveau parmi la foule, lorsqu'il aperçut, sur le quai, restĂ©e Ă terre, la bĂ©quille de Gustave. Ce fut un dĂ©sastre, qui lui fit lever les bras au ciel, pour prendre Dieu Ă tĂ©moin que jamais il ne sortirait de tant de complications. Et il la jeta Ă sa femme, il s'Ă©loigna, Ă©perdu, en criant: â Tiens ! tu oublies tout !
Maintenant, les malades affluaient; et, ainsi qu'Ă l'arrivĂ©e, dans la bousculade, c'Ă©tait un charriage sans fin, le long des trottoirs, au travers des voies. Tous les maux abominables, toutes les plaies, toutes les difformitĂ©s dĂ©filaient une fois encore, sans que la gravitĂ© ni le nombre en parussent moindres, comme si les quelques guĂ©risons fussent l'humble clartĂ© inapprĂ©ciable au milieu du deuil immense. On les remportait tels qu'on les avait apportĂ©s. Les petites voitures, chargĂ©es de vieilles femmes impotentes, avec leurs cabas Ă leurs pieds, sonnaient sur les rails. Les brancards, oĂč gisaient des corps ballonnĂ©s, des faces pĂąles aux yeux luisants, se balançaient, parmi les poussĂ©es de la cohue. C'Ă©tait une hĂąte folle, sans raison, une confusion inexprimable, des demandes, des appels, des courses brusques, le tournoiement sur place d'un troupeau qui ne trouve plus la porte de la bergerie. Et les brancardiers finissaient par perdre la tĂȘte, ne...
Table des matiĂšres
- PREMIĂRE JOURNĂE
- I
- II
- III
- IV
- V
- DEUXIĂME JOURNĂE
- I
- II
- III
- IV
- V
- TROISIĂME JOURNĂE
- I
- II
- III
- IV
- V
- QUATRIĂME JOURNĂE
- I
- II
- III
- IV
- V
- CINQUIĂME JOURNĂE
- I
- II
- III
- IV
- V
- Copyright