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IMMIGRER AU
CANADA PAR
LE QUAI 21
DE 1928 À 1971
Des immigrants néerlandais dans la nouvelle zone de rassemblement du Quai 21, 1928-1930.
Source : Bibliothèque et Archives Canada, C-036146
Mes premiers pas au Canada ont eu lieu au Quai 21. Après avoir survécu aux camps de travail en Russie et aux camps de réfugiés en Afrique, ma famille s’est rendue en Angleterre. Puis, grâce au parrainage de mon frère Wacław (qui était devenu agriculteur au Canada après avoir servi sous le commandement britannique pendant la guerre), nous avons finalement pu venir au Canada. Au Quai 21, les autorités canadiennes nous ont traités, nous avons été accueillis en sol canadien et nous sommes devenus des immigrants reçus. Notre train est arrivé à Calgary tôt le matin du 2 août 1952. Nous sommes descendus du train très fatigués, très sales et, à nous trois, avec seulement cinq dollars en poche.1
—Bronisława Glod (née Kowalewska), une réfugiée polonaise arrivée au Quai 21 à bord du SS Neptunia le 27 juillet 1952.
L’ARRIVÉE DE BRONISŁAWA GLOD AVEC SA FAMILLE EN 1952 TÉMOIGNE de la place du Quai 21 dans la mémoire de tant de familles : l’endroit où elles ont fait leurs premiers pas en sol canadien, où elles ont été examinées et où elles ont obtenu le droit d’entrer au pays. La plupart des immigrants qui sont passés par le Quai 21 avaient fait l’objet d’un contrôle rigoureux à l’étranger, mais les fonctionnaires du Quai 21 devaient encore examiner la personne et ses effets personnels pour autoriser son entrée au Canada. Le site effectuait donc des examens médicaux, civils et douaniers efficaces des passagers, ce qu’on appelait « le traitement », comme le mentionne Bronisława Glod. En plus du personnel requis pour ces inspections, des bénévoles de la Croix-Rouge, de l’Armée du Salut, du Young Men’s Christian Association (YMCA) et de la Young Women’s Christian Association (YWCA), de la Canadian Bible Society, de la Jewish Immigrant Aid Society (JIAS) et des Églises assuraient le bien-être des nouveaux arrivants au Quai 21. Chacune de ces organisations disposait d’un espace désigné dans l’établissement qui offrait tout, d’une cantine à un petit hôpital.
Les espaces intérieurs du Quai 21 ont changé avec le temps : les pièces des quartiers réservés à l’immigration ont été réaménagées après un grave incendie en 1944 et le bâtiment de l’Annexe a été agrandi au début des années 1950. Néanmoins, le processus d’entrée au Quai 21 n’a pas beaucoup changé, même compte tenu des modifications majeures apportées aux politiques d’immigration après la Seconde Guerre mondiale.
Au départ, le Quai 21 n’a pas été construit sur mesure à des fins d’immigration.2 Des intérêts commerciaux et des entreprises de transport contrôlaient le rez-de-chaussée des hangars et la majorité des terminaux océaniques autour du Quai 21. Les locaux d’immigration, où l’on procédait à l’inspection et au traitement des nouveaux arrivants (et où ils étaient détenus au besoin), se trouvaient au deuxième étage du hangar à marchandises 21 (le Quai 21). Les installations d’immigration du hangar 21 avaient une centaine de pieds de largeur et un peu plus de 500 pieds de longueur. Pourtant, bien qu’il fut de taille appréciable, le Quai 21 était environ deux fois moins grand que les anciennes installations d’immigration d’Halifax, jusqu’alors situées au Quai 2. Pour compenser, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le CN), qui était propriétaire du Quai 2 et des terminaux océaniques d’Halifax, a construit un bâtiment d’annexe plus petit et d’un seul étage à côté du hangar 21, offrant de l’espace additionnel pour les contrôles douaniers, les activités des organismes bénévoles, le service ferroviaire et l’accès des passagers à de la nourriture. Des passerelles surélevées reliaient les deux bâtiments afin que les immigrants et le personnel puissent se déplacer en toute sécurité au-dessus des voies d’évitement des trains.
À l’intérieur des locaux d’immigration, au deuxième étage, l’espace était divisé presque à parts égales entre une zone d’attente et de traitement et des quartiers pour détenir les personnes au besoin. L’espace généralement dégagé de l’aire de rassemblement contrastait avec la disposition complexe de la zone de détention, qui contenait tout, des chambres fortes sécurisées à un petit hôpital. De l’autre côté de la passerelle, dans le bâtiment de l’Annexe, les passagers passaient par les douanes et pouvaient rencontrer des organismes de bienfaisance ou acheter à manger. Entre les deux bâtiments, plusieurs voies ferrées donnaient de l’espace aux trains spéciaux qui transportaient les immigrants, les visiteurs et les Canadiens de retour au pays vers leurs demeures partout au Canada. Une passerelle couverte a été construite peu de temps après l’ouverture des installations ; elle s’étendait du bâtiment de l’annexe jusqu’à l’hôtel et à la gare d’à côté.
