La laisse du tigre
eBook - ePub

La laisse du tigre

F(r)ictions humanimales en Amérique du Nord

  1. 304 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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La laisse du tigre

F(r)ictions humanimales en Amérique du Nord

À propos de ce livre

Un tigre du Bengale, qui barbote anxieusement dans une petite piscine en plastique durant l'été et que l'on nourrit de viande de supermarché, est-il toujours un tigre? En examinant l'existence troublée d'animaux réputés sauvages, mais vivant désormais de conditions domestiques et artificielles puissantes, ce livre pose la double question de la communication et de l'animalité.

La vie accidentée de ces animaux trafiqués transpire nos changements écologiques actuels, incarne la disparition vertigineuse d'espèces animales et renvoie à la détérioration accélérée d'habitats naturels.

Dans ce livre, on découvre des biographies animales, comme celle d'un chimpanzé cobaye (Rachel) évoluant dans un sanctuaire évangélisateur ou encore, celle d'un dauphin (Nellie) au « chômage », mis aux enchères après la faillite du parc d'attraction qui l'a vu naître et grandir. Mises en résonance, chacune de ces biographies compose un véritable bestiaire d'êtres qui pourraient sembler provenir d'histoires fictives abracadabrantesques et qui, pourtant, sont tout sauf imaginaires. Voilà qui permet de reposer, autrement, la vieille question de l'espèce.

Ce livre est publié en français.

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If a Bengal tiger anxiously splashes around in a small plastic pool in the summer and feeds on supermarket meat, is it still a tiger? By examining the troubled existence of so-called wild animals now living under overwhelmingly domestic and artificial conditions, this book raises the dual question of communication and animality.

The turbulent lives of these trafficked animals reflect current ecological changes, embody the precipitous disappearance of animal species, and denote the accelerated deterioration of natural habitats.

This book presents animal biographies, such as that of a former laboratory chimpanzee (Rachel) now living in an evangelizing sanctuary, or that of an "unemployed" dolphin (Nellie) put up for auction after the amusement park where it was born and raised went bankrupt. Echoing one another, these biographies make up a bestiary of beings that seem to have leapt from grotesque fiction. Yet, they are anything but imaginary. And thus the age-old question of species is raised once again, albeit in an entirely different fashion than before.

This book is published in French.

