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La Traduction du Sensible

Nathalie Aubert

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La Traduction du Sensible

Nathalie Aubert

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"In this innovative study, Nathalie Aubert demonstrates how the experience of translating Ruskin led Proust to see creative writing as itself an act of translation. She makes use of phenomenology to show how the Proustian metaphor operates as translation as it bridges the gap between reality and language."

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Informations

Éditeur
Routledge
Année
2017
ISBN
9781351197458
Édition
1

Chapitre 1
De la pratique traduisante à la théorie de la métaphore

Dans le premier volume de La Recherche, le jeune hĂ©ros qui aspire Ă  ĂȘtre Ă©crivain doit faire face au dĂ©couragement et Ă  l'impuissance:
Et ces rĂȘves m'avertissaient que puisque je voulais un jour ĂȘtre Ă©crivain, il Ă©tait temps de savoir ce queje comptais Ă©crire. Mais dĂšs queje me le demandais, tĂąchant de trouver un sujet oĂč je pusse faire tenir une signification philosophique infinie, mon esprit s'arrĂȘtait de fonctionner, je ne voyais plus que le vide en face de mon attention, je sentais queje n'avais pas de gĂ©nie ou peut-ĂȘtre une maladie cĂ©rĂ©brale l'empĂȘchait de naĂźtre. (RTP, I. 170)
Cette expĂ©rience de l'Ă©chec, Proust l'a vĂ©cue lui-mĂȘme pendant qu'il Ă©crivait Jean Santeuil. Il Ă©tait alors prĂ©occupĂ© par la nĂ©cessitĂ© de trouver un 'sujet philosophique' qui prĂ©siderait Ă  la composition gĂ©nĂ©rale que rĂ©clamait l'unitĂ© de son roman. A ce stade de son apprentissage, il croyait pouvoir donner un rĂ©cit pur, parce que 'sans mĂ©lange', sans autre matiĂšre que 'l'essentiel, l'essence qui se communique Ă  l'Ă©criture dans ces instants privilĂ©giĂ©s oĂč la surface conventionnelle se dĂ©chire'.' Il prĂ©tendait exclure tout ce qui ferait de son livre le rĂ©sultat d'un travail dĂ©sireux simplement de fixer les moments indicibles, 'moments d'approche', oĂč la joie, mais parfois aussi la douleur qu'il Ă©prouvait, Ă©taient pour lui les signes mĂȘmes de la palpitation de la vĂ©ritĂ©.
Il y a des moments pour le jeune Proust oĂč, au hasard d'une 'odeur', d'une 'vue', la rĂ©alitĂ© se dĂ©couvre, oĂč la pensĂ©e conceptuelle cĂšde brusquement, et oĂč, tranchant comme une Ă©pĂ©e, surgit le sentiment d'ĂȘtre. Instant nu, don exceptionnel et dĂ©finitif bien qu'isolĂ©. A lui seul, il est capable d'Ă©tablir un rapport nouveau du sujet avec l'ĂȘtre mĂȘme de ce qui est. Cependant, dans l'instant oĂč la conscience engagĂ©e dans une Ă©criture consent Ă  la forme close que cette derniĂšre dessine, elle garde la mĂ©moire de la limitation que ce choix implique, de l'irrĂ©alitĂ© du lieu verbal qu'il impose. Le jeune Ă©crivain inexpĂ©rimentĂ© que Proust est alors se sent 'requis' par le monde, et ces moments d'illumination sont faits de lambeaux dont il cherche, Ă  tort, Ă  savoir la suite: il ne sait pas encore que dĂšs qu'il y a source de lumiĂšre, il faut d'abord s'en dĂ©tourner pour voir le monde Ă  sa flamme. Le monde, mĂȘme si on doit parvenir enfin Ă  reconnaĂźtre qu'il Ă©tait dĂ©jĂ  lĂ , est d'abord absent. Car croire que la vĂ©ritĂ© 'comme un ciel oĂč, en dehors des Ă©toiles, il n'y aurait que le vide' rĂ©side dans l'instant libĂ©rĂ© de la temporalitĂ©, dĂ©livrĂ© de toute mĂ©diation (de celle d'autrui notamment) et 'd'oĂč serait exclu tout ce qui ne serait pas instants essentiels'2 est encore cĂ©der aux sirĂšnes de l'abstraction et c'est le monde rĂ©el qui est perdu.