ARRIVER AU CANADA PAR LE QUAI 21
C’est bien souvent lorsque les paquebots entraient dans le port d’Halifax et s’approchaient du Quai 21 que de nombreux immigrants voyaient le Canada pour la toute première fois. Ce fut le cas de Carmen Wood (née Wright), qui a émigré de Malte en 1950 à bord du SS Nea Hellas. Elle avait neuf ans lorsqu’elle est arrivée au Quai 21 avec sa famille, découvrant que Halifax était composée « d’arbres verts et de toits colorés », un contraste frappant avec le terrain îlien rocheux de son pays natal méditerranéen. Après son escale à Halifax, sa famille a poursuivi son chemin jusqu’à New York, entrant au Canada par Fort Érié, en Ontario.3
Il va de soi que, selon la période de l’année, certains immigrants étaient moins qu’enthousiastes à l’idée de découvrir Halifax. Maria Scornaienchi (née Ammirato), par exemple, est venue d’Italie en janvier 1957 avec son mari et sa fille. Deux mètres de neige les attendaient à leur arrivée. Elle n’imaginait pas marcher dans ces conditions hivernales et, à cause de la neige, elle garde un très mauvais souvenir de son arrivée au Canada.4 En revanche, d’autres nouveaux arrivants, comme William Waterhouse, qui est arrivé du Pays de Galles en 1948, étaient heureux de fouler la terre ferme après un voyage maritime tumultueux : « Le Quai 21 était une vision très bienvenue et la terre ferme, un don du ciel. »5
Le processus officiel pour un passager entrant par le Quai 21 commençait par le débarquement du navire directement dans les installations d’immigration. Une passerelle légère et mobile était déployée à partir du deuxième étage du hangar. L’espace ouvert sur le quai et l’étage inférieur du hangar étaient utilisés lors du transfert des marchandises et de gros bagages. Cette séparation contribuait à accroître la sécurité et l’efficacité du déchargement des navires, bien qu’au départ, lorsque les installations ont ouvert leurs portes, la passerelle était strictement expérimentale. Environ une semaine avant l’ouverture des installations, les entreprises maritimes protestaient encore contre « le plan actuel d’utiliser une passerelle ».6 On craignait que l’escale d’un navire puisse être prolongée si la passerelle ne fonctionnait pas correctement. Les inquiétudes se sont avérées inutiles : après deux semaines, le fonctionnaire responsable de l’immigration à Halifax a mentionné que « 12 paquebots transatlantiques ont accosté à ce jour, déchargeant plus de 3 700 passagers, et jusqu’à présent aucun d’entre eux n’a eu à débarquer au rez-de-chaussée. » Certes, les passagers seraient débarqués à l’aide de la passerelle au rez-de-chaussée si la passerelle à l’étage ne fonctionnait pas correctement ou si plus d’un navire faisait escale à la fois.7
Au milieu des années 1920, le ministère de l’Immigration a demandé le déménagement de ses quartiers dans le complexe des terminaux océaniques, justement pour accueillir plus d’un navire le long du quai d’immigration. Cet accommodement aurait exigé l’utilisation d’un quai avancé dans le port. À cette fin, le ministère recommandait l’utilisation du Quai A (à proximité du silo à grain au sud du Quai 21).8 Un autre organisme recommandait d’utiliser à la fois les étages supérieurs du Quai 21 et du Quai 22 pour le traitement des demandes d’immigration. Cette approche n’était cependant pas viable, car le projet du ministère de l’Immigration était déjà coûteux et ne pouvait justifier l’augmentation des coûts de construction, des opérations courantes et de la paie pour maintenir des effectifs sur deux quais en même temps. Aucune de ces propositions n’a été retenue : les locaux du Quai 21 ont été construits en utilisant une seule passerelle pour accéder au deuxième étage. Le ministère a plutôt appris à composer avec les jours où plusieurs navires faisaient escale à Halifax. Ce fut le cas le 6 avril 1930, lorsque six navires ont fait escale simultanément. En effet, si plus de deux navires se trouvaient à quai en même temps, les officiers montaient souvent à bord d’un navire et effectuaient le traitement à bord plutôt que de débarquer les passagers en premier.9
Les locaux d’immigration du Quai 21 comprenaient une grande aire de rassemblement, immédiatement adjacente à la passerelle, où les passagers attendaient l’inspection après leur arrivée. La zone de rassemblement était divisée en son milieu par des toilettes et un comptoir. Les deux espaces ainsi créés étaient de taille assez semblable, chacun pouvant accueillir près de 500 personnes sur environ 90 bancs.10 Les deux espaces étaient ouverts et bien aérés, avec une bonne lumière naturelle grâce aux hautes fenêtres sur la ligne du toit. Lorsque le Quai 21 a ouvert ses portes, l’aire de rassemblement comportait des cloisons en clôture métallique. En 1944, après l’incendie des locaux d’immigration, le site a été reconstruit avec des cloisons en treillis métallique uniquement dans la zone d’inspection médicale. Ces cloisons ont été enlevées dans les années 1950, de sorte que les cages à bagages demeurent la seule chose utilisant du treillis métallique dans la zone de rassemblement. De plus, après l’incendie de 1944, les dimensions de la zone de rassemblement ont diminué et certaines cloisons en fil métallique ont été retirées. La reconstruction a mené à l’ajout de bureaux d’immigration dans la partie nord de la pièce, avec des toilettes à l’extrémité sud. Par conséquent, le nombre d’immigrants pouvant débarquer d’un navire a été amoindri à un peu plus de 400 personnes à la fois.11
À leur arrivée, les immigrants se réunissaient dans la zone de rassemblement pour un examen médical.12 Ils y formaient des files d’attente et à l’ouverture du site, ces files étaient séparées par des garde-corps simples faits de raccords de tuyauterie.13 L’importance de l’examen médical révèle deux aspects importants de la politique et des pratiques d’immigration au moment de l’ouverture du Quai 21 : la vigilance essentielle face aux maladies transmissibles et les obstacles persistants pour les immigrants souffrant de certains problèmes médicaux, souvent chroniques. La quarantaine en était parfois le résultat. Toutefois, comme dan...