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Portrait 1

Honey

Les tigres myopes ne font plus que des petits bonds.
H. Michaux, Tranches de savoir
EXISTER
Honey and Irwin came from an El Paso Texas truck stop where they were a roadside attraction. They were allowed to breed at random, and their cubs were sold to motorists who stopped to get gas. They exchanged their small concrete cages in Texas for spacious indoor-outdoor enclosures at The Wild Animal Sanctuary, plus time to roam and swim in the Tiger Pool. Now 24, Honey is the oldest Tiger at TWAS1.
Née dans une caravane échouée aux abords d’une interstate peu fréquentée, Honey aura d’abord senti les relents d’alcool d’une station-service américaine avant l’air humide et sucré d’une jungle asiatique. Vendu pour quelques centaines de dollars à des motards de passage, l’animal a rapidement troqué les griffes de sa mère pour l’emprise d’un marché noir à la férocité désormais coutumière. Et chaque fois, ce même scénario semble se répéter. Jeune, l’animal s’achète et se transporte facilement. À dos de moto ou sur la banquette arrière d’un pick-up, bébés tigres, chimpanzés, lions ou encore panthères noires vont ainsi au supermarché, se promènent en laisse, passent leur temps à se faire caresser au son strident d’onomatopées admiratives. Puis, vient l’adolescence, monte la poussée d’hormones et grandissent les appétits sexuels. Petit à petit, l’ouvert se referme. Un jour que l’animal rugit un peu trop fort, on l’enferme, au mieux, dans une cage artisanale, bricolée avec les moyens du bord et l’aide de quelques bons amis, ou bien encore dans une autre caravane, au pire, dans les limbes, après lui avoir tiré un coup de chevrotine entre les deux oreilles et abandonné son corps dans un terrain vague, souvent de l’autre côté de l’interstate. Fini alors, les ballades, les centres commerciaux, les onomatopées et les caresses, commence l’enfermement. Honey, elle, aura la « chance » d’atterrir dans un sanctuaire, dans les mains de Pat Craig et de son équipe. Eux se déplacent avec une autre caravane, aux proportions tout à fait américaines, capable de sillonner le pays tout entier à la rescousse de ces propriétaires un peu désabusés qui, bien que profondément attachés à leur animal, se voient désormais contraints de s’en débarrasser. Cet animal aura donc « grandi » avec des humains, aura fait partie de la famille pendant quelques années, dorées, mais précisément parce qu’il a grandi, il ne peut plus continuer à en faire partie, de la famille. Ce mouvement, qui est aussi passage, de l’adolescence à l’âge adulte, le monde animal le chevauche depuis longtemps. Il n’existe rien de nouveau, donc, dans cette obligation de quitter la mère pour l’accouplement, le nid pour d’autres territoires. Ce qui est nouveau, en revanche, c’est l’obligation de devoir le faire sans la possibilité de le réaliser soi-même. Là encore, il faut un peu d’aide, côté animal comme familial, et beaucoup de prise en charge. Ce camion qui sillonne l’Amérique du Nord à la recherche de prédateurs en difficulté illustre bien l’une des dimensions profondes de ces f(r)ictions humanimales, annoncées dans le titre de ce livre, la dimension sauvetage, celle de la réparation, du fix, celle qui aime tant régler les problèmes de l’autre.
Un beau matin, donc, sous l’effet du pistolet tranquillisant, Honey s’est endormi dans sa cage d’enfant pour se réveiller, une douzaine d’heures plus tard et quelques milliers de kilomètres plus loin, dans un champ d’adultes, qui est encore une chambre, qui est encore une cage, mais qui est plus spacieuse. Doyenne orpheline de sa nouvelle famille, elle coule aujourd’hui des jours paisibles au pied des montagnes du Colorado.
images
Figure 4. The Wild Animal Sanctuary.
INSISTER
Tawny Richey s’occupe des programmes éducatifs au Wild Animal Sanctuary2. Dans cet immense ranch, on recueille depuis des années les laissés-pour-compte d’un marché noir en plein essor. Y vivent plusieurs dizaines de félins, tous rescapés, mais aussi des ours, des loups, des panthères et des chiens. Pour des raisons à la fois budgétaires et pédagogiques, le sanctuaire est ouvert au public. Malgré tout le mérite de l’entreprise, Richey fait très souvent face à l’incompréhension grandissante d’une partie importante de visiteurs. Nombreux sont en effet ceux qui se disent déçus de leur « safari ». Pourtant, les tigres sont bien là. Seulement, ils ne se donnent pas à voir. Aucune mise en scène n’est conçue pour mettre les félins en valeur. Les enclos sont construits pour les tigres, et non pour d’éventuels spectateurs. Pas de cerceaux donc, pas de feu ni même de clowns ! Tout juste quelques décors un peu kitsch reproduisent des motifs de savane en papier peint. Il y a là-bas, dans leur plus simple appareil, des… tigres, la plupart du temps assoupis. Et c’est bien comme cela que vit désormais Honey. Mais un tel décalage entre la réalité éthologique de l’animal et la fiction des représentations animalières du visiteur en conduit certains à demander un remboursement. Pour la soigneuse, c’est là tout le problème, un problème qui n’est pas financier, mais cognitif. « Les gens croient ce qu’ils voient. Et ce qu’ils voient, ce sont des tigres au cinéma !3 »