Le futur auteur de La Recherche devra donc concevoir la recherche du sens comme une reconquĂȘte du monde sur l'abstraction: ceci implique effort, travail. Les annĂ©es d'apprentissage consacrĂ©es au travail de traduction des Ă©crits de John Ruskin furent celles durant lesquelles Proust abandonna le rĂȘve d'un livre 'rĂ©coltĂ©', pour mettre en Ɠuvre, Ă  travers sa pratique quotidienne dans la chair mĂȘme du langage, la nĂ©cessitĂ© d'un travail de rĂ©Ă©criture. Le rĂ©el en effet n'est pas atteint du premier coup; il n'y a pas de contact direct avec lui, de possession immĂ©diate de sa substance: les Ă©piphanies se bornent Ă  prĂ©senter leur Ă©vidence. Elles proposent, Ă  qui en reçoit la rĂ©vĂ©lation, certains aspects concrets de la rĂ©alitĂ©, et mĂȘme si ces aspects sont en soi des plus fugitifs et fragmentaires, ils parlent, pour le peu de temps qu'ils durent, 'au nom du tout'. C'est aussi parce qu'ils se relient, dans l'hiatus de la durĂ©e apparente, Ă  une plĂ©nitude, prĂ©cisĂ©ment parce qu'ils ne se confinent pas dans leurs Ă©troites limites, qu'ils se rattachent non Ă  la durĂ©e transitive, mais Ă  une sorte de durĂ©e non successive, ce que Proust appelle 'un peu de temps Ă  l'Ă©tat pur'. Rencontre dans le visible qui est donc mouvement hors de soi/en soi, mais mouvement sans dĂ©placement, pourvu d'une durĂ©e vibratile, prĂ©caire, Ă©loignĂ©e de toute position d'Ă©quilibre. L'auteur de La Recherche ambitionne une Ă©criture qui puisse relier cette absence qui se fait sentir comme prĂ©sence, le monde, sans abolition du temps, mais dans la jonction entre le moi d'aujourd'hui et le moi d'autrefois. Le contact avec les choses n'est donc pas au dĂ©but de la langue mais 'au bout de son effort, et en ce sens l'existence d'une langue donnĂ©e nous masque plutĂŽt qu'elle ne nous montre la vraie fonction de la parole'.3 Cependant Jean Santeuil est un Ă©chec, et l'auteur l'abandonne Ă  l'inachĂšvement pour se consacrer Ă  une tĂąche apparemment anodine pour qui a vocation d'un tel absolu: la traduction. La pratique traduisante, pour le jeune Ă©crivain insatisfait qu'il est en 1899, lui permet de libĂ©rer sa parole du poids de la nĂ©cessitĂ© de trouver du sens. Mais c'est pour lui un 'petit travail', une tĂąche subalterne:
Depuis une quinzaine de jours je m'occupe à un petit travail absolument différent de ce que je fais généralement, à propos de Ruskin et de certaines cathédrales.4
Il se confie ainsi Ă  une jeune femme d'origine anglaise, Marie Nordlinger, dont nous verrons qu'elle a Ă©tĂ© pour lui une prĂ©cieuse collaboratrice dans cette activitĂ©. Dans l'un des brouillons du Temps retrouvĂ©, le narrateur explique pourquoi, aprĂšs avoir doutĂ© de Bergotte, il revient Ă  lui. Or, Ă  ce stade de l'Ă©laboration de l'Ɠuvre, Proust associe souvent le personnage de l'Ă©crivain Ă  Ruskin, ce dernier ayant longtemps constituĂ© Ă  ses yeux un maĂźtre absolu, archĂ©type d'une certaine forme de rĂ©ussite littĂ©raire, gĂ©nie 'Ă  la Carlyle':
Et moi aussi Ă  mon heure j'avais doutĂ© de Bergotte, j'avais tĂąchĂ© Ă  me dĂ©tacher de lui, comme d'une religion Ă  laquelle on souhaiterait trop de pouvoir continuer toujours Ă  croire, une religion trop charmante, trop humaine, pour que l'instinct qui nous pousse Ă  chercher la vĂ©ritĂ© hors de nous, loin de nos dĂ©sirs, ne nous crie pas qu'elle ne doit pas ĂȘtre vraie. Au moment oĂč dans ses livres il parlait de la vie, de la mort, l'image de quelque glorieuse Ɠuvre d'art Ă©voquĂ©e par une allusion dans son style mettait entre nous et la rĂ©alitĂ© cette effigie protĂ©geante, consolatrice, et notre pensĂ©e dĂ©viĂ©e de sa recherche amĂšre et drĂŽle faisait ricochet, avec dĂ©lices. On Ă©tait plus heureux mais comme dans une Ă©glise parce qu'on [n']Ă©tait pas seul en prĂ©sence de la rĂ©alitĂ©.5
Le surgissement de telle Ɠuvre d'art convoquĂ©e par Ruskin dans ses Ă©crits fait Ă©cran de toute sa 'glorieuse' prĂ©sence entre l'apprenti romancier et la rĂ©alitĂ©. Il y a, dans la prĂ©dilection de l'esthĂšte anglais pour les Ɠuvres simples aux motifs de feuilles et de fleurs naĂŻvement empruntĂ©s aux rites dominicaux, oĂč la jeunesse d'un corps est franchement dite, oĂč l'archaĂŻsme d'un geste d'une foi prĂ©servĂ©e tĂ©moigne pour un temps oĂč savoir et paix ne faisaient qu'un, comme un excĂšs d'apparence. Tout semble s'expliquer, se rĂ©soudre, dans ces chefs-d'Ɠuvre d'oĂč Ă©mane une libertĂ© que quelques esprits sont parvenus Ă  dĂ©gager de l'expĂ©rience sensible. Pour reprendre l'analogie avec Bergotte, le narrateur explique la nature de l'apport de l'Ă©crivain sur ses jeunes annĂ©es:
Sentant combien il y avait de parties de l'univers que ma perception infirme ne distinguerait pas s'il ne les rapprochait de moi, j'aurais voulu possĂ©der une opinion de lui, sur toutes choses, surtout sur celles que j'aurais l'occasion de voir moi-mĂȘme, et entre celles-lĂ , particuliĂšrement sur d'anciens monuments français et d'anciens paysages maritimes, parce que l'insistance avec laquelle il les citait dans ses livres prouvait qu'il les tenait pour riches de signification et de beautĂ©. (RTP, I. 94)
L'influence' de Ruskin sur 'la vie, les idĂ©es et l'Ɠuvre de Marcel Proust' est en effet multiple. Jean Autret a Ă©tĂ© le premier Ă  la retracer dans ses divers aspects: si l'Anglais a Ă©tĂ© dĂ©couvert et d'abord publiĂ© en France pour ses Ă©crits politiques, on s'est trĂšs vite intĂ©ressĂ© au 'prophĂšte de la beautĂ©' (La Sizeranne) et Ă  sa pensĂ©e esthĂ©tique surtout liĂ©e aux particularitĂ©s du mouvement romantique de son pays dont il fait la synthĂšse.6 Autret s'intĂ©resse aussi aux traductions que Proust a faites de La Bible d'Amiens et de SĂ©same et les lys, mais son but est surtout de dĂ©terminer la part de l'influence du maĂźtre anglais sur son 'disciple' telle qu'elle apparaĂźt dans Du cĂŽtĂ© de chez Swann. Il distingue deux types d'influences: l'une, directe, qui est ce que Proust a retenu de ses lectures ruskimennes et dont le roman a gardĂ© la trace, notamment Ă  travers certaines remarques et certains commentaires; l'autre, indirecte, qui concerne plus particuliĂšrement la peinture et l'art religieux. L'un des mĂ©rites du livre d'Autret est qu'il a Ă©tĂ© le premier Ă  mettre en Ă©vidence, par cette mĂ©thode de rapprochement, les liens entre 'l'impression premiĂšre' proustienne et l'art de Turner, du moins tel que ce dernier est prĂ©sentĂ© par Ruskin. Toutefois, la profondeur de la dette intellectuelle dont Proust est redevable Ă  l'Ă©gard de Ruskin ne peut pas ĂȘtre mesurĂ©e dans une liste (quelle que soit son exhaustivitĂ©) de thĂšmes communs, ou par l'analyse (mĂȘme prĂ©cise) d'une reprise stylistique (parodique ou non) de Ruskin. David Ellison, dans The Reading of Proust,8 cherche prĂ©cisĂ©ment Ă  Ă©viter cet Ă©cueil en concentrant son attention non seulement sur la lecture que Proust a faite des Ɠuvres de Ruskin, mais sur la maniĂšre dont sa conception de la lecture mĂȘme a Ă©tĂ© affectĂ©e par cette rencontre avec le texte ruskinien. Pour Ellison, en effet, 'Proust's conception of reading is expressed most powerfully and most consistently as a deconstruction of what Ruskin called "possession taking'" (p. xi). Partant, le critique considĂšre que c'est la thĂ©orie de la lecture qui sous-tend toute la problĂ©matique littĂ©raire et thĂ©orique de La Recherche en ce qu'elle concerne la façon dont la