Les films de Walt Disney, les productions hollywoodiennes hyperanthropomorphisées, le côté mièvre de certaines programmations télévisuelles nourrissent de véritables clichés et ne vont pas sans fixer l’animal, ainsi totémisé, dans un monde de représentations souvent très éloigné des réalités éthozoologiques. De ces médiatisations croisées, de cet écart symbolique entre être et passer pour, certains animaux pâtiront toute leur vie4. Vecteur et catalyseur de représentations animales, le zoo (qu’il soit institution centenaire ou attraction saisonnière) est en ce sens un espace postnaturalisé important de nos sociétés5. Présent dans la plupart des grandes villes du monde, il assure en quelque sorte un contact entre le monde humain des centres urbains et les contrées sauvages d’un monde animal dès lors rendu accessible au plus grand nombre. Enjeux de découvertes et de connaissances, il est aussi sujet à des questionnements éthiques de plus en plus serrés. Dans ces espaces où la mise en scène (des visiteurs et des animaux) participe d’un savoir pointu (à la fois commercial et éthologique, mais aussi marketing et vétérinaire), l’expérience de chacun prend vite les apparences d’un vrai théâtre. La fille de Richey n’a encore jamais eu le droit d’aller au zoo. Pourtant, la jeune maman a elle-même travaillé pendant plusieurs années, comme assistante-vétérinaire, dans un grand zoo californien. Écœurée, Richey refuse désormais d’alimenter, ne serait-ce qu’en y participant, le volet « spectacle » d’une économie politique animale qu’elle juge inacceptable.
Relational entanglements between a biological backup and a cultural engine move forward the scale of the “I.”
Au cours de l’année 2011, j’ai visité plusieurs des grands zoos nord-américains (New York, Atlanta, San Diego, Vancouver, Chicago, Toronto). À chaque arrêt devant l’habitation (on ne dit plus « cage ») des tigres, j’entendais les mêmes cris : ceux des enfants qui poussent une exclamation suffisamment profonde pour qu’on saisisse ­l’importance d’une telle rencontre, que l’on soupèse un peu mieux la différence entre la suggestion d’un dessin animé (tous ont déjà vu une représentation de tigre) et l’impression que laisse l’original sur les esprits6, mais aussi le cri de certains adolescents, la violence de leur harangue quand ils interpellent l’animal, trop éloigné à leur goût, plus habitué qu’ils sont à l’arène sportive et aux stades qu’aux observations silencieuses en milieux naturels. Ici l’animal est mentalement automatisé, discipliné, sommé de répondre à la (télé)commande. Ces représentations particulières, manifestement héritées d’un rapport prolongé et surexposé à la technique7, jouent un rôle fondamental dans l’interaction, y compris humanimale. À ce propos, je voudrais ici rapporter quelques faits particulièrement saisissants. À Atlanta, il nous a été donné d’assister à une scène des plus frappante8.
Un dresseur, son assistante et un éléphant prodiguaient au public captivé un numéro de cirque. Sous les coups de bâton secs et vifs du dresseur, l’éléphant s’agenouillait, se relevait, avançait, reculait, se couchait, se relevait à nouveau. À chaque opération, l’éléphant avait droit à une récompense : un bout de carotte. La première partie du numéro s’effectuait sans heurts (on imagine ici le nombre d’heures, de carottes et de coups de bâton nécessaires à un tel spectacle, et l’on devine ainsi le genre de relation qui se noue alors entre l’homme et la bête9). Mais tandis que le dresseur demandait à l’éléphant de s’agenouiller une énième fois, l’éléphant se coucha10… coup de bâton. Il se relève. Et tandis que le pachyderme s’approchait de l’assistante et de ses carottes, un nouveau coup de bâton frappe. Pas de récompense quand on se trompe, alors l’éléphant recule. Il se met à regarder fixement le dresseur, puis, longuement, il défèque. Toujours en regardant le dresseur, il s’agenouille, puis ramasse ses excréments, excréments qu’il engloutit alors, devant les yeux médusés de mon jeune voisin, très lentement. Nouveaux coups de bâton et exclamations, cette fois-ci dégoûtées, du public… La différence entre un safari et une visite au zoo réside précisément ici, dans de tels dérapages, et s’actualise à chaque événement du genre. Dans un zoo, ne s’attend-on pas (puisque l’on paye) à voir l’animal, à ce qu’il soit là, assis, debout couché pour nous, prêt à se montrer, enclin à poser pour l’appareil, à être, une énième fois, capturé ? Dans la « nature », l’apercevoir est fruit d’un véritable savoir-faire, un savant mélange de chance et de patience. Le face à face avec l’animal « sauvage » est non seulement rare, mais pas toujours de bon augure pour la suite11. Or, dans cette autre jungle qu’est le garage, le rapport de force est évidemment différent, littéralement inversé12. À chaque centre commercial humanimal il y a son trafic.
Qu’il s’agisse d’un zoo, d’un laboratoire ou encore d’un sanctuaire, les impératifs (économiques et politiques, individuels et collectifs) diffèrent évidemment. Mais il s’agit, me semble-t-il, d’une différence de degré et non d’une différence de nature, puisque l’existence animale, elle, continue de s’ébaucher au gré de pressions sélectives complexes (certes, ici, de plus en plus artificielles). Savane sud-africaine ou plaine états-unienne, parc national ou zoo privé, tous ces centres commerciaux pour animaux contraignent absolument au mouvement, mais abritent aussi le changement. Et s’ils obligent à l’adaptation, ils offrent en même temps la possibilité renouvelée d’une certaine inventivité. C’est donc dans cette durée et le long de ce fil transpécifique qu’humains et animaux se partagent temps, milieux, ressources et activités, mais aussi découvertes et créativités. Pas toujours heureuse, cette cohabitation n’en fournit pas moins des exemples précis d’adaptations véritablement singulières.
PERSISTER
Le 19 octobre 2011, 56 anima...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Demi-page de titre
  3. Page de droits d’auteur
  4. Page titre
  5. Table des matières
  6. LISTE DES FIGURES
  7. AVANT-PROPOS
  8. COURSE
  9. PORTRAIT 1 : HONEY
  10. ÉTUDE 1 : COMMERCE DE LA BÊTE
  11. PORTRAIT 2 : RACHEL
  12. ÉTUDE 2 : ÉCRITURE DU VIVANT
  13. PORTRAIT 3 : MOLLOKO
  14. ÉTUDE 3 : META-ODOS
  15. PORTRAIT 4 : NELLIE
  16. ÉTUDE 4 : INDIVIDUATION
  17. PORTRAIT 5 : ONCOMOUSEMD
  18. ÉTUDE 5 : ANIMALITÉ
  19. PORTRAIT Ω : KANUK
  20. MATRICE
  21. CONCLUSION
  22. BIBLIOGRAPHIE
  23. Couverture arrière