narration s'engendre et se prolonge et en ce que l'autobiographie est l'identitĂ© modale ('modal identity', p. xi) de l'Ɠuvre. La dĂ©marche d'Ellison (comme celle d'Anne Henry9) dĂ©montre qu'il est important d'Ă©tablir une gĂ©nĂ©alogie intellectuelle des deux auteurs afin de comprendre les enjeux vĂ©ritables de cette rencontre.10 Anne Henry situe la formation intellectuelle de Proust dans le cadre de l'influence de l'idĂ©alisme allemand (notamment Ă  travers Schelling) tel qu'il a trouvĂ© sa voix en France chez Ravaisson et surtout chez SĂ©ailles. Elle rappelle aussi que Ruskin lui-mĂȘme est Ă  resituer dans le contexte du romantisme anglais dont elle Ă©voque, notamment Ă  travers Coleridge, les iiens avec le SystĂšme de l'idĂ©alisme transcendental (p. 168).
Toutefois, dans le cadre de notre propre enquĂȘte, ce qui nous intĂ©resse surtout chez Ruskin comme chez Proust, c'est l'aspect double, voire paradoxal, de leurs influences rĂ©ciproques. RenĂ© Wellek a fait remarquer que Ruskin 'tries to combine naturalism and symbolism: a worship of nature even in its minutest aspects with supernaturalism which allows a "typical", or, as we say, "emblematic" "symbolic" representation of nature'.11 Il ne fait pas de doute en effet que Ruskin Ă©prouve une sorte de nostalgie pour la conception originale et totalisante qu'il a trouvĂ©e dans l'univers artistique du Moyen-Age et qui prĂ©suppose un systĂšme thĂ©ocentrique, ancrĂ© dans la correspondance transcendante des analogies. Il y a dans l'art du Moyen-Age une adĂ©quation des moyens et des fins, une cohĂ©rence entre production artistique et vision du monde, entre monde et crĂ©ation auxquelles toute la pensĂ©e de Ruskin est trĂšs sensible. Giotto, de ce point de vue, est le peintre qui rĂ©alise peut-ĂȘtre le mieux cette vision du monde oĂč, sous la double influence du symbolisme biblique et de l'idĂ©alisme platonicien, s'Ă©labore une conception cosmologique. Cette derniĂšre se fonde sur la croyance de correspondances entre le macrocosme de l'univers et le microcosme de l'homme livrĂ© Ă  la lutte des vices et des vertus. La prĂ©sence des 'Vices et vertus de Padoue' dans La Recherche, alors mĂȘme que Proust a, la plupart du temps, cherchĂ© activement Ă  effacer dans son texte toute prĂ©sence ruskinienne trop Ă©vidente,12 indique, dans sa forme, sinon une nostalgie, du moins une conscience aiguĂ« d'une identitĂ© entre le monde et ses moyens d'expression. Dans Du cĂŽtĂ© de chez Suwin en effet, 'La CharitĂ© de Giotto' est le nom donnĂ© par Swann Ă  la fille de cuisine de la famille, et le narrateur explique que si cette derniĂšre ressemble aux vierges de la chapelle de l'Arena, c'est parce que, enceinte, elle en a l'apparence 'forte' et 'hommasse' (RTP, i. 80). Or, trĂšs vite, l'anecdote est dĂ©passĂ©e pour laisser la place Ă  une vĂ©ritable analyse du paradoxe de cette sorte de laideur gauche, vulgaire, et la portĂ©e symbolique de l'Ɠuvre:
Par une belle invention du peintre elle foule aux pieds les trĂ©sors de la terre, mais absolument comme si elle piĂ©tinait des raisins pour en extraire le jus ou plutĂŽt comme elle aurait montĂ© sur des sacs pour se hausser; et elle tend Ă  Dieu son cƓur enflammĂ©, disons mieux, elle le lui 'passe', comme une cuisiniĂšre passe un tire-bouchon par le soupirail de son sous-sol Ă  quelqu'un qui le lui demande Ă  la fenĂȘtre du rez-de-chaussĂ©e. (RTP, 1. 80)
Proust dĂ©crit parfaitement le caractĂšre concret, utilitaire et mĂȘme ancillaire qu'il a repĂ©rĂ© dans la CharitĂ© de Giotto, et il dĂ©montre plus loin en quoi consiste selon lui la 'belle inventi